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« Well, you're the only motherfucker in the city who can handle me. »
— New York, Saint Vincent.
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« …oh. » réagit Hermione.
Clignant trois fois des yeux, elle pria pour une hallucination alcoolisée. Un glitch momentané. Un bug dans la matrice. Rien de tout cela n'arriva.
Et en face se trouvait bel et bien Draco Malfoy, attablé au plan de travail de cette même cuisine dans laquelle la brune venait de débouler d'un pas alcoolisé. Cuillère suspendue en l'air et sourcil droit haussé, il la toisait comme si elle venait d'interrompre un moment sacré — soit la dégustation paresseuse d'une part de marbré au chocolat devant ce qui semblait être un épisode de Barry.
Hermione résista à l'envie immédiate de se tasser sur place. Verre à shot en main, paquet de clopes froissé dans l'autre, boucle d'oreille gauche disparue ; elle avait une petite idée du fiasco visuel qu'elle incarnait, ici. Elle savait aussi, comme on saurait que le ciel est bleu, que le coloc de Harry n'était qu'un sale con.
C'est pourquoi elle garda le menton bien haut, mais s'appuya aussi à la cuisinière, l'alcool rendant ses jambes traîtres.
« Je… cherchais les toilettes. » se justifia-t-elle avec le plus de dignité possible.
Draco cligna des yeux, insolemment neutre. Cuillère toujours en l'air.
« Deuxième porte à droite. » articula-t-il.
« Je sais où les toilettes sont. » se défendit Hermione.
« Ok. »
« J'ai habité ici pendant deux ans. » ajouta-t-elle, la précision lui semblant importante.
« Ok. » répéta-t-il.
Et après l'avoir scannée de la tête aux pieds pour ensuite revenir à la tête, il appuya sur la barre espace de son ordinateur, l'épisode de série reprenant vie à l'écran comme dans ses écouteurs.
Pendant deux longues minutes, la brune resta bêtement plantée là, immobile dans le silence d'une cuisine que les vrombissements festifs du rez-de-chaussée interrompaient en sourdine. « That's not my name ! That's not my name ! That's not my ! Name ! », pouvait-on entendre la foule de fêtards scander d'une seule voix par-dessus celle des Ting Tings, un étage plus bas.
« C'est l'anniversaire de Harry. » s'entendit-elle prononcer.
Elle ne l'avait pas dit fort, les mots ayant même fui sa bouche sans l'aval de son cerveau, mais Draco ferma brièvement les yeux. Remit sa série sur pause. Enleva au ralentis son oreillette gauche.
« Pardon ? » lui adressa-t-il, sec.
« Tu ne descends pas. » poursuivit la brune — un constat plus qu'une question.
« Et ? »
« Et c'est l'anniversaire de Harry. » répéta Hermione un peu plus fort. « Tous ses amis sont en bas. »
Draco secoua lentement la tête, dans un « qu'est-ce que ça peut bien me foutre ? » silencieux.
« Vous n'êtes plus amis ? » demanda-t-elle, un peu trop d'espoir dans la voix.
« Non..? » répondit Draco.
« Mais tu n'es pas en bas avec lui. » persista Hermione.
« Harry et moi avons déjà célébré ses vingt-cinq ans hier. » l'informa-t-il alors, observant une petite pause avant d'asséner, subtilement venimeux : « Ensemble. »
La brune hocha la tête avec lenteur, mâchoire serrée. À deux pas d'elle, Draco maintenait son regard avec une tranquillité défiante. Ensemble.
Sobre, elle était mature. Ivre, elle devenait le pire version d'elle-même.
« Comment ? » enchaîna-t-elle.
« Comment quoi ? » répliqua-t-il aussitôt.
« Comment vous l'avez célébré ? » précisa-t-elle.
« Comme tout anniversaire lambda. » haussa-t-il des épaules.
« C'est-à-dire ? » persévéra Hermione.
« Chanson. Bougies. Gâteau. » énuméra Draco, sa cuillère pointée vers son marbré.
« Gâteau. » répéta platement la brune.
« Fait de mes dix doigts, oui. » maintint-il.
« Parce que tu sais faire des gâteaux ? » le questionna Hermione.
« Surprise surprise. » siffla-t-il.
« Tu sais cuisiner ? » poursuivit-elle.
« J'ai étudié quatre ans en gastronomie. » fut sa réponse.
