Chapitre 3 : Solitude

Pour Bell, la vie se passait plutôt bien ces derniers temps. Il avait une familia, un peu particulière certes, mais il aurait pu tomber sur pire. Sa déesse était gentille, prévenante et faisait tout pour l'aider. Il avait une conseillère sympathique et investie qui lui apprenait beaucoup. Et en prime il commençait même à se faire des amies. Il était devenu un client régulier de Miach et Naaza et à force de discuter, il avait développé une vraie amitié avec eux. Et même s'il restait loin de la plupart des berberas, il s'était tout de même fait quelques amis au sein de sa propre familia ou du quartier des plaisirs. Lena passait de temps en temps l'entrainer et la joie de vivre de la jeune amazone était agréable.

Mais il avait aussi sympathisé avec quelques courtisanes et autres employés de bordel, rencontrés un peu par hasard en journée. Et en dehors de leur travail, c'étaient des gens comme les autres. Avec sa bonne bouille de lapin et sa gentillesse, il attirait facilement la sympathie. Les gens à qui il parlait étaient soit des niveau 1, possédant une falna, mais ne se battant pas, ou alors des gens sans bénédiction, mais sous contrat avec la familia. Bell ne soupçonnait rien des côtés sombres du quartiers des plaisirs et il y avait une sorte d'accord tacite au sein de la familia pour lui épargner ça.

En bref, il était plutôt heureux. Comme tout se passait bien et qu'il progressait, sa méfiance commença un petit peu à s'émousser et il prit un peu trop confiance. Il commença par se permettre de descendre les étages, alors qu'Eina l'exhortait à la prudence. Tant que tout allait bien, pourquoi s'en faire ?

C'est ainsi qu'il se retrouva au cinquième étage, chose assez imprudente pour lui qui combattait en solitaire. En soit, ce n'était pas si grave que ça.

Sauf quand le destin décide de s'en mêler.

Parce qu'il fallait que ce soit précisément aujourd'hui qu'une certaine familia remonte de son expédition. Une familia que sa propre puissance rendait parfois arrogante. Et certains idiots de cette familia eurent soudainement envie de tuer le temps en s'adonnant à la maltraitance animale sur un groupe de minotaures qui n'avaient absolument rien demandé, provoquant leur fuite dans les étages supérieurs. Des étages où ils n'avaient rien à faire.

Et ce fut ainsi que ces (pas si) innocents bovins décidèrent de participer à leur tour à la grande chaine de la maltraitance en tapant sur plus faibles qu'eux. Ce qui mit l'un d'entre eux sur le chemin d'un lapin adorable qui n'avait rien demandé lui non plus.

Ce fut ainsi que Bell se retrouva à courir pour sa vie, pourchassé par environ quatre cents kilos de viande de bœuf bien nerveuse.

Comme Lena le lui avait conseillé, Bell avait mis l'accent sur sa vitesse et son agilité, plus que su sa force et son endurance. Mais malgré tout, cela ne suffit pas à distancer le monstre qu'il l'envoya voler par la simple pression d'air d'un coup de masse. Acculé contre un mur, le garçon commença à craindre que son aventure ne se termine déjà.

Avant d'être sauvé par l'éclat d'une lame experte et finir douché par le sang du monstre.

Gêne, honte, peur, douleur. Ce fut peut-être tout cela qui le poussa à fuir sans demander son reste, sans même que la belle épéiste blonde qui venait de le sauver ne puisse s'assurer qu'il allait bien ou même s'excuser pour leur erreur. A la place, elle dut se contenter des moqueries d'un loup à grande gueule.

Bell, lui, ne savait pas comment gérer ses propres sentiments. Il était tombé sous le charme d'Aiz Wallenstein. Ou du moins, en admiration devant sa force. L'avantage de passer son temps en compagnie d'une déesse de beauté, l'une des plus belles femmes qui soit, souvent à moitié nue et taquine à souhait, lui avait donné un peu de résistance aux charmes féminins, mais pas encore assez non plus.

Elle alliait force et beauté, une combinaison qui suscitait son admiration. Les berberas étaient aussi belles et fortes, mais les rares à qui il parlait ne le mettaient pas à l'aise, comme si elles réfrénaient toutes une brutalité qui ne demandait qu'à s'exprimer.

Quant à Lena, il la voyait pour le moment comme une sympathique grande sœur bruyante et délurée.

Mais il avait besoin de satisfaire sa curiosité et c'est bien pour cela qu'il se dépêcha d'aller à la Guilde, couvert de sang de la tête aux pieds, manquant de faire faire un arrêt cardiaque à cette pauvre Eina.

La demi-elfe ne se priva pas d'ailleurs pour lui faire la morale sur son imprudence, avant de l'encourager malgré tout.


Dans tous les cas, cette expérience l'avait changé et cela, Ishtar le remarqua ce jour-là, quand elle vint le voir après son retour du Donjon. Elle ne mit longtemps à lui faire cracher le morceau.

"Des minotaures au cinquième étage ?" fit-elle surprise. "Et d'abord, je peux savoir ce que tu faisais au cinquième étage ? Tu n'avais pas promis d'être prudent ?" dit-elle tout en pinçant les joues de Bell.

"Oui Déesse. Pardon Déesse."

"Je me renseignerais quand même sur cette histoire. Quant à toi, tu as beaucoup de chance que la Princesse à l'épée t'ait sauvé la mise."

"Oui…" Répondit-il doucement.

"Cependant, tu aurais pu la remercier au lieu de t'enfuir."

"Désolé, c'est juste que…" Commença-t-il avec les joues rouges, des signes qu'Ishtar ne manqua pas.

"Elle t'a fait tellement d'effet ? Pour un peu, on dirait presque que tu as succombé à son charme."

Aux mots de la déesse, Bell se mit à rougit bien plus intensément, ce qui ne lui laissa aucun doute.

"Donc, même la princesse à l'épée t'intéresse pour ton harem ? Tu mets la barre haute, même si je reconnais qu'il faut savoir faire preuve d'ambition."

"Déesse !"

"Cependant, cette fois, ce n'est pas un choix que j'approuve totalement."

Ses propos surprirent Bell, elle qui passait son temps à l'encourager dans les délires de son grand-père.

"Pourquoi déesse ?"

"C'est une rose avec beaucoup d'épines. Sa beauté et son regard froid masquent mal cette petite étincelle de haine qui vit au fond d'elle. Je ne l'ai aperçu que quelques fois, mais j'ai toujours trouvé qu'il y avait quelque chose d'inquiétant chez elle. Tu as entendu parler du Grand conflit ? C'était il y a quelques années."

