Chapitre 2

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Deux jours plus tard, une nouvelle lettre arriva au château d'Arendelle et fut remise à Elsa au milieu du courrier habituel.

La jeune Reine était encore devant son petit-déjeuner quand on lui apporta le tas de lettres, et le préposé s'excusa de venir aussi tôt. Elsa se contenta de hocher la tête sans répondre et l'homme s'en alla sans un bruit. Il croisa Anna dans le couloir et la salua chaleureusement. Elle lui répondit d'un large sourire et entra ensuite dans la salle à manger.

— Bonjour à toi, ma grande sœur chérie ! s'exclama-t-elle aussitôt en allant l'embrasser sur la joue.

Elsa tendit la joue d'un mouvement machinal, les yeux rivés sur la lettre qu'elle lisait.

— Tu lis quoi ? demanda Anna comme on déposait devant elle une grande tasse de thé fumant et une assiette de biscuits encore chauds.

Elle avait déjà pris un petit-déjeuner avec Kristoff, quand ils s'étaient tous les deux levés, vers huit heures, mais elle ne refusait jamais un second petit-déjeuner avec sa sœur qui elle, n'était pas vraiment une adepte du lever tôt...

— Elsa... ? demanda Anna, étonnée du silence de sa sœur. Je t'ai posé une question...
— Quelle ordure ! siffla alors la jeune Reine en serrant ses doigts sur la lettre. Il a osé !

Celle-ci gela aussitôt puis se brisa en petits morceaux comme du verre. Anna reposa précipitamment sa tasse en renversant un peu de thé sur la nappe, et se leva pour aller calmer sa sœur.

— De qui c'était ? demanda-t-elle en posant ses mains chaudes sur les épaules nues de la jeune Reine qui soupira. Elsa, de qui venait cette lettre ?

Elsa releva la tête, les yeux fermés. Elle inspira profondément et les morceaux de la lettre fondirent aussitôt en imbibant la nappe. Anna jeta un œil sur l'entête et eut un choc au cœur.

Les Îles du Sud ! s'exclama-t-elle. Hans !

— Elsa, cette lettre... dit-elle alors.
— Oublie-la, répondit sèchement Elsa en se levant.

Sa longue robe de chambre en mousseline bleue avec fourrure blanche, ondula derrière elle comme elle quittait la salle à manger par une porte dérobée. Anna se retrouva alors seule et un peu perdue. Elle s'ébroua soudain et chercha sur la table les morceaux de la lettre. Ils étaient détrempés et elle les étala sur une portion de nappe sèche avant de les tamponner avec sa serviette de table. L'encre laissa son empreinte dans le tissu blanc, mais la jeune femme parvint quand même à déchiffrer le texte.

— Votre Altesse, Reine... d'Arendelle, lut-elle à mi-voix. Je suis parfaitement conscient que... alors que j'écris... cette lettre, je suis, et de loin, la dernière... personne dont vous désirez recevoir... des nouvelles, et je comprendrais... que vous détruisiez ce courrier... avant même de l'avoir lu dans son entièreté...

Anna bougea un morceau de papier pour ajuster le texte et continua sa lecture. Le reste de la lettre était un peu plus lisible, comme si l'encre était différente.

— Mes actes sont impardonnables, et je mentirais en vous disant que je n'ai pas été sévèrement puni pour cela, dit-elle. À peine avais-je posé le pied dans mon royaume que mon père m'a fait enfermer dans mes appartements en attendant de décider de mon sort. Quelques minutes plus tard, j'ai eu la surprise de voir un palefrenier venir me chercher et m'ordonner de le suivre, sans me laisser le temps de me changer, de me laver ou même de manger malgré le fait que j'avais passé trois semaines dans la cale d'un bateau. L'homme m'a conduit dans les écuries et m'a collé une fourche dans les mains en me montrant le sol couvert de crottins odorants...

Anna sourit en imaginant la scène et la stupeur du fier Hans tandis que l'idée se frayait un chemin dans son esprit. Elle s'assit alors au bout de la chaise de sa sœur et croisa les bras sur la table, penchée en avant, pour finir de lire la lettre.

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— Au début, j'ai refusé de faire ce qu'on me demandait, j'ai hurlé, tempêté, ordonné une audience avec mon père, et comme rien ne bougeait, comme tout le monde faisait la sourde oreille et avait, semble-t-il, décidé de m'ignorer, j'ai fini par me mettre au travail. Pendant une semaine entière j'ai pelleté du crottin, dans mes habits princiers qui étaient bons pour la poubelle. Je puais à dix lieues à la ronde et, quand j'avais achevé mes corvées, je dormais dans un box, sur un tas de paille, avec une vieille couverture rongée aux mites. En guise de repas, je n'avais que de la bouillie d'avoine et un bout de pain, une fois par jour, et j'en ait été rapidement écœuré au point de rendre régulièrement mes repas…

Anna regarda Kristoff qui avait du mal à se retenir de rire. Elle lui relisait la lettre, rentrée à toute vitesse après l'avoir lue une première fois.

Le jeune homme ronfla soudain et pouffa, rouge de se retenir. Il fit signe à la jeune femme de continuer et Anna rigola.

— Le dernier soir de mon calvaire, ce que j'ignorais alors, j'allais aller me coucher dans mon tas de foin quand j'ai entendu des voix et des pas familiers dans la cour, reprit la jeune femme. Je me suis aussitôt relevé et mon père et mes frères sont entrés dans l'écurie. Ils étaient reluisants et sentaient bon le savon. Moi, à côté d'eux, j'étais épuisé, sale, puant et dépenaillé. Mon beau costume était déchiré et j'avais les cheveux tellement poisseux qu'ils se dressaient sur ma tête… Le regard que m'a alors lancé mon père m'a donné l'impression de revenir à l'âge de quatre ans, quand je me suis fait prendre en train de chaparder de la nourriture dans la cuisine. Mes frères me regardaient, eux, avec mépris et chagrin, mais pas de colère, ce qui était étonnant de leur part. Mon père a alors tourné les talons et cinq de mes frères aussi.
— Il en a pas six ? demanda Kristoff en fronçant les sourcils.
— Non, treize en fait, répondit Anna. Mais je suppose qu'ils ne vivent plus au palais depuis longtemps. Le contraire serait inquiétant.

