Après avoir discuté pendant des heures avec Elsa, celle-ci accepta finalement de reconnaître que quelques leçons de Sebastian ne lui feraient pas de mal, encore moins que de passer quelques jours dans son palais de glace, loin des problèmes royaux.
— Mon Chambellan t'apportera tous les papiers requérant ma signature chaque matin pendant le petit-déjeuner. Tu devras bien imiter ma signature, mon départ n'est pas officiel, personne ne doit savoir qu'il y a un autre magicien en ville.
Anna hocha la tête et observa les documents posés sur le bureau de sa sœur. Elle avait passé toute la matinée avec elle à la suivre partout et jusqu'à maintenant elle ne s'était jamais rendu compte à quel point être reine était une occupation chronophage.
— N'oublie pas, officiellement je ne suis pas partie, tu...
— Oui, Elsa, je sais. De toute manière, Hans sera là pour l'aider.
— Je ne veux pas qu'il s'installe au château...
Anna serra les lèvres. Elle avait déjà octroyé une chambre à son ami non loin de la sienne, et il viendrait s'y installer des que la reine aura quitté le château.
— Je suis sûre que j'oublie quelque chose...
— Non, tu n'as rien oublié, alors maintenant, va rassembler des affaires et laisse-moi gérer le royaume aussi longtemps que nécessaire.
— Tu es sûre ? Après tout, tu viens de te séparer de ton mari et...
— Et nous ne comptons pas nous remettre ensemble, si c'est ce que tu allais dire.
Elsa serra les lèvres. Elle repoussait son départ autant qu'elle le pouvait en cherchant toute les excuses possibles, mais sa sœur n'était pas dupeb et Anna eut tôt fait de la chasser dans ses appartements, impitoyable.
.
Le départ d'Elsa et Sebastian se fit de nuit et à pied, afin de leur garantir la tranquillité. Ils parvinrent au château de glace au petit matin et Elsa installa une chambre au-dessus de la sienne pour le jeune homme avant de décider de ne plus être présente de la journée.
Abandonné, Sebastian en profita pour visiter le château, même s'il l'avait déjà fait quelques jours plus tôt, et une fois de retour dans sa chambre, il entreprit de préparer un programme pour entraîner Elsa à contrôler ses émotions. Cependant, il réalisa rapidement que si la jeune femme avait cédé pour le suivre, ou plutôt pour l'emmener avec elle, elle n'avait aucunement l'intention de lui faciliter la tâche...
.
Un mois plus tard.
Accoudé au balcon de glace de sa chambre, Sebastian observait le paysage. Si haut dans les montagne, la neige était présente toute l'année, mais cela ne le dérangeait pas. Entendant rire, le jeune homme baissa les yeux et trouva Olaf et Friskette en train de jouer dans la neige comme deux gamins, surveillés par le gardien du palais.
Avec un soupir, Sebastian retourna dans sa chambre et l'observa. Un mois plus tôt, il était arrivé avec Elsa ici, trois jours après son arrivée à Arendelle et ses présentations – musclées – avec la jeune Reine. Depuis, elle et lui vivaient en reclus, et apparemment, cela ne dérangeait pas la jeune femme qui, si elle n'avait cessé de s'inquiéter pour son royaume pendant les premiers jours, n'en parlait plus du tout à présent.
— Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas, parce qu'elle ne fait aucun effort, mais au moins, elle arrête de me bassiner avec ce fichu royaume et sa petite sœur...
— Mon fichu royaume est la seule chose qu'il me reste dans ce monde, Sebastian, résonna soudain une voix. Je te prierais de ne pas en parler ainsi.
Sebastian leva les yeux au ciel et soupira.
— Et frapper aux portes, tu sais faire ? répliqua-t-il.
Elsa serra les mâchoires et lui jeta un regard aigu. Elle se reprit rapidement et releva le menton.
— Je suis venu te dire que le repas était prêt, dit-elle.
— Je viens.
Sans un mot de plus, Elsa tourna les talons et quitta la chambre du jeune homme. À la surprise de celui-ci, il avait découvert que la grande Reine d'Arendelle était loin d'être une empotée comme toutes les princesses royales. Elle savait coudre, repriser et surtout, cuisiner. Il savait aussi, il avait été obligé d'apprendre, mais il ne se serait jamais imaginé qu'une jeune femme aussi précieuse qu'Elsa d'Arendelle saurait faire la cuisine, surtout pas avec une armée de serviteurs pour répondre à ses moindres désirs.
