RARs :

Lils : C'est Moody qui a le plus de classe dans toute cette histoire pour l'instant XD Sal n'a pas terminé de devoir pousser untel ou untel à faire ci ou ça, ça ne le dérange plus du tout de jouer dans l'ombre, et lorsqu'il aura terminé la partie, et qu'il en sortira, il sera déjà trop tard pour l'arrêter. Certains l'ont déjà compris ^^ J'ai hâte de savoir ce que tu penses de ce chapitre ! Je te laisse à ta lecture, de gros bisous !


to trick someone

900 apr. J.-C.

Le village était dévoré par les flammes.

Cette journée avait commencé comme toutes les autres depuis la fin des guerres gobelines. Après la signature du traité de paix, Sal avait laissé les gobelins pour reprendre son voyage. Anastasius, lui, en avait décidé autrement et était resté un peu plus longtemps parmi eux. Ne connaissant que trop bien l'amour qu'il portait au travail des archives, Sal l'avait faire comme il lui plaisait. De son côté, il préféra s'en aller loin, sans vraiment savoir vers quelle contrée son voyage le mènerait. Il n'était pas certain s'il souhaitait partir en direction de ce qu'on nommerait la Chine ou se rendre plutôt dans le sud. Le continent africain était toujours une possibilité…

Toutefois, tous ses plans furent réduits à néant lorsqu'il aperçut de la fumée qui filait au-dessus des arbres.

Au lieu de poursuivre jusqu'à la côte, il changea de direction pour se rendre sur l'emplacement duquel la fumée s'élevait, trouvant là un village en proie aux flammes.

Il l'observa, l'examinant de ses yeux perçants. Il avait appris il y a bien longtemps que foncer tête baissée n'était pas la meilleure des idées pour gérer ce type de situation. Il activa ses yeux de Basilic - même si les utiliser était éprouvant magiquement parlant, comme toutes les formes de magie Fir Bolg dont il pouvait se servir, et particulièrement lorsqu'il s'en servait sans dévoiler sa seconde paupière. Mais il le devait. Il n'allait pas risquer de tuer des innocents simplement en braquant son regard sur eux.

À première vue, il ne pouvait distinguer que de la fumée, puis, après quelques instants, des silhouettes se détachèrent dans la fournaise, courant au travers, criant, pleurant, hurlant.

Ses yeux de Basilic lui permirent de voir les villageois se rassembler au centre du village - probablement sur la place du marché. Ce qui n'avait pas de sens. Pourquoi se rassemblaient-ils là alors que leurs maisons étaient en train de brûler ?

Sal se faufila jusqu'au village et y pénétra, jetant sur lui-même un sort de désillusion et une enveloppe à l'épreuve des flammes. Il suivit le chemin qu'il voyait avec sa vision altérée et qui l'amena non loin des silhouettes mouvantes qui prenaient la direction de la place centrale.

Là-bas, il trouva les villageois serrés les uns contre les autres, les enfants pleurant dans les jupes de leurs parents. Au-devant se tenaient les hommes et juste derrière eux, les femmes apeurées, mais déterminées à protéger les enfants et les blessés tout au fond.

Les hommes s'étaient munis de faucilles, de haches et de râteaux. Des armes. Les seules armes que des personnes comme eux possédaient. Sans pouvoirs. Sans-Magie. Un village de Sans-Magie luttant pour survivre.

Leurs opposants étaient des hommes gigantesques armés de haches, de glaives et d'autres armes - de vraies armes. Rien d'improvisé comme celles des villageois.

Sal connaissait bien le type de vêtements que portaient les intrus.

Lui aussi les avait portés par le passé - bien avant de revenir en Bretagne.

Des Vikings.

Des Vikings en chasse.

Les villageois s'étaient retrouvés pris au piège, incapables de fuir.

Sal poussa un soupir.

Il savait que cette fois-ci, il n'arriverait pas à s'en sortir en intervenant et en sortir indemne, si simplement. Même si les Vikings n'avaient vraisemblablement aucun mage de leur côté - ils en avaient rarement, étant de grands vagabonds - ils ne seraient pas aussi facilement intimidés que ceux d'il y a une cinquantaine d'années.

Sal reposa son regard sur les villageois, se concentrant cette fois sur un homme au-devant et tenant entre ses mains un bâton de bois.

Un mage.

L'homme avait visiblement une jambe cassée et une blessure profonde au crâne. Il pouvait voir d'ici les possibles dégâts internes et autres côtes brisées juste en estimant le peu de mouvements qu'il faisait.

En considérant l'homme, Sal se mit à secouer la tête, consterné.

Inconscient, songea-t-il en poussant un soupir exaspéré, cherchant un plan pour prendre le contrôle de la situation. Complètement inconscient. Même Anastasius y aurait réfléchi à deux fois - même si seulement l'espace d'un instant - avant de se jeter comme ça dans ce genre de situation. Flammes et cieux réunis ! Cet homme est le plus imprudent que j'ai rencontré au cours de ce dernier millénaire. Il ne laisse même pas la place au doute ! Il a foncé dans le tas sans y penser plus d'une seconde et s'étonne maintenant de se retrouver en mauvaise posture !

Il laissa ses pensées de côté et retourna à la situation présente.

Il avait une bonne idée quant à la manière d'effrayer les Vikings. Le seul problème, c'était les villageois qui risquaient d'être aussi effrayés qu'eux, mais considérant leur mage intrépide - et peut-être légèrement stupide - il n'avait pas vraiment le choix…

.

Sal sortit de sa cachette, levant son sortilège de désillusion par la même occasion.

Sa cape se mit à onduler et une fumée noire s'en échappa. Son capuchon était relevé, ombrageant son visage et ses émeraudes, seules, brillaient. Son grand bâton précédemment réduit et placé dans son étui était juché dans sa main gauche, son bois ancien étincelant au travers de runes argentées. Sa cape était ouverte sur le devant, exposant sur sa ceinture argentée ses dagues rutilantes, ses couteaux, ses potions et ses poisons.

Un Basilic vert émeraude, la langue sifflante et prêt à frapper, était brodé sur sa tunique noir de jais. La plupart de ses vêtements étaient métamorphosés bien sûr, et même un mage Viking aurait dû mal à défaire son sort. Le seul souci était que cette magie était l'une des plus éreintantes, étant exprimée dans la langue de sa mère : le fourchelang.

