Les fois où Derek se levait en pleine nuit étaient rares, pour la simple et bonne raison que, s'il avait le sommeil léger lorsqu'il était en forme, il se rendormait généralement assez vite… Sauf lorsqu'il percevait des bruits comme ceux qui l'obligèrent à quitter la chaleur des draps et des bras de Stiles. Par chance, l'hyperactif dormait profondément et ne semblait pas parti pour faire une crise. Bien évidemment, Derek gardait à l'esprit que c'était quelque chose qui pouvait arriver, mais… Il ne l'espérait pas. Pas parce qu'il était agacé ou que l'idée de le consoler le dérangeait, il avait juste… Besoin de savoir que toutes les nuits de Stiles n'étaient pas cauchemardesques et qu'il pouvait avoir le loisir de se reposer un peu de temps à autres.

Ainsi, c'est plus ou moins tranquille mais un peu inquiet que Derek enfila un t-shirt et quitta la chambre. Néanmoins, il déploya ses sens et plus particulièrement son ouïe, de sorte à déceler le moindre signal d'alerte quant à un hypothétique changement d'état de Stiles.

Le pas lourd mais silencieux, Derek marcha en se grattant l'arrière du crâne et s'arrêta devant la porte de la chambre qu'occupait Amelia. Dans le but de ne pas lui faire peur, il toqua doucement en entrouvrant la porte et lui demanda en chuchotant s'il pouvait entrer, ce à quoi un « oui » aussi faiblard que tremblant lui répondit. Ainsi, il n'hésita plus et ferma derrière lui. Même s'il savait la raison pour laquelle ses sens l'avaient alerté, il tenait à montrer à la petite que son avis comptait, même pour des choses aussi simples que celle-ci. Il se rapprocha du lit et la prévint qu'il allait allumer la lumière. Bien qu'il puisse deviner sa petite silhouette sans effort grâce à sa vision lupine, il voulait qu'elle puisse le voir aussi. Il trouvait ça plus juste, plus égalitaire. Une fois qu'il eut appuyé sur l'interrupteur, ses yeux se posèrent sur le visage rondelet strié de larmes qui coulaient par milliers.

C'étaient ses sanglots discrets qui l'avaient réveillé et l'avaient poussé à ne pas céder à nouveau à ce sommeil piégeux qui lui tendait pourtant les bras. Derek mentirait s'il disait ne pas être fatigué : mais qu'importe, il savait qu'il aurait d'autres moments pour se reposer. Ainsi, c'est sans hésitation aucune qu'il s'installa près d'elle et la prit dans ses bras. Sa main partit naturellement caresser ses doux cheveux châtains tandis qu'elle, elle s'accrochait à lui comme s'il s'agissait de sa bouée de sauvetage. Derek mentirait s'il disait ne pas connaître vaguement la raison d'un tel éclat. En réalité, elle était plurielle. Comme Stiles, elle traversait un moment de sa vie particulièrement difficile et Derek n'était même pas sûre qu'elle ait commencé à faire le deuil de sa mère. A côté de cela, il y avait ce jour maudit au loft qu'elle n'oublierait pas de sitôt et… Le temps que Derek essayait de lui accorder, mais qui restait insuffisant pour une enfant de son âge.

- Qu'est-ce qui t'arrive ma puce ? Demanda-t-il doucement.

Au fond, il le savait… Plus ou moins. La petite n'avait pas vraiment de repères et grandir dans un environnement empli d'angoisses et d'incertitudes ne devait pas l'aider. Derek en avait atrocement conscience et il savait que le mieux serait que quelqu'un d'autre s'occupe d'elle, au moins le temps que de son côté, il arrive à stabiliser Stiles. Le problème ? Elle était attachée à eux deux et avait besoin de leur amour… Sans doute plus que quiconque. Dans un sens, elle les avait adoptés, avait besoin de la présence de l'un et de l'autre. Ainsi, lui trouver un autre foyer risquait de lui faire perdre, une nouvelle fois, le peu de repères qu'elle se construisait difficilement.

