— Bonjour !
— Bonjour, quel enthousiasme, à quoi est-ce dû ?
Elsa entra dans la salle à manger et s'assit à la table presque en virevoltant. Elle décocha un sourire à Sebastian, déjà devant son petit-déjeuner, et se pencha en lui tendant la main droite, paume vers le haut. Lorsqu'un petit bonhomme de neige inanimé de la taille de la salière se forma, le jeune homme regarda Elsa et sourit.
— Tu vois, ta magie n'est pas perdue ! dit-il en lui prenant les mains.
— Non, elle ne l'est pas, mais je n'ai jamais été aussi faible de ma vie... Quand je suis malade, ma magie déraille et je fais n'importe quoi, mais je n'avais jamais perdu mes pouvoirs, jamais !
— Ne t'en fais pas, il y a une semaine, tu n'étais même pas capable de faire apparaître un flocon et voilà que tu as reformé un Olaf de dix centimètres de haut. C'est une très grande avancée.
— Je suis loin de pouvoir reconstruire mon château et je doute d'y arriver un jour...
Sebastian baissa le nez. Il lui lâcha les mains puis récupéra dans l'une des poches de sa veste, une boîte en bois qu'il lui tendit. La jeune femme eut aussitôt un mouvement de recul et il rigola.
— Ne t'en fais pas, il n'y a aucun risque que je te demande en mariage ! s'esclaffa-t-il.
Elsa rentra le menton, surprise, puis observa la boîte et quand le jeune homme la posa sur la table et l'ouvrit, elle découvrit un cristal rose en forme de flocon.
— C'est le flocon que tu as récupéré sur les ruines de mon château ? demanda-t-elle en le prenant. Il n'a pas fondu ?
— Il s'est cristallisé, répondit Bash. Tout comme mon cristal était un morceau de marbre au départ, quand je l'ai infusé de toute ma colère, il est devenu ainsi.
Elsa observa le cristal violet enchâssé dans le bâton puis reporta son attention sur le flocon. Elle le prit et l'observa à la lumière un moment avant de le reposer.
— Je n'ai aucune magie pour l'infuser, dit-elle dans un soupir. Je ne suis ni en colère, ni triste, ni rien du tout...
— Pas même un peu d'amertume après ta sœur qui t'a évincée du trône ?
— C'est pour mon bien Sebastian, tu l'as dit toi-même. Et elle a eu raison, je ne suis absolument pas en état de gouverner et je ne le serais pas avant des semaines, sinon des mois...
— Et à propos de Hans ?
Le regard bleu Elsa se durcit aussitôt et Sebastian esquissa un sourire. La jeune femme rougit et détourna la tête, le nez en l'air.
— Je suis rassuré ! s'amusa Sebastian. Tu es toujours la même qu'avant ! Tu es juste plus faible et tu expérimentes enfin la vie de ceux qui n'ont pas de pouvoirs.
— Laisse-moi te dire que c'est une vie bien morne... grimaça la jeune femme.
Sebastian se mit à rire puis Elsa s'installa en face de lui et entreprit de prendre son petit déjeuner en demandant ce qu'ils allaient faire aujourd'hui.
— Si tu es décidée, je peux t'enseigner quelques petits tours pour tester tes pouvoirs. Je sais que tu m'a déjà fait une démonstration, mais j'aurais aimé plus complexe, pour voir à quel niveau tu es.
Elsa plissa le nez.
— Je n'ai jamais été à l'école... Je ne sais pas ce que c'est d'apprendre quelque chose étape par étape... Mon percepteur a quitté la maison après la mort de mes parents, il voulait que je sois totalement attentive, mais c'était impossible... Mes pouvoirs ont décuplé après leur disparition, j'avais de plus en plus de peine à les contrôler... Je me souviens que ma chambre était une véritable banquise gelée, tout était recouvert de givre et des flocons virevoltaient...
— Tu n'as pas eu une enfance idéale... souffla Sebastian. Je n'ai pas été choyé non plus, mais j'avais de la chance dans mon malheur, car ma mère continuait de venir me voir contre l'avis de son époux et...
Sebastian haussa les épaules. Elsa esquissa un sourire. Elle lui raconta alors quand, quelques jours après son vingt-et-unième anniversaire, on lui avait annoncé qu'il était temps qu'Arendelle ait un nouveau souverain. Au début, elle avait refusé, puis ils avaient su la convaincre et elle avait passé plusieurs jours à étudier, dans sa chambre, tous les documents que lui donnaient sa gouvernante et le chambellan du palais.
— Le jour de mon couronnement, tout s'est bien passé, tous les délégués des autres royaumes ont répondu présent, mais alors que le bal allait débuter, Anna s'est pointée avec Hans, toute guillerette, pour m'annoncer qu'ils étaient fiancés...
