- Tu as déjà pensé à ce qu'on pourrait être, dans dix ans ?

A la question de Stiles, Derek poussa un soupir paresseux. Serré contre son amour, dans leur lit, il profitait de cette plénitude qui leur faisait tant de bien à tous les deux. Quelques secondes avant, un joyeux silence régnait, un silence que l'on appréciait. L'hyperactif le brisa à nouveau :

- Parce que… On est liés. On est… Compagnons. C'est pour la vie, tu t'en rends bien compte ? Ça veut dire que même si t'en viens à plus me supporter, je serai quand même toujours là.

- J'sais, marmonna Derek avec une flemme non dissimulée.

Il adorait discuter avec Stiles et l'entendre parler tout court. Pour autant, il était réellement bien ainsi et le silence lui convenait. Il pourrait même s'endormir, là, son visage reposant sur le torse de l'hyperactif qui lui caressait les cheveux sans discontinuer.

Ce qui l'avait mis dans un tel état de plénitude ? Rien de particulier. Juste Stiles. S'ils étaient effectivement dans leur lit, à moitié à poil, ils n'avaient absolument rien fait de sexuel. Derek avait aimé Stiles à de multiples reprises, oui, mais il n'avait pas besoin de faire l'amour pour profiter de l'élu de son cœur. De simples étreintes et baisers passionnés, les jambes entrelacées, suffisaient. La raison de leur tenue légère ? On sentait mieux la chaleur de l'autre, sans la plupart des vêtements. C'était plus naturel, plus agréable, plus intime. Si les deux jeunes hommes avaient gardé leurs boxers, Stiles avait tout de même tenu à rester en t-shirt. Il progressait, oui, mais à son rythme, et il avait encore du mal à assumer ces cicatrices qui faisaient partie intégrante de lui. Déjà, il faisait un effort pour ne pas garder ses bras – tous aussi mutilés que son torse – sous la couette. L'envie ne manquait pas, mais il le faisait, pour Derek. Parce qu'il le lui avait expressément demandé.

- Tu sais, tu sais, c'est vite dit. Non parce que je me dis… On a des caractères différents et avant, on se foutait pas mal sur la gueule.

- C'était avant, marmonna encore le loup d'un ton légèrement différent.

Avant, oui. Quand Stiles mentait. Avant, lorsqu'il se donnait un genre simplement pour se protéger. Avant, quand il faisait tout pour le provoquer et qu'il laissait la responsabilité de son comportement général à son hyperactivité. Derek reconnaissait qu'il n'avait pas été des plus tendres avec lui et que Stiles… Avait été un sacré bon comédien. A cette époque, le loup n'imaginait à aucun moment le cauchemar qu'avait été sa vie, ni l'enfer que représentait chaque jour nouveau à ses yeux. Et puis, cet enfoiré de flic avait fait son retour à Beacon Hills et c'était seulement à ce moment-là que le fabuleux jeu de Stiles avait commencé à se craqueler. Il n'avait d'ailleurs pas mis longtemps à craquer, incapable de supporter une récidive de sa part, incapable d'accepter l'idée d'ajouter d'autres cauchemars à sa collection déjà bien fournie.

Derek choisit de s'orienter vers des réflexions plus gaies, histoire de ne pas entacher ce moment privilégié qu'il vivait avec son compagnon. D'ailleurs, le loup se redressa légèrement et vint déposer un baiser d'amour au coin des lèvres de l'hyperactif, le coupant ainsi dans ses idées aussi idiotes que révolues.

- Arrête de t'inquiéter. On est compagnons, on se supportera sans problème. Et au pire, je te grogne dessus, et toi, tu me bassines de paroles. Moi, c'est un programme qui me va très bien.

Stiles soupira, mais Derek vit dans son regard qu'il n'était pas réellement agacé. Il décelait même une lueur d'amusement dans ses orbes couleur miel.

- Des fois, je me demande qui est le plus gamin de nous deux.

Le loup ne répondit pas, ce n'était pas la peine. Il n'y avait pas d'immaturité dans sa vision des choses, au contraire. Il était parfaitement lucide et réaliste quant à leur relation. Son côté atypique n'enlevait rien à sa beauté et son côté unique. Leur histoire était peut-être particulière, c'était la leur et Derek ne la changerait pour rien au monde. Elle avait son lot d'évènements noirs, oui, mais ils devaient surmonter chacun d'entre eux. Derek avait l'impression qu'ensemble, tout était possible.

Seuls, ils étaient forts l'un et l'autre. Ensemble… Ils étaient invincibles.