- Je sais pas, murmura Amelia en se blottissant contre lui. Ça coule tout seul…

Elle ne mentait pas vraiment, mais ne lui disait pas tout et ça, Derek le sentait. Il se mordit la lèvre inférieure. Amelia avait besoin qu'on s'occupe davantage d'elle et si Derek eut une idée, il savait qu'elle serait à double tranchant, mais… Il n'allait bientôt plus avoir le choix.

- Tu as fait un cauchemar ? Tenta-t-il en raffermissant son étreinte protectrice sur elle.

L'enfant était si petite qu'il avait peur de la casser alors même qu'il faisait juste au mieux pour la faire se sentir en sécurité dans ses bras. C'était dingue comment ces choses-là étaient si fortes et en même temps… Si frêles. Derek n'avait pas souvent côtoyé d'enfants en tant que tels, pour la simple et bonne raison qu'il avait choisi la solitude après l'incendie. Des années après, il avait un peu laissé tomber cette idée-là étant donné que son besoin de meute ne coïncidait pas vraiment avec cette envie d'être seul… Et voilà qu'il se retrouvait à devoir s'occuper d'une petite fille malgré lui. Une fillette qui l'appréciait beaucoup – ce qui continuait régulièrement de l'étonner. Il savait que c'était à Stiles qu'elle s'était attachée en premier, puisque sa défunte mère le connaissait. Elle avait confiance, savait que son ami prendrait soin de sa petite perle. En soi, elle n'avait pas tort.

Simplement, Stiles avait besoin d'une aide non négligeable.

- Il était… Il faisait pas si peur, c'est juste… Je me suis sentie mal en me réveillant, triste… Je sais pas pourquoi tonton Derek… Je sais toujours pas, je…

- Ce n'est pas grave, tempéra-t-il en lui caressant les cheveux. Tu n'es pas obligée de savoir. Tu te sens mal et c'est tout ce qui importe.

Il n'aimait pas sa confusion, qui continuait de lui rappeler avec douleur celle de Stiles.

- C'était quoi ton cauchemar ? Demanda-t-il plutôt.

Elle se pelotonna contre lui. Apeurée. Serra ses petits doigts sur son t-shirt. Angoissée.

Et les mots qui sortirent de sa bouche glacèrent le sang de Derek. Garder la face devint un véritable défi pour ce loup-garou qui avait pourtant l'habitude de cacher ses sentiments derrière un masque d'impassibilité – ou de froideur, selon son public. Mais Amelia, de par sa franchise et sa jeunesse, brisa toutes ses barrières sans aucun effort, tant et si bien que l'ancien alpha dut faire en sorte qu'elle ne regarde plus son visage. Alors, il la pressa contre son torse sans cesser de lui caresser les cheveux, se servant de ses bras comme d'un cocon protecteur pour elle.

Lorsqu'Amelia s'endormit, Derek ne réussit pas à retourner dans le lit de son compagnon. Stiles dormait bien et le loup-garou n'eut à déplorer aucune crise, aucun cauchemar de son côté. Derek resta simplement là, dans cette chambre, la petite dans ses bras. Ce n'est qu'à l'aube qu'il réussit à s'en détacher, à la laisser seule. A l'aube qu'il prit un café et s'empara de son téléphone.

Pour Melissa, il fallait un message – il ne savait pas si elle était de nuit à l'hôpital ou de repos.

Pour Jordan Parrish, il fallait un appel – il était forcément debout à cette heure-ci.

xxx

- Tu veux la faire garder ?

Stiles ne cachait pas son étonnement à Derek, qui avait les bras croisés sur sa poitrine. Il arborait des cernes légères, que son énergie habituelle et une bonne dose de café aidaient à cacher quelque peu. Si Stiles s'était réveillé seul dans le lit, il n'avait aucune idée du fait que son compagnon avait passé une nuit quasiment entièrement blanche.