"Très vaguement, ça a été quelque chose de terrible je crois."

"Bien plus encore, les Fils de la nuit ont bien failli détruire Orario, beaucoup de gens et d'aventuriers sont morts, j'y ai moi-même perdu beaucoup de Berberas. Un conflit très court, mais terriblement meurtrier. Aiz Wallenstein y a participé, elle ne devait même pas avoir dix ans. Et cette petite fille tranchait de son épée les fanatiques sans une once de sentiment ou d'hésitation."

Bell comprit à ces mots que sa déesse n'exagérait pas pour le décourager, elle semblait vraiment inquiète.

"Et d'un point de vue plus pratique, Loki et moi ne nous entendons pas bien, la princesse à l'épée s'est déjà battue quelques fois avec Phryne, ma capitaine. Sans compter que cette fille ne semble pas s'intéresser à la romance, d'après ce que j'ai entendu, nombreux sont ceux qui s'y sont cassé les dents."

Le jeune homme sembla soudainement déprimé, son premier béguin semblait quelqu'un de compliqué à gérer.

"Mais bon, le cœur à ses raisons que la raison ignore comme on dit. Ce genre de chose ne se commande pas. Je veux simplement t'éviter une déception qui te ferait souffrir, mais c'est à toi de gérer ta vie Bell. En revanche, si je me méfie d'elle sur le plan humain, en tant qu'aventurière, elle peut effectivement faire un bon modèle pour toi et constituer un excellent objectif pour se motiver et se surpasser. Mais que cela ne te dispense pas d'être plus prudent à l'avenir." Fit-elle en lui mettant une petite pichenette sur le front.

"Promis Déesse."

"Menteur", lui répondit-elle, sachant qu'il ferait preuve d'imprudence à l'avenir. "Je vois bien que tu comptes encore en faire plus."

"Désolé… mais je veux devenir plus fort. Pour mon rêve. Et puis comme me l'a dit Eina, les femmes aiment bien les hommes forts pour les protéger."

Ses propos firent pouffer de rire la déesse, qui lui répondit sur un ton amusé.

"Je crois qu'Eina voulait surtout t'encourager, mais sors-toi de la tête ce vieux concept sexiste, les femmes sont très indépendantes de nos jours. Tu te sens capable d'aller répéter ça aux berberas ?"

En y réfléchissant bien, non. Du peu qu'ils connaissaient des berberas, elles n'avaient pas l'air d'avoir besoin qu'un homme vienne leur sauver la mise, bien au contraire. Et il n'était pas vraiment sûr qu'Aiz Wallenstein en ait besoin non plus.

"Mais bon, je suppose qu'il y a toujours quelques romantiques qui attendent leur beau prince sur son cheval blanc. En tout cas, vouloir devenir fort est une bonne chose, si tu n'as pas la force de défendre tes convictions, tu ne seras rien de plus qu'un beau parleur."

Bell écoutait les mots de sa déesse, il ne savait pas encore comment interpréter les sentiments qu'Aiz avait éveillé en lui. Était-ce vraiment l'amour au premier regard ? Un simple béguin ? Ou la simple admiration de sa force ? Il lui faudrait du temps pour faire le tri. En attendant, comme sa déesse le disait, il lui fallait d'abord devenir plus fort et c'était cette volonté qui l'animait avant tout.

"Et puisqu'on parle de force, c'est l'heure que tu me fasses un joli striptease, que je puisse mettre à jour ton statut."

"Vous êtes vraiment obligé de le dire comme ça ?" Demanda Bell, gêné, alors qu'il commençait à enlever ses vêtements.

"Toujours." Lui répondit-elle sur un ton taquin.


Et pendant que la déesse s'occupait de Bell à la demeure astrale, à Belit Babili, les berberas préparaient la soirée. Samira continuait de pester pendant que Lena essayait de la calmer.

"Mais sérieusement, elle va y passer toutes ses soirées ? J'espère qu'elle a pas oublié le client de ce soir, c'est un gros poisson."

"T'en fais pas, c'est dame Ishtar, elle connait son boulot." Lui répondit Lena.

"Vraiment ? Parce que je commence à me poser la question. Pourquoi est-ce qu'elle passe autant de temps avec ce gamin ?"

Lena s'apprêta à lui répondre, mais Samira lui coupa la parole.

"Si tu continues avec cette histoire de bête, je te jure que je t'assomme !"

"Elle est tous les jours avec lui, elle ne se lasse pas et il est encore sain d'esprit, si ça, c'est pas une preuve !"

"C'en sera une le jour où il m'aura retourné dans tous les sens comme la bête qu'il est supposé être selon toi ! Et c'est pas près d'être vérifié vu qu'elle nous a interdit de le toucher !"

"Haaaaaaaa ! Je vois… en fait, t'es jalouse qu'elle le garde pour elle." Lui dit Lena avec un visage moqueur.

"Leeeeeeeeeenaaaaaaaaaa !" Commença à faire Samira avec un visage furieux.

"Vous deux, ça suffit." Leur fit Aisha, qui venait de les interrompre, attiré par leur engueulade. "Au lieu de vous disputer pour des bêtises, allez plutôt vous mettre au travail."

Samira grinça des dents, mais ne dit rien et passa son chemin.

"Et toi, Lena, arrête de la provoquer comme ça."

"Oui, oui." Répondit-elle d'un air nonchalant avant de s'en aller d'un pas guilleret en fredonnant.

Maintenant seule, Aisha poussa un long soupir. Ce gamin mettait leur familia sens dessus dessous par sa simple présence. Mais l'amazone n'arrivait toujours pas à déterminer si c'était une bonne ou une mauvaise chose.


En parlant du gamin en question, il était présentement entre les mains de sa déesse, laquelle procédait à la mise à jour de son statut. Elle aurait pu le faire simplement s'assoir sur un tabouret, cela aurait suffi pour accéder à son dos, mais Ishtar étant elle-même, elle l'obligeait à s'allonger sur le lit pour s'assoir à califourchon sur lui d'une manière volontairement provocante.

Ishtar avait décidé qu'elle ne charmerait pas Bell et qu'elle ne prendrait pas l'initiative. A la place, elle préférait le provoquer et le taquiner, jusqu'à faire en sorte que ce soit lui qui craque de lui-même. Avec n'importe qui d'autre, elle aimait assoir sa dominance, mais avec lui, elle aimait qu'il résiste et cela ne rendait les taquineries que plus amusantes.