— Depuis quand ?
— À peine quelques minutes et... J'ai dit non. Je lui ai répondu qu'elle ne pouvait pas épouser un homme qu'elle venait de rencontrer. Elle s'est agacée, elle a insisté et là...
Elsa secoua la tête. Bash lui prit la main.
— Tu n'as pas à t'en vouloir, dit-il. C'est le passé maintenant et tu dois penser à l'avenir. Tu es jeune Elsa, tu as toute la vie devant toi, et que tu veuilles ou non des enfants, tu as le droit d'être heureuse, sereine et épanouie.
Elsa se mordit la joue.
— Tant que je ne saurais pas avec certitude qui je suis, je ne pourrais jamais envisager d'avoir une famille. Ce serait prendre le risque de donner naissance à un bébé Magiker sans savoir comment lui expliquer l'histoire quand il commencera à poser des questions...
— C'est un argument recevable et je vais faire de mon mieux pour que tu deviennes la meilleure Magiker du monde !
Elsa rigola. Sebastian la regarda quelques secondes puis baissa les yeux. Il trouvait dommage que cette jeune femme si jolie et si fraîche soit un véritable poison sur jambes. Hautaine, sûre d'elle, elle avait confiance en ses pouvoirs, mais pas en elle. Aujourd'hui dépourvue de sa magie malgré elle, elle était comme elle aurait dû être si elle était née humaine et il savait qu'il allait avoir beaucoup de travail pour lui apprendre à vivre sans être reine, ni même magicienne.
— Je te souhaite de trouver un jour le bonheur, Elsa d'Arendelle, vraiment. Tu le mérites.
— Merci... Je doute qu'un homme normalement constitué puisse un jour être capable d'être à mes côtés, mais l'espoir fait vivre, comme on dit !
— Tu n'as même pas vingt-deux ans, sourit le jeune magicien. Tu as le temps de voir venir, mais suis mon conseil, vis au jour le jour. Ne te projette pas plus d'une semaine en avant sinon tu risques de rapidement être débordée. Surtout en tant que reine.
— J'ai du personnel pour m'aider dans mes tâches, et Arendelle est tout petit, il n'y a pas grand-chose qui s'y passe, tu sais...
— Pour le moment, mais il suffirait qu'un marchand colporte la rumeur que la reine Elsa a été détrônée pour que tu sois submergée par les demandes en mariage...
Elsa se renfrogna.
— Pas plus maintenant qu'avant je ne désire me marier, Bash, répondit-elle. Le mariage est une perte de temps, il m'obligera à faire des sacrifices, notamment de ma propre personne afin d'assurer un héritage au trône, sans compter que je devrais porter de l'attention à mon mari, et avec ma fonction, je n'ai pas le temps de toutes ces futilités.
— Ta sœur était pourtant mariée...
— Ma sœur n'est pas préposée au trône, elle peut se marier avec qui elle veut, avoir ou non des enfants, moi pas. Et en aucun cas je ne me soumettrais à cela simplement pour quelques minutes au cœur de la nuit suivies de neuf mois de galère et vingt ans de problèmes !
La jeune femme quitta alors la table et Sebastian, surpris par ce revirement de situation, demeura coi.
— Qu'est-ce que j'ai bien pu dire qui...
Il secoua la tête sans comprendre puis quitta la salle à manger et annonça qu'il partait se promener en ville. La gouvernante lui répondit avec un sourire en lui disant de rentrer pour le déjeuner ou, à défaut, de prévenir, puis le jeune homme quitta la maison, un peu perturbé.
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Sebastian erra un bon moment en ville, indifférent aux regards que lui lançaient les gens. Même s'il avait vécu dans une grotte pendant les treize dernières années, il avait appris à ignorer les regards, à ne pas s'en préoccuper, soigneusement enfermé dans sa bulle mentale.
Cependant, lorsqu'il parvint aux quais, il sembla sortir de sa torpeur et observa l'océan. Il savait que non loin de là, vers le nord, se trouvait une zone dangereuse pour tout navire, même le plus solide, une sorte de brouillard magique d'où aucun bateau ne revenait jamais. Les seuls qui avaient réussi à le traverser étaient devenus une légende et seraient des Magikers qui auraient accosté à Arendelle et sur d'autres territoires disséminés dans cette partie du monde.
Incapables de repartir, ils se seraient mêlés à la foule et auraient procréé avec les femmes et les hommes d'ici, leur donnant des enfants magiques comme Elsa ou lui-même. Mais ce n'était qu'une légende et personne n'avait encore réussi à s'approcher suffisamment du brouillard pour pouvoir prétendre en être revenu sain et sauf avec des réponses.
