Après plusieurs minutes d'un choc immense, Lydia déboula dans le salon, en larmes. Et elle vit Stiles lové contre Derek, par terre. Si elle ne voyait pas le visage de Stiles caché dans le coup de son loup, celui de ce dernier était bien largement visible. Défait, les traits tirés, les yeux rouges, il la regarda mollement. A cet instant, Derek Hale n'était plus que l'ombre de lui-même, une pâle copie de cet homme fort et froid. Ce loup-garou solide qui avait survécu à la perte de sa famille s'effondrait à cause du malheur de celui qu'il aimait. C'était même plus que ça. Plus que de l'amour. Et pourtant, il ne semblait pas en avoir conscience.

- Lydia, articula difficilement Derek.

Il ne savait pas quoi dire alors il resserra le corps fin de Stiles contre lui et le jeune homme resserra ses doigts sur son haut, crispé. Le loup sentit soudainement la peur prédominer dans son odeur et il sut d'instinct à quoi elle faisait référence. Stiles avait dû comprendre qu'ils avaient été écoutés alors maintenant, sans doute était-il terrorisé par la potentielle réaction de Lydia, Scott et Isaac. En réalité, l'hyperactif venait de comprendre ce fait qui l'écrasa lourdement. Il n'était pas prêt à être jugé. C'était trop tôt, il… Il était cassé, encore et serait sans doute incapable de répliquer si on lui reprochait quelque chose. De ne pas s'être défendu. D'avoir été faible, si faible. De pleurer. D'être aussi pathétique. Et tout cela, Derek le comprit instantanément, comme s'il lisait dans ses pensées.

La jeune femme, devant ce spectacle, se laissa tomber à genoux près d'eux. Ses joues étaient mouillées et son maquillage d'ordinaire si parfait avait lamentablement coulé. Elle tremblait, aussi. Ces révélations, bien que partielles, la secouaient énormément. Elle avait beau se douter que Stiles cachait quelque chose d'important, jamais elle n'aurait imaginé un tel évènement dans son existence. Son esprit intelligent comprit alors que tout avait un lien. Que ce qui rendait Stiles si malheureux remontait à sept ans et que l'affaire du tueur en série… Était bien plus sombre et macabre qu'il n'y paraissait. Les dates, gravées dans sa mémoire, prenaient soudainement sens et c'est avec horreur qu'elle comprit une grande partie de l'affaire, sans qu'un mot de plus soit prononcé. Elle réprima tant bien que mal un nouveau sanglot et étouffa un gémissement plaintif à l'aide de ses mains plaquées sur sa bouche.

- Lyd…

La jeune femme releva la tête et vit que Stiles avait tourné la sienne vers elle. Il la regardait de ses yeux mordorés rougis et pleins d'une tristesse sans nom. Fébrilement et toujours dans les bras de Derek, il lui tendit la main. Elle la saisit sans hésiter et s'incrusta dans leur étreinte. Elle voulait, elle aussi, sentir Stiles. Sentir qu'il était là, avec eux, vivant. Quelques instants plus tard, le trio était rejoint par Scott et Isaac qui, s'ils n'avaient pas pleuré, n'en menaient pas large. Leur cœur et leur odeur parlait pour eux.

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Stiles ouvrit les yeux. Ses paupières étaient lourdes mais il se força à les maintenir ouverte.

Le salon de Scott était plongé dans la pénombre. Les canapés avaient été poussés, la table basse également, laissant au centre de la pièce un espace où des plaids et coussins avaient été installés dans un désordre organisé. Stiles tourna légèrement la tête. Derek dormait encore, le serrant contre lui. A sa droite, Lydia. En parallèle, Scott, puis Isaac. Tout le monde avait cédé à un sommeil profond, à la fatigue mentale. Stiles était ainsi complètement entouré par ses amis et son loup, protégé par eux. Et pourtant, ça n'allait pas. Ses plaies étaient encore béantes et l'espoir avait bien du mal à renaître. Ses ailes avaient été brisées, puis arrachées. Emile l'avait détruit, encore. Le constater une fois de plus ne le fit pas pleurer, non. Il n'avait plus de larmes en stock pour le moment, il était… Vide.