Kristoff opina et Anna termina la lettre en disant qu'Hans avait reçu l'ordre de lui envoyer une lettre d'excuses sincères, et qu'il avait dû s'y reprendre à dix fois avant que sa mère ne soit satisfaite. Après quoi, il s'est de nouveau retrouvé enfermé dans sa chambre avec interdiction totale de visite, sauf son domestique personnel qui n'avait pas le droit de lui adresser la parole, et que ce serait ainsi tant que la Reine d'Arendelle n'aurait pas répondu à sa lettre, ce qui pouvait prendre des années, connaissant Elsa…

Anna regarda les feuilles une dernière fois puis les replia et soupira.

— Il n'a pas vraiment fait de mal ici, quand on y repense, dit-elle. Il a essayé, il a été cruel en me faisant croire qu'Elsa était morte, et en lui faisant croire que moi, j'étais morte, mais… Eh bien, il n'a tué personne, au final.
— Non, admit Kristoff en grimaçant légèrement. Il n'a tué personne, non, mais il tenté de s'emparer d'un royaume par avidité. Les maltraitances dont ses frères ont fait preuve envers lui toute sa vie, l'ont rendu méchant et il a vu l'occasion à saisir quand Elsa a perdu le contrôle de ses pouvoirs, pendant le bal. Si ta sœur avait retenu sa colère, rien de tout cela ne serait arrivé et tu serais probablement mariée à lui.
— Tu crois ? C'est donc la faute d'Elsa ?

Kristoff pencha la tête sur le côté.

— Elle ne l'admettra bien sûr jamais, dit-il. Mais ta sœur n'a pas vécu son enfance comme toi, elle était recluse, enfermée dans sa chambre, terrorisée par ses pouvoirs. Elle a emmagasiné de la peur, de la colère, et il a fallu une goutte d'eau pour que ça dérape et qu'elle terrifie tout son royaume…
— Mais elle s'est rattrapée depuis et les gens n'ont plus peur d'elle, elle…
— Oui, répondit Kristoff. Ils n'ont plus peur d'elle, ils la reconnaissent comme leur Reine, mais tu n'as rien remarqué ?

Anna haussa les sourcils.

— Non, quoi ? demanda-t-elle.
— Ta sœur, Anna… Elle n'a pas mis les pieds hors du château depuis que tu as réussi à la faire revenir à Arendelle… Elle ne se montre pas, elle envoie ses gens faire ses commissions à sa place, elle indique quoi dire à qui et ils le font sans se poser de questions.

Anna se mordit la lèvre.

— Ça veut dire quoi, selon toi ? demanda-t-elle.
— Elle a peur, Anna, répondit Kristoff. Elsa, notre Reine, a peur du regard des gens, elle a peur que le fait de se montrer au peuple ravive les souvenirs qu'ils ont liés à elle et l'hiver éternel qu'elle a fait tomber sur le pays.
— Je dois faire quoi, alors ? Lui trouver un mari devrait l'aider, mais elle reste de marbre, aucun des Princes qui envoient des lettres ne l'intéresse… Elle se fiche d'eux et les dénigre ouvertement…

Elle agita alors la lettre de Hans.

— Et voilà que c'est lui qui écrit… Bon, ce n'est pas une demande en mariage, c'est une lettre d'excuses, mais…

Anna se mordit de nouveau la lèvre et Kristoff haussa les sourcils avant de secouer vivement la tête.

— Oh non, ma chérie, c'est une très mauvaise idée ! dit-il en se levant. Faire venir Hans ici ne fera que mettre Elsa dans une fureur glacée que le royaume n'est pas encore prêt à endurer. Et si le peuple le sait, ils franchiront les portes pour le lyncher, et Elsa ne fera rien pour l'empêcher, tu le sais aussi bien que moi.

Anna serra ses mains sur les feuillets et voûta le dos. Elle souffla puis se leva à son tour et rejoignit son mari sous le porche où il regardait les gens aller et venir devant leur maison. Un homme le salua et il répondit d'un grand sourire.

— Chéri…
— Non, Anna, répondit Kristoff en se retournant. Je t'interdis de faire venir Hans à Arendelle, tu entends ? Il a provoqué assez de dégâts comme ça, et si ta sœur le voit, elle serait capable de le congeler sur place et de briser la statue !

Anna resta silencieuse. Elle soupira doucement puis hocha lentement la tête et indiqua qu'elle allait ranger la lettre, que peut-être un jour Elsa voudrait la lire en entier…

— C'est peu probable, mais ce n'est qu'une lettre, répondit Kristoff. Je vais chercher Sven, j'ai une livraison de glace cet après-midi.
— Entendu. Je dois sortir, j'ai besoin d'une nouvelle robe, répondit Anna dans les escaliers.
— Et elle va coûter combien ? demanda Kristoff.
— Rien, ne t'en fais pas, c'est Elsa qui me l'offre, pour mon anniversaire.

Kristoff opina en silence puis quitta la maison et, dans la chambre, Anna soupira. Elle s'approcha de son secrétaire et regarda la lettre dans sa main. Jetant un œil par la fenêtre, elle s'assit à son secrétaire, attrapa papier et plume et entreprit de répondre au jeune Prince Hans des Îles du Sud...