Chapitre 5

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Laisser la lettre de côté fut facile mais Anna eut du mal à ne pas sursauter à chaque fois qu'elle entendait la cloche d'un navire entrant dans le fjord...

Ce matin-là ne fut pas exception et lorsque qu'une cloche retentit, Anna s'assit brutalement dans son lit et Kristoff sursauta. Il manqua tomber sur lit et se redressa, ensommeillé.

— C'est encore un bateau... marmonna-t-il.
— C'est lui, dit Anna en quittant le lit.
— Lui ? Qui... ?

Un ronflement sonore monta du lit la seconde suivante et Anna regarda Kristoff puis déglutit et s'enroula dans sa robe de chambre. Elle descendit et sortit sur le perron de sa maison qui donnait sur le fjord, comme toutes les maisons d'Arendelle.

Il y avait une douzaine de gros navires marchands qui y avaient jeté l'ancre car trop gros pour s'amarrer aux pontons du port, et le seul qui bougeait était un vaisseau plus petit, un navire de croisière. Ses voiles étaient grises ornées de traits jaunes, et son pavillon n'indiquait rien à Anna. Mais elle avait un étrange pressentiment et en général, elle se trompait rarement.

Remontant à l'étage, la jeune femme fit une toilette rapide, enfila sa robe de la veille et tressa ses cheveux roux. Elle observa sa mèche blanche dans le miroir et pinça la bouche. Malgré les soins d'Elsa, cette mèche était restée, elle n'avait pas voulu partir. C'était un souvenir plutôt douloureux et Kristoff lui avait proposé de la couper ou de la faire teindre à plusieurs reprises mains la jeune princesse avait toujours refusé.

Les mains tremblantes, le cœur ébranlé, Anna quitta la maison en s'enroulant dans une cape. Elle remonta le capuchon de laine et traversa la ville encore endormie. Seuls les ouvriers du port étaient déjà levés à cette heure car c'était l'heure minimale pour l'entrée des bateaux dans le fjord. La nuit, les navires devaient attendre dans la passe que l'aube se lève et qu'un Pilote vienne pour les escorter et éviter les écueils mortels des rivages du moere.

— Eh, vous êtes bien levée tôt, M'dame Anna !

Anna regarda le Pêcheur sur son bateau, en bas du quai de pierre. Elle lui sourit doucement et regarda ensuite au loin.

— J'attends quelqu'un, dit-elle. J'ai reçu un courrier la semaine passée pour me dire qu'il était en route pour Arendelle et je crois que c'est son bateau.
— Quoi ? Celui-là ? dit le Pêcheur en regardant le navire qui approchait de la passe. Ce caboteur est au Prince Marchand Morus, M'dame Anna ! C'est une coquille de noix d'une trentaine de personnes ! Vous attendez qui, un Prince ?

Anna retint ce qu'elle allait dire et secoua la tête.

— Non, non, juste un ami, répondit-elle. Il est tout à fait possible qu'il soit sur ce vaisseau, où va-t-il jeter l'ancre ?
— Si le Chambellan l'autorise, il va mouiller là-bas, vers le quartier marchand, répondit le Pêcheur en indiquant une partie du port qui grouillait de monde du matin au soir.

Anna hocha la tête. Elle remercia l'homme puis tourna les talons et prit la direction du Quartier Marchand.

Le Chambellan dont le Pêcheur avait parlé était celui dirigeait ce quartier. Il était lié à Elsa et lui faisait des rapports journaliers qu'elle ne prenait même pas le temps de lire en entier. Elle se contentait de survoler la liste des vaisseaux et de leurs marchandises puis elle apposait son sceau et le rapport était rangé dans un coin.

Le vaisseau qui venait d'entrer dans le fjord avait été stoppé par le Pilote à une centaine de mètres du port. Il avait jeté l'ancre, mais sans la permission d'Elsa, personne à bord n'aurait l'autorisation d'en descendre.

Sachant que sa sœur dormait sans doute encore profondément, Anna traversa le quartier et demanda à ce qu'on lui indique le Pilote qui avait escorté le nouveau venu. Les gens la dirigèrent vers un homme de haute stature qui était en train d'amarrer son petit bateau au quai.

— Excusez-moi, dit la jeune femme. Monsieur, c'est vous le pilote qui avez escorté ce bateau ?
— Ouais, M'dame, c'est moi, pourquoi ? Oh, mais z'êtes la petite Princesse ! Pardon, M'dame Anna, je ne vous avais pas reconnue sous votre capuche. Vous voulez savoir quoi ?
— Vous avez la liste des passagers ?
— Bien sûr. Voulez la voir ?
— Si ce n'est pas interdit... ?

L'homme haussa les épaules.

— Pourquoi ça le serait ? demanda-t-il en fouillant dans un coffre en bois à ses pieds. Je dois la donner au Chambellan qui va l'envoyer au château, dans deux heures ces gens seront sur le quai, alors... Tenez.

Anna prit la feuille de papier que lui tendait l'homme et la survola rapidement. Elle cherchait le nom de Hans, au moins, se doutant que s'il était à bord de cette coquille de noix, il n'allait sûrement pas se donner du Prince, mais elle ne trouva rien. L'un des noms attira cependant son attention et elle fronça les sourcils.

— Celui-là, dit-elle. Ans Dusud, vous pouvez me le décrire ?

Le Pilote haussa un sourcil. Les gens comme lui avaient en général très bonne mémoire. Ils étaient capables de réciter toutes les caractéristiques des bateaux qu'ils faisaient entrer dans le fjord, le contenu de leurs cales et le nombre de personnes à bord.

— Ben, je ne me souviens pas, en fait, répondit le Pilote après quelques secondes. C'est le capitaine qui m'a récité les noms, je n'ai pas vu tout le monde. Vous le connaissez ?
— C'est possible... Quand le rapport à la Reine sera envoyé ?
— Dans quelques minutes, répondit l'homme. Mais vous pourriez le lui amener vous-même, sinon... Après tout, vous êtes sa sœur...

Le pilote s'esclaffa et Anna pinça la bouche. Elle regarda la liste dans sa main et soupira. Elle la rendit à l'homme en secouant la tête et décida de retourner chez elle. Elsa ne se levait jamais avant huit heures, parfois plus, et à ce moment seulement les papiers à signer affluaient autour de son petit-déjeuner. Ils repartaient dès qu'ils étaient signés, chacun par un coursier personnel, et l'autorisation de débarquer pour le nouveau vaisseau arriverait bien assez tôt...