La déesse manipulait les glyphes de lumières, elle convertissait l'exelia, fruit du travail de son enfant, en puissance, regardant la manière dont l'âme de ce dernier influençait son développement.

Mais il y avait quelque chose d'étrange. Certes, la rencontre avec le minotaure avait dû être un évènement marquant, mais cela ne justifiait pas le gain soudain de plusieurs dizaines de points de statistiques. Et alors, elle vit plus bas, Bell avait obtenu quelque chose et sa lecture l'inquiétait autant que cela la fascinait.

Liaris Freese…

A cause de la manière dont elle aimait le taquiner, Bell avait appris à reconnaitre la façon si particulière dont les mains d'Ishtar bougeaient en temps normal. C'est comme ça qu'il sut qu'elle était troublée.

"Il y a un souci déesse ?"

"Eh bien, c'est compliqué d'une certaine manière. En gros, on peut dire que j'ai une bonne nouvelles, une très bonne nouvelle, voire deux et une très, très, mauvaise nouvelle." Lui dit-elle tout en terminant sa mise à jour avant de recopier son statut et de se relever. "Pour commencer, la bonne nouvelle, tu as un skill."

"Un skill ? C'est génial !" lui dit Bell, très enjoué par cette nouvelle. Les skills faisaient partis de la panoplie de l'aventurier, les capacités qui les démarquaient des autres et qui construisaient leurs légendes. Le garçon ne s'attendait pas à en obtenir un aussi vite.

"Du calme Bell, c'est justement ce skill qui me dérange." Lui répondit-elle en lui mettant une pichenette sur le front pour le calmer.

"Pourquoi ça ?"

"Regarde par toi-même." Dit-elle en lui montrant la feuille avec son statut mis à jour.

"Liaris Freese ?"

"Un skill de développement qui te permet de progresser plus vite. Regarde l'évolution de tes stats, ça n'a aucun sens."

"Waouh ! Autant de points d'un coup ?"

La montée en puissance était telle que même Bell pouvait voir la différence avec ses gains habituels.

"Ce truc te fait progresser plus vite en fonction de ta volonté et de ton désir de devenir plus fort."

"Ça a l'air… pratique."

"Techniquement, ça l'est, mais c'est aussi complètement fou, de ce que je vois de ta montée de statistiques, tu vas progresser vraiment très vite à ce rythme, c'est quasiment de la triche à ce niveau-là."

"Et c'est un problème je suppose ?"

"Tout à fait. Bell, ce truc va probablement te permettre de gagner en quelques semaines, voire quelques mois, ce que les autres aventuriers mettent des mois ou des années à obtenir. C'est un skill inconnu, très rare. Et ce qui est rare attise les convoitises et les jalousies. Quasiment tous les aventuriers vendraient leurs parents pour obtenir une telle capacité. Certains pourraient même t'agresser par simple rancœur. Et je ne parle pas des autres dieux. Rappelle-toi d'une chose Bell, les dieux ne sont pas des gens bien, ils sont venus avant tout pour se distraire. Et ce skill fait de toi une potentielle distraction, beaucoup d'entre eux tenteraient de t'approcher et de se montrer… très insistants."

Bell crut pendant un moment qu'elle exagérait un peu, mais en voyant son regard inquiet, il comprit que ce n'était pas le cas. Il s'était excité à l'idée d'avoir un skill, mais Ishtar lui en expliquait aussi les contraintes. Même jeune et encore naïf, il savait déjà que certaines personnes pouvaient se montrer envieuses et mauvaises.

"Je comprends, mais il y a quelque chose sur lequel je ne suis pas d'accord. Vous, déesse, vous êtes quelqu'un de bien."

Etrangement, les paroles de Bell lui réchauffèrent le cœur, plus qu'elle ne le croyait. Et une fois encore, elle était incapable d'expliquer pourquoi.

"C'est parce que tu ne me connais pas vraiment Bell." Répondit-elle d'une voix triste et amère. "Tu ne vois qu'un aspect de moi, tu ne sais pas tout ce que j'ai fait."

"Peut-être, mais vous êtes la déesse qui m'a recueilli, m'a donné un toit et sa bénédiction. Vous êtes la déesse qui prend soin de moi… et qui me taquine très souvent. Mais même ça, j'ai appris à l'aimer d'une certaine façon."

"Bell…"

S'il cherchait à la faire pleurer… il n'allait pas tarder à y arriver ! Mais fort heureusement, le garçon relança la conversation.

"Sinon, déesse, je comprends que ce skill soit une très bonne et une très mauvaise nouvelle à la fois. Mais vous aviez dit qu'il y avait deux très bonnes nouvelles."

"Oui, ce skill a un autre effet. Il t'immunise totalement à toute forme de charme ou de contrôle mental en général, ce qui contribue à le rendre encore plus fou. Et si je dis que c'est une bonne nouvelle, c'est parce que ce skill assure que notre relation est vraie."

"Que voulez-vous dire ?"

"Je suis une déesse de beauté, tu as dû entendre dire que j'ai le pouvoir de charmer les gens. Et cela fait partie de ma nature, pas de mon arcanum, c'est donc une capacité à laquelle j'ai accès. Si je veux, avec un regard et un geste, je peux faire d'à peu près n'importe qui mon esclave."

"V-Vraiment ?"

"Oui Bell, tu comprends, je ne suis pas une aussi gentille déesse que tu le crois. Mais je ne t'ai pas charmé, tu es venu dans ma familia de ta volonté. Et maintenant, grâce à ce skill, tu es immunisé à cette capacité. Ça veut dire que tout ce que tu penses de moi, notre relation est issue de ton cœur et de ta volonté, je n'ai aucune influence dessus."

"Dans ce cas, malgré les risques, je suis heureux d'avoir ce skill, moi aussi je veux que notre relation soit sincère déesse." dit-il en lui prenant les mains et en lui offrant un regard plein de tendresse.

A quel point ce garçon pouvait être gentil ? Ishtar se disait de plus en plus qu'elle ne le méritait pas. Et une petite voix au fond d'elle lui disait qu'elle se devait d'être digne du respect et de l'affection qu'il lui offrait.

"Tu es vraiment trop pur pour cette ville…"

Les propos de la déesse lui firent plaisir et le gênèrent un peu. Il ne pensait pas être quelqu'un de si bien que ça.