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- Non, pas comme ça Derder !

Derek soupira de désespoir. Elle était mignonne, hein ? Oui, elle l'était. Mais ce qu'elle lui demandait était atrocement difficile pour lui qui n'était absolument pas doué pour ces choses-là. De son côté, Stiles semblait exceller. D'accord, mais pour cette fois, il avait combiné avec Amelia pour pousser Derek à le faire à sa place et regarder le carnage. Il ne riait pas : depuis son agression au loft, il était bien plus mesuré, même s'il faisait des efforts. Lorsqu'ils se retrouvaient seuls, tous les deux, c'était plus simple. Pourtant… Il ne ressentait aucune gêne face à la petite, du moins pas consciemment.

Pour autant, il sourit d'un air amusé.

Non parce que l'œuvre réalisée par Derek n'était pas fameuse.

- Tu recommences ! Ordonna la petite fille d'un air sérieux.

Derek soupira encore et retira le chouchou de sa douce chevelure avec une délicatesse folle. La peur de lui faire mal ou de lui arracher des cheveux par mégarde lui tordait le ventre. Du coin de l'œil, il vit Stiles esquisser un rictus.

- Viens me remplacer au lieu de te moquer dans ton coin, maugréa-t-il.

- Je vais surtout continuer de te regarder te vautrer, chéri, rétorqua Stiles sans que l'amusement ne quitte son regard espiègle. Et puis, il faut que tu te fasses la main. Mel est une princesse, et nous sommes ses fidèles serviteurs.

- Ça c'est bien vrai ! S'exclama la petite en souriant.

- Je ne suis le serviteur de personne, grommela Derek. J'ai toujours été le grand méchant loup.

Il disait ça avec une pointe d'humour et en même temps… Ce n'était pas si faux. Longtemps, on l'avait jugé à cause de son air sombre et renfermé. Accusé à tort, méprisé, la mort de sa famille l'avait condamné de bien des manières. Lorsqu'il y repensait, Stiles aussi y avait cru, au début, et il le comprenait. Toutefois, il avait été l'un des rares à le voir rapidement autrement que comme le simple survivant taciturne de la famille Hale qui aurait hypothétiquement tué sa sœur. On pouvait remercier Gérard Argent pour cette rumeur, d'ailleurs. Et même s'il avait pu prouver son innocence, son visage, lui, ne changeait pas. Pour cette raison, la légèreté et la familiarité d'Amelia à son égard ne manquait jamais de le surprendre. Elle était une enfant et n'avait pas peur de lui, au contraire : Amelia semblait réellement l'adorer comme si à ses yeux à elle, il n'avait rien de terrifiant. Un gros doudou protecteur capable de grogner très fort si l'on s'approchait un peu trop d'elle ou de Stiles. Un loup bien réel qui pouvait sortir les griffes en cas de danger.

- T'es pas méchant, rétorqua-t-elle. Tu pourras jamais l'être.

- J'ai la tête des méchants dans les films, maugréa-t-il.

En un sens, il essayait surtout de se convaincre lui, pas réellement Amelia. Oui, c'était toujours particulier et nouveau pour lui de constater à quel point elle était à l'aise avec lui. Pourtant, elle était si jeune ! Pour être honnête, Derek se savait gentil, mais il gardait cette espèce de truc, ce sentiment d'imposteur. Il pouvait croire des gens comme Stiles, Lydia, Isaac. Mais une enfant ? Oui, il la croyait aussi. Simplement, c'était la première fois qu'une petite fille le faisait se sentir si… Normal. La plupart des enfants détournaient le regard par peur en le voyant. C'était un signe, non ? Amelia cassait lentement mais sûrement cette image qu'il se faisait de lui-même.

- Nan, eux ils sont moches, pas toi, répondit la petite avec un naturel affolant.

En ce sens, elle ressemblait à Stiles et c'était à se demander si elle était ainsi depuis le début ou si l'hyperactif avait déteint sur elle.

De son côté, Stiles souffla du nez et la regarda avec malice.

- Ma chérie, je t'adore mais je ne te permets pas de me voler mon loup, dit-il d'un air espiègle.

