Parfois, le hasard faisait bien les choses et ça, Jackson le comprit lorsqu'il intercepta cet appel alors qu'il avait eu l'accord du professeur d'économie pour aller aux toilettes. Voir le nom de Stiles s'afficher sur son écran l'avait surpris mais entendre la voix fluette et paniquée d'une petite fille n'avait pas aidé à réduire sa confusion, bien au contraire. Au début, il ne comprenait même pas ce que disait Amelia – au moins, il l'avait reconnue – qui semblait pleurer à chaudes larmes. La calmer s'était avéré assez difficile, Jackson n'étant pas particulièrement doué avec les enfants, mais il avait réussi, assez en tout cas pour que ses propos deviennent intelligibles.

Et ce qu'il avait entendu lui avait glacé le sang.

« Tonton Stiles, il… Il saigne de partout, il dort et… Le méchant est pas loin, on est sortis mais il est trop fort, il… Il va nous trouver… Tonton Stiles peut plus marcher et je peux pas le réveiller… »

Alors, Jackson avait compris. Oui, il avait compris qu'il devait partir, tout de suite, tant pis pour le cours. La vie d'un être humain était bien plus importante qu'une session de deux heures de mathématiques. Par chance, il gardait toujours ses clés de voiture dans la poche de sa veste en jean alors ni une ni deux, il fonça sur le parking et démarra en trombe.

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Jackson attendait, la petite Amelia dans les bras. Elle tremblait et ses vêtements étaient maculés de sang. Du sang de Stiles, contre qui elle s'était pelotonnée alors même qu'il avait perdu connaissance, dans cette ruelle. Parce que c'était comme ça qu'il les avait trouvés. Stiles assis, le dos appuyé contre un mur dans une étroite ruelle, entre deux bâtiments, la tête basculant vers l'avant. Entre ses jambes et contre son torse, Amelia pleurait tout en serrant son haut en lambeaux qui laissait transparaître de multiples ronds un peu foncés. Les traces des fameuses brûlures de cigarettes d'il y a quelques temps déjà.

C'était l'odeur du sang qui avait permis à Jackson de les localiser avec précision puisque la seule indication qu'avait pu lui fourni la petite en état de choc avait été le fait qu'ils étaient près du loft, qu'ils ne s'en étaient pas beaucoup éloignés. Et Stiles en avait perdu, du sang.

- Je veux mon tonton Stiles… Je veux… Tonton Stiles… Chuchota péniblement la petite en pleurant.

Mal à l'aise mais sachant pertinemment qu'il n'avait pas le choix, Jackson la serra avec autant de douceur possible contre lui et tenta de la rassurer comme il pouvait. Il n'avait pas l'habitude des enfants, c'était limite s'il ne les aimait pas. Mais Amelia, c'était… Amelia. Elle n'était pas comme les autres et il arrivait à l'apprécier. Et puis, il savait qu'il devait faire des efforts. Il ne savait pas exactement ce qu'il s'était passé – les propos de la petites avaient été, pour la plupart, particulièrement décousus, mais il se doutait bien qu'elle avait vu des choses beaucoup trop dures pour son âge. Être témoin de la perte de connaissance de Stiles dans l'état dans lequel il était quand Jackson l'avait trouvé était déjà choquant en soi. Cependant, elle avait bien dû voir et entendre d'autres choses. Alors, il ne pouvait pas faire l'insensible.

- Tout va bien, tu vas le voir, ton… Tonton Stiles. Les médecins le soignent, d'accord ? Tenta-t-il du ton le plus doux qu'il le put.

Amelia hocha fébrilement la tête mais ses larmes ne se tarirent pas pour autant. D'un geste qui n'était pas vraiment naturel mais plus que nécessaire, il lui caressa les cheveux avant de déposer un baiser sur son front. Il aurait aimé que Lydia soit là. Son ex était une femme en or qui savait y faire avec les enfants. Quel était le problème ? Il n'arrivait pas à la joindre. En fait, il n'avait réussi à joindre personne. Ce qui l'avait d'ailleurs surpris après avoir amené Stiles aux urgences était le fait que son téléphone avait affiché plusieurs appels manqués. Trois de Derek, deux de Stiles et un de Scott. Etant sur vibreur, Jackson aurait dû être au courant de ces appels, il aurait même dû en avoir les notifications. Néanmoins, il semblait ne les avoir reçus qu'après être sorti de cours pour aller aux toilettes. C'était en tout cas ce qu'il avait constaté en regardant l'heure de réception sur son cellulaire. Mais, sur le coup, il n'y avait pas fait attention plus que ça, son inquiétude pour Stiles et Amelia étant plus importante que tout le reste.

La porte de la salle dans laquelle ils se trouvaient s'ouvrit sur Melissa. C'était elle qui avait pris l'initiative de les faire attendre dans une petite pièce de soin vide et non utilisée pour le moment, tout comme c'était elle qui les avait accueillis.