"Bon, revenons aux affaires, il va falloir gérer ce skill. Bell, je sais que tu n'aimes pas mentir, mais pour une fois, il va falloir la jouer finement. Tout d'abord, refuse toujours de répondre aux questions concernant tes capacités, même si les gens insistent. Rappelle-toi toujours que le statut d'un aventurier ne concerne que deux personnes : lui-même et le dieu qui lui a accordé sa bénédiction, même les autres membres de la familia n'ont pas à savoir."

"Compris Déesse."

"Si quelqu'un te pose des questions, ne détourne pas le regard, fixe-le dans les yeux et dis-lui que s'il veut savoir quelque chose, il doit s'adresser à moi… s'il en a le courage. Par le passé, on m'a déjà accusé de tricher et j'ai réussi à laver les soupçons, non sans forcer la Guilde à me dédommager et beaucoup le savent. Si tu les menaces avec mon nom, nombreux sont ceux qui n'auront plus le courage d'être trop curieux."

En plongeant son regard dans celui de sa déesse, Bell comprit toute la gravité de la situation et l'inquiétude sincère d'Ishtar. Il lui faisait confiance et il ne voulait pas être un poids pour elle. Aussi, il se promit que cette fois, il serait prudent… réellement prudent.

"Oui déesse, je vous promets de faire vraiment attention avec ça."

"Merci Bell."

Au loin, on pouvait voir les derniers rayons du soleil qui commençaient à disparaitre et l'animation du quartier des plaisirs se faire de plus en plus forte.

"Bon, il va falloir que j'y aille."

"Ho ! Heu…"

Bell voulait visiblement dire quelque chose, mais les mots ne semblèrent pas vouloir quitter sa gorge.

"Un souci Bell ?"

"Vous… partez déjà ?"

C'était la première fois qu'il lui disait qu'il regrettait son départ. Mais en voyant son regard, elle comprit que ce n'était pas un sous-entendu appelant à quelque chose de plus intime.

"Il y a un problème Bell ?"

"Rien, excusez-moi. C'est complètement idiot…"

"Bell, aucun de tes soucis n'est idiot à mes yeux, alors dis-moi tout."

"C'est rien, c'est juste que la maison est un peu… grande… parfois."

Ishtar comprit rapidement ce que Bell essayait de lui dire. Il se sentait un peu seul le soir. La Demeure Astrale était une belle maison, faite pour accueillir plus de monde. Pour une seule personne, elle devait faire grande et vide. De plus, Bell avait vécu une journée riche en émotion et l'épisode du minotaure avait dû être un peu effrayant.

"Je vois… Eh bien soit ! J'ai du travail ce soir, mais je vais le terminer tôt et venir passer la nuit ici ! Ça te tente ?"

"Vraiment ?"

"Oui, c'est promis."

"Merci déesse, vous êtes vraiment la meilleure."

Et quand il lui souriait comme ça, elle sentait qu'elle ne pouvait rien lui refuser. Ishtar quitta donc rapidement les lieux pour aller faire son travail.

Elle avait un client important ce soir ? Pas de soucis ! Il voulait les faveurs de la déesse des courtisanes, il allait les avoir et découvrir qu'aucun mortel ne pouvait résister à son savoir-faire plus de quelques instants si elle y mettait vraiment du sien.


L'homme qui l'attendait ce soir n'était rien de plus qu'un riche marchand. Un homme influent et blindé d'argent. Et même lui avait mis du temps avant d'avoir une soirée en compagnie de la déesse.

Présentement, il était dans le salon où Ishtar recevait ses clients. En attendant que la déesse arrive, deux autres courtisanes, parmi les plus belles de la familia, lui tenaient compagnie et lui servaient à boire, afin de l'aider à se mettre en condition.

Ishtar avait pris le temps de changer de tenue, même si cela restait toujours dans le même ton et s'était faite plus désirable que jamais. Quand elle entra dans la pièce, ce fut en imposant toute son impérieuse et désirable présence.

Elle était l'incarnation de la beauté et du désir, au point que son invité en eut le souffle coupé. Il avait payé pour une déesse ? Alors une déesse il aurait. Même les deux autres courtisanes se sentirent autant écrasées qu'admiratives. C'était une Ishtar comme elles n'avaient jamais vu. Puissante, désirable, impérieuse.

La déesse leur fit signe de sortir, les deux femmes se levèrent, la saluèrent et quittèrent rapidement la pièce. L'homme parvint malgré tout à retrouver assez de contenance pour parvenir à baragouiner quelques mots.

"D-d-déesse Ishtar… C-c'est un honneur de… Je… Je vous ai amené quelques présents." Fit-il en désignant une table où se trouvaient effectivement quelques cadeaux. Bijoux, vins raffinées, étoffes précieuses, la base quand on rencontre une telle déesse.

Ishtar se dirigea vers lui et attaqua directement dans le vif du sujet en s'asseyant sur les genoux de son invité.

"Chuuuuut mon ami." Dit-elle en posant un doigt sur ses lèvres. "Vous n'êtes pas venu pour parler ce soir."

Elle murmura ces mots de façon sensuelle à son oreille et l'homme sentit un puissant frisson lui parcourir le corps. Il était trop tard pour fuir, la déesse était lâchée et elle ne ferait pas de cadeau.


Ishtar quitta la salle cinq minutes plus tard, sous les regards médusés des berberas présentes. Derrière la déesse, elles pouvaient voir l'homme dans la salle, avachie dans le somptueux canapé. Physiquement, il était vivant, mais son esprit était déjà parti dans un monde meilleur.

Deux minutes et trente-huit secondes.

C'était le temps qu'il avait tenu quand Ishtar était passé aux choses sérieuses. Comme quoi, l'argent n'achetait pas le talent et encore moins ce genre de talent.

"Bon, les filles, vous me le mettez dans une de nos meilleures chambres, vous le traitez avec tous les égards dus aux invités de marque et on verra bien dans quel état il se réveillera demain matin."

"Euh… très bien dame Ishtar." Parvint seulement à dire Aisha.

"S'il y a une urgence, je serais à la Demeure Astrale ce soir." Fit-elle sans plus de cérémonie avant de partir rejoindre Bell comme elle le lui avait promis.

La plupart des filles présentes restèrent sur place un moment, ne sachant pas trop comment réagir. Finalement, ce fut Lena qui prit la parole la première.

"Elle préfère passer la nuit avec lui plutôt que de s'occuper d'un gros client ? Je vous l'avais dit ! Combien de preuves il vous faut encore ?"

Et à force de répéter la même chose, de plus en plus de filles la croyaient. Seule Samira refusait toujours cette théorie, même Aisha avait ses doutes.

