Derek serrait la main de Stiles avec force et douceur alors que des larmes de rage coulaient sur ses joues. Elles n'étaient pas nombreuses mais leur simple présence suffisait à montrer l'ampleur de l'émotion qui le secouait. Voir Stiles dans cet état était un choc pour lui, un véritable choc. Le visage endormi mais ravagé par la tristesse d'Amelia lui tordait également le cœur avec une force étonnante.

Ils étaient au loft, tous les deux. Stiles avait été attaqué. Amelia avait vu des choses. Ils s'étaient enfuis. Et d'après ce qu'il savait, la petite avait appelé qui elle pouvait alors que dans cette petite ruelle, celui qu'elle considérait comme son presque père se vidait de son sang. Elle en avait trop vu. Elle était traumatisée.

Et Stiles… Derek l'imaginait, seul, sous son agresseur, à se faire ruer de coups. A se battre, se défendre, à résister. Il l'imaginait encore, allongé sur le sol, à subir de potentiels assauts sexuels. A se faire embrasser contre son gré. A sentir les mains sales souiller cette peau diaphane. Derek serra son poing libre. Il aurait dû être là. Stiles lui avait assuré qu'il ne risquait rien et en soi, c'était censé être le cas : le loft entier était protégé par une alarme, comment cet enfoiré avait-il fait pour la désactiver ? Nul doute que l'hyperactif aurait fui avec la petite directement après l'avoir entendue, il ne pouvait pas en être autrement.

Rongé par les remords, Derek peina à sécher ses larmes peu nombreuses et assez discrètes mais particulièrement tenaces. Il se repassait son départ, ce matin-là, sa réunion avec les Calavera, les messages d'Amelia, le trajet en voiture, la douleur de sentir son cœur s'arrêter à deux reprises… Lui aussi avait failli y passer, il le savait. La mort n'était plus très loin de lui, à vrai dire, elle attendait de pouvoir le cueillir au moment où il s'y attendrait le moins. Le temps le fuyait alors qu'il repoussait ses limites et jouait avec le feu sans aucune arrogance. Il voulait juste vivre sans brusquer Stiles, était-ce mal ?

- Tonton Derek ? Fit soudainement la petite voix d'Amelia.

Derek releva ses yeux rougis et larmoyants vers la petite qui avait ouvert les yeux et le regardait tristement. Elle se redressa, déposa un petit bisou sur la joue bleutée de Stiles avant de descendre du lit et de sauter dans les bras du loup qui, puisqu'il ne s'y attendait pas, mit un peu de temps à réagir. Enfin, il passa son bras libre autour du petit corps qui s'accrochait à lui et le serra avec force et douceur à la fois. Son odeur subtile commençait à se mêler à la sienne, ainsi qu'à celle de Stiles, parce qu'ils étaient les deux êtres qui passaient le plus de temps avec elle. Alors, sa fragrance se teintait de la leur, sans s'y mélanger toutefois. C'était différent. Pas une union, mais une acceptation. Comme si, même en tant qu'humaine ignorante, Amelia les acceptait auprès d'elle à un tout autre niveau.

A eux trois, ils commençaient très sérieusement à former une famille.

Si ce constat réchauffa un peu le cœur de Derek, cette pensée disparut bien vite. Il se concentra sans le vouloir sur la peur qu'il avait ressentie lorsqu'il avait reçu ces messages.

- Tu as été très courageuse Amy, dit-il à un bas volume, assez fort toutefois pour qu'elle l'entende.

Sa voix était rauque et un peu rocailleuse, pleine d'émotion alors que sa main remontait jusqu'aux cheveux de la petite, qu'il caressa avec une tendresse presque paternelle. Si elle l'entendit, la petite ne répondit pas et se lova contre lui. Déposant un doux baiser sur son front, Derek s'excusa auprès d'elle de ne pas avoir été là. Il était incapable de sécher ses larmes, s'en voulait qu'elle le voie dans cet état-là mais ne pouvait pas faire autrement. Il était brisé, dans un certain sens. On avait manqué de lui arracher les deux êtres qui s'étaient fait une place solide dans son cœur à une vitesse inimaginable. Si l'un des deux disparaissait, Derek savait qu'il ne s'en remettrait jamais. Stiles était son âme-sœur et Amelia, comme une fille de cœur.

- C'est parce que y a du noir sur ton bras que tu pleures ? Demanda une petite voix cristalline contre lui. Tu as une maladie ? Tu peux pas être malade, hein ? Tu vas pas partir ?