Non pas que Sal connaisse quoi que ce soit d'autre qui puisse parvenir à la même transformation. Son bâton magique n'était pas fait pour l'aider dans des sorts du quotidien, après tout. Pour y parvenir, il avait besoin de l'aide d'un support magique différent. Le fourchelang en était un, les runes, un autre - malheureusement les runes n'étaient d'aucune utilité dans la métamorphose des habits…

Parallèlement, le fourchelang avait un effet secondaire : celui de rendre l'effet du sortilège aussi solide que possible, mais aussi légèrement intimidant, sans même qu'il ait à trop forcer…

– Qui… ? murmura Sal d'une voix rauque, enchantée pour porter au-delà des flammes et faire écho dans tout le village. Qui ose troubler mon sommeil ?

La scène qui se jouait devant lui se gela. Les Vikings se tournèrent vers lui, le dévisageant avec incertitude. Sal fit mentalement un sourire en coin.

– Toi…, dit-il avec une langue du Nord, plus ancienne, mais toujours compréhensible, en fixant son regard sur l'un des Vikings. Est-ce toi ?

À peine eut-il exprimé sa question qu'une rune se dessina dans l'air et fut lancée sur le Viking qui s'effondra, subitement couvert de sang. Il ne lui avait fait aucune blessure mortelle, simplement de légères coupures. Son but n'était pas de les blesser, seulement de les effrayer.

– CCCCC'est toi, s'exclama-t-il en norrois, laissant sa voix siffler comme celle d'un Basilic. Mais tu n'es pas tout sssseul…

Ses yeux mitraillèrent le Viking qui se tenait le plus près du blessé. Cette fois-ci, il ne se retint pas. Il laissa sa seconde paupière se relever sans la moindre hésitation tuant l'homme sans délai. Épuisant pour Sal, mais absolument terrifiant pour les témoins de la scène…

– Vous avez osé fouler la tombe de ma génitrice, siffla-t-il en projetant une rune vers un autre homme placé près du blessé. Celui-ci se mit à hurler lorsque ses mains se couvrirent de boursouflures comme s'il les avait plongés dans le feu dansant autour de Sal.

– Toi…, dit-il en fixant le Viking en proie à la souffrance. Il referma ses paupières. Tu as détruit l'urne de mon frère...

La panique était à son paroxysme dans les rangs des envahisseurs.

Sal savait très bien quelles pensées traversaient leurs esprits. Il leur avait montré son pouvoir et sans un mage dans leur rang, ils ne pouvaient interpréter ses actions que d'une seule manière : celles d'un Jötunn dont le sommeil sur cette terre avait été perturbé par leur venue. [1]

Les Jötunn étaient des êtres monstrueux lorsqu'on les mettait en colère, ils le savaient. Ils n'étaient peut-être pas considérés comme des êtres maléfiques dans la mythologie nordique, mais ils ne faisaient pas non plus partie des plus gentils.

Sal jouait avec leurs pires cauchemars, se dressant au plus haut de sa taille, ses yeux menaçants les perçant de toutes parts.

– Je ne montrerais aucune pitié envers ceux m'ayant fait du tort, siffla-t-il, sa voix grave et glaciale. Vous paierez pour vos méfaits.

Son bâton les baigna d'une lumière aussi puissante que celle du soleil, frappant le village en proie aux flammes de ses ombres maléfiques. Les silhouettes de créatures fantomatiques semblèrent s'échapper des flammes, prêtes à partir en chasse.

Un autre des envahisseurs s'effondra sous le regard meurtrier de Sal et les Vikings se mirent à fuir. Certains d'entre eux se délestèrent de leurs armes pour aller plus vite, d'autres s'inclinèrent aux pieds de Sal pour tenter d'apaiser son courroux avant de fuir à leur tour.

En l'espace de quelques minutes, le village était déserté de tout envahisseur.

Sal resta silencieux, ses yeux glissant sur les villageois. Il les observa trembler sous son regard, les leurs emplis de terreur. Même le sorcier semblait affecté par la scène qu'il venait de jouer.

Sal soupira avant de sortir des flammes. Il examina les alentours. Endiguer le feu était la première de ses priorités, mais il ne pouvait pas le faire tout seul. Il se tourna vers les villageois et leva les sortilèges apposés sur son capuchon et sur ses yeux.

L'espace d'un instant, il se sentit légèrement étourdi. Dans des moments comme celui-ci, et même si ça faisait un millier d'années qu'il ne l'avait plus eu en main, il rêvait de retrouver sa baguette magique. Utiliser de la magie runique était beaucoup moins épuisant que ne l'était l'utilisation de magie sans avoir un catalyseur tel qu'une baguette...

Il abaissa son capuchon, montrant à tous son allure humaine.

– Je vais avoir besoin d'aide pour éteindre l'incendie, dit-il d'une voix blanche.

Le mage le dévisagea, ses yeux ronds comme des soucoupes. Puis, tout de suite après, il éclata brusquement de rire.

– Tu… tu n'es pas un démon ! s'exclama-t-il, riant toujours comme un hystérique, haletant entre ses éclats de rire.

Sal renifla, amusé.

– Bien sûr que non, confirma-t-il. Mais il fallait bien ça pour les faire partir. Je ne prétends pas être assez fort pour tous les mettre à terre et en ressortir vivant.

– Comment ? demanda le mage.

– Plus tard, répondit Sal, l'incendie d'abord.

Et ensuite les blessés - même toi Mr Stupide-mage-inconscient, songea Sal, sans rien en dire à voix haute.

– Tu as raison, confirma le mage en se tournant vers les habitations qu'il commença à arroser.

Sal le laissa procéder et, de son côté, tomba à genoux et dessina des runes sur le sol. Intérieurement, il savait bien qu'utiliser un rituel pour tarir les flammes ne ferait que vider plus vite encore ses réserves de magie, mais étant donné que ce n'était que de la magie runique, c'était censé être moins drainant que tout ce qu'il avait utilisé auparavant.

– La prochaine fois, donnez-moi un millier de runes de stase à dessiner, grommela Sal, mais plus jamais quelque chose de la sorte. Je me sentirais certainement moins épuisé avec elles qu'au moment présent !