"Je préfèrerais surtout qu'elle le lâche un peu." Dit alors Phryne, qui venait d'arriver.

"Entièrement d'accord avec toi." Lui répondit Samira. "Il la ramollit de plus en plus et il faut que ça s'arrête."

"Hein ? Je m'en fiche qu'elle se ramollisse. J'attends juste qu'elle se lasse enfin de son lapin. Quand ce sera le cas, on pourra enfin s'amuser avec lui. Et je compte bien prendre tout mon temps." Elle conclut ses paroles d'un rire sadique et malsain, qui ne lui attira que des regards méprisants.

Phryne Jamil était unanimement détestée au sein de sa familia. Même ceux qui avaient été assez gentils pour ne pas la juger sur son physique au début s'étaient vite ravisés. Elle était aussi horrible psychologiquement que physiquement. Le seul respect qu'elle avait n'était dû qu'à sa force.


Bell, fut assez surpris de voir Ishtar revenir aussi vite, il avait à peine eu le temps de se faire à manger et de nettoyer ses affaires. Autre inconvénient à vivre tout seul, il devait faire toutes les corvées.

"Déesse ? Vous êtes déjà là ?"

"Oui, j'ai pu… terminer rapidement ce que j'avais à faire."

Bell ne pouvait pas nier qu'au fond de lui, il était content qu'elle soit là. Il se sentait un peu coupable de la monopoliser comme ça alors que vu la taille de la familia, elle devait avoir beaucoup de travail, mais juste pour une nuit, ce n'était pas si grave pour une fois. Du moins, c'était ce dont il essayait de se persuader.

Ishtar se pencha alors vers lui, cette proximité soudaine le faisant rougir comme d'habitude alors que la déesse semblait le renifler légèrement.

"Tu t'es lavé aujourd'hui Bell ?"

"Oui, j'ai pris une douche à la Guilde, j'étais couvert de sang de minotaures après tout."

"Ça n'a pas suffi visiblement, l'odeur du sang de monstres peut être assez tenace."

Le jeune homme leva les bras pour se renifler à son tour et constata qu'il y avait effectivement quelques odeurs de vieille viande de bœuf attachées à sa peau.

"Heureusement dans ce cas que j'ai fait mettre du savon parfumé dans la salle de bain de la Demeure Astrale. Je crois qu'un bon bain te fera du bien ce soir."

"Je crois aussi." Lui répondit Bell, tout aussi amusé que gêné. Et il ne se fit pas prier pour y aller.


La salle de bain de la Demeure Astrale était assez luxueuse, des douches et un grand bain, assez pour que plusieurs personnes s'en servent en même temps. Cela lui permettait à chaque fois de constater à quel point la technologie née autour des pierres magiques était fascinante. Grâce à elle, le confort de vie avait sensiblement augmenté. Elle permettait d'éclairer et de chauffer sans feu, ce qui améliorait la sécurité, d'avoir l'eau courante et chaude. Dans son petit village, cette technologie était peu présente, car encore chère, depuis son enfance, il avait pris l'habitude de se chauffer, s'éclairer et cuisiner au feu, ce qui imposait la corvée de bois. Et quand il voulait se laver, c'était avec un baquet d'eau, ou au cours d'eau le plus proche quand il faisait beau. Sinon, il fallait s'embêter à chauffer l'eau manuellement.

Donc, cette grande salle de bain constituait pour lui un luxe extraordinaire dont il profitait pleinement. Bell fredonnait doucement, ne se rendant pas compte du piège dans lequel il venait de tomber. Du moins, jusqu'à ce qu'il entende la porte. Et quand il se retourna, il fit un bond jusqu'au plafond.

"Déesse ! Mais qu'est-ce que vous faites là ?"

"Quelle question ? Je viens me laver bien sûr." Lui répondit-elle comme si tout était normal.

Et bien évidemment, elle était nue, ou presque. Elle avait tout de même fait l'effort de nouer une serviette autour de ses hanches. Une serviette très courte qui ne cachait vraiment que l'essentiel. Et inutile de préciser que rien ne cachait le haut.

"Comme ça, j'en profiterais pour te laver le dos." Dit-elle avec un air espiègle.

"C'est gentil mais c'est pas la peine." Lui répondit-il avec de grands gestes des mains.

"Ordre de ta déesse."

"Vous trichez !" Lui dit Bell avec toute son indignation.

"Je sais~~~" fit-elle d'une voix chantante et amusée.

Même si Bell n'avait pas encore cédé à la tentation de son corps, elle se doutait parfois qu'elle ne laissait pas si indifférent. Et le garçon avait beau jouer les offusqués, son corps le trahissait malgré lui. Le regard d'Ishtar dériva un peu plus bas et le garçon avait beau essayer de se cacher avec sa serviette, elle avait eu l'occasion de tout voir. Cela lui tira un visage amusé alors qu'elle décidait de le taquiner un peu.

"Hoooooooo ? Je vois qu'on cache bien son jeu Mr Cranel. On ne soupçonnerait pas ça avec un visage aussi adorable."

Bell ne put que rougir de la tête au pied, se retourner, s'accroupir et bouder.


Et il ne put échapper à sa déesse qui était juste derrière lui, en train de lui frotter le dos sous la douche. Les gestes d'Ishtar mêlaient à la fois douceur et sensualité. Elle se fit la remarque que la peau de Bell était douce, ce n'était pas le dos d'un guerrier, pas encore du moins. Mais il était jeune et allait grandir, se muscler. Elle était sûre qu'une fois dans sa vingtaine, il deviendrait absolument canon, assez pour rivaliser avec certains dieux.

"Ça va Bell ?" demanda-t-elle d'une voix amusée. Mais le garçon refusa de lui répondre, décidant de bouder encore un peu. Même si au fond, il appréciait sa présence. Ishtar brisait la solitude qu'il ressentait depuis la mort de son grand-père. Certes, elle le faisait à sa manière, mais il ne ressentait jamais aucune méchanceté.

"D-Déesse ?" fit-il, surpris de sentir ses mains dans ses cheveux.

"Chuuut… Laisse-moi faire."

Ishtar avait pris du savon et lui nettoyait maintenant les cheveux. Les gestes étaient tendres, experts, la façon dont elle lui massait le crâne était plaisante. Tellement plaisante que Bell se détendit, au point qu'il eut l'impression de se transformer en guimauve. D'accord, il voulait bien lui pardonner les dernières taquineries.

Une fois qu'elle eut finit, elle se retourna et dégagea ses cheveux pour présenter son dos à Bell.

