- Tu es sûr ? Demanda une dernière fois Derek.

- Absolument certain, confirma Stiles. Il faut mettre un terme à cette histoire.

Deux jours étaient passés depuis la visite de Melissa et le jeune couple était retourné au loft. Stiles avait été heureux de retrouver Amelia et c'était réciproque. Toutefois, il faisait tout pour cacher son poignet bandé dont il avait toujours honte. Même si son acte avait été perpétré sous le coup d'une pulsion suicidaire, Stiles se faisait maintenant la réflexion qu'il aurait pu éviter ça et que la petite, toute innocente qu'elle était, ne devait absolument rien savoir.

Derek se plaça devant son humain et posa une main sur sa joue, qu'il caressa doucement. Stiles, lui, le regardait et l'inquiétude restait peinte sur son visage. Ce fut à son tour de toucher le visage de son vis-à-vis.

- Tu ne guéris toujours pas, souffla-t-il avec tristesse.

- Si, simplement… C'est très lent, rétorqua Derek.

Il guérissait à la même vitesse qu'un humain et encore, c'était ce qu'il disait pour rassurer l'hyperactif. En réalité, il se fichait de son état et considérait que ce n'était qu'un dysfonctionnement mineur de ses capacités, comme il en avait déjà eu par le passé. Alors, il ne s'inquiétait pas. Non, celui pour lequel il se faisait toujours un souci monstre, c'était Stiles. Depuis sa tentative de suicide avortée, Derek gardait l'œil grand ouvert et ne dormait que sur une oreille. Stiles avait beau lui avoir dit que c'était une erreur et qu'il ne comptait pas réitérer l'expérience, Derek restait sur ses gardes. Pas qu'il ne lui faisait pas confiance. Simplement, il avait peur ou plutôt, il était terrifié. Manquer de perdre son humain avait provoqué chez lui une douleur mentale si forte que, si Stiles avait succombé, Derek aurait sans doute sombré dans la folie. Parce que ce qui le reliait à l'hyperactif, c'était fort, trop pour qu'il ne soit qu'une simple amourette.

Si Stiles avait été un loup-garou, Derek se serait sans doute avancé à dire qu'il s'agissait de son compagnon, son âme-sœur, l'être à qui il était destiné, celui qui le comblerait de bonheur à vie et sans qui rien n'était possible. Mais Stiles était humain et cette histoire de compagnon n'existait qu'entre des lycanthropes, c'était bien connu. Le surnaturel ne concernait pas le naturel.

- Ne t'inquiète pas Stiles, lui dit Derek en esquissant un sourire fatigué.

- Je t'aime alors ne pas m'inquiéter pour toi est impossible, rétorqua Stiles sans le lâcher des yeux.

Derek regarda son humain, attendri. Ses déclarations étaient aussi rares qu'exquises alors lorsqu'il entendait ces mots, il voulait en profiter. Rapprochant doucement l'hyperactif de lui, il passa ses bras autour de lui et colla son front au sien.

- Répète, lui demanda-t-il doucement.

Ces mots, il voulait les entendre encore et encore. Leur douceur apaisait son cœur malmené par les évènements et tendait à essayer de guérir une seule de ses plaies. Loin de se trouver sur un quelconque endroit de son corps, elle était plutôt intérieure.

Une blessure qui le rongeait parce qu'elle était double.

- Quoi, que je t'aime ? S'enquit Stiles, toujours sans cesser de le regarder.

Derek souffla du nez : il avait une sensation de déjà-vu agréable et leur première déclaration mutuelle se rappela à son esprit. Il ramena délicatement une mèche de cheveux châtain derrière l'oreille de Stiles dont la doré de ses yeux ressortait à cet instant. Et même s'il était bien assombri depuis son agression, voir ce regard autrement que noisette foncé lui faisait du bien. Il ne souriait pas, ne souriait plus vraiment, mais voir ce doré lui faisait du bien. Parce qu'il n'oubliait pas que rien n'était réglé. Certes, Stiles était sorti de l'hôpital avec l'autorisation de Melissa qui l'avait exempt de toute consultation psychologique en utilisant des moyens détournés, mais ce n'était pas pour autant qu'il était guéri, que son traumatisme avait disparu. En fait, c'était même tout le contraire. Stiles continuait d'agir normalement avec lui, de manière naturelle et Derek le savait. Le problème résidait surtout dans sa concentration, beaucoup plus faible. Lorsqu'il faisait quelque chose, l'hyperactif avait tendance à se distraire facilement et à se perdre dans ses pensées. La veille, il s'était coupé au niveau de son index alors qu'il épluchait une pomme. Sa justification : « j'étais ailleurs » était tout sauf un mensonge. Sa plaie était recouverte par un petit pansement couleur crème.