L'infirmière informa vaguement Jackson du fait qu'elle n'avait pas encore de nouvelles, mais que cela ne saurait tarder, avant de se tourner vers Amelia.

- On va te débarbouiller un peu ma puce, qu'est-ce que t'en dis ? Fit-elle d'un ton maternel.

Pour elle, il était impératif de la laver de tout ce sang qui n'était pas le sien. De plus, elle en profiterait pour prendre soin d'elle et essayer de lui faire oublier, l'espace de quelques minutes, tout ce qu'elle avait pu voir.

- Jackson, tu peux venir aussi ? Je suppose que je dois avoir quelque chose qui peut t'aller. Scott laisse parfois des vêtements à lui dans mon casier, au cas-où.

Le lycéen, gardant la petite dans ses bras, se leva et suivit l'infirmière. Ils passèrent par des couloirs peu utilisés de l'hôpital et Melissa les fit attendre dans une autre salle vide avant de revenir les bras chargés de vêtements. La pièce était une chambre d'hôpital inoccupée avec salle de bain et toilettes attenantes. Deux serviettes étaient disponibles, pliées sur le rebord du lavabo que l'on voyait grâce à la porte entrouverte.

- On va commencer par toi, petite puce, fit chaleureusement Melissa.

Doucement, elle retira une Amelia toujours tremblante des bras de Jackson avant de l'emporter avec elle dans la salle de bain. Une fois seul, assis sur le lit, le kanima réalisa enfin ce qui s'était passé, fit des recherches sur son téléphone et tenta à nouveau de contacter Lydia Isaac et tous les autres.

Ses messages partaient, mais n'étaient pas reçus.

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Une bonne heure plus tard, Jackson était toujours là, à l'hôpital. Il avait gardé son pantalon, relativement épargné, mais portait l'un des nombreux hauts que Scott laissait dans le casier de sa mère en cas de danger et de… Traces de sang dues à des blessures déjà guéries. Si le kanima n'appréciait pas vraiment les goûts vestimentaires de son idiot d'alpha, il s'estimait tout de même heureux de porter quelque chose de propre. Melissa s'occupait d'essayer d'enlever le sang de sa chemise. Et lui, il était là, dans cette chambre, à veiller cet hyperactif qu'il était censé ne pas supporter. En fait, il l'aimait bien. Ils avaient beau être particulièrement différents, Stiles avait ce petit quelque chose d'attachant qui faisait qu'on finissait toujours par l'apprécier. La force dont il faisait preuve en tant que seul réel humain de la meute était impressionnante.

Et pourtant, il semblait s'affaiblir chaque jour qui passait. Vivait beaucoup de choses en peu de temps. Même s'il ne savait pas vraiment ce qu'il se passait, tout ce que Jackson retenait, c'était le fait que Stiles n'avait pas une vie aussi belle et simple qu'il l'imaginait, contrairement à ce qu'il disait autre fois. Au contraire, elle paraissait plutôt sombre et complexe. Le simple fait qu'il puisse figurer sur la liste de victimes d'un tueur en série donnait une autre ampleur à ce fait. Autrefois, en tant que joueur de crosse arrogant à la vie on ne peut plus linéaire, Jackson se serait sans doute dit que Stiles était assez illuminé et insupportable pour s'attirer les foudres de n'importe qui. Au final, c'était bien plus que ça. Parce que Jackson se souvenait fort bien de la dernière réunion de meute, celle durant laquelle l'hyperactif avait fait preuve d'un courage inouï malgré la défiance de Malia et Kira à son égard. Mais ce qui avait le plus marqué Jackson, c'était les mots qu'il avait employés, dans l'urgence, avant de perdre connaissance, épuisé.

« C'est un monstre, un putain de violeur, un pédophile, un tueur… »

Stiles tremblait comme une feuille, à ce moment-là et si Derek ne l'avait pas tenu fermement, Jackson se serait sans doute levé pour le soutenir, tant sa faiblesse était apparente. Mais le bandage au poignet qui lui était apparu l'avait cloué sur place. Honnêtement, il n'avait pas compris mais maintenant, oui.

Parce que dans ce lit, Stiles ne le portait plus. Sur son poignet, la plaie était nette et grande, elle en disait long sur l'acte qui l'avait conduite à se trouver là, sur cette peau si blanche. Trop pâle. C'était la marque de la rupture entre Stiles et la vie, celle qui montrait qu'il n'en pouvait plus. Une erreur très parlante.