Derek se mit à sourire franchement devant la plaisanterie légère de Stiles. Dans le même temps, une bouffée de chaleur l'envahit. Il se revoyait des semaines en arrière, impuissant face aux larmes de l'hyperactif, qu'il voyait pour la première fois. Il se rappela des cigarettes, de Stiles lui quémandant de l'aide, se réfugiant automatiquement chez lui. De ces nuits à l'hôtel, de leurs premières étreintes, de cette complicité déjà présente mais qui avait commencé à se renforcer à partir de ce moment-là. De ces cauchemars qui les réveillaient tous les deux et qui continuaient encore aujourd'hui de temps à autres. Ils ne disparaîtraient pas, pas avant longtemps. Peut-être même Stiles continuerait-il d'en faire tout au long de sa vie. Mais aujourd'hui, il savait sourire, avait retrouvé cette étincelle que Derek pensait parfois perdue à tout jamais. Il avait tort. Stiles était fort, bien plus qu'on ne pouvait l'imaginer. Que ce soit grâce à lui ou non, il se relevait. Il avait envie de vivre. Et il les aimait, lui et Amelia. De tout son cœur.

- Beh t'façon il est trop poilu. Je suis une princesse et je veux pas que mon prince soit aussi poilu, ajouta la petite avec un sérieux étonnant.

Cette fois, Derek éclata franchement de rire et Stiles souffla du nez.

Il y avait du progrès.

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- Mel est au lit ? S'enquit Stiles, déjà sous les draps.

Derek hocha la tête. Il s'en était personnellement assuré. Était-il toutefois utile de préciser qu'elle ne comptait pas dormir tout de suite ? Elle avait insisté pour se mettre à lire un bouquin qu'elle avait trouvé dans la vieille bibliothèque du manoir et le loup n'avait pas eu le cœur à la forcer à attendre le lendemain pour le commencer. De toute manière, elle ne l'aurait sans doute pas écouté et aurait trouvé un moyen de tromper sa vigilance. Le fait qu'elle reste éveillée un peu plus de temps que prévu n'était pas un problème.

Derek retira facilement chacun de ses vêtements, à l'exception de son boxer, qu'il choisit de garder. Qu'il était agréable de se mouvoir sans s'essouffler au moindre effort ! Une chose était certaine, sa forme lui avait manqué. En fait, c'était idiot, mais il se sentait plus fort que jamais, et pas seulement parce qu'il était guéri. Il avait son compagnon auprès de lui, et sa petite protégée aussi. Avec cette petite famille à ses côtés, il se sentait réellement invincible. Fort de cette impression, il se glissa sous les draps, et surprit le regard de son homme sur lui. Posant sa main sur la hanche fine, il s'empara de sa bouche avec amour et passion, des choses qu'il n'avait jamais ressenties avec qui que ce soit d'autre. Stiles était réellement spécial, il avait ce truc qui avait su charmer son loup dès le début, mais il avait fallu attendre cette série d'évènements cauchemardesques pour qu'il s'en rende compte, comme si la vérité des sentiments ne se trouvait que dans le malheur. Pour l'instant, ça allait. Ils géraient les aléas de leur vie aussi bien que possible. Et puis… Ils s'aimaient. C'était déjà pas mal.

Après ce baiser fort tendre, Stiles se pelotonna contre Derek et lui murmura à quel point il était heureux de l'avoir dans sa vie. Si le loup n'ouvrit pas la bouche, la manière dont il le serra contre lui voulait tout dire. L'amour qu'il ressentait pour lui était incommensurable et précieux. Trouver son compagnon n'était pas simple et relevait parfois de la chance : c'était exactement ce que Derek ressentait. Il se considérait comme chanceux car avant Stiles, jamais il ne s'était senti aussi en paix avec lui-même. Il se sentait à sa place, avec les bonnes personnes et la douleur de la solitude, cette vieille compagne, avait disparu.

Puis, ils s'embrassèrent, se caressèrent avec un naturel fou. Et si les choses dérapèrent au bout d'un moment, ce qui devait arriver se déroula avec douceur et volupté, si bien que Stiles se sentit comme transporté dans un monde paradisiaque où seul Derek comptait. Ils jouirent de concert en silence et s'embrassèrent tendrement avant de s'en aller lentement rejoindre les bras de Morphée, enlacés, serrés l'un contre l'autre.