Doucement et avec une délicatesse infinie, Stiles se dégagea des bras de Derek et se leva, sortit de la pièce sans faire de bruit. Il avait besoin d'être un peu seul. Il se retrouva alors dans la cuisine et resta là, debout, sans rien faire. Son regard était atrocement vide et pourtant, dieu seul savait à quel point les émotions se déchaînaient en lui, sans qu'il s'en rende compte pour autant. En cet instant, on aurait pu lui faire faire n'importe quoi et le pire était qu'il se serait sans doute exécuté sans poser de questions. Il était dans un état tel qu'il était capable d'obéir à n'importe qui, n'importe quoi. Y compris à l'horrible petite voix à l'intérieur de lui.

Alors lorsqu'il vit le bloc à couteaux de cuisine, la voix se manifesta et il ne chercha pas à la combattre, pas tout de suite en tout cas. Il s'approcha de l'objet et saisit un des manches au hasard. De taille moyenne, la lame semblait toutefois meurtrière. Capable de perforer sa peau avec une aisance folle. Stiles l'observa, presque fasciné et retroussa l'une de ses manches sans même regarder son bras et les cicatrices qui le constellaient. Il agissait par automatisme, sans réfléchir.

Enfin, ses pensées s'animèrent dans son esprit. Et Derek ? Amelia ? Lydia ? Scott ? Et tous les autres ? Oublie-les, fit la petite voix, maligne. L'instinct de survie de Stiles se manifesta un peu et il éloigna la lame qu'il avait rapproché de son poignet sans s'en rendre compte. Non, il ne pouvait pas faire ça, ce n'était pas bien. On avait besoin de lui pour résoudre l'affaire… Ils mourront, quoi que tu fasses. Son père… Stiles était sa dernière famille, il ne pouvait décemment pas faire ça ou bien Stilinski senior se retrouverait seul. Lui qui avait déjà perdu sa femme ne pouvait pas perdre son fils, dernier vestige de l'amour de sa vie. Ton père t'a oublié le jour où tu as osé dire la vérité. Il avait une vie à mener… Ta vie est détruite. Stiles ferma les yeux avec force un instant. Non, ce n'était pas fini, parce qu'il y avait encore de l'espoir… Derek était là et Stiles s'était dit un peu plus tôt qu'il pouvait essayer de guérir, de… Tu es brisé, Stiles. Tu ne lui sers à rien et Derek mérite mieux qu'une poupée cassée. Stiles retint son souffle une seconde, cette pensée le déchirant.

- Oui, il mérite mieux… Souffla-t-il si bas qu'il n'imagina à aucun moment qu'on ait pu l'entendre.

Parce que Derek était tout. Beau, intelligent, patient, adorable, loyal, fidèle… Fort. Derek était très fort. La différence entre eux était abyssale. Stiles n'était plus rien. Ils ne jouaient pas dans la même cour. Ils ne l'avaient jamais fait. Derek méritait quelqu'un de son niveau. Quelqu'un qui n'avait pas de problème, qui était capable de le satisfaire à tous les niveaux, qui le rendrait heureux par sa simple présence… Stiles était un malheur à lui tout seul. Avec son passé, il apportait peine et désolation sur son passage. Il n'était pas quelqu'un de bien. Quant à Amelia… Il lui fallait des gens saints d'esprits pour s'occuper d'elle. Des gens responsables.

Mais, et ses amis ? Lydia tenait à lui, Scott, Isaac aussi. Ils n'ont jamais remarqué que tu mentais, pourtant. Nouveau coup au cœur. La petite voix avait raison. Et Stiles ne se dit pas qu'il était simplement passé maître dans l'art de la comédie. Non, il préféra se dire que ce qui lui était arrivé n'avait aucune importance et n'était digne d'intérêt de personne. Stiles était de ces gens malheureux qui pouvaient disparaître facilement, les traces qu'ils laissaient s'effaçaient rapidement. La douleur de l'hyperactif, elle, était faite pour durer. Et elle le tuait, l'empoisonnait avec une lenteur folle, déformait sa vision de la réalité.

Le regard ambré se refléta dans la lame argentée et Stiles sut ce qu'il aurait dû faire sept ans plus tôt. Au lieu de se battre et d'essayer d'accomplir l'impossible, il aurait dû tout lâcher.

Il n'était jamais trop tard pour se rattraper.

Stiles ne pensa pas à son égoïsme, ni au côté sombre et extrême de ses pensées. Se dit que sa disparition ferait peut-être pleurer un temps, mais que ça irait. Derek trouverait bien mieux que lui. Noah serait débarrassé de ce fils qui ne cessait de le décevoir. Ses amis ne verraient pas vraiment la différence, au fil du temps. Il était usé, remplaçable. Un modèle obsolète, bon pour la casse.