- Redis-le encore, souffla Derek, subjugué par son regard particulier à sa façon.

Mais, au lieu de répondre, Stiles se hissa sur la pointe des pieds et colla ses lèvres à celles de son loup qui l'embarqua dans un baiser doux et empli d'amour.

xxx

- Va coucher Mel pour moi, j'ai quelque chose à faire. Je lui ai déjà dit bonne nuit, elle n'attend plus que toi.

Perplexe, Derek hocha la tête. Stiles était étrange, ce soir. Toutefois, il monta en compagnie de la petite, un livre à la main. Elle préférait s'endormir des histoires plein la tête, elle disait qu'ainsi, ses rêves se retrouvaient plus colorés. C'était si mignon que Derek ne pouvait pas rechigner à lui faire la lecture. Même si ce n'était pas dans ses habitudes, ce n'était pas désagréable, il pouvait même affirmer sans honte qu'il y prenait goût. Alors qu'il passait la porte de la chambre léguée par Peter et qu'Amelia, en pyjama licorne, se glissait dans cet énorme lit deux places, Derek repensa au doux baiser échangé avec Stiles dans l'après-midi. Il avait été diablement agréable mais il n'y en avait pas eu d'autre depuis. En fait, Stiles s'était occupé de choses et d'autres avec cet air distrait qui le quittait de moins en moins. Bien sûr, Derek était conscient du fait qu'il ruminait probablement ce qu'il s'était passé ces derniers jours : son agression traumatisante ainsi que sa tentative de suicide. Le problème, c'était qu'il ne savait pas vraiment comment l'aider.

Stiles et lui s'étaient tout de même mis d'accord sur une chose. Pour mettre un terme à cette histoire et stopper le tueur en série dont ils connaissaient tous deux l'identité, il fallait mettre la meute au courant. Stiles avait carrément émis le souhait de leur parler, à tous.

- Pour qu'ils sachent à qui ils ont affaire, il faut qu'ils sachent ce qu'il a fait, avait-il dit la veille.

Il allait donc leur révéler certains éléments de son passé, s'il y arrivait, et espérait de tout cœur qu'ils le croiraient. Autrement, arrêter cet enfoiré se révèlerait être impossible et puis… Stiles avait besoin du soutien de sa meute, pas juste de celui de Derek – qui était déjà énorme et qui lui permettait de garder la tête hors de l'eau.

- Tonton Derek, t'es tout coloré à cause de tes bobos.

Le susnommé reporta son attention sur la petite fille qui le regardait de ses grands yeux noisette d'où émanait une curiosité folle, ces yeux qui lui rappelaient ceux de Stiles. Il sourit doucement.

- Ces couleurs partiront bientôt.

Doucement, il s'assit sur le lit à côté d'elle, le dos appuyé contre le mur et elle se blottit contre lui alors qu'il ouvrait le livre et commençait le récit d'un conte bien connu. La chaleur qui se diffusa dans son cœur le poussa à faire l'effort de mettre du ton et de l'expression dans sa narration. Deux minutes plus tard, il était à fond.