Décidant de ne pas la faire attendre, il la rejoignit dans la salle à manger du château de glace. Friskette et Olaf apparurent quelques instants plus tard en rigolant et se turent instantanément en entrant dans la pièce.
— Excuse-moi pour ce que tu as entendu tout à l'heure, dit alors Sebastian en s'asseyant à la longe table de glace.
— Il n'y a rien à excuser, tu as raison, je ne fais aucun effort pour... eh bien, pour t'aider à m'aider.
Elsa haussa les épaules. Elle portait un manteau en soie bleue avec de la fourrure d'hermine autour du col et son diadème posé sur ses cheveux blondes scintillait comme des diamants.
— Cela fait un mois, Elsa, dit alors Sebastian en se servant la soupe devant lui, sur un geste de la main de la jeune femme. Pourquoi ne fais-tu aucun effort ? Je pensais que nous avions un accord.
— Nous en avons un, admit Elsa. Mais pendant toute ma vie, j'ai vécu recluse avec la terreur de blesser quelqu'un en usant de mes pouvoirs. Tu ne peux pas me demander de les laisser sortir sans que je n'aie quelque appréhension.
— Ce n'est plus de l'appréhension, c'est de la couardise.
— Oh, oh, souffla Olaf.
Sebastian ferma les yeux quand sa soupe gela instantanément dans son assiette. Il soupira en regardant Elsa.
— Tu vois ? dit-il sans se démonter. Tu es trop prompte à réagir au moindre mot de travers. Tu as peur, tu as érigé une carapace autour de toi et tu refuses que quiconque la raye.
Elsa pinça les lèvres et détourna la tête. La soupe dégela et se remit à fumer. Sebastian souffla par le nez. Il se leva alors, longea la table et tendit la main à la jeune reine.
— C'est l'heure de dîner, dit-elle. Que veux-tu ?
— Que tu viennes avec moi.
— Quoi faire ?
Sebastian baissa le nez et ramena sa main. Il opina et retourna à sa place. Elsa saisit immédiatement qu'elle avait fait une erreur. Elle se servit de la soupe et le dîner se déroula dans un silence pesant.
Quand Sebastian quitta la table après un dessert glacé, Olaf le suivit. Friskette demeura à table et grignota un glaçon pensivement avant de regarder Elsa.
— Majesté, pourquoi es-tu aussi hautaine avec Bash ? demanda-t-elle. Que lui reproches-tu ?
— Rien, Friskette.
— Alors pourquoi rester ici ? Si tu ne veux pas de son aide, dis-le-lui clairement et ne le laisse pas espérer plus longtemps.
— Espérer quoi, Friskette ? Ce n'est pas parce qu'il est... Parce que nous sommes de la même race que nous devons envisager un avenir ensemble.
— Je n'ai pas dit cela, Majesté, mais la princesse Anna a bravé tes ordres pour le ramener ici, elle a pensé que tu avais besoin d'un ami comme toi, quelqu'un qui te comprendrait, qui aurait autant souffert que toi, mais je crois qu'elle s'est trompée. Tu n'as besoin de personne, tu ne veux personne, en fait, tu te complais dans ta solitude et...
Elsa détourna la tête.
— Tu parles trop, dit-elle.
— Je parle à la place de Sebastian, à la place d'Anna, à la place de Hans... À la place de tes parents, répondit le petit bonhomme de neige.
À la mention de ses parents, Elsa se crispa et de la glace se forma sur la table à l'endroit où elle avait sa main. Friskette se laissa alors tomber sur le sol et s'approcha d'Elsa. Elle se hissa sur ses genoux et s'assit au bord de la table.
— Tu es aussi froide que la glace, Elsa d'Arendelle, dit-elle en lui touchant le visage du bout de son bâton de bras. Ton cœur est gelé, ton âme est gelée. Tu auras beau dire et faire, ce ne sera jamais qu'une façade.
Elsa ferma les yeux et une larme glissa sur sa joue. Friskette retira sa main et pivota. Elle sauta sur le sol et Elsa fronça les sourcils en sentant la magie de Sebastian s'approcher. Quand il lui prit la main, elle plaqua son autre main sur son visage.
— Je sais, Elsa, dit-il en la faisant lever. Je sais ce qui est arrivé à Anna quand vous étiez petites. Je sais que tu t'es cloîtrée pour te punir d'être comme ça et d'avoir blessé ta sœur. Mais aujourd'hui, ce n'est plus nécessaire et je croyais que tu l'avais compris.