Mourir, ce n'était pas si mal, en fin de compte. Stiles se demanda pourquoi il avait fait cette demande stupide à Derek. Celle de l'empêcher de faire une connerie. Au final, c'était loin d'être une bêtise, bien au contraire : c'était sans doute la meilleure chose à faire. Et Emile ? La meute trouverait un moyen de l'arrêter, des preuves, n'importe quoi. Ils feraient ça sans lui, Stiles savait qu'ils se débrouilleraient très bien.

Ce dont Stiles ne se rendait pas compte, c'était le fait qu'il ne pensait plus vraiment par lui-même. Comme pour le Nogitsune, il avait laissé le contrôle à la petite voix ténébreuse. C'était elle qui réfléchissait, s'occupait de le convaincre que mettre fin à ses jours était la meilleure chose à faire.

Alors quand la première goutte de sang coula, il eut l'impression illusoire d'être heureux et regarda, presque fasciné, le pourpre s'étendre sur son teint de porcelaine. Et pourtant, il ne sourit pas. Son regard resta vide tandis que la lame s'enfonçait un peu plus profondément dans sa chair. C'est la meilleure chose à faire, lui répéta la voix, qu'il imaginait souriante, à la fois maligne et bienveillante. Et il l'écouta. Presque aussitôt, Stiles sentit une faiblesse étrange l'envahir mais il continua, tel un robot.

Sans trop qu'il sache comment, une instant plus tard, le couteau n'était plus là. Son poignet saignait abondamment mais sa main ne tenait plus rien d'autre que le vide. Sans doute ses jambes le lâchèrent-il, mais il ne s'en rendit pas compte et accueillit lentement l'inconscience avec un réconfort fou, avant même de comprendre que Derek le tenait et lui hurlait de rester avec lui. Dans le salon, Lydia hurlait, telle la banshee qu'elle était. Scott cria tandis qu'Isaac composait le numéro des urgences. Mais Stiles n'entendait rien, ne sentait rien, n'imaginait rien.

Enfin, il sombra.

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Derek s'en voulait. Il s'en voulait terriblement. Les yeux rougis, il attendait dans la salle d'attente sans rien faire, l'air abattu. Et il n'était pas seul. Lydia, Isaac et Scott l'accompagnaient, occupant les chaises autour de lui.

Le regard éteint, Derek fixait le vide, peinant à accepter la réalité. Stiles avait tenté de se suicider. Et il avait failli arriver trop tard. Parce qu'épuisé, il dormait si bien, avec son amour et leurs amis, qu'il ne l'avait même pas senti partir, ni entendu. C'est seulement lorsqu'il a entendu un murmure provenant de la cuisine qu'il avait ouvert les yeux.

« Oui, il mérite mieux. »

Ces mots, trop étranges et appuyés l'avaient tout de suite alarmé. D'autres mots auraient pu lui laisser penser qu'il rêvait, avait mal entendu mais sans trop savoir pourquoi, ils avaient éveillé un sentiment d'urgence en lui, quelque chose de viscéral. Il s'était levé si brusquement qu'il avait réveillé tout le monde et était parti en courant vers la cuisine.

Entre le moment où la voix de Stiles avait murmuré ces quatre mots et celui où Derek lui avait pris le couteau en voyant son poignet en sang, il s'était écoulé cinq secondes. Cinq secondes d'une longue réflexion chez Stiles. Cinq secondes d'une angoisse montante chez Derek.

Scott se leva lourdement, les informant qu'il allait voir sa mère dans le but de tenter de glaner quelques informations sur l'état de leur ami. Derek resta immobile, comme s'il ne l'avait pas réellement entendu. Isaac hocha lentement la tête et Lydia fit semblant de sourire. L'état de son maquillage était pire qu'un peu plus tôt. Son visage était ravagé par les larmes. Après les confessions de Stiles à Derek puis la tentative de suicide de celui-ci, aucun des trois adolescents n'avaient eu le cœur de retourner en cours, trop bouleversés pour cela.

Deux longues heures plus tard, les trois loups et la banshee se trouvaient dans la chambre de Stiles, dont l'état était stable. Très vite, Scott s'absenta pour des raisons personnelles. Tout le monde savait qu'il allait pleurer seul, incapable de le faire devant eux.