xxx

Stiles apposa le point final sur sa feuille une demi-heure plus tard et la regarda. Il avait essayé d'être clair, concis et espérait que Lydia comprendrait. Cela faisait un moment qu'il voulait se confier à elle et l'autre soir, il avait failli le faire. Ce qui lui avait manqué, c'était le courage. Il avait commencé à s'ouvrir à elle mais ne s'était pas senti prêt à faire plus à ce moment-là. Et puisqu'il voulait lui parler mais qu'il savait qu'il n'aurait pas le cran de le faire en face, quoi de mieux qu'une lettre pour se livrer ? Se confier à Derek avait été une évidence et s'était fait plutôt naturellement, à la suite d'une discussion sur leur relation, ce qu'ils étaient l'un pour l'autre. Pour Lydia, c'était différent. Il choisissait de lui dire parce qu'il avait confiance en elle et qu'il considérait qu'elle avait le droit de savoir, avec tout le soutien qu'elle lui apportait au quotidien. Même de simples envois de cours étaient pour lui la marque d'un soutien sans faille, parce qu'il ne comptait plus ses absences. Il n'était revenu en cours que quelques jours en presque un mois en tout, mais la rouquine lui avait toujours permis de rattraper à l'aide de ses notes à elle. Et puis ses mots de la fois dernière l'avaient touché, réveillé quelque chose en lui.

Tout ça mis à part, Stiles savait que parler ne pouvait que le faire aller mieux, bien qu'il aurait aisément dit l'inverse quelques mois plus tôt. Mais Derek avait été là et lui avait prouvé qu'il pouvait être écouté et surtout, cru. Qu'il pouvait ne pas être jugé, diffamé, rabaissé. Il y avait aussi la dimension de l'après, à laquelle il devait penser. En ce qui concernait Scott, cela avait été et c'était toujours compliqué. Le jeune alpha avait merdé, puis lui avait sauvé la vie pour enfin tenter de se rattraper. Il lui avait présenté ses excuses et même si Stiles n'était pas dans son état normal à ce moment-là, maintenant qu'il y réfléchissait plus ou moins posément, il comprenait son geste, ses réactions, sa retenue, son malaise. Et très honnêtement, il lui avait déjà pardonné depuis longtemps et voulait simplement le retrouver, pouvoir parler avec lui pendant des heures, jouer toute la nuit avec lui aux jeux vidéo, comme avant. En soi, Scott tenait à lui et même s'il avait merdé une fois, il s'était bien rattrapé. En fait, ce n'était pas Stiles qu'il n'acceptait pas mais son passé, qu'il tentait tant bien que mal de digérer. Mais il ferait des efforts, l'hyperactif en était certain.

Derek… Lui, c'était quelque chose. Il avait été parfait de bout en bout. Stiles ne pouvait absolument rien remettre en cause, encore moins sa patience exemplaire. Alors qu'ils n'étaient à ce moment-là que de vagues amis, Derek l'avait pris sous son aile dès que Stiles avait montré le premier signe de faiblesse et n'avait cessé de prendre soin de lui. Il avait tout fait pour le pousser à parler, sans pour autant le forcer et ça, c'était quelque chose. Mais ce qui réchauffa son cœur à cet instant, ce fut l'acceptation totale de Derek quant à ses révélations. Tout le long de cette discussion qui commençait à remonter, le loup l'avait étreint, câliné, cajolé, rassuré, soutenu. Il semblait tout accepter de lui, encore maintenant : son passé de merde, ses soucis actuels, son état d'esprit, sa tentative de suicide, sa difficulté à passer outre ses traumatismes. Et rien que pour ça, il ferait tout pour y arriver. Parce que Derek était quelqu'un d'exceptionnel qui lui donnait envie de se dépasser et que malgré sa nullité apparente, Stiles voulait être quelqu'un de bien, d'assez bien pour lui. Même si ça n'allait pas vraiment mieux, au fond, il faisait des efforts pour ne pas penser trop négativement. Ce qui le poussait à faire tous ces efforts malgré le combat éternel entre ses pensées, c'était cette impression de sécurité qu'il ressentait chaque fois qu'il se retrouvait près de Derek. Le loup ne lui faisait pas peur. Ses grandes mains le rassuraient. Ses lèvres étaient douces et effaçaient chacun des baisers qu'on lui avait imposés. Son corps chaud était un délice à toucher et le sentir pressé contre lui était une chose étonnamment agréable. En outre, Derek était la seule personne à lui faire ressentir autre chose que de l'appréhension. Inconsciemment, le loup effaçait momentanément ses souvenirs pour en créer de nouveaux, meilleurs et porteurs de joie.