Elsa avala sa salive et renifla. Elle se tourna alors face à Sebastian et plongea son regard dans ses prunelles bleues glacier.
— Qu'est-ce qui va se passer si... commença-t-elle. Si je deviens ce que je suis censée être ?
— Rien, répondit le jeune homme. Il ne se passera rien, car tu es déjà toi, tu ne l'as juste pas encore accepté. Tu repousses l'idée-même de ne pas être humaine et quand tu l'auras accepté, tout ira beaucoup mieux.
— Mes pouvoirs vont-ils changer ?
— Non. Cependant, peut-être que tu n'auras plus besoin de ce château...
Elsa fronça les sourcils.
— Tu as dit qu'il était mon catalyseur...
— Il l'est, oui, mais il a été construit avec la colère, avec toute la frustration que tu as emmagasinée pendant quinze ans. Tu devras le détruire pour te libérer de ton passé.
Elsa regarda le palais de glace autour d'eux et passa sa langue sur ses lèvres.
— Pourquoi ne m'as-tu pas dit cela il y a un mois ? demanda-t-elle.
— Je l'ai fait, mais tu n'étais pas prêtre à l'entendre. Honnêtement, je n'ai aucune idée de la manière dont tu dois t'y prendre pour embrasser ta vraie nature, mais je pense que tu as trop de barrières qui t'empêchent d'avancer.
— Et quelles sont-elles, selon toi ?
— Ta couronne, pour commencer. Ta sœur ensuite, tes souvenirs, ta rancœur contre Hans, ta tristesse pour Kristof...
Secouant la tête, Elsa passa ses mains sur ses joues et soupira.
— Je peux sans doute cesser de m'inquiéter pour Anna, d'être amère envers Hans, de m'apitoyer sur le sort de Kristof, mais je ne peux pas renoncer à ma couronne. Tu as sans doute réussi à abandonner ton héritage, mais moi je suis déjà reine et je ne laisserai ce trône pour rien au monde. Si je dois devenir une Magiker, alors soit, mais tu ne me feras pas descendre de mon trône. Surtout pas pour qu'il revienne entre les mains de Hans des Mers du Sud.
Sebastian esquissa un sourire. Il opina et souhaita ensuite une bonne nuit à la jeune femme. Elsa se retrouva seule dans la salle à manger et se mordit la lèvre. Olaf apparut alors en sortant de sous la table et la jeune femme s'agenouilla sur le tapis près de lui.
— Je dois faire quoi, Olaf ? demanda-t-elle.
— Je ne sais pas, répondit-il. Mais Bash a raison, tu te punis toute seule sans même le savoir... Comme disent les humains, tu dois lâcher prise.
Elsa eut un rictus et secoua la tête avec un soupir.
— Friskette t'a-t-elle parlé de son maître ? demanda-t-elle alors.
— Un petit peu, mais pas beaucoup, tout ce qu'elle m'a appris, c'est ce que tu sais déjà. La seule chose qui pourrait t'intéresser, c'est qu'il pense que votre peuple se trouve au-delà du brouillard de l'ouest.
Elsa fronça les sourcils. Le "brouillard de l'ouest" était une limite interdite pour les pêcheurs du fjord. Personne ne savait ce qu'il y avait au-delà et ceux qui y étaient allés n'en étaient jamais revenus. Par contre, il existait des histoires sur des gens qui disaient en venir, des gens étranges, souvent blonds aux yeux bleus qui ne craignaient pas le froid...
— Des Magikers, souffla Elsa. Olaf, il y a des Magikers à Arendelle... !
— Pardon ? Mais comment ça ?
— Ou pour le moins, il y en a eu, corrigea Elsa en secouant la tête. Il y a une histoire que mon père me lisait quand j'étais petite, elle parlait d'étrangers qui seraient un jour venus de l'ouest, à bord d'un bateau fait de verre, scintillant comme du diamant. Des étrangers blonds... aux yeux bleus.
Olaf haussa les sourcils et regarda Elsa. Blonde aux yeux bleus. Sebastian ? Blond aux yeux bleus...
— Connais-tu d'autres personnes blondes aux yeux bleus ? demanda-t-il alors.
— Non, et cela ne veut pas dire qu'ils soient des magiciens, répondit Elsa en plissant les sourcils.
— Non, mais c'est une piste... Par contre, j'ai déjà vu des tableaux de tes parents, Elsa, et ils ne sont pas blonds aux yeux bleus...
Elsa sentit le sang se retirer de son visage. Quelque chose venait de faire un déclic dans son esprit. Elle se releva brusquement et quitta la salle à manger à grandes enjambées.
