— Je suis sûr qu'on peut trouver un compromis.
— Non, Kristoff, je suis désolée, on ne peut pas.
Je t'aime, Anna...
— Moi aussi je t'aime, mais je ne suis pas amoureuse, je le pensais, mais non et je déteste l'idée de te faire souffrir plus longtemps.

Anna secoua la tête. Sa discussion avec Kristoff avait été cordiale, voire même un peu trop calme. Elle aurait aimé qu'il s'énerve un peu, qu'il hausse le ton, mais non, il était resté calme, comme si la discussion était normale et cela l'avait grandement perturbée. Elle le serait sans doute beaucoup moins s'ils s'étaient disputés...

Rabattant ses couvertures, la jeune Princesse s'assit au bord de son lit et regarda les murs roses et les tentures pâles de son ancienne chambre au palais. Afin de faire le point sur cette décision si lourde à prendre, elle avait réintégré le palais et si Elsa n'était pas du tout ravie de la revoir, car cela signifiait que son mariage allait prendre du plomb dans l'aile et laisser à Hans une possibilité de revenir dans sa vie, elle n'avait pas le choix.

Ce matin-là, Anna erra dans le palais une bonne partie de la matinée après avoir fait des ablutions rapides et s'être habillée. Elle n'avait pas pris de petit-déjeuner, n'ayant pas faim, et avait refusé d'aller saluer sa sœur, comme tous les matins.
Elsa n'avait pas trop apprécié, mais elle avait d'autres soucis en tête, notamment le fait que dans les bois de son propre royaume se cachaient, non seulement un traitre, mais aussi un magicien aussi puissant qu'elle, sinon plus. Et elle n'en avait pas encore parlé avec Anna, avec ça !

Assise dans un fauteuil du salon, Elsa soupira. Les pieds sur le rebord de la cheminée, elle était pensive. Sebastian l'intriguait, elle était obligée de le reconnaître. Non seulement il était le premier magicien comme elle qu'elle rencontrait, mais en plus, il s'était permis de la juger sans tenir compte du fait qu'elle était la Reine du royaume où il se trouvait et qu'elle pouvait le faire emprisonner d'un simple geste. Pis encore, il l'avait attaquée !

— Garde.

La porte s'ouvrit aussitôt et un homme approcha.

— Qu'y a-t-il, Altesse ?
— Trouvez-moi Anna, vous voulez ? Et ramenez-la ici, je dois lui parler. Et si elle ne veut pas, vous avez le droit de l'amener de force.
— Elle ne va pas apprécier, Altesse...

Elsa ne répondit rien. L'homme inclina la tête et tourna les talons. Comme prévu, il eut toutes les peines du monde, d'une à trouver la jeune Princesse, et de deux à la convaincre d'aller voir sa sœur. Comme elle se débattait, il obéit à sa Reine et attrapa Anna par la taille pour la jeter sur son épaule.

— Vous allez mettre du temps à vous faire pardonner ça, Emile ! siffla-t-elle en lui donnant un coup de poing dans le dos.
— Je sais, Majesté...

Le garde emmena alors la jeune femme jusqu'à Elsa, sous les regards à la fois surpris et amusés des domestiques qu'ils croisèrent. Anna leur tira la langue à tous, dans une attitude parfaitement mature, puis décida de bouder, les bras croisés.

Elsa ne releva pas la manière dont le garde avait trimballé sa sœur, mais elle le remercia quand il quitta le salon après l'avoir déposée sur le tapis.

— Bien, à présent que tu es là, j'ai à te parler, dit alors la jeune Reine.
— Si c'est de mon mariage, oublie !
— Eh bien non... Mais si tu veux, nous pouvons en parler et...
— Non ! coupa Anna en levant les mains. C'est mon mariage, pas le tien, c'est à moi de régler les choses. D'ailleurs, tu n'es même pas mariée, comment saurais-tu quoi me dire...

Elsa serra les lèvres. La pique lui avait frappé droit dans le cœur. Elle grimaça puis soupira et fit signe à Anna de s'asseoir dans l'un des fauteuils.