— Quand Elsa ira mieux, on essaiera d'approcher, souffla le jeune homme. Nous sommes suffisamment résistants pour affronter la magie de nos parents qui broie les navires humains.
— Tu crois ?
Sebastian bondit en serrant ses doigts sur son bâton qui s'illumina un instant et Hans rigola en posant une main sur son épaule.
— Pardon, je ne voulais pas te faire peur ! s'exclama-t-il.
— c'est dangereux de faire sursauter un magicien tu sais ? Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Je suis allé au manoir, mais on m'a dit que tu étais sorti. Je n'ai pas eu trop de mal à me faire indiquer un jeune homme blond avec un bâton dans la main...
Bash grimaça puis soupira.
— Pour en revenir au brouillard, dit alors Hans. Tu crois vraiment que vous pouvez supporter la malédiction qui s'y cache ?
— Malédiction... sourit Sebastian. Il n'y a bien que les humains pour qualifier la magie de chose maléfique, surtout celle des Magikers !
Hans esquissa un sourire. Jusqu'à rencontrer Elsa, il ne croyait pas à la magie, même quand il en avait la preuve sous le nez...
— Anna ne voudra jamais que sa sœur parte seule. Elle a déjà perdu ses parents, elle ne supportera pas de la perdre.
— Et je ne partirai jamais contre la volonté de la régente. Si elle refuse qu'Elsa vienne avec moi, alors je partirai seul.
Hans serra les mâchoires.
— Elsa refusera de te laisser partir seul.
— Tu crois ? répondit Bash avec une grimace. Elle se fiche de mon sort, il n'y a qu'elle qui compte. Elsa est égoïste et tu le sais aussi bien que moi. Ce matin, elle m'a montré qu'elle était de nouveau capable de magie, faiblement, certes, mais à ce rythme dans un mois elle est de retour sur le trône.
— On dirait que cela te contrarie. N'est-ce pas le but de ta présence ? Apprendre à Elsa à contrôler sa magie, à devenir une magicienne à qui personne ne pourra rien reprocher ?
— Si, mais je sais que dès qu'elle sera de retour sur le trône, elle redeviendra comme avant. Elle n'aura rien appris.
Hans plissa le nez. Il proposa ensuite à Sebastian qu'ils aillent boire quelque chose à la taverne et le jeune magicien accepta avec un profond soupir. Ils s'éloignèrent alors sans se douter qu'une servante du manoir était juste à côté d'eux, à laver du linge au bassin..
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— Il a sans doute raison.
— Majesté, vous ne pouvez pas le laisser penser une telle chose de vous. Vous êtes une bonne personne, une bonne reine !
— Je suis une bonne reine, oui, mais pas une bonne personne, Luze, répondit Elsa. Je suis égoïste, je me contrefiche des états d'âme des autres personnes, même ce qu'a vécu ma sœur, son divorce, le retour de Hans dans sa vie... Tout cela m'a laissé indifférente.
— Vous avez pourtant réagi plutôt violemment si mes souvenirs sont bons...
— En tant que reine, oui, pour protéger mon trône, mais en rien en tant que femme. Je me fiche de ce que ma sœur fait avec Hans, du moment qu'il ne brigue pas le trône !
Luze avala sa salive. Elle était rentrée tout de suite après avoir fini sa lessive en espérant que Sebastian ne soit pas rentré avant, mais heureusement, il n'était rien et elle avait pu rapporter la discussion du jeune magicien à Elsa.
— Majesté, peut-être qu'il a dit cela à Hans parce que vous n'avez pas envers lui l'attitude qu'il attend ? suggéra alors la servante.
— C'est à dire ?
Le ton était surpris et doux. Cela décontenanca Luze qui se redressa.
— Madame, vous êtes deux jeunes personnes très bien assorties, vous êtes deux magiciens, vous avec le même sang dans les veines... Je ne dis pas que vous devriez le fréquenter officiellement, mais peut-être devriez-vous cesser de vous comporter comme une reine à son endroit et plus comme une femme ?
— Tu dis des bêtises, Luze. Je ne veux pas me marier, je refuse de me soumettre à une telle mascarade juste pour qu'un jour, quelqu'un me prenne le trône qui me revient de droit.
— Voilà des paroles bien égoïstes...
Elsa eut un hoquet. Luze souffla par le nez, lèvres serrées. La jeune reine tourna soudain les talons et disparut dans le salon d'hiver. Luze se mordit l'intérieur de la jour puis décida de retourner travailler. Elle aurait bien aimé que Sebastian rentre à ce moment là, pour lui parler, mais elle n'était qu'une servante, elle n'avait pas à se mêler de la vie de ses patrons. Et encore moins de celle de la reine...