« Alors même si vous me croyez pas, même si vous pensez que je parle pour faire mon intéressant… Que je mens pour attirer l'attention… Peu importe ce que vous pensez, juste… »

Jackson savait pertinemment que Stiles n'avait pas cherché à être le centre de l'attention de la meute. Il était sur la liste de ce tueur, c'était un fait. Son amie, la mère d'Amelia, était morte juste après lui avoir confié sa fille. Elle avait un lien avec lui. La larme qui avait coulé sur la joue de l'hyperactif lui avait brisé le cœur, tout kanima soi-disant insensible qu'il était. Son instinct animal l'avait poussé à s'inquiéter. Puis, Stiles avait fermé les yeux, comme épuisé, une sorte de libération avant de lâcher les derniers mots qu'il avait semblé longuement retenir.

« … Aidez-moi juste à l'arrêter… »

Douter de sa sincérité, avant comme aujourd'hui, c'était nier ses blessures et renier une partie de la meute. Parce que Stiles était l'un de ses piliers, malgré son statut de simple humain. Il était bien plus que ça, bien plus important qu'il ne l'imaginait et cela faisait un moment que Jackson s'en rendait compte. Et s'il n'avait pas douté de ses paroles, il avait mis du temps à réaliser. Mais là, c'était clair. Tous ses mots faisaient sens et trouvèrent un écho en lui, avant que dans son esprit, tout se relie avec une froide cohérence. C'est ainsi que Jackson trouva que les mots « violeur » et « pédophile » prenaient un sens totalement différent.

Son regard océanique tomba sur les deux endormis parce que, non, Stiles n'était pas seul. Dès qu'il avait été possible d'aller le voir, à condition bien sûr de le laisser se reposer, Jackson et Amelia s'étaient rués ici, sans aucune hésitation. Après avoir été lavée et changée, la petite n'avait pas voulu discuter avec Melissa. Voir Stiles lui avait paru beaucoup plus important et elle n'en avait pas démordu, jusqu'à ce que Melissa jette l'éponge. Alors elle était là, sous les draps, à ses côtés, la tête sur son torse. Et Jackson, assis sur ce fauteuil non loin du lit, ne pouvait que constater l'épuisement de cette enfant si spéciale qui ne manquait pas de courage. Sans elle, Stiles serait sans doute mort, parce qu'il n'aurait pas été capable d'appeler qui que ce soit dans son état. Et même si elle avait pleuré et peiné à expliquer la situation dans les grandes lignes, Amelia avait fait preuve d'une force mentale impressionnante. Jackson la vit gratter son petit nez mutin dans son sommeil tandis qu'elle se lovait encore plus contre celui qu'elle considérait comme son oncle.

Le souffle de Jackson s'était coupé la première fois qu'il était entré dans cette chambre, lorsque l'autorisation leur avait été donné. Très sincèrement, si Amelia n'avait pas autant insisté et ne l'avait pas menacé de faire une grosse crise de larmes destinée à alerter les infirmiers, Jackson aurait refusé qu'elle vienne. Il l'aurait faite attendre. Parce qu'elle était jeune, trop jeune pour voir de telles choses. Si Stiles avait été soigné, il ne fallait toutefois pas oublier que ses blessures ne pouvaient pas disparaître d'un coup. Il était humain après tout et un humain, ça marquait plutôt vite. Son visage tuméfié était la plus grande preuve de la violence qui l'avait cloué à terre. Une violence inouïe, qui lui laisserait quelques marques. Une chose était sûre, son agresseur – comment s'appelait-il, déjà ? – n'y était pas allé de mainmorte. Et il allait payer. Jackson serra les poings et dut user de tout son self control pour ne pas partir, là maintenant, à la recherche de ce type. Très honnêtement, il aurait pu l'attraper mais Stiles avait été sa priorité. Entre sauver son « ami » en train de se vider de son sang et poursuivre une ordure, le choix était vite fait. Stiles comptait beaucoup trop pour qu'on le laisse tomber de cette manière. Ce tueur, la meute s'en occuperait incessamment sous peu. La vie de Stiles, elle, ne pouvait pas attendre. Et si Derek le lui accordait, Jackson se ferait un plaisir de paralyser et de malmener un peu ce monstre – en prétextant une simple envie de se dégourdir les griffes.

En parlant de Derek… Où était-il ? C'était lui, qui était toujours auprès de Stiles. Lui qui l'hébergeait, qui le protégeait, qui… Partageait sa couche plus de fois de nécessaire au vu de leur mélange d'odeur clairement discernable. Le kanima avait eu vent d'une entrevue avec les Calavera, mais à l'heure qu'il était, Derek devrait déjà être ici, dans cette chambre, à veiller son hyperactif. Où était-il, bon sang ?