Les villageois, toujours méfiants à son égard, se tournèrent également pour aider avec le feu. Certains d'entre eux restèrent à ses côtés, l'observant et protégeant les enfants et les blessés qui ne pouvaient pas aider.

L'un des plus âgés s'approcha de Sal et observa son travail.

Au bout d'un certain moment, il osa le lui demander :

– Qu'est-ce que tu fais… mon enfant ?

Sal s'arrêta brièvement à l'utilisation du mot « enfant ».

– Ne devrais-tu pas toi aussi aller les assurer dans leur tâche ?

– C'est ce que je fais, répondit-il calmement. Je suis… un mage… tout comme… eum... lui.

Il fit un geste en direction de l'autre mage, incertain de la manière dont on appelait les mages aujourd'hui.

– Un Lord gracié par le Seigneur tu veux dire ? le questionna le vieil homme.

– C'est cela même.

Sal sourit légèrement à la description du vieil homme pour désigner l'autre mage.

– Tu ne possèdes pas de baguette pour user de ton don, observa le vieil homme.

– Non, répondit Sal, ne s'embarrassant pas à lui expliquer que son bâton magique et la baguette de l'autre mage étaient techniquement la même chose. Même si les deux objets ne s'utilisaient pas de la même manière - avec son bâton, il ne pouvait pas faire de métamorphoses ou utiliser des charmes, il servait simplement pour les runes et les rituels… mais d'une certaine façon, on pouvait les rapprocher…

– Je suis un Lord expérimenté, mais de là où je viens, on me nomme druide.

Sal n'était pas certain si ce mot était encore utilisé chez les Sans-Magie. Le christianisme commençait à gagner en terrain, après tout. Peut-être qu'aujourd'hui ce mot faisait référence au démon, ça il ne pouvait pas le savoir. Il avait trop été enlisé dans la guerre opposant les mages aux gobelins pour se préoccuper des Sans-Magie.

– Un druide ? répéta l'homme. Comme ces légendaires et tout-puissants guérisseurs ?

Tout-puissants… bien, au moins, il n'était apparemment pas encore considéré comme le diable en personne.

– Eux-même, bien que je ne suis pas véritablement tout-puissant, répondit-il après quelques instants. Et c'est parce que je suis différent de lui (Il fit un signe de tête en direction du mage qui tentait d'éteindre le feu.) que je dois faire les choses d'une autre façon.

– Donc tu n'es pas un vrai druide, conclut l'homme puisque Sal avait nié sa « toute-puissance ».

– Mon père en était un, répliqua Sal en tentant une nouvelle approche. Il est mort il y a très longtemps. Tout ce que je sais des druides, je le tiens de lui.

Après cette explication, le vieil homme hocha la tête, l'air d'avoir compris.

– Tu étais trop jeune lorsqu'il a péri, alors même si tu es druide aujourd'hui, tu n'es pas tout-puissant puisque tu n'as pas eu le temps d'acquérir tout son savoir.

L'homme semblait enfin y trouver une logique.

– Quelque chose comme ça, accepta Sal avant de se relever. Il prit son bâton en main et activa les runes dessinées sur le sol en leur transmettant un peu de magie. Elles se mirent à briller d'un éclat doré avant de disparaître vers les maisons en feu, les enveloppant chacune dans des cercles runiques.

Sal leur transmit une nouvelle vague de magie et des barrières bleutées apparurent subitement autour des flammes, les éteignant en les privant d'oxygène.

– Impressionnant, grinça le mage en revenant vers Sal. Il marchait à l'aide d'un bâton métamorphosé et s'y appuyait fortement.

Sal renifla en guise de réponse.

– Ce qui est impressionnant, c'est que tu puisses encore marcher, répliqua-t-il. N'importe qui d'autre avec les mêmes blessures serait déjà à terre... ou bien en-dessous.

L'autre mage haussa les épaules.

– Je ne pense pas que tu en connaisses assez sur mes blessures pour faire un tel diagnostic, répondit-il nonchalamment en prenant de profondes et douloureuses inspirations.

À ces mots, Sal haussa un sourcil.

Stupide et inconscient, songea-t-il. Plus encore que ne l'est Anastasius, bien pire que lui…

– Je suis guérisseur, Maître Sorcier, répliqua-t-il avec un sourcil toujours haussé. Je suis parfaitement en mesure de distinguer une blessure mortelle d'une blessure mineure.

L'autre le scruta, la surprise se lisant clairement sur ses traits.

– Est-ce que cela veut dire que parmi tous ceux qui auraient pu me venir en aide, c'est un guérisseur qui m'a secouru ? Une personne qui n'est d'ailleurs pas censée se battre même pour sauver sa propre vie ?!

Sal renifla de mépris à l'entente de ses paroles, mais ne les contesta pas. Il avait bien d'autres choses à penser en ce moment même.

– Allonge toi, ordonna-t-il l'air sévère. Tu pourras bien te morfondre plus tard. Après que je t'aie soigné.

– Mais enfin…, commença l'autre.

Sal fit un rapide mouvement de main et le mage obstiné bascula lorsque sa cane disparut subitement. Sal le rattrapa avant qu'il ne tombe et l'aida à s'allonger.

– Eh bien, voilà, dit-il d'une voix calme comme si rien ne venait de se passer. Je me disais aussi que tu étais assez sage pour suivre mon bon conseil.

Le mage grogna et Sal lui lança un sourire en coin en faisant tournoyer son bâton.

La toile colorée qui s'étendit sur le corps entier du blessé indiqua à Sal tout ce qu'il avait besoin de savoir. Les mages d'aujourd'hui étaient incapables de comprendre les motifs tourbillonnants et l'agglomérat de couleurs qui se répandait en forme de dôme au-dessus du corps du patient, mais Sal, étant celui qui avait inventé ledit dôme, il n'eut pas le moindre mal à décrypter ce qu'il y vit.

Et il n'aimait pas du tout ce que les signes lui indiquaient.

Le sorcier observa le dôme avec des yeux curieux.

– Qu'est-ce ? demanda-t-il.

– Un sort qui me montre où sont tes blessures et quelles sont-elles, répondit Sal en lisant les runes et hiéroglyphes glissant le long des lignes colorées.

– Tu est apte à lire cela ? continua le mage, impressionné.