Derek tourna légèrement la tête. Sa main libre serrait toujours le poignet de Stiles et ses veines, courant de ses doigts jusqu'à sa fosse cubitale, étaient d'un noir si sombre qu'il était difficile de ne pas les voir. Caressant toujours les cheveux de la petite qui s'était confortablement installée contre lui, sur ses genoux, Derek se fit la réflexion que c'était sans doute la première fois qu'il usait de l'un de ses pouvoirs de loup-garou devant elle. L'ouïe supérieure lupine n'étant pas une capacité visible, elle ne comptait pas.

- Non, la rassura-t-il, presque attendri devant son inquiétude palpable.

Après Stiles, Amelia était la première personne à s'inquiéter pour lui sans ressentir cette peur qu'il créait facilement chez les autres. Derek ne pouvait en vouloir à personne : il savait qu'il avait un regard glacial, une aura généralement noire qui se sentait, tout autant que son air souvent peu avenant. Son visage presque éternellement fermé par la tragédie qui lui avait enlevé sa première famille. Il ne permettrait pas qu'on détruise celle-ci, qu'il s'était créée inconsciemment. Savoir qu'une petite fille de moins de dix ans se sentait rassurée en sa présence et s'inquiétait pour lui réchauffait le cœur du loup qui était désormais incapable d'être froid. Il était fort, mais avait ses limites et elles étaient atteintes depuis un moment. Depuis que la vie l'avait fait se rapprocher de Stiles, ce jeune homme plus brisé qu'il ne l'avait laissé voir de prime abord. Enfin, jusqu'à ce que ses défenses laissent Derek se rapprocher de son horrible secret.

- Alors c'est quoi ? Demanda-t-elle, curieuse en touchant son bras de ses petites mains.

Amelia faisait attention à ne pas parler trop fort pour éviter de réveiller Stiles par inadvertance. Elle était adorable. Derek répondit sur le même ton :

- C'est sa douleur, je lui prends. Ainsi, il n'a pas mal.

- C'est de la magie ?

- On peut dire ça comme ça.

- J'aimerais faire de la magie moi aussi, comme ça si le méchant revient, Tonton Stiles aura plus mal.

- Le méchant ne s'approchera plus de vous, lui dit Derek en continuant de caresser ses cheveux. Je serai là, cette fois.

Si le temps qu'il lui restait le lui permettait. Mais ça, il omit de le préciser. Ses larmes avaient fini par se tarir grâce à la distraction qu'Amelia lui avait offerte sur un plateau. Sa peine, elle, restait grande, à tel point que la blessure psychique qui faisait mal à son cœur restait béante.

Stiles commença à se réveiller, peu à peu, Derek le sentit et il sut que c'était le moment pour lui de faire ce qu'il avait à faire. Si Deaton était au courant de ce qu'il prévoyait, nul doute qu'il lui aurait tapé sur les doigts, sauf qu'il n'était pas au courant de ce petit « détail » concernant les compagnons, contrairement à Derek. C'était un sacré avantage d'être né dans une famille de loups-garous. Même si Stiles était humain, ça devrait sans doute marcher. Il le fallait. Il reposa la petite par terre, lâcha le poignet de l'hyperactif qui n'avait pas encore ouvert les yeux. Ses yeux encore un peu rougis s'ancrèrent dans ceux, ambrés, de la petite, tandis qu'il s'accroupissait pour se mettre à sa hauteur.

- Amy, j'aimerais que tu sortes de la chambre une minute. Si tu vas dans la salle de bain, ça suffit. Tu peux faire ça pour moi ? Lui demanda-t-il d'une voix douce.

- Bah pourquoi ? S'enquit Amelia, perplexe.

- J'ai quelque chose à faire. C'est magique, précisa Derek.

- Et je peux pas voir ?

- Je ne suis pas sûr d'y arriver si j'ai quelqu'un qui me regarde.

- Je savais pas que les gens trop beaux pouvaient être timides, rit-elle doucement.

Et ce son, couplé à ces paroles adorables fit diablement du bien à Derek qui ne put empêcher un faible sourire d'étirer ses lèvres. Avant d'effectivement partir pour la salle de bain, Amelia lui fit un bisou sur la joue et Derek lui fit un gros câlin. Lorsqu'il fut finalement seul dans la chambre en tant que telle, il se releva et vit les yeux fatigués de Stiles fixés sur lui. Ses traits étaient à nouveau tendus, il avait mal. Et pourtant, l'amour transparaissait dans ses orbes ambrés. Derek revint près du lit et, d'une main, lui caressa la joue avec une délicatesse extrême. De l'autre, il prit sa douleur, encore.