"Tu veux bien me frotter le dos à ton tour ?"

Bell s'apprêta à répondre, mais se ravisa et poussa un long soupir, il savait déjà qu'elle ne lâcherait rien. Un petit peu gêné, il posa les mains sur sa peau et se mit au travail. Doucement, délicatement. Bell n'avait pas vraiment touché de femmes dans sa vie, donc, il était incapable de dire si la peau d'une déesse était particulière, mais celle d'Ishtar était douce et agréable au toucher. Quant à la déesse, elle laissa passer un petit gloussement de satisfaction.

"Tes mains sont douces Bell."

"Euh… Merci"

"Ce sont les mains d'un amant… c'est très agréable."

"Déesse, s'il-vous-plait…"

"Je suis sérieuse Bell, tu es vraiment doué. Tu es doux, tendre, ce sont des qualités appréciables. Crois-en une experte, je te garantis que tu as largement le potentiel pour rendre n'importe quelle femme très heureuse."

"Vous exagérez déesse."

"Sur ce sujet-là, jamais."

Gêné, Bell ne sut pas quoi répondre et ils restèrent ainsi, dans le silence, alors que les mains du jeune homme continuaient leur œuvre sur le dos de la déesse.


Bien évidemment, quand il put enfin se détendre dans la grande baignoire, il sut qu'elle ne le laisserait pas seul. Mais il ne s'était pas imaginé qu'elle se mettrait derrière lui. Assis entre les jambes de sa déesse, le dos contre son buste, il se sentit de nouveau rougir et il sut que ce n'était pas à cause de la chaleur du bain.

"D-Déesse… Vous êtes vraiment obligée… de me coller autant ?"

Etaient-ce tous les dieux qui agissaient ainsi, ou seulement elle ? Il avait vraiment l'impression qu'elle s'amusait à lui retourner la tête dans tous les sens. Mais vu que cela lui faisait plaisir, il n'osait pas la contrarier.

"Vois ça comme un entrainement pour ton futur harem."

"Mais je n'ai pas l'intention de construire un harem !"

"Ah bon ? Je croyais pourtant que c'était 'l'ultime romance de l'homme' ?"

"Ça, c'étaient les délires de papy !"

"Vraiment ? Tu veux essayer de me faire croire que ça ne tente pas ? Même un petit peu ?" lui souffla-t-elle doucement à l'oreille, le faisant frissonner.

"D'accord, c'est un peu tentant… Mais non ! Un harem, ce n'est pas bien. Ça serait manquer de respect envers les femmes qui le composeraient."

"Je vois ce que tu veux dire, mais peut-être que tu manques d'une vue d'ensemble. Pour simplifier, je pense qu'il existe deux types de harem, le bon et le mauvais."

"Que voulez-vous dire ?"

"Le mauvais harem, c'est celui dans lequel une personne a rassemblé des partenaires qui lui plaisent, sans égard pour les autres, en se fiant uniquement à ses désirs égoïstes."

"Je suis d'accord. Dans ce cas, que peut être le bon harem ?"

"Celui qui nait uniquement de l'amour pour la personne qui le rassemble. Pour une personne capable d'aimer tous ses partenaires, de vouloir leur bonheur et qui fait tout pour qu'il y ait une bonne harmonie et de l'amour entre tout le monde."

"C'est vraiment possible de faire ça ?"

"C'est un chemin difficile, beaucoup de personnes ont tendance à vouloir monopoliser les gens qu'elles aiment, mais savoir surmonter cette envie est aussi une épreuve sur le chemin du bonheur."

"Ça a l'air trop beau pour être vrai…"

"Peut-être. Mais demande-toi une chose, pourquoi ton grand-père t'aurait raconté quelque chose comme ça ? Est-ce qu'il aurait été le genre d'homme qui t'aurait encouragé à être égoïste au détriment du bonheur des autres ?"

"Non, je ne pense pas. Mais vu qu'il racontait beaucoup de bêtises quand il s'agissait des femmes, je ne suis pas sûr le concernant."

"Peut-être était-ce sa manière de t'encourager à trouver ton bonheur."

"Peut-être…"

"Il te manque ?"

"Tous les jours."

Oui, son grand-père lui manquait, sa mort fut trop brutale, trop inattendue, forçant Bell à grandir d'un seul coup et devoir se débrouiller par lui-même. Il faisait de son mieux, mais une part de lui n'avait pas encore finie son deuil. Ishtar sentit sa peine et l'enlaça par les épaules. Un geste qui la surprenait elle-même, elle n'était le genre à faire preuve de ce genre d'empathie habituellement. Comme d'habitude, Bell continuait à éveiller en elle des sensations qu'elle s'ignorait capable de ressentir.

"Déesse. Juste pour être sûr, toute cette conversation n'est pas juste un prétexte pour justifier de prendre un bain avec moi ?"

Ce à quoi la déesse ne répondit que par un petit rire mystérieux et amusé…


Après la mort de son grand-père, il avait trouvé son ancienne maison très vide et ce n'était pas agréable. Après son arrivée en ville, il n'avait pas eu le temps de soucier de ça au début, trop occupé à trouver une familia avant de finir à la rue. Après son intégration à la familia d'Ishtar, l'excitation et la nouveauté l'avaient aidé à oublier, mais une fois la routine installée, il se sentit à nouveau seul. Malgré les taquineries, il était content qu'elle passe la nuit dans la maison avec lui. Le simple fait d'avoir une présence lui faisait du bien. Cependant, il y avait maintenant trois questions qui le taraudaient.

Premièrement, pourquoi dormait-elle dans la même chambre que lui ?

Deuxièmement, pourquoi dormait-elle dans le même lit que lui ?

Troisièmement, pourquoi dormait-elle nue ?

La troisième était la plus simple à répondre. Ishtar dormait tout le temps nue. Et même le reste du temps, on pouvait considérer qu'elle vivait à moitié nue, vu les tenues TRES légères qui constituaient le gros de sa garde-robe.

En revanche, rien ne l'avait obligé à dormir directement avec lui. Au moins, le lit était assez grand pour deux. Comme tous ceux de la Demeure Astrale. Après tout, Ishtar étant égale à elle-même, jamais elle ne mettrait un lit une place dans une chambre.

Bell dormait sur le côté, dos à sa déesse. Il savait que s'il se tournait, la voir d'aussi près l'empêcherait de dormir. Sa capacité à lui résister impressionnait toujours autant Ishtar, surtout à un âge où ses hormones devaient bouillonner. La déesse, elle, ne se gêna pas pour se coller à lui, l'enlaçant pour faire de lui une sorte de grosse peluche humaine.