– Il s'agit de mon sort, alors bien sûr que j'en suis capable, répondit Sal en roulant les yeux. Et tu es en très mauvais état. Je suis presque subjugué que tu aies réussi à ne pas te vider de tout ton sang jusque-là.

Il l'était réellement. Une personne normale n'aurait pas réussi à se relever après avoir reçu de telles blessures. Le mage avait une grave commotion cérébrale, plusieurs côtes fêlées - l'une d'entre elles perçant même l'un de ses poumons -, une hémorragie interne résultant de plusieurs autres blessures, une plaie faite au couteau au niveau du ventre et la jambe cassée tant attendue. N'importe qui d'autre se serait contenté de rester allongé au sol et d'attendre que la Mort vienne les faucher.

Comment est-ce que cet idiot s'était débrouillé pour rester debout tout ce temps-là ? Et ne parlons même pas de marcher ou de continuer à pratiquer la magie !

– Alors… qu'est-ce que tu en penses ? le questionna le mage.

– Si tu n'étais pas présentement en train de me parler, j'aurais bien dit que tu étais mort, répondit sèchement Sal. Mais comme tu sembles encore en être toujours capable, que dirais-tu de présenter tes adieux ?

Le mage resta quelques instants silencieux en l'entendant.

– Alors, il n'y a rien que tu puisses faire pour moi ? finit-il par demander.

Sal renifla de dédain.

– Je vais essayer, répliqua-t-il en levant les yeux au ciel. Mais ne me demande pas de miracle. Il est possible que tu survives, mais je ne sais pas dans quel état tu seras ensuite.

– Très bien, fauve que tu peux dans ce cas, pria-t-il. Rien ne sera perdu si tu n'y arrives pas. Je suis mourant de toute manière.

Et pour la énième fois, je me retrouve à devoir accomplir l'impossible. Pourquoi est-ce que cela tombe toujours sur moi ?! grogna intérieurement Sal. Ça ressemblait étrangement à la dernière fois. La seule différence étant que le blessé était un mage adulte et que ses blessures étaient encore plus graves que ne l'avaient étés celles du jeune gobelin. Ce devait être son karma qui l'avait guidé jusqu'ici…

Sal inspira, expira, puis commença à inscrire de nouvelles runes sur le sol et fit apparaître un autel.

– Comment vont les autres villageois ? demanda-t-il au vieil homme.

– Excepté ceux qui n'ont pas survécu, il ny a pas de cas trop grave, répondit-il. Notre guérisseuse s'occupe des blessés les plus importants.

Sal laissa son regard voler en direction des blessés. Effectivement, se tenait là une vieille femme s'occupant de panser leurs blessures. Sal jugea que cela devrait être suffisant pour le moment et retourna à son cercle runique.

– Qu'est-ce que cela ? le questionna le vieil homme en observant les idéogrammes gravés à même le sol.

– Un cercle runique, dit Sal. Il me le faut pour procurer mes soins.

– Notre guérisseuse n'a pas besoin de ce genre de bagatelle, répliqua le vieil homme, l'air sceptique.

– Votre guérisseur ne tente pas de supplier la Mort d'épargner ce pauvre homme, répondit Sal en faisant léviter l'homme maintenant livide sur l'autel.

– Il n'a pas l'air d'être au bord du gouffre, fit remarquer le vieil homme.

– Ses vêtements dissimulent ses blessures les plus importantes, répondit Sal. Il n'en a peut-être pas l'air, mais je peux déjà voir la Mort se dissimuler dans son ombre.

Sal savait qu'il jouait avec leur superstition en s'exprimant de la sorte, mais il n'avait pas de temps à perdre à expliquer quelles étaient les meurtrissures du mage - surtout maintenant que l'adrénaline qui maintenait jusqu'à présent l'homme en vie était retombée et qu'il était assurément en train de succomber.

– Je déteste devoir soigner des idiots comme lui, murmura Sal en pénétrant le champ runique. N'approchez pas du cercle. Vous serez à la merci de la Grande Faucheuse si vous vous y risquez, informa-t-il le vieil homme.

– Je ne m'en approcherai pas, le rassura-t-il. Et je vais m'assurer que personne d'autre ne s'y tente.

– J'apprécierai, le remercia Sal.

Bien entendu, il avait déjà érigé une barrière pour empêcher quiconque de s'aventurer près du cercle, mais ça lui économiserait de l'énergie si personne ne s'y essayait. Énergie dont il allait avoir besoin. Créer des illusions et des métamorphoses, puis éteindre les flammes avait drainé son énergie. Surtout qu'il avait agi sans posséder la concentration que lui avait un jour procurée sa baguette. Il savait d'ores et déjà que panser les blessures du mage allait réduire ses réserves au strict minimum. Après ça, il ne pourrait plus rien effectuer d'autre.

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Bien évidemment, rien ne pouvait être si simple avec le mage qu'il traitait.

Après avoir clos le cercle et mis le corps du blessé en état de stase, il avait fait disparaître ses vêtements, juste pour être alerté une minute plus tard que le cœur du mage avait décidé de s'arrêter.

– Et ça s'appelle un sortilège de stase, jura Sal en fourchelang. Evidemment, il a fallu que tu fasses mieux que tout le monde et que tu me donnes encore plus de mal !

Le mage ne lui répondit pas.

Sal fit apparaître un bol rempli de l'eau de sa gourde qu'il rendit stérile et chauffa à l'aide d'un sort. Il nettoya ses mains et les désinfecta puis appela à lui le pouvoir que lui procurait ses liens avec les Oiseaux-tonnerres. Un éclair s'échappa de la paume de sa main qui reposait à présent sur le torse du mage - éclair constitué d'une magie dont Sal n'avait par ailleurs pas du tout eu l'intention d'user. Tout comme ses larmes de Phénix et sa vision thermique, ce pouvoir coulait dans ses veines, mais en contrepartie, drainait une forte quantité de magie lorsqu'on s'en servait… L'électricité se répandit dans le corps du blessé, le faisant se tordre en deux - pas qu'il en soit conscient de toute manière - et fit repartir son cœur. Puis, il s'arrêta une nouvelle fois et Sal jura. De sa main gauche, il fit réapparaître le dôme.

– Fantastique, pensa-t-il. Il a perdu beaucoup trop de sang.