— Sebastian ! appela-t-elle. Sebastian !
Elle gravit les marches jusqu'à la chambre du jeune homme et entra sans frapper. Il sursauta, assis au bord de son lit, et la jeune femme se jeta sur lui.
— Ta mère, Sebastian, est-elle blonde aux yeux bleus ?
Sebastian resta interdit une seconde avant de secouer la tête.
— Et ton père ?
— Aucune idée, je ne l'ai jamais connu... Qu'est-ce qui t'arrive tout d'un coup ?
— Il m'arrive que si j'avais été moins bornée j'aurais su immédiatement que je n'étais pas humaine ! répliqua la jeune femme.
Elle s'éloigna et balaya la chambre du bras. Une série de pointes de glace jaillirent du sol. Sebastian plissa le nez et les chassa d'un geste de la main. Elsa le regarda avec surprise avant de se reprendre.
— Mes parents ne sont pas blonds, dit-elle alors. Ils sont roux !
Sebastian la regarda sans comprendre. Elle se jeta sur lui et le saisit par les épaules.
— Tu ne comprends donc pas ? demanda-t-elle.
— Non, je suis complètement largué...
— Je ne suis pas...
Elsa se tut alors et se redressa lentement. Elle recula de plusieurs pas, soudain pâle. Elle regarda ses mains, leva les yeux et prit sa couronne. Soudain, elle la lâcha sur le sol et l'objet doré tomba en tintant avant de se briser.
— Elsa... ? souffla Sebastian.
La jeune femme le regarda alors et soudain, se plia en deux en portant ses mains à son ventre. Elle laissa échapper une exclamation de douleur et recula d'un pas. Sa main droite rencontra le dossier d'une chaise, elle s'y agrippa et haleta.
— Elsa, qu'est-ce que tu as ?
— N'approche pas, répondit la jeune femme. Je viens de comprendre... Je ne suis pas la fille du roi et de la reine d'Arendelle, je ne suis pas la sœur d'Anna, je... Ah !
La jeune femme se plia de nouveau en deux. Tout à coup, le château se mit à trembler. Sebastian regarda autour de lui d'un air inquiet et tendit les mains.
— Arrête ! dit-il. Quoi que tu fasses, arrête, tu vas tous nous tuer !
Elsa le regarda, le visage ravagé de larmes. Sa main gauche serrée sur son ventre, elle fut prise d'une nouvelle douleur et elle tomba sur un genou. Une large fissure partit à l'assaut du mur derrière elle. Le tremblement s'accentua et Sebastian ordonna à Friskette et Olaf de partir. Ils ne se firent pas prier et sautèrent par le balcon.
Récupérant son bâton, Sebastian le planta dans le sol et un dôme se forma alors autour de lui. Il l'étendit jusqu'à Elsa en s'approchant d'elle, mais elle le repoussa vivement.
— Je ne suis personne ! s'exclama-t-elle alors. Je ne suis rien ! Je ne suis pas Elsa d'Arendelle !
Le tremblement redoubla et le lustre de la pièce se décrocha et se fracassa sur le dôme magique de Sebastian qui bondit.
— Arrête ! s'exclama-t-il. Tu es Elsa d'Arendelle, tu n'es pas personne !
— Je ne suis pas... Elsa... d'Arendelle !
En proie à une totale perte de contrôle d'elle-même et de ses pouvoirs, Elsa hurla en tombant les genoux. Elle plaqua ses mains sur le sol et des fissures en partirent. Sebastian recula, son bâton à la main.
— Elsa, par pitié... !
Mais la jeune femme, ravagée par ce qu'elle venait de comprendre, ne l'écoutait plus. Quand elle le regarda, cependant, il sentit la peur lui saisir les entrailles. Le regard de la jeune reine avait changé, il luisait d'une lueur étrange et magnifique en même temps, et sous ses yeux, des crevasses bleues s'étaient dessinées jusque sur ses joues.
— Elsa, par pitié, arrête ! Tu vas nous tuer tous les deux...
La peur au ventre, Sebastian n'avait qu'une envie, fuir, mais il ne pouvait pas abandonner la jeune femme ici, sa sœur ne le lui pardonnerait jamais. Soudain, il y eut comme une explosion et Sebastian vit avec horreur le sol de sa chambre se diviser en millions de morceaux. Il poussa un hurlement de terreur en sentant la glace se dérober sous ses pieds, et ce fut le trou noir...