« Donc oui ? » insista la brune.
« La réponse va de soi. » estima-t-il.
« Tu peux juste dire oui. » s'irrita Hermione.
Le sourire de Draco fut si soudain et aveuglant que la brune en rata un souffle, prise de court.
« Tu ne m'aimes vraiment pas, hein ? » prononça-t-il d'une voix traînante.
Une question qui n'en était pas une ; lui comme elle soupçonnaient déjà la réponse depuis plusieurs mois. Mais elle aimait avoir le dernier mot, surtout s'il était dit de son plus beau ton cassant.
« Non. »
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Hermione n'était pas superstitieuse, mais le reste de sa semaine fut un festival de l'horreur.
À commencer par la soirée d'anniversaire de Harry qu'elle finit recroquevillée sur le transat du jardin, réveillée par le jet glacial de l'arrosage automatique. Son pas ensommeillé la mena du patio au salon puis du salon à la première marche d'escalier, jusqu'au très soudain sursaut de conscience : la chambre qu'elle tentait de regagner n'était plus sa chambre. Le Square Grimmault n'était plus sa maison. Et sa seconde boucle d'oreille avait elle aussi pris le large.
Retour à la réalité. À un bus qui ne passait jamais à l'heure, un téléphone qui se fissurait aux pieds de son immeuble et un foutu fichier de thèse qui refusait soudainement de s'ouvrir. À un appartement aux murs trop fins, un voisinage à la libido trop haute et une soudaine fuite de tuyauterie dans la cuisine — car pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Et après une nuit blanche passée à éponger eau et larmes sur le sol, il fallait se préparer à six heures du matin pour arriver au travail à sept, yeux cernés et sourire à l'envers.
« Secrétariat du cabinet Neumann, comment puis-je vous aider ? »
À sa pause, la brune se rua sur sa dernière cigarette telle la dernière des affamées. Et entre deux taffes, elle repassa au peigne fin l'entièreté de sa semaine, à la recherche du point de départ de tout ce chaos. Parce qu'il y en avait nécessairement un. Elle n'était pas superstitieuse, mais tout, en ce bas monde, avait une cause.
Et si Hermione Granger excellait bien dans un domaine, c'était dans celui de chercher, ressasser, disséquer, fouiller, s'obstiner, s'obséder, creuser, gratter jusqu'au sang. Jusqu'à l'os.
Jusqu'à la réponse.
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Il y avait la partie dont Hermione se souvenait.
L'interrupteur éteint par un Harry surexcité, le « Surpriiiiiiise ! » général une fois la porte d'entrée ouverte, la chanson d'anniversaire entamée en cacophonie, les cris et larmes de joie de Ginny sur le palier, le champagne sabré, les serpentins multicolores, Ron qui l'évitait comme la peste, les flûtes de mousseux se baladant de main en main, Hermione qui ne s'en tenait qu'à une coupe — oh, allez, une petite deuxième.
Et Draco.
En débarquant au Square Grimmault, la brune avait été surprise de le voir se mélanger au reste du commun des mortels, cette fois-ci. Et maintenant que la fête battait son plein, Ginny remerciant chacune des personnes présentes — sauf elle, évidemment —, son étonnement ne fit que décupler en apercevant la rousse se jeter littéralement dans les bras de Draco sous le regard attendri de Harry.
Les pieds de nouveau sur Terre, Ginny frappa le torse du blond avec un faux air de réprimande que Draco accueillit d'un simple éclat de rire. Il pointa ensuite du pouce Harry qui se lança aussitôt après dans une tirade animée, son bras jeté autour des épaules de Draco dans une familière fluidité.
Hermione détourna le regard. Vida d'une traite sa seconde coupe.
Quelque part dans la foule se trouvait Parvati, Dieu merci, et bientôt, la brune fut happée dans une discussion légère et sans conséquence — la météo, la fête, la déco, leurs tenues respectives ; juste ce qu'il fallait. Il y avait aussi Dean qu'elle n'avait plus revu depuis le lycée. Yasmin qui venait tout juste de se fiancer. Luna qui s'était rasée les cheveux. Ron qui l'esquivait mieux qu'un espion scandinave. Seamus fraîchement revenu du Danemark.
Et Draco.
Hermione le gardait en périphérie, pas encore totalement prête à traverser la distance pour déposer son amour-propre à ses pieds. Elle avait pris cette décision sur le chemin de l'anniversaire surprise de Ginny, après deux semaines de délibération punitive.