Il posa le sac qu'il portait en dessous de sa cape sur le sol et l'ouvrit pour en sortir un kit de potions. Sans même tenter de les différencier, il fit venir à lui d'un geste de la main une potion de régénération sanguine et diverses autres fioles. L'une d'entre elles servait à faire tomber son patient dans un coma magique pendant plusieurs heures et une autre à stabiliser les organes internes.

De son autre main, il sortit prudemment l'une de ses dagues et la suspendit au-dessus de sa paume de manière à ce qu'elle ne tienne que par magie. Il conjura une flamme pour la stériliser, puis il massa la gorge du mage en lui faisant avaler les potions et son cœur s'arrêta une fois de plus.

Enfin, il se finit par se mettre à battre irrégulièrement pendant quelques instants avant de se stabiliser.

– Première crise enrayée, marmonna Sal avant de pointer la dague sur le torse du blessé.

Il prit une profonde inspiration, activa des runes préservant leur intimité et vérifia celles rendant la zone stérile. Puis il plongea le couteau, ouvrant le torse du mage et examina chaque problème qu'il trouva.

À mesure que son diagnostic avançait, un malaise s'installait en lui.

Jusque-là, il avait rarement eu à ouvrir le torse d'un patient pour traiter les dommages internes manuellement. C'était son dernier recours. Mais cette fois, il savait qu'il ne pourrait pas soigner ce qu'il ne voyait pas. Il pourrait rater quelque chose de grave s'il y allait en aveugle.

– Note à moi-même : trouver un sort permettant de voir les dégâts internes sans avoir à ouvrir le patient, marmonna Sal en gallois en commençant à endiguer le sang s'écoulant. Il examina une nouvelle fois les blessures et s'empara de deux types d'herbes, les laissant distraitement tomber dans l'eau bouillante qu'il avait précédemment fait apparaître.

Il stérilisa une nouvelle fois ses mains et toucha un par un les organes. Le dôme se transforma, montrant non plus les blessures du corps entier, mais seulement les dommages des organes touchés.

Délicatement, il dessina des runes et hiéroglyphes sur les organes, les couvrant de potions régénérantes et les traita à l'aide de divers sorts. C'était un travail éreintant dont Salvasahar avait horreur - et plus encore en ce moment même puisqu'il commençait déjà à ressentir les effets des sorts qu'il avait lancés précédemment.

Lorsque son corps commença à le faire vraiment souffrir, il repoussa la douleur et dessina d'autres runes sur les chevilles, les poignets et le front du mage.

Il entailla ensuite ses propres poignets et utilisa son sang pour dessiner d'autres runes sur le corps du blessé. Elles s'activèrent, puis disparurent. Elles serviraient à aider à la guérison du mage sur le long terme lorsqu'il en aurait terminé avec son rituel.

Maintenant, il en était au point critique.

Il s'empara du bol rempli de la décoction aux herbes et couvrit les organes avec la lotion jusqu'à ce qu'ils se soient entièrement régénérés.

Il s'occupa ensuite de réparer les côtes fêlées. Pour ce qui était des dommages causés au poumon, en revanche, ce n'était pas quelque chose qu'une potion ou un sort pouvait guérir.

Il n'y avait qu'une seule chose qu'il pouvait faire dans ce cas-là : il se mit à pleurer.

Ses larmes coulèrent sur l'organe, le guérissant comme seules des larmes de Phénix pouvaient le faire. Il sentit sa magie se drainer encore un peu plus avec l'utilisation de cette technique. Car même s'il avait hérité de cette capacité, il avait toujours besoin de magie pour s'en servir…

– J'irais te pourchasser jusque dans l'au-delà si tu ne fais que penser à mourir après ça, le menaça Sal. Je déteste vider mes réserves et si je découvre que j'ai fait tout ça pour rien, je te ferais regretter d'être mort !

Il savait que sa menace était vaine, mais il ne put s'en empêcher. Il avait besoin de laisser sortir la frustration accumulée à l'encontre de ce mage stupide au possible et absolument chanceux qu'il soit passé par là d'une manière ou d'une autre.

Il contrôla une nouvelle fois l'état des dommages dans leur ensemble et exhala. Le pire était derrière eux. La commotion commençait à donner des signes encourageants grâce aux runes de sang qu'il avait dessinées à l'aide du sien sur son front, et même si sa jambe était encore cassée, les premiers indices d'une infection avaient disparu.

Il ne lui restait plus qu'à recoudre la plaie désormais.

Sal finit par soigner l'os du sternum qu'il avait dû brisé pour s'occuper du poumon.

Lorsqu'il inspecta son travail, il ne trouva plus rien de démoralisant ; tout avait repris sa place.

Il raccommoda soigneusement les muscles couches après couches jusqu'à ce qu'il sente sa magie commencer à faire effet d'elle-même. Par la suite, il fit apparaître une simple aiguille qu'il désinfecta et se mit à recoudre les plaies - celles faites par sa dague et celles qui lui avaient entaillé le ventre. Heureusement, le couteau qui lui avait fait ça n'avait pas au préalable été empoisonné. Si ça avait été le cas, il n'aurait pas été certain d'avoir été en mesure de faire quoi que ce soit pour lui…

Enfin, il termina par remettre les os à leur place et stabiliser la blessure à l'aide de bandages et d'un morceau de bois. Il s'en occuperait plus tard, une fois qu'il aurait retrouvé des forces…

Sal oscilla, la fatigue le rattrapant rapidement.

Il était tout bonnement épuisé.

Il brisa le cercle rituel et observa avec celui-ci les lignes le composant et l'autel disparaître, laissant le mage reposer à même le sol.

Il se sentit perdre l'équilibre avant de perdre connaissance.

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Lorsque Sal reprit conscience, il était toujours allongé sur le sol, mais une couverture le couvrait à présent.

– Comment te sens-tu ? une voix lui demanda et le regard de Sal se posa sur la personne qui venait de parler.

Elle appartenait au mage qu'il avait sauvé.

Le mage en question était assis à ses côtés, une couverture lui couvrant les genoux.

– Tu ne t'es pas levé, j'espère ? demanda Sal, anxieusement.

– La guérisseuse me l'a interdit, grommela le mage. Elle m'a dit que si j'osais sortir d'ici, elle irait jusqu'à me ligoter !

Sal soupira, soulagé.

– Tu aurais pu rendre tous mes efforts vains si tu t'y étais tenté, soupira-t-il et soudainement le mage paru culpabiliser.

