Chapitre 3

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— Majesté ? Une lettre vient d'arriver…

Hans leva le nez de son livre et interrogea le Valet qui était entré dans la pièce.

— Je croyais que vous n'aviez pas le droit de me parler… s'étonna-t-il.
— Le Roi vient de lever cette interdiction, à l'instant, répondit le Valet.
— Pour quelle raison ?

Hans était perdu. Le Valet inclina alors le plateau en argent sur lequel reposait la lettre. Le jeune Prince s'approcha et prit la lettre. Quand il sentit sous ses doigts l'estampage bleu, il crut que son cœur cessait de battre.

— C'est de la Reine d'Arendelle ? dit-il d'une voix blanche.
— Il semblerait, Majesté. Dois-je attendre une réponse ?

Hans secoua vivement la tête et indiqua au garçon qu'il pouvait partir. Le Valet tourna les talons et referma la porte de la chambre dans son dos.

Fébrilement, Hans se rendit alors à son bureau et chercha frénétiquement un coupe-papier dans le bazar qui régnait dessus. Il déchira ensuite la lettre et en tira un parchemin soigneusement plié en quatre, beige et portant l'entête d'Arendelle. Mais cela ne venait pas d'Elsa…

La déception qu'éprouva Hans à ce moment-là, lui fit monter les larmes aux yeux. Il s'assit en serrant les mâchoires et une larme glissa sur sa joue.

— Anna… souffla-t-il.

Une autre larme glissa et tomba sur son pantalon. Il renifla alors et se passa les mains sur les joues. Un grand flot de souvenirs était remonté et il en avait le souffle coupé. Il s'ébroua et aplatit la lettre sur son sous-main en cuir. Le texte était court, tout juste une page, et écrit en noir d'une magnifique écriture arrondie avec de grandes lettres majuscules élégantes.

— Cher Prince Hans… Ou plutôt, Prince Hans… Ou… Bon, je ne sais plus comment vous appeler, lut le jeune homme avec un mince sourire amusé. Votre lettre a été délivrée à ma sœur, comme cela semblait en être le but, mais je dois tout de suite vous dire qu'elle vous a insulté avant de geler la lettre et tourner les talons, furieuse. Elle n'est visiblement pas prête à vous pardonner, mais sachez que ce n'est pas mon cas.

Hans haussa les sourcils et humidifia ses lèvres. Il changea de position dans sa chaise et reprit à voix basse :

— Mon mari, Kristoff, m'a interdit de vous écrire, mais je le fais quand même, c'est la moindre des choses. Je sais que je ne suis pas la personne dont vous attendiez la réponse, mais ma sœur ne vous enverra jamais aucune lettre. Elle ne vous pardonnera jamais vos actes, même si vous pelletez du fumier pendant dix ans.

Hans esquissa un sourire.

— Voilà un mois que je me suis mise en tête de chercher un époux pour Elsa, mais toutes mes tentatives échouent, lut-il. Depuis qu'elle est revenue à Arendelle, elle ne quitte plus le château et ne parle à personne hormis à moi et à ses gens. J'ai peur qu'elle ne sombre dans une sorte de dépression post-traumatique. Vos actes l'ont profondément choquée, Hans, et elle mettra des années à s'en remettre, seulement, ces années, elle ne les a pas. Elle va avoir vingt-deux ans et sur ses épaules repose la lignée royale d'Arendelle.

Mais où veut-elle en venir ? se demanda le jeune Prince.

— C'est pourquoi je vous demande à vous, Prince Hans, et aussi parce que je n'ai personne d'autre sous la main, si vous ne connaitriez pas un jeune Prince en quête d'une épouse royale, et qui ne craint pas le froid…

Hans se décomposa aussitôt. Anna… Anna, son Anna, cette jeune fille innocente dont il était immédiatement tombé amoureux, du moins le croyait-il à l'époque... Elle lui demandait de trouver un époux pour la Reine d'Arendelle ? Mais c'était le monde à l'envers !