- Je pense que c'est la meilleure chose à faire pour le moment, finit par répondre le loup-garou.

La décision, pour être honnête, lui coûtait beaucoup, mais Amelia en avait elle aussi besoin, à un point que Stiles n'imaginait pas le moins du monde. Il ne savait rien du mal-être qui l'habitait – Derek ne lui en avait toujours pas touché un mot. L'ancien alpha n'avait pas encore trouvé le moment adéquat pour lui en parler. Dans sa situation, c'était délicat. Il avait beau commencer à bien connaître Stiles, il se savait encore incapable de pouvoir prédire sa réaction quant à une révélation de ce genre.

- Combien de temps ?

- Cinq jours.

Stiles fronça les sourcils. Sans doute trouvait-il que c'était trop et dans un sens, il n'avait pas tort. Quoique du point de vue de Derek, c'était à la fois trop et pas assez. Mais il le fallait. Pour Amelia, pour Stiles, pour eux.

- Et pourquoi ? Finit par demander l'hyperactif.

A cet instant précis, Derek se détesta pour ce qu'il allait répondre…

- Elle a besoin de voir du monde, de changer un peu d'air.

… Parce qu'il ne s'agissait pas réellement de la vérité. Il y avait du vrai dans ce qu'il disait, mais le nombre de facteurs qui l'avait poussé à prendre sérieusement cette idée en considération était grand.

Parce que Derek ne pouvait pas dire à Stiles que dans un sens, la petite peinait à avancer dans l'ambiance anxiogène du manoir, qu'elle ressentait bien plus qu'il ne l'imaginait. Parce qu'il ne pouvait pas lui dire qu'elle avait besoin de bien plus d'attention qu'elle n'en avait actuellement. Parce qu'il ne pouvait pas lui dire qu'elle souffrait de ne pouvoir aller vers lui librement, pour la simple et bonne raison qu'elle sentait une certaine réticence de son côté.

Parce que Derek ne pouvait pas avouer à Stiles que de son côté, il se savait incapable de tout gérer sur le long terme. Il lui fallait a minima une pause et… La possibilité de se concentrer sur un humain à la fois – ce qui était déjà passablement compliqué. Les deux cas, autant celui d'Amelia que celui de Stiles, étaient particulièrement délicats. Différents et similaires à la fois.

Et Derek, dans sa prison du secret, ne se voyait pas dire à Stiles ce que la petite avait fini par lui apprendre cette nuit. Pas maintenant, en tout cas. Pas alors qu'il n'avait lui-même pas complètement accepté l'information.

- Elle te l'a dit ? S'enquit l'hyperactif.

S'il était difficile de déceler sur son visage autre chose que de l'étonnement, Derek percevait fort bien toutes les émotions qui peuplaient son odeur. Il n'y en avait pas grand-chose de positif et ça ne le surprenait pas. Il s'y attendait.

- Oui.

Non. Amelia ne lui avait rien dit, mais Derek avait su lire entre les lignes. Car après le récit de son cauchemar, ils avaient discuté, un peu. Et le loup-garou n'avait pu s'empêcher de lui proposer son idée, tout en lui expliquant en quoi elle pouvait lui être bénéfique. Il avait tenu à être clair avec elle et à lui promettre qu'ils viendraient la voir si elle choisissait d'accepter. Parce qu'elle avait le choix, il le lui avait laissé.

Et Amelia lui avait fait promettre de faire en sorte que « tonton Stiles » accepte à son tour de « ne plus avoir peur d'elle ». Parce que c'était ce qu'elle comprenait malgré ce qu'il lui avait expliqué. En soi, elle n'avait pas complètement tort. Disons que durant ces cinq jours, Derek pouvait essayer de faire en sorte d'arranger les choses, ou du moins de commencer. De passer du temps rien qu'avec Stiles. Pourvoir se concentrer uniquement sur lui pourrait l'aider à mieux cerner certaines choses et peut-être… Apaiser ses angoisses – a minima certaines. Eventuellement apprendre à déceler les premiers signes de ses crises avant qu'elles n'arrivent réellement.