- Je suis désolé, murmura-t-il douloureusement.

Mais Stiles ne lui en voulait pas, il le savait. Il le sentait. L'hyperactif aurait sans doute souri s'il n'était pas aussi faible actuellement. Le jeune homme releva péniblement sa main, qu'il finit par poser sur celle de Derek, que ce contact fit frissonner.

- J'aurais dû être là, souffla-t-il.

« C'est pas grave, Der », crut-il entendre alors que les lèvres de Stiles n'avaient pas bougé d'un iota. C'était sans doute ce que lui traduisait son regard.

A nouveau assis sur la chaise qu'il avait rapprochée au maximum du lit, Derek se pencha, lentement. Le baiser qu'il échangea avec Stiles fut plus de l'ordre du frôlement qu'autre chose mais le loup avait horriblement peur de faire mal à son compagnon, même s'il lui prenait sa douleur. Il se força également à ne pas penser au fait que ces belles lèvres abîmées et un peu sèches avaient sans doute été touchée par une bouche appartenant à un monstre. Il ne devait pas y songer. De toute manière, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour qu'Emile Chabrier ne puisse plus poser ses sales pattes humaines sur son hyperactif. De toute façon, il avait la meute et était au courant du dévouement inattendu de Jackson envers Stiles, puisque c'était bien le kanima qui était allé récupérer l'humain et avait prévenu Scott. S'il lui arrivait quelque chose, Derek savait qu'il y aurait des gens pour croire et protéger son compagnon.

- Je t'aime Stiles, dit-il contre sa bouche avant d'éloigner un peu son visage du sien.

Et l'hyperactif voulut lui répondre, lui retourner sa déclaration avec amour. Derek sentait qu'il le désirait vraiment. Cependant, sa faiblesse était telle qu'il ouvrit la bouche et peina à articuler des sons se rapprochant vaguement de ce qu'il voulait dire. Le voir ainsi, à avoir de si grandes difficultés à s'exprimer, brisa le cœur de Derek tout autant que cela renforça sa conviction. Il était prêt, c'était le moment. Si ça ne marchait pas, Stiles devrait guérir naturellement. Si ça fonctionnait, il irait mieux bien vite.

- Je vais essayer de t'aider mon cœur mais ça risque de piquer un peu alors ne t'affole pas, d'accord ? Lui dit-il doucement.

Les yeux ambrés fatigués de Stiles le scrutèrent avec perplexité mais il n'essaya pas de parler à nouveau, chaque échec cuisant faisant naître une honte toujours plus forte à l'intérieur de lui. Toutefois, le « ne t'affole pas » de Derek ne le rassurait pas outre mesure, c'était même l'inverse. Mais le loup était son compagnon alors… Il devait lui faire confiance, non ? Son épuisement était tel que Derek avait intérêt à se dépêcher s'il voulait qu'il reste conscient. Stiles ferma les yeux deux secondes et finit par les rouvrir péniblement. Ses paupières étaient si lourdes…

- Je peux revenir ? Fit une petite voix fluette depuis la salle de bain.

- Pas encore ma puce, répondit Derek d'une voix forte, mais bientôt. Je te dirai quand tu pourras revenir.

Il se reconcentra sur Stiles et enroula correctement ses doigts autour de son poignet. Il ferma les yeux, se concentra. Avec sa faiblesse croissante, se servir de ses pouvoir lupins était plus difficile et sortir ses griffes nécessitait une certaine concentration, si bien qu'il n'arriva à les faire apparaître qu'au bout de deux longues minutes. Stiles se serait brusquement redressé s'il avait plus d'énergie. Il aurait crié, aussi. Parce que sentir cinq griffes de loup-garou s'enfoncer dans son poignet fin n'était pas une expérience des plus agréables. La douleur déferla, si forte que ses lèvres s'ouvrirent comme pour hurler. Son corps entier était crispé et il aurait voulu crier sur Derek pour lui faire arrêter ses conneries. Mais lorsque ses yeux croisèrent leurs homologues devenus aussi dorés que les siens, ses pensées changèrent de direction. Des veines noires zébraient ses bras, ses épaules, son cou, son visage. Derek grogna le moins fort qu'il le put pour ne pas alerter Amelia et ne lâcha pas Stiles le moins du monde.