Jackson sentit une variation dans le rythme cardiaque de l'un des deux endormis et n'eut pas de mal à différencier celui de Stiles et d'Amelia, même si celui de celle-ci avait fini, instinctivement, par se calquer sur celui du lycéen. Et pourtant ce fut lui qui ouvrit les yeux, péniblement. En fait, il les entrouvrit plus qu'autre chose. Sa paupière supérieure droite était gonflée et ses yeux, à moitié injectés de sang. Jackson se leva aussitôt et rapprocha une chaise du lit. Puisque ni Derek, ni aucun autre membre de la meute n'était là, Jackson se devait de le soutenir et de l'aider si besoin. Le regard ambré fatigué de l'hyperactif tomba sur lui et la surprise illumina légèrement ses iris éteints.

- Que… Je…

Il peinait à ouvrir la bouche, peinait à articuler, peinait à réfléchir à ses mots. C'était visible. D'un geste qui le surprit lui-même, Jackson posa une main sur son avant-bras légèrement bleui et lui dit doucement :

- Ne te fatigue pas inutilement. Tu es sauvé, je suis là et je ne pars pas tant qu'il n'y a pas quelqu'un pour me remplacer. Cette fois, tu es en sécurité.

Le regard de Stiles s'éclaira un instant avant qu'il ne tente un sourire et qu'il grimace de douleur. Emile s'était bien amusé à le frapper, si bien que sa face resterait tuméfiée quelques jours au moins. Parce que même si le policier s'était également fait plaisir en lui claquant plusieurs fois l'arrière du crâne contre le sol avec une violence folle, Stiles s'en sortait très bien, avec un traumatisme crânien, ce qui faisait qu'il se souvenait de tout et n'avait aucune lésion cérébrale.

Melissa, lorsqu'elle avait eu les informations, avait transmis à Jackson l'entier diagnostic : traumatisme crânien léger, de nombreuses plaies et contusions, quelques entailles, une côte cassée. Par chance, la blessure à la cuisse de Stiles avait « la bonne place ». La lame qui avait été utilisée avait évité l'artère de peu. Stiles avait perdu beaucoup de sang, mais si l'artère avait été touchée, l'issue aurait très vite pu s'avérer tragique. Dans tous les cas, il avait été pris en charge à temps.

Stiles cligna des yeux plusieurs fois avant de les fermer fortement. Son corps se rappelait à lui, avec ses multiples blessures. Et c'était douloureux, très douloureux. Pourtant, il ne dit rien, ne tenta plus de parler et serra les dents, même s'il peinait à croire que Jackson soit là, à l'hôpital, avec lui. Stiles avait beau être conscient et se souvenir de ce qui lui était arrivé, il était incapable de réfléchir correctement. C'était mentalement épuisant et son corps meurtri ne l'aidait pas le moins du monde. Les seules choses qu'il pouvait laisser s'exprimer en lui avec facilité, c'était ses émotions. Alors, l'intensité de sa surprise n'était pas étonnante, comme la peur qui s'insinuait en lui. Une peur inexplicable mais viscérale. Un traumatisme physique.

Mais d'un coup, la douleur, aussi lancinante que pesante, mit les voiles et sembla alléger son crâne d'un poids. Il ne put empêcher un soupir de soulagement de passer la barrière de ses lèvres. Ainsi, l'inconscience le gagna avec une aisance folle, sans même qu'il se rende compte de la présence du petit corps toujours endormi contre lui.

Jackson, de son côté, prit la main de Stiles entre les siennes et ne la lâcha pas. L'hyperactif aurait pu mourir et il était en train de le réaliser.

Une bonne demi-heure plus tard, Jackson avait faim. Il ne voyait aucun inconvénient au fait de rester là à veiller sur Stiles et Amelia, mais il était parti vite. De plus, il n'avait pas vraiment mangé ce midi, qu'il avait préféré passer à réviser pour un examen proche. Il appela Melissa qui vint prendre sa place le temps qu'il aille se chercher un petit quelque chose au distributeur, quelque chose qui pourrait lui caler l'estomac. Alors que le petit paquet de gâteaux qu'il avait choisi était en train de tomber dans le bac, son téléphone se mit à vibrer, vibrer, vibrer. Melissa lui demandait de revenir immédiatement. Sans oublier sa nourriture, le kanima se dépêcha et lorsqu'il entra dans la chambre, il comprit pourquoi l'infirmière était dans l'urgence.

Stiles était réveillé et il pleurait. Il avait mal, c'était pire que tout à l'heure. De son côté, Melissa tenait la petite dans ses bras et lui tournait la tête de manière à ce qu'elle ne puisse pas voir le visage complètement défait de son oncle de cœur. L'infirmière, pourtant habituée au surnaturel, paraissait profondément choquée et c'était compréhensible.

Si Jackson avait effectivement entraperçu des traces d'un liquide noirâtre séché sur le visage de l'hyperactif dans la ruelle, il ne s'était pas vraiment posé la question sur sa nature, priorisant l'état du blessé. Mais là, il était bien obligé de reconnaître qu'un humain pleurant des larmes noires, ce n'était pas normal.