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« Tu penseras à changer les draps, y a du sperme partout. J'arrive même pas à croire qu'on ait dormi là-dedans. On est sales en vrai, mais je crois que ça me déplaît pas. Pas d'être sale, hein, juste… De faire tout ça, avec toi. »

Il était onze heures et le cœur de Derek balançait entre le rire et l'émotion. A travers ses mots écrits à la va-vite, Stiles avait parfaitement transmis ce qu'il ressentait. De l'amour, une promesse de sérénité, et une forme de sécurisation. Sous-entendre ainsi qu'il commençait à être à l'aise avec cette idée d'intimité-là avait dû être un effort pour lui qui, peu de temps plus tôt, ne savait pas lorsqu'il serait à nouveau capable de s'unir avec son loup. Comme quoi, pas besoin de s'affoler, ni de chercher à faire des calculs : les choses venaient naturellement si on les laissait faire. Le tout était de ne pas se brusquer, ni se forcer. Stiles allait à son rythme et Derek l'y encourageait. Les deux jeunes hommes s'étaient laissés emporter par leur amour empreint de passion et aucun d'eux n'avait voulu se réfréner – sauf pour le bruit. L'hyperactif avait été d'une discrétion à toute épreuve et Derek l'y avait bien aidé, à coup de langue et de baisers par milliers. En y repensant, le loup sentit son cœur déjà apaisé se réchauffer davantage. Stiles était sur la bonne voie. Ce n'était pas fini, il y aurait sans doute des hauts et des bas, des rechutes, tout un tas d'obstacles à sa guérison, mais il y arriverait. Stiles était bien plus fort qu'il ne se l'imaginait et Derek en était bien conscient. Une force de la nature, voilà ce qu'il était. Un survivant, aussi.

Un survivant qui avait besoin de reprendre peu à peu un quotidien aussi normal que possible.

Lydia était passée le chercher en début de matinée après lui avoir laissé un message simple : « Sois prêt à dix heures ». Stiles avait été prêt, même s'il n'avait aucune idée de pourquoi il devait l'être. Derek, lui, l'avait su dix minutes avant qu'elle ne délivre ce texto à l'hyperactif.

Lydia lui avait envoyé un pavé lui expliquant le déroulé de la journée qu'elle avait prévue pour Stiles. Quelque chose pour lui changer les idées. La première minute, Derek s'était montré réticent et ce, pour plusieurs raisons. Déjà, la jambe de Stiles n'était pas guérie et il peinait encore réellement à marcher. La douleur était toujours là, chaque fois qu'il essayait. C'était simple : ce matin, Derek avait dû l'aider à se doucher. D'ailleurs en général, il faisait le taxi chaque fois que Stiles avait besoin de changer de pièce. Il faudrait d'ailleurs qu'il pense à lui acheter une canne, ou qu'il loue un fauteuil, le temps que sa blessure cicatrise. Puis, il y avait aussi le problème Emile. Il était toujours dans la nature et il était hors de question qu'il touche à nouveau à son compagnon. La banshee l'avait tout de suite rassuré sur ces deux points.

Pour le fauteuil, elle avait pris les devants et en avait eu un gratuitement grâce à Melissa McCall, la complice de tous les coups fourrés de la meute. En ce qui concernait la sécurité de Stiles, c'était plutôt simple : elle ne serait pas seule avec lui. Isaac, Jackson et Scott seraient là. En fait, ce serait une petite sortie entre amis, entre lycéens, pour lui changer les idées, le faire penser à autre chose. Ces derniers temps, Stiles avait dû penser comme un adulte, qu'il était déjà. Il avait grandi trop vite et son regard s'était durci par rapport à pas mal de choses. Mais récemment, il avait enchaîné les chocs, les déboires, les agressions. Il lui fallait une pause et ça, Derek le savait, mais il était tellement inquiet à l'idée qu'il lui arrive malheur qu'il avait simplement pensé à le garder avec lui à chaque fois. Mais l'idée de le sortir un peu de ce quotidien-là n'était pas mauvais, au contraire. Lydia était une jeune femme inventive, avec la tête sur les épaules. Bien sûr qu'elle avait pensé à tout. Et puis, elle ne le lui ramènerait pas tard : dix-huit heures grand maximum. En attendant, il serait entre de bonnes mains, entourés par ses amis qui tenaient sincèrement à lui et voulaient lui montrer.

Derek allait donc passer la journée seul avec Amelia. Dire qu'il se sentait intimidé était peu dire : la petite avait beau ne pas le craindre, Stiles était toujours à côté. Là, il brillerait par son absence, mais Derek voyait autant que possible le bon côté des choses. Élever un enfant et l'occuper restaient une nouveauté pour lui et à défaut d'apprendre cela en un jour – il en apprenait un petit peu à chaque nouveau lever de soleil –, il ferait davantage sa connaissance ainsi. En changeant les draps du lit que la luxure avait colorés, Derek réfléchit à ce qu'il pourrait faire, à ce qu'il pourrait proposer comme activité à la petite pas encore levée. Lorsqu'il eut terminé, il poussa un soupir de découragement. A vrai dire, il n'était absolument pas inspiré.

Bon, il allait falloir improviser.