– Oh, fit-il, bredouillant. Je pensais que… comme tu as utilisé la magie pour me soigner… enfin c'est ce que les autres m'ont dit… je… enfin… je…

– Même la magie a besoin de temps pour guérir des blessures comme les tiennes, fit remarquer Sal, toujours aussi fatigué.

Le mage l'observa avec un visage parfaitement lisse.

– Tu ressembles à un fantôme, commenta-t-il finalement.

– Guérir à l'aide d'un rituel comme je l'ai fait est extrêmement fatigant, expliqua Sal. Je dépends essentiellement de ma réserve de magie pour le pratiquer. Normalement, un mage peut se servir d'énergies extérieures à son propre noyau pour assister la sienne - c'est ce qui se passe lorsqu'on utilise une baguette magique -, mais dans un tel rituel, on ne peut compter que sur sa propre magie, son âme et son sang. On peut aussi se servir d'herbes et utiliser des potions et des sorts, mais ils dépendent entièrement de sa propre réserve, magique ou non. Ils peuvent épauler dans le rituel, mais ce n'est pas la même sorte d'intervention que l'on peut obtenir à l'aide d'une baguette…

Il ne commenta pas l'épuisement magique dont il souffrait déjà avant d'entamer le rituel. Ça ne lui apporterait rien de bon de parler de ses faiblesses à un homme qui pour ce qu'il en savait pouvait encore passer d'allié à ennemi à n'importe quel moment.

– Un rituel…, murmura le mage. Alors, cela signifie que je dois ma guérison à de la magie noire ?

Il semblait ne pas savoir quoi faire de l'information.

– Non, le contredit Sal. La magie noire est quelque chose d'entièrement différent.

– Tu as dit que tu as utilisé ton sang, c'est de la magie noire à mes yeux.

– J'ai aussi utilisé mes larmes et mes mains, répliqua Sal en roulant les yeux. Ils font aussi partie de mon corps. Est-ce que m'en servir revient aussi à pratiquer la magie noire ?

– Le sang contient l'essence même de notre magie. Cela est considéré comme un vol de l'héritage d'une personne de se servir du sang d'un autre mage… ou d'en changer l'essence…

– Ton sang n'a pas été altéré lorsque j'ai utilisé le mien sur toi, expliqua Sal avec lassitude. Ton corps a assimilé un peu de ma magie, mais dans quelques semaines, elle disparaîtra d'elle-même et tout redeviendra comme avant. Il n'y a aucun dommage permanent.

– Mais les rituels…

– C'était un rituel destiné à panser tes blessures, l'interrompit Sal en bougonnant. Je suis un druide, je n'ai pas appris énormément de vos mouvements de baguettes. Je ne peux pas en utiliser une pour soigner, les rituels sont la seule manière que je connaisse pour le faire.

– Arrête ! l'interrompit le mage, ahuri. Comment ça, c'est « la seule manière que tu connaisses » ?! Tes parents ne t'ont-ils jamais appris à utiliser une baguette - ne t'ont-ils pas appris que lire les anciens textes rituels et tenter de s'en servir conduit aux Ténèbres ?!

– Aux Ténèbres ? répéta Sal, confus.

– Tout le monde sait cela ! s'écria le mage, les yeux écarquillés. Lorsque tu essaies d'utiliser un des anciens rituels, tu perds inévitablement l'esprit !

La pièce manquante du puzzle finalement retrouvé éclaira enfin Sal sur les paroles de l'autre.

– Vous possédez encore des textes écrits par les druides en personne ? demanda-t-il.

– Bien entendu, affirma le mage. Mais personne n'est autorisé à s'en servir…

– … parce qu'aujourd'hui, plus personne ne possède l'immunisation pour les utiliser correctement, compléta Sal, l'esprit ailleurs.

– L'Immunisation ? répéta l'autre, perdu à son tour.

– La première chose qu'un druide se doit d'accomplir est d'immuniser son corps par des renforcements, expliqua Sal. Sans cette protection, un druide est incapable de contrôler la magie rituelle et finit inévitablement par perdre la tête.

– Une immunisation..., répéta le sorcier une fois de plus. La réponse à nos interrogations à toujours été aussi simple que cela ?

– Oui, confirma Sal. Il s'agit d'une protection permanente qu'un druide possède le temps d'une vie une fois pratiquée. Il doit s'en munir dès lors que sa magie arrive à sa première maturité. Il lui faut au moins cette protection avant d'arriver à sa seconde. S'il ne le fait pas, il ne peut pas devenir druide.

– S'immuniser…

Le sorcier secoua la tête, désemparé par la nouvelle.

– Comment se fait-il que tu saches une telle chose quand personne d'autre n'est au courant ?!

Sal haussa simplement les épaules.

– Mon père m'a tout appris, dit-il. J'ai terminé mes renforcements lorsque j'eus atteint dix-huit années et c'était encore avant ma seconde maturation. C'est pourquoi pratiquer un rituel n'a aucune incidence sur moi. Je ne perdrais pas ma lucidité et je ne tomberai pas aux mains des Ténèbres sauf si je le décide.

– Cela veut dire que… tu peux pratiquer tous les rituels inscrits dans les grimoires ? le questionna le mage.

– A vrai dire, je n'en suis pas bien certain, répondit-il finalement. J'ai en ma possession quelques-uns des grimoires de mon père et de ceux de ma mère, toutefois la plupart des rituels que je connais n'ont jamais été couchés sur papier. De toute façon, je pense que mon père n'a jamais vraiment pensé à le faire.

– Alors ces rituels existent essentiellement dans ton esprit ? conclut le mage, ébahi.

– Eh bien, je ne vais pas aller chercher mes grimoires à chaque fois que j'en ai la nécessité, n'est-ce pas ? Lorsque j'ai une vie entre les mains comme ce fut ton cas, je n'en ai pas le temps. Tu serais mort si j'étais allé feuilleter un bouquin, répondit Sal, ne comprenant pas vraiment ce qui était si incroyable là-dedans.

– Mais… il me semble que certains rituels sont vraiment très compliqués, comment est-ce que tu fais pour t'en souvenir dans leur intégralité ?

Cette fois-ci, ce fut au tour de Sal de dévisager son partenaire.

– Comment peux-tu avoir connaissance de cela ?