Alors oui, Derek méritait tout le bonheur du monde et Stiles était un boulet, un poids avec tout son malheur. Puisqu'il l'aimait vraiment, l'hyperactif pourrait songer à mettre fin à leur relation pour que le loup de naissance puisse profiter pleinement de la vie, avec quelqu'un qui lui conviendrait mieux. C'était, logiquement, ce qu'on attendait de lui. Qu'il se sacrifie pour le bonheur d'autrui.

Mais Stiles avait passé des années à faire ça et il était fatigué, alors il eut envie d'être un peu égoïste.

S'emparant d'une nouvelle feuille, l'adolescent se réarma de son stylo et gratta le papier avec ferveur. Les mots lui venaient tous seuls, coulaient de source et très vite, le blanc devint bleu nuit. Sans se relire parce qu'il trouverait forcément quelque chose à y redire, Stiles préféra plier sa petite lettre. Ce qu'il voulait, c'était garder l'honnêteté et la spontanéité, choses que Derek ressentirait sans doute lorsqu'il lirait.

Décidé mais un peu anxieux tout de même, Stiles monta à l'étage et n'entendit aucun bruit. Derek devait avoir fini de coucher la petite depuis un moment déjà, sans doute l'attendait-il dans ce qui devenait non pas sa chambre mais leur chambre. Alors, il y alla mais, constatant avec étonnement qu'elle était vide, migra vers celle de Peter, occupée par Amelia. Pour la première fois depuis deux-trois jours, il sourit doucement. Devant lui se trouvait le plus beau des tableaux. Derek dormait, le dos contre le mur, Amelia dans ses bras, un livre de contes ouvert dans la main droite, le bras gauche autour de la petite endormie également. Les deux êtres qu'il adorait semblaient si paisibles que Stiles se fit tout petit et ne les réveilla pas. En revanche, il retira le livre de la main de Derek en faisant attention à ne pas le réveiller et le remplaça par le petit mot plié en deux.

Alors oui, Stiles avait décidé d'être égoïste, dans une certaine mesure seulement. Il ne demanderait pas à Derek de le quitter pour son propre bien, mais choisit de le laisser dormir dans une position pas vraiment confortable. Pour s'endormir ainsi, le loup devait vraiment être épuisé et Stiles voulait tout, sauf l'empêcher de se reposer et le déplacer pour le mettre dans une meilleure position le réveillerait à coup sûr. Au pire, il ne souffrirait que de quelques courbatures sans importance durant une demi-journée. Au moins, il dormirait d'un sommeil tranquille, ininterrompu. Parce que Stiles était bien conscient qu'avec lui, les nuits n'étaient que rarement complètes. Souriant toujours avec une tendresse folle, Stiles prit la décision de ne pas les déranger plus, par peur de les réveiller tous les deux et sortit de la chambre après avoir éteint la lumière.

Une nuit tout seul, ça irait, sans doute. L'idée de dormir avec son loup et sa petite princesse l'avait tenté mais il avait renoncé. Tous deux passeraient une meilleure nuit sans lui.

Une fois dans la chambre de Derek, Stiles glissa la lettre pour Lydia dans son sac de cours. Il se débrouillerait pour la lui faire parvenir un de ces jours. Puis, il se dévêtit mais garda son t-shirt. Avec Derek, il avait commencé à prendre l'habitude de l'enlever mais seul, il préférait le garder. Quoique… Il eut finalement une bien meilleure idée. Quelques secondes plus tard, son haut se retrouva à terre, remplacé par un pull léger appartenant à son loup. Au moins, il aurait un peu de Derek avec lui cette nuit. Il se glissa alors dans les draps et éteignit la lumière. Une fois dans le noir, Stiles fit son possible pour écarter toute pensée dérangeante, en particulier ses souvenirs et l'image dérangeante de la plaie qui zébrait son poignet, cette entaille profonde dissimulée par son bandage changé dans la matinée. Stiles se rappela alors de l'adorable duo qui dormait dans l'autre chambre du loft et son rythme cardiaque s'apaisa.

C'est ainsi qu'il s'endormit, plus ou moins difficilement, seul, conscient que sa nuit risquait de ne pas être de tout repos. Sans Derek, il allait falloir qu'il assure.