Melissa, lorsqu'elle était venue leur annoncer le numéro de chambre de Stiles, leur avait dit que leur réactivité avait empêché l'hyperactif d'être dans un état grave. Derek se fit l'amère réflexion qu'ils n'avaient pas été assez éveillés ni rapides pour l'empêcher de commettre son horreur. L'émotion sur le visage de Melissa montrait bien qu'elle aussi était très affectée. Stiles, c'était un peu comme son deuxième fils. Et son maquillage impeccable trompait tout le monde : elle avait longuement pleuré.

Derek était assis sur une chaise, près du lit de son humain, dont il n'avait pas lâché la main depuis son arrivée dans la chambre. Il ne faillirait plus. Stiles lui avait demandé de l'empêcher de faire une connerie, l'avait prévenu qu'il y avait fortement songé et lui… Et lui… Une nouvelle larme coula sur sa joue, une seule. Il n'aurait pas dû dormir. Il aurait dû faire plus attention. Resserrant ses doigts sur la main de Stiles, il posa son regard si particulier sur son poignet bandé. Son esprit torturé revit la peau blanche maculée de sang et il se mordit la lèvre en fermant fortement les yeux. Plus jamais il ne laisserait Stiles seul. Plus jamais. Désormais, il ferait attention au moindre de ses faits et gestes. Il ne pouvait pas le perdre, pas maintenant ni jamais, c'était inacceptable.

- Derek, l'appela faiblement Isaac, assis sur une chaise dans un coin de la pièce.

Hale rouvrit lentement les yeux et tourna la tête vers lui. De son regard éteint, il l'enjoignit de lui dire ce qui semblait lui brûler les lèvres.

- Lydia et moi on a… On a beaucoup discuté tout à l'heure, dit-il d'une voix enrouée. Et on pense que… Qu'il faut que tu nous dises. Tout.

Il les regarda sans vraiment les voir, l'air absent. Il avait écouté le louveteau, mais ne semblait pas comprendre où il voulait en venir.

- On a besoin de savoir ce qu'il s'est passé il y a sept ans, chuchota presque Lydia après s'être passé une main sur le visage.

Elle avait beau avoir presque tout compris, il fallait qu'elle prenne connaissance de l'histoire dans son entièreté. C'était un besoin énorme, d'autant plus vital depuis que Stiles se trouvait là, dans ce lit, un poignet bandé. Avec sa tunique d'hôpital, l'on voyait clairement les cicatrices rondes sur sa peau si pâle. Elles lui retournaient le ventre.

- Plus tard, leur répondit-il distraitement.

Il ne fallait pas lui demander ça, pas maintenant. Là, il serait incapable d'aborder ce sujet. La peur que Stiles se réveille à ce moment-là était également présente. Il n'avait absolument pas besoin de réentendre son passé qu'il connaissait par cœur. Derek caressa le dos de sa main avec son pouce, ses remords ne le quittant pas. Bordel, il avait failli perdre Stiles, par sa faute. Il aurait dû être plus vigilant et ne pas se laisser happer par le sommeil dont il avait tant besoin. S'il perdait Stiles, il… Il n'était sûr de rien, sauf d'une chose.

En tous les cas, lorsqu'Isaac insista à nouveau pour savoir la raison primaire de tout cela, Derek refusa de leur dire, arguant que c'était loin d'être le bon moment. Toutefois, il leur promit qu'ils sauraient, quand ça irait mieux, omettant volontairement de leur dire à quel point cela serait difficile pour lui. Parce que cela signifiait rappeler à sa mémoire la plupart des détails de cette affaire, même s'il ne le voulait pas. Toutes les confessions de Stiles remonteraient à la surface de ses souvenirs et l'empêcheraient de raconter les choses de manière synthétique. C'était encore trop frais et Derek allait actuellement trop mal pour réussir à trier et rester fort face aux informations qu'il avait déjà en sa possession. Stiles avait manqué de mourir. Et Derek sentait qu'une partie de lui avait failli mourir à son tour.

Les minutes passèrent, Lydia et Isaac vinrent chacun leur tour se tenir près de Stiles, incapables de sortir de la chambre. Maintenant qu'ils avaient failli perdre leur ami, ils avaient du mal à le lâcher. Scott, lui, n'était toujours pas revenu mais les avait informés que c'était normal. Il n'arrivait pas à supporter la situation et restait avec sa mère qui avait une pause.

Tout aurait pu continuer comme ça jusqu'à la fin de la journée. Mais aux alentours de vingt-heures, la porte s'ouvrit, et pas sur un infirmier. Lorsque Noah Stilinski passa le pas de la porte, l'air effondré, Derek sembla retrouver toute son énergie et lui lança le plus noir des regards.