Mais elle ne tenta rien de plus. La présence de Bell lui suffisait. Dans le silence de la nuit, la déesse laissa ses pensées vagabonder. Lentement, elle se mit à comprendre pourquoi la présence de Bell lui faisait du bien.

Le jeune homme ne faisait pas qu'éveiller des choses en elle, il en faisait taire d'autres. Depuis toujours, Ishtar avait une sensation gênante au fond de son cœur, quelque chose qui la dérangeait, mais qu'elle ne comprenait pas. Cette sensation la frustrait horriblement depuis toujours, alors elle avait tenté de la faire taire. Que ce soit en s'adonnant toujours plus au plaisir, en soumettant les plus résistants, ou en se lançant dans une guerre éternelle contre Freya.

Mais grâce à Bell, pour la première fois, elle comprenait enfin qu'elle était cette sensation qui la hantait depuis l'aube des âges. C'était quelque chose de très simple.

La solitude.

En tant que déesse de beauté, Ishtar charmait tout ceux autour d'elle. Elle était déesse de beauté, d'amour, de plaisir. Personne n'était jamais venu à elle innocemment. Il y avait toujours ce petit malaise au fond d'elle, celui qui lui faisait se demander à quel point son charme influait sur le comportement des autres à son égard.

Qui s'intéressait réellement à Ishtar ? La personne en elle-même. Qui s'intéressait réellement à ses rêves, ses doutes, ses besoins ? Sans que cela ne soit simplement un moyen de gagner ses faveurs.

A bien y réfléchir, personne… Et Bell était apparu dans sa vie. L'innocence incarnée, l'âme pure par excellence, celui sur qui son charme n'exerçait aucune influence, le seul qui était vrai avec elle. Il respectait son statut de déesse, mais comme il le ferait avec n'importe quelle divinité.

Bell brisait sa solitude et petit à petit, il se faisait une place de plus en plus grande dans le cœur de la déesse.

Voilà pourquoi elle dormait contre lui avec plus de plaisir qu'elle ne l'aurait cru. Cette nuit-là, Ishtar s'endormit aisément et dormit paisiblement pour la première fois depuis une éternité. Et pour la première fois depuis des semaines, les rêves la laissèrent tranquille.


Quant à Bell, lui ne dormit pas très bien. La présence de sa déesse, collée à lui, nue, ne l'aida pas à rester calme. Il resta tendu toute la nuit… de bien des manières.

Quand vint enfin le matin, il n'avait que très peu dormi et sa déesse était toujours collée à lui. Ne sachant pas quoi faire et n'osant pas bouger, il décida de faire semblant de dormir jusqu'à ce qu'Ishtar se lève et quitte le lit.

Seulement, la déesse était déjà réveillée et attendait de voir comment il allait réagir. Et malheureusement pour lui, elle savait reconnaitre ce genre de numéro, elle savait très bien qu'il ne dormait plus.

Du coup, elle décida de le taquiner un petit peu. Doucement, elle approcha le visage de sa tête avant de lui mordiller délicatement le lobe de l'oreille.

Bien évidemment, l'effet fut immédiat, Bell poussa un grand cri de surprise avant de faire un énorme bond et se vautrer en bas du lit dans une position peu glorieuse.

"DEESSE !" fit-il avec toute son indignation, alors que la principale concernée le regardait, la tête posée sur la main, avec un petit air mutin sur le visage.

"Je ne ferais aucune excuse." Dit-elle en lui tirant la langue de manière taquine.

Malgré ses protestations, il ne détestait pas réellement les taquineries d'Ishtar. Pour Bell, elles étaient comme des marques d'affection, une preuve qu'elle s'intéressait à lui. Sans qu'ils ne s'en rendent compte, chacun brisait la solitude de l'autre.


Mais après cette drôle de nuit, il fut temps de revenir aux affaires. Ishtar avait beaucoup de travail et tout un quartier à gérer. Quant à Bell, il était temps pour lui de retourner dans le Donjon, avec le nouvel objectif de devenir toujours plus fort. Suffisamment pour se tenir aux côtés de cette magnifique guerrière qui le fascinait.

Cependant, sur le chemin de Babel, son regard fut attiré par des objets dans une vitrine. Il le regarda longuement, puis reprit son chemin d'un pas déterminé. Aujourd'hui, en plus de s'améliorer, il en profiterait pour gagner un peu plus d'argent.

Et la raison de cette volonté soudaine d'améliorer ses finances, Ishtar la découvrit le soir même, quand elle vint lui rendre visite pour le compte-rendu du jour et mettre à jour son statut. Mais d'abord, elle confirma ses soupçons quand elle vit la forte augmentation du statut de son petit protégé. Son interprétation du skill de Bell était la bonne et cela la fascinait autant que ça l'inquiétait. Il allait falloir qu'elle réfléchisse à un plan pour couvrir ça avant que ça ne devienne un problème.

Quand elle montra la feuille de son statut à Bell, il arriva à la même conclusion.

"Comme vous me l'aviez dit…"

"Oui, et c'est pour cela qu'il va falloir être très prudent."

Bell acquiesça d'un signe de tête avant de se hâter de brûler la feuille. Pendant qu'Ishtar réfléchissait, Bell en profita pour s'approcher d'elle en cachant quelque chose dans son dos.

"Déesse."

"Oui Bell ?"

"Je voulais… enfin… j'ai quelque chose pour vous… pour vous remercier de prendre soin de moi."

A ces mots, il sortit une boite de derrière son dos et la lui tendit, l'air très gêné.

"Pour moi ? Il ne fallait pas Bell."

Mais son sourire disait qu'elle était ravie qu'il ait eu ce geste envers elle. La déesse prit la boîte et l'ouvrit. A l'intérieur, il y avait une jolie épingle à cheveux. Elle était en bois laqué, joliment décorée de motifs simples, mais élégants.

Ishtar avait reçu dans sa vie des tonnes de bijoux, en or, en argent, décorés de pierres précieuses. A côté, le cadeau de Bell faisait pâle figure. Pourtant, à ses yeux, cette épingle à cheveux semblait posséder plus de valeur que tout ce qu'on lui avait offert.

Tous les cadeaux reçus dans sa vie n'étaient là que pour obtenir ses faveurs. Mais celui de Bell, elle savait qu'il lui avait offert par pure gentillesse, pour la simple envie de lui faire plaisir et la remercier.