— Je veux te parler des deux vagabonds que tu as ramenés des Îles du Nord, dit-elle alors.
— Des... vagabonds ? De quoi tu parles, je n'ai ramené personne de...
— Si... Hans et Sebastian, cela ne te dis rien ?

Anna devint soudain blême et ses ongles s'enfoncèrent dans le velours des bras du fauteuil.

— Je... Je peux tout t'expliquer, Elsa, dit-elle aussitôt. Mais dis-moi juste comment tu les as découverts, je leur avais dit de rester chez Oaken et...
— Ce qu'ils ont fait, répondit Elsa. Cependant, j'ai été prise d'un étrange doute quand tu es revenue et je suis allée parler au capitaine de mon navire. Il a nié tout en bloc, et j'ai quitté la Capitainerie, mais je suis restée cachée dans l'ombre de la porte et ce gros malin a tout raconté à son vieux père. Quand il a dit avoir des choses à faire dans les bois, j'ai décidé de le suivre.
— Oh, Elsa...
— Tu me feras la morale quand j'en aurai terminé avec toi, lâcha la blonde. J'ai donc décidé de le suivre, reprit-elle ensuite. Je l'ai vite rattrapé malgré le fait qu'il soit à cheval, et là, j'ai vu la boutique de Oaken et devine qui est venu ouvrir au capitaine ? Hans en personne ! Je te jures, Anna, j'ai cru exploser en le voyant !

Anna baissa le menton, penaude. Elsa lui raconta ensuite comme elle avait perdu son sang-froid face à Hans et tenté de l'étouffer avec sa magie, malgré les supplications du capitaine.

— C'est à ce moment-là que ce magicien a décidé d'intervenir... en me balançant une rafale de vent qui m'a propulsée dans la neige à dix mètres de là !
— Oh, Sebastian...
— Ah, parce que tu es de son côté, en plus ? siffla Elsa, surprise. Enfin... Toujours est-il que lorsqu'il a tenu à me montrer qu'il était comme moi, c'est à dire un magicien, il a modelé un bonhomme de neige...
— Olaf ?
— Non, Friskette, répondit Elsa en plissant les lèvres. Peu après, je me suis évanouie...

Anna resta silencieuse. Elle ne savait pas trop quoi dire. Elsa acheva son récit avec son réveil et les quelques mots échangés avec Sebastian avant qu'elle ne rentre directement au palais, meurtrie et contrariée.

— Je suis vraiment désolée que les choses se soient passées ainsi, Elsa, dit alors la rouquine. Je n'avais pas du tout prévu que tu sois aussi soupçonneuse envers moi. J'avais laissé Hans et Sebastian exprès dans la crique pour que Sebastian puisse t'observer de loin et se faire sa propre idée sur ta personne et pas au travers de mes paroles.
— Que lui as-tu dit sur moi ? Il avait l'air d'en savoir beaucoup.
— Rien qui ne mette ta dignité en cause, mais je lui ai raconté comment, après m'avoir blessée accidentellement avec tes pouvoirs quand nous étions enfants, tu t'es toi-même isolée dans ta chambre, terrifiée par tes pouvoirs...

Elsa pinça la bouche sans répondre. Elle regarda le feu puis souffla par le nez.

— Fais-les venir, annonça-t-elle en se levant.
— "Les" ? Hans aussi ?
— Lui aussi, oui. Je dois lui parler.

Anna avala sa salive.

— Tu...
— Je rien, Anna, répondit Elsa un peu durement, les sourcils froncés. Tout prince qu'il soit, je ne cautionnerai jamais votre mariage, s'il a lieu un jour, et vous ne vivrez pas au palais. Et si un jour avez des enfants, ils seront exclus du cycle de règne.
— Elsa ! Nous sommes de sang royal !
— Il y a un manoir à la sortie de la ville qui vous ira très bien, rétorqua le Reine en tournant les talons. Il appartient à notre famille depuis des années et il n'a jamais vraiment été habité. Vous y serez très bien, loin de moi.

Anna se mordit les lèvres et cligna des paupières pour chasser les larmes brûlantes qui lui venaient. Elsa quitta alors le salon en laissant une trainée givrée sur le tapis vert, et quand la porte se referma sourdement, Anna plaqua ses mains contre sa bouche et laissa échapper un bruyant sanglot.