Hans serra le poing. Ça n'allait rien lui apporter, rien ! Cette lettre ne venant pas de la Reine Elsa, son père refuserait de lui rendre sa liberté ! C'était le marché ! Il avait accepté de se soumettre à la rédaction d'une longue lettre d'excuses, il avait trouvé le geste terriblement humiliant, mais il l'avait quand même fait, ne serait-ce que pour sortir des écuries… Et tout ça pour quoi ? Pour que Anna lui réponde et lui demande à lui de trouver un mari à sa sœur !

Terriblement déçu, Hans jeta la lettre à travers la pièce et s'effondra dans son fauteuil. Il plaqua ses mains sur son visage et se mit à sangloter bruyamment. C'était trop, trop ! Il n'en pouvait plus ! Après des années de maltraitance à cause de ses douze frères, il avait enfin l'opportunité de partir de ces îles, loin vers le nord, et d'y rencontrer une femme qui deviendrait son épouse, mais non, il avait fallu qu'il fasse tout foirer !

À la seconde où il avait compris qu'Elsa ne reviendrait pas et que sa colère avait terrifié son peuple, il avait commencé à échafauder un plan machiavélique. Et Elsa l'y avait aidé, sans même le savoir !

— Oh, que je regrette ! gémit le jeune homme. Que je regrette ce que j'ai fait ! Elsa, je t'en conjure, pardonne-moi !

Il s'écroula sur son bureau, la tête dans les bras, se remit à pleurer. Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait pleuré comme ça, incapable de contenir ses émotions et ses larmes.

Le corps secoué de violents sanglots, il n'entendit pas sa mère, la Reine des Îles du Sud, traverser la pièce. Quand elle s'assit sur l'accoudoir du fauteuil et qu'elle l'attira contre elle, il sentit quelque chose se briser dans sa poitrine et il entoura la taille de sa mère de ses bras en enfouissant son visage dans les soies de sa robe.

La Reine Mia regarda alors son époux, debout à l'entrée de la pièce. Leur dernier fils avait vingt-cinq ans et depuis trois mois, il vivait les pires moments de sa vie, car à côté de toute la douleur qu'il éprouvait à l'instant, les moqueries et les coups de ses frères n'étaient rien…

Le Roi des Îles du Sud tourna soudain les talons et descendit au rez-de-chaussée du grand château taillé dans la pierre blanche de son île principale. Il prit encore un escalier et se retrouva dans la cours. Là, il se rendit derrière les écuries, dans un vaste champ encombré de nichoirs et d'oiseaux qui volaient dans tous les sens.

— Fauconnier ! appela-t-il. Fauconnier !

Un grand échalas tout sec sortit d'une cabane en rondins en affichant un air interrogateur.

— Majesté, que se passe-t-il ? demanda-t-il.

Il tenait son bras gauche derrière son dos afin de ne pas inciter ses oiseaux à venir se poser sur son épais gant de cuir.

— Je veux que tu envoies immédiatement, avec ton oiseau le plus rapide, un message à la Reine Elsa d'Arendelle, dit le Roi.
— Bien, Majesté. Que dit le message ?
— Que le Prince Hans est en chemin pour Arendelle et qu'elle est invitée à le recevoir avec les honneurs dus à son rang.

Le Fauconnier plissa le nez. Le Roi pinça la bouche.

— Je sais, grogna-t-il. Elle ne le fera pas, il n'aura même pas le droit de jeter l'ancre dans le fjord. Mais mon fils, mon dernier fils, est en train de pleurer toutes les larmes de son corps dans les bras de sa mère, là-haut, et cette mascarade a assez duré !

Le Fauconnier se garda de commenter. À la place, il fit plutôt une suggestion.

— Majesté, puis-je vous suggérer d'envoyer ce message urgent à la Princesse Anna, plutôt ?

Le Roi fronça les sourcils.

— Pourquoi ?
— Eh bien… La réputation de la Reine des Neiges n'est plus à faire, même ici, si bas dans le sud, alors…

Un silence s'installa puis le Roi tourna les talons en grognant. Le Fauconnier prit cela pour un accord et s'empressa d'aller chercher du papier et une plume pour rédiger une brève lettre à l'attention d'Anna d'Arendelle.