Essayer de faire en sorte d'enrayer cette chute qu'il voyait se dessiner sous ses yeux.

Ainsi seulement, il serait peut-être possible pour lui de s'occuper des deux humains sans trop de difficultés. Là, il y avait juste… Trop de choses. Oui, Derek se l'était avoué à lui-même à plusieurs reprises, c'était définitivement trop rapport à ce qu'il pouvait gérer. Il faisait au mieux, c'était certain, mais… Il était en train de les atteindre ses limites et il était hors de question qu'il les laisse le briser. Autrement, Stiles et Amelia ne pourraient plus compter pour lui et ça, c'était purement inenvisageable. Alors il se reposait un peu et se protégeait… Pour tenir le choc.

- Quand ?

- Ce matin, avant que tu te lèves.

Cette nuit. Quoique ce détail importait peu. Il y avait bien un moment qui n'arrêtait pas de tourner en boucle dans sa tête… Qu'il devrait garder pour lui quelques temps encore. Enfin, il avait mis Jordan Parrish au courant, mais Stiles ne devait pas l'apprendre pour l'instant – il s'inquièterait trop.

Assis sur le canapé, Stiles poussa un soupir et finit par hausser les épaules dans une attitude qui ne lui ressemblait pas.

- De toute façon, tu as déjà décidé et je pense pouvoir affirmer sans trop me tromper que… Tu as déjà pris tes dispositions.

Ses mots sonnaient comme un reproche et pourtant, il était dans le vrai : Derek avait d'ores et déjà échangé avec Melissa, simplement… Rien n'était acté. Malgré ses certitudes, le loup-garou ne le ferait pas si Stiles lui disait de but en blanc qu'il n'était pas d'accord avec cette idée. Il avait juste pris de l'avance au cas-où, mais l'avis de son compagnon avait tout de même son importance.

Alors forcément, le ton faisait mal, parce que Derek n'aimait pas ce que Stiles avait l'air de sous-entendre.

- Rien n'est fait, rétorqua alors le loup-garou. Ça ne se fera pas si tu ne le veux pas.

Même si plusieurs facteurs rentraient en ligne de compte, Derek continuait de vouloir montrer à Stiles qu'il avait le choix. Le problème ? Il s'y était peut-être mal pris pour cette fois-ci.

- Qui la garderait ?

- Melissa.

- Elle ne travaille pas ?

- Non, elle est en congés.

Enfin, elle le serait si Derek lui confirmait qu'il lui laissait la petite. Il voulait être certain que quelqu'un puisse passer du temps avec elle et qu'elle soit en sécurité. Quoi de mieux que la maison d'un alpha dont la mère avait également un sacré caractère ?

- Scott serait là aussi, par extension, ajouta-t-il.

- Et on pourra aller la voir ?

- Evidemment.

Et Derek espérait réellement qu'il dise oui. En soi, il avait toutes les chances d'être d'accord étant donné le bien que cela pouvait leur faire à tous les trois… Mais il fallait avouer qu'il avait un peu peur, d'autant plus qu'il savait que Stiles ruminait, continuait de se demander quoi faire concernant son père. Ça, évidemment, ils en rediscuteraient. D'une façon ou d'une autre, Stiles devait prendre une décision, ne serait-ce que pour se sentir tranquille.

Mais Derek n'aimait pas la manière dont il s'était tendu, dont il lui répondait, dont il lui posait ces questions : il n'y avait sur son visage plus la moindre expression et son regard évitait de croiser le sien.

- Alors c'est bon, vas-y.

Et c'est ainsi que Derek comprit qu'il s'y était définitivement mal pris.