– J'ai quelques textes bien conservés à Gringoods, répondit-il après plusieurs battements. C'est un héritage familial, mais ma sœur et moi avons décidé de les garder en sécurité afin que jamais personne ne tombe dessus par inadvertance, ou non d'ailleurs.

Sal sentit sa curiosité être piquée.

– Tu as une chambre forte à Gringoods ? l'interrogea-t-il. Il était bien placé pour savoir que les gobelins n'aimaient pas avoir affaire avec des sorciers, alors comment se faisait-il que…

– Euh… oui… disons que… ça a quelque chose à voir avec ma famille, je pense bien, répondit le mage nerveusement et avec prudence. Je sais que les mages n'en ont pas habituellement, mais… en vérité, ma famille est la seule à avoir ce privilège… quelque chose à voir avec… comment est-ce que les gobelins appellent cela lorsqu'on leur vient en aide et qu'ils nous accordent la possession d'une chambre forte dans leur banque ? Hm… notre chef de clan ?

– Chef de clan ?

Bien entendu, Sal savait ce qu'était un chef de clan. C'était le chef d'une famille gobeline, un statut similaire aux Lords et aux Maîtres de Maisons dans les familles de sorciers. Mais habituellement, le Lord d'une Maison n'était pas considéré comme chef de clan par les gobelins. Et les mages n'avaient pas pour habitude de se procurer une chambre forte, à l'exception de…

– Tu es un LeFay, dit Sal, comprenant soudain où voulait en venir le mage. Il était le chef de clan de la famille LeFay aux yeux des gobelins. Il avait lui-même une chambre forte et ça ne semblait plus si étrange à présent qu'on ne lui eût pas refusé si un membre de sa famille venait réclamer une chambre forte pour lui-même.

– … C'est cela, répondit le sorcier. Godric LeFay, à ton service et à celui de ta famille. En fait, moi-même, je ne comprends pas vraiment ce que mon nom a à voir avec Gringoods.

– Ça a tout à voir, répliqua Sal. Tu es un membre de la famille de Morganaadth et en tant que tel, tu appartiens à un de leurs clans. Et tous les membres d'un clan sont autorisés à posséder une chambre forte à Gringoods.

– Un membre de la famille de Morganaadth ? répéta Godric. Par Myrddin ! Qui est Morganaadth ?!

Sal dévisagea Godric.

Par Myrddin ?!

Ils utilisaient du nom de son père pour jurer ?!

C'était déconcertant..., vraiment étrange. C'est vrai que Sal avait lui aussi utilisé des « Par Merlin », mais cela remontait à de nombreux siècles. L'entendre à nouveau, même si on le nommait Myrddin aujourd'hui, était désarçonnant.

– … Comment expliquer cela ?

Devait-il de but en blanc dire : je suis Morganaadth ?!

– … Morganaadth est le nom gobelin de votre chef de clan, finit-il par dire.

– Tu dis vrai ? Mais un chef de clan n'est-il pas comparable à un Lord chez nous, demanda Godric.

– C'est cela.

– Alors, le Lord ne devrait-il pas être le chef de clan, dans ce cas ?

– Hm, c'est plus compliqué que ça, répondit Sal. Il est... l'héritier de Morgana, mais ça ne fait pas de lui le Lord de cette Maison.

– Pour sûr, je suis au courant de ça, affirma Godric en lui montrant une chevalière qu'il n'avait vue qu'une seule fois par le passé. Je suis Lord, donc il n'y a pas moyen qu'il le soit. Ça va sans dire.

Sal examina la chevalière.

– Tu n'es donc pas qu'un membre de cette famille, tu en es à la tête, répéta-t-il, en contemplant la bague.

Godric appartenait à la même lignée que lui.

– Eh oui, confirma Godric en plantant ses yeux d'un émeraude funèbre dans les siens. Mais tu ne m'as toujours pas révélé qui tu étais.

Sal s'empourpra.

– Excuse-moi, dit-il en tentant de reprendre le contrôle sur son rougissement. J'étais tant stupéfait de rencontrer un LeFay que j'en ai oublié mes manières. Mon nom est Salvasahar Emrys, à ton humble service.

– Salazar Emrys ? Comme dans Myrddin Emrys ?! répéta Godric, abasourdi par la nouvelle. Il dévisagea Sal d'un œil sceptique.

– Euh… oui, répondit finalement Sal. Il s'agit de mon…

Il s'interrompit. Il ne pouvait décemment pas dire « père », déjà parce que Godric ne le croirait pas, mais il ne pouvait pas non plus le qualifier comme l'un de ses « ancêtres ». Ça sonnait faux, même à ses oreilles.

– C'est… c'est un proche, se décida-t-il à la dernière minute.

– Un proche ? répéta Godric en souriant franchement. Le mot que tu cherches est « ancêtre », l'ami.

– Nomme ça comme tu le souhaites, répondit Sal en haussant les épaules. Et mon nom est Salvasahar, pas « Salazar ».

Godric repoussa sa reprise d'un geste vague de la main.

C'est à ce moment-là que la vieille guérisseuse décida de les interrompre.

– Tu es réveillé à ce que je vois.

Sal hocha la tête avant de dire en pointant Godric :

– Devoir sauver celui-ci m'a épuisé.

– J'ai vu ça, confirma la vieille femme en examinant Sal d'un œil critique.

– Lorsque j'étais jeune, j'ai rencontré un jeune homme qui te ressemblait trait pour trait. Il a porté assistance à ma sœur après qu'un ours l'eût attaqué. Nous ne pouvons que remercier le ciel qu'il soit passé par ici à ce moment-là. Il revenait du champ de bataille. Ses vêtements étaient en lambeaux, il était couvert de sang et totalement éreinté. Toutefois, dès qu'il a croisé le chemin de ma sœur, il a tout fait pour lui venir en aide, raconta-t-elle.

– Et l'a-t-il sauvé ? demanda Godric, l'air intéressé.

– Oui, affirma la vieille femme. Et ce fut également le premier à m'enseigner l'art de guérir les blessures.

À ces mots, elle vissa son regard sur Sal qui s'empourpra de nouveau. Il se souvenait de cet incident, bien qu'il n'aurait en aucune mesure pu relier la petite fille apeurée de l'époque à la vieille guérisseuse d'aujourd'hui.