Elle lui avait dit de garder son argent pour lui, pour se détendre. Et il avait choisi de l'utiliser pour lui offrir un cadeau. Est-ce qu'il cherchait à la faire pleurer ? Parce que ça n'allait pas tarder !

C'était peut-être la première fois qu'Ishtar recevait un vrai cadeau.

"Ça… Ça vous plait ?" demanda-t-il un peu gêné.

"Elle est parfaite Bell. Tu veux bien me la mettre ?"

"Bien sûr."

Avec des gestes délicats, Bell prit l'objet et l'installa dans la belle chevelure de sa déesse. Sans un mot, cette dernière posa une main sur la joue du jeune humain et déposa un baiser sur l'autre. Et bien évidemment, cela le fit encore rougir. Mais la gêne se faisait quand même supplanter par la joie qu'il ressentait à l'idée qu'elle aime son cadeau.

"Bell, ça te dirait de passer un peu de temps avec moi demain ? Sauf si tu tiens absolument à aller dans le Donjon."

"Non, ça ne me pose pas de problème."

Il voulait progresser, devenir plus fort. Mais il aimait aussi passer du temps avec elle. Et comme elle lui avait dit, il était important qu'il prenne des jours de repos.


Ce jour de repos consista donc à accompagner Ishtar alors qu'elle faisait la tournée des différents bordels du quartier. Elle pourrait se contenter de recevoir les rapports d'activité directement chez elle, mais elle aimait bien aller sur le terrain de temps en temps, se rendre sur les lieux, constater d'elle-même et entendre directement de leurs bouches ce que les responsables de chaque établissement avaient à lui dire.

Et puis, ainsi, ce serait l'occasion de présenter Bell plus formellement à plusieurs établissements et leurs personnels. Même si les activités du Delebat était à part du reste de la familia, il restait tout de même une branche de la Ishtar familia et de ce fait, il ne fallait pas non plus trop l'isoler du reste du quartier.

Les berberas étaient peut-être les courtisanes les plus visibles d'Ishtar, mais elles étaient loin d'être les seules. Elle avait beaucoup de gens à son service et dans leur grande majorité, ils étaient curieux de découvrir ce garçon mystérieux pour qui elle en faisait tant depuis quelques temps. Le constat fut unanime, tout le monde adorait Bell. Il fallait dire que le garçon ne faisait rien pour se faire détester.

Mais Ishtar avait également une autre idée en tête, celle de faire une petite expérience amusante. Même si elle ne charmait pas Bell directement, elle ne cessait de le taquiner pour tester sa résistance et voir quand il craquerait. Pour le moment, il résistait admirablement bien. Elle savait qu'elle lui faisait de l'effet, mais il ne succombait pas.

Du coup, la déesse se posa naturellement la question. Et si le jeune homme refoulait certaines préférences au fond de lui ? Le prochain établissement lui donnerait la réponse.

Quand Bell vit le nom de l'établissement, il sentit au fond de lui qu'il y avait quelque chose de bizarre.

Les Hommes du Pilier.

A l'intérieur, uniquement de grands gaillards musclés, huilés et en pagne. Bell blêmit immédiatement, alors qu'un musculeux locataire des lieux passa derrière lui et lui mit une main sur l'épaule.

"Salut mon garçon. Ça te dirait de venir faire un tour dans le monde merveilleux de la virilité entre hommes ?"

"Non ! Non merci ! Ça ira !"

Et tel un poussin terrorisé se cachant dans le plumage de sa mère, il alla se coller contre Ishtar, comme si elle devenait sa seule bouée de sauvetage dans cet endroit.

Bon, au moins le garçon n'était pas un gay refoulé. Ishtar avait sa réponse. Dès qu'ils sortirent de l'établissement, Bell ne se fit pas prier pour faire savoir son mécontentement.

"Jurez-moi que vous m'emmènerez plus ici !"

"Promis."

Et à voir son visage triste, elle se promit à elle-même de ne plus lui faire de blague de ce genre.

"C'était quoi cet endroit ?"

"Pour faire simple, disons qu'il en faut pour tous les goûts."

Mais Bell préféra ne pas poursuivre cette conversation, il estima ne pas avoir besoin de tous les détails sur le fonctionnement du quartier des plaisirs. La journée arriva à sa fin et pendant que les lieux commençaient à s'animer pour la nuit, Bell rentra à la Demeure Astrale afin de se préparer pour le lendemain.

Et ainsi continuait cette petit vie douce et agréable entre la déesse et le garçon.

Mais le destin n'avait pas du tout l'intention de les laisser tranquille.


Le lendemain matin, après s'être équipé, Bell quitta la Demeure Astrale de bonne heure, bien décidé à passer une nouvelle journée productive dans le Donjon. Seulement, son chemin lui fit prendre certaines petites rues. Et alors qu'il marchait tranquillement, une voix douce se fit entendre derrière.

"Excusez-moi, vous avez fait tomber ça."

La personne qui lui avait parlé était une belle jeune femme, aux cheveux et aux yeux d'un joli gris clair. Elle portait un uniforme de serveuse vert et avait une pierre magique à la main.

Et ainsi, Bell venait d'attirer sur lui l'attention d'une autre déesse de beauté.

Bientôt, il serait pris dans la tourmente les opposant.

L'une serait une déesse qui trouverait la bienveillance en elle, bien qu'elle se crût égoïste.

L'autre utiliserait une fausse bienveillance pour justifier ses propres désirs égoïstes.

Et de la pureté du jeune homme, viendrait leur rédemption à toutes les deux…


Notes de l'auteur :

Et voilà un nouveau chapitre de plus.

Comme vous l'avez vu, j'ai choisi une voie différente pour le Liaris Freese. En relisant le novel, je suis de plus en plus convaincu que les raisons d'Hestia de le cacher à Bell sont purement égoïstes et ne reflètent que son propre manque de confiance et sa possessivité. J'ai d'ailleurs été déçu de constater que le reste de la familia était d'accord quand elle leur a expliqué.

Certes, Bell est jeune, un peu naïf, mais ce n'est pas non plus un abruti fini, je pense qu'il est tout à fait capable de comprendre les risques si quelqu'un lui explique. Et j'espère que le jour où il l'apprendra dans le novel, Omori ne fera pas passer ça en coup de vent à base de Bell trop gentil qui pardonne tout.

Et sinon, rappelez-vous que dans la vie, il n'y a que deux choses : ce qui est une référence à Jojo et ce qui ne l'est pas.