Lorsqu'elle remarqua son rougissement, elle se mit à sourire et il sut alors qu'il s'était lui-même vendu.

Il secoua la tête de dépit et jeta un regard à Godric. Elle suivit son regard et hocha la tête.

– Je n'ai cependant jamais eu l'occasion de le remercier de l'avoir sauvée, continua-t-elle. Ils échangèrent un regard et un sourire se peignit sur les lèvres de Sal.

– Je suis sûr qu'il sait parfaitement ce que vous ressentez, dit-il. Et je suis également certain qu'il apprécie ce que vous faites pour moi aujourd'hui.

– Je n'ai rien fait pour toi, répliqua-t-elle en souriant.

– Bien sûr que si, contra Sal. Vous avez interdit à cet ignorant de se lever pendant que je dormais. C'est déjà bien assez.

– Eh bien, je me suis souvenu qu'il avait interdi à ma sœur à se lever le jour suivant ses soins, alors même que les blessures dont elle avait écopé à l'époque étaient moins dangereuses que celles menaçant la vie de Godric.

Elle planta son regard sur ledit Godric qui était devenu aussi rouge qu'une tomate.

– Vous savez bien que j'étais en chemin pour rejoindre ma sœur et ma fiancée, dit-il avec des yeux de chien battu. J'ai promis d'arriver dans la semaine. Je n'avais pas prévu de tomber sur une bande de Vikings sur le chemin.

– Tu n'es pas tombé sur une bande de Vikings, jeune homme. Tu étais déjà parti lorsqu'ils sont arrivés. Tu es simplement revenu sur tes pas pour nous venir en aide.

– Et laissez-moi deviner, il s'est jeté la tête la première dans la bataille ? devina Sal en haussant un sourcil.

– C'est exactement ça, répondit la vieille femme en souriant. Il y a bien une raison pour laquelle tout le monde l'appelle le Gryffondor.

Sal s'étrangla presque.

– Je vous demande pardon ?! s'exclama-t-il en dévisageant Godric. L'autre mage haussa simplement les épaules.

– Tu sais… Gryffondor : l'envoi du Griffon. Ils ont commencé à m'appeler comme ça après que je sois allé... chatouiller le ventre d'un Dragon…, expliqua-t-il.

Sal le dévisagea une nouvelle fois.

– Comment en sont-ils arrivés à te surnommer « l'envoi du Griffon » après que tu sois allé… chatouiller un Dragon ? Et comment se fait-il que quiconque ait eu l'idée de faire une telle chose ?!

– En fait… c'est une longue histoire, dit Godric. Pour te la résumé, j'avais fait ce pari avec le fiancé de ma sœur, Peverell Grim, même si à l'époque, il ne l'était pas encore. Donc, c'est comme ça que me suis retrouvé à aller chatouiller ce Dragon et, comment dire, lorsque le Dragon en question s'est réveillé, j'ai… hm… je serais sûrement mort à l'heure qu'il est si un Griffon n'était pas intervenu... et… je m'en suis sorti en ayant même réussi à emporter quelques trésors avec moi. Depuis ce jour, les villageois d'ici me surnomment le « Gryffondor » étant donné que ce Griffon m'a sauvé la mise.

– Aha…, murmura Sal avant de secouer la tête. D'accord… tu viens de me prouver mot pour mot que tu as un véritable problème là-haut.

– Je t'ai dit que c'était pour un pari ! bouda Godric. Et je n'avais que quinze printemps ! J'étais jeune, stupide et téméraire.

– Eh bien, je dois te féliciter ! Maintenant tu n'es plus que stupide et téméraire ! Quelle amélioration ! railla Sal et la vieille femme se mit à rire.

– Godric est un bon petit, dit-elle. Mais tu as raison, étranger, c'est un téméraire.

– Son nom est Salazar, tantine, rappela Godric. Je ne pense pas me tromper en disant que tu es autorisé à l'appeler par son prénom.

Sal voulait insister sur le fait que son nom n'était pas Salazar, mais après avoir corrigé plusieurs fois Godric dans la journée, il finit par laisser tomber. C'était comme si Godric ne voulait rien entendre.

Enfin, après une longue semaine, Godric eut finalement suffisamment récupéré pour reprendre son voyage. Il était grincheux et insistait quant au fait que sa sœur et son fiancé allaient très certainement le pendre pour son retard, mais Sal avait été ferme, et Godric était donc resté jusqu'à ce que ses blessures aient intégralement guéri.

– Alors…que comptes-tu faire à présent, Salazar ? lui demanda Godric en rassemblant ses affaires. Sal haussa les épaules.

– Je ne sais pas trop, répondit-il. Je n'avais pas encore pris ma décision en arrivant ici.

– Tu n'as nulle part où retourner ?

Sal haussa simplement une nouvelle fois les épaules.

– Pas vraiment, répondit-il.

– Quand est-il de ta famille ? Tu ne leur manques pas ?

– Il ne reste que moi.

– Eh bien… dans ce cas, que dirais-tu de faire un bout de chemin avec moi, jusqu'à ce que ta décision soit prise ?

Sal hésita un moment avant de répondre.

– L'idée est bonne. Qui sait ce qui pourrait encore bien t'arriver si je te laisse tout seul.

Et ce fut cette décision qui traça le chemin qu'il emprunta les décennies qui suivirent.


[1] = Le jötunn ou les jötnar sont, dans la mythologie nordique, des créatures humanoïdes personnifiant les forces de la nature, dotées d'une force impressionnante ainsi que, parfois, des pouvoirs divins comme celui de la métamorphose et de l'illusion.


IMPORTANT : Il faut que je vous avoue avoir envie de passer la publication de deux chapitres par mois à un. Le problème est le suivant : ma traduction avance lentement vu la longueur de certains chapitres/mes autres projets/mon intérêt pour d'autres choses et si je continue à ce rythme, nous allons nous retrouver avec un problème d'ici quelques mois. Je vous laisse donc le choix. Soit vous préférez que je continue comme jusqu'à maintenant et que je reprenne ensuite - lorsque je n'aurais plus de chapitres en réserve - une publication sûrement espacée et avec des délais incertains (comme je le fais pour Black as the Blood in our Names et Stormborn, pour ceux qui connaissent), soit je publie une fois par mois seulement et on continue comme ça.

C'est à vous de décider.