S'excuser ou ne pas s'excuser ?
D'un côté, il était détestable. Condescendant. Insupportable. Du gâchis de beauté. De l'autre, quand bien même ? Ce comportement à l'anniversaire de Harry n'avait pas été digne d'elle. Rendre l'hostilité par de l'hostilité n'était pas dans ses principes. Même en temps de crise, elle restait diplomate — pour preuve : Ron et elle respiraient le même air depuis trente minutes et aucun meurtre n'avait été commis. Mais allez savoir ce qui, dans la simple existence de Draco, faisait rejaillir en elle une rage spontanée.
Donc. S'excuser ou ne pas s'excuser ?
Si elle le faisait, ce ne serait pas pour lui, mais plutôt pour que lui foute enfin la paix cette voix intérieure — que dis-je : ce bureau mental du FBI — la fliquant en permanence, mesurant la perfection de ses faits et gestes. Ce n'était vraiment pas pour lui.
Alors ? S'excuser ou ne pas s'ex…
Hermione éteignit ses pensées. Descendit d'une traite sa dernière flûte. Pila droit sur Draco. Dans sa tête, l'image d'une bande de cire arrachée d'une traite et la voix adolescente de Parvati, du temps où leurs lits d'internat étaient voisins. Tu serres des dents, tu supportes la douleur, puis tu l'oublies.
Adossé contre la cage d'escalier, le blond ne la vit pas arriver. Il ne sursauta pas non plus lorsqu'elle se planta droit devant lui pour déclarer, robotique :
« Je suis venue m'excuser. »
S'ensuivit la routine : ses yeux bleu arctique qui la détaillaient avec tout le dédain silencieux du monde, ses sourcils qui se haussaient d'un léger cran et son intonation à la stricte limite du narquois.
« Pour ? » demanda-t-il.
« Mon attitude à l'anniversaire de Harry. Et ce que je t'ai dit. » expliqua Hermione.
« Qu'est-ce que tu m'as dit ? » insista Draco.
Hermione plissa des paupières. Devait-elle réellement épeler les faits lettre par lettre ? Face à elle, Draco la fixait d'un regard imperturbable, en l'attente claire d'une réponse. La brune prit alors une profonde inspiration. Tu serres des dents.
« Que je ne t'appréciais pas. »
Draco dodelina de la tête puis contempla pensivement son cocktail et s'octroya une petite gorgée qu'il prit tout son temps à avaler. Un aveugle aurait pu deviner qu'il se délectait pleinement de cet instant.
« Pourquoi y aurait-il matière à s'excuser ? » finit-il par dire.
« Parce que c'était méchant. Et injustifié. Et je m'excuse. » récita Hermione.
« Mais c'était honnête. » argumenta-t-il.
« Çe qui ne rend pas ça plus acceptable. » répliqua-t-elle, un brin impatiente — pouvait-il juste accepter ses excuses, que le sujet soit enfin clôt ?
« Je n'en ai pas fait d'insomnies pour autant. »
« Parfait ! Dans ce cas, bonne soi… »
« Si tu avais menti, par contre… » ajouta-t-il.
Laissant sa phrase en suspens, il s'offrit une autre gorgée qui fut avalée plus lentement encore que celle précédente, ses yeux balayant distraitement la piste de danse. Face à lui, Hermione attendait une suite à cette phrase et comprit trop tard qu'elle ne viendrait pas sans son impulsion.
« Menti ? » le relança-t-elle alors.
« Menti. » se contenta-t-il de répéter.
Insupportable. Vraiment. Mais la brune fut fière de son calme lorsqu'elle persévéra :
« Menti sur quoi ? »
« Le fait de me crucifier du regard dès que je suis à 30 mètres de périmètre de toi, par exemple. » explicita-t-il alors. « Là, j'aurais pu mal le prendre. »
« Je ne te fusille pas du regard. » se défendit immédiatement la brune.
« Dit-elle justement en le faisant. » railla Draco, sa tête de nouveau tournée vers elle.
« Non..? Non. » douta brièvement sa voisine.
Le blond haussa plus encore des sourcils, une risette hilare aux lèvres.
« Ah, donc tu ne t'en rends même pas compte, en fait. » réalisa-t-il. « Tu me hais à ce point. »
« Je ne te hais pas. Tu m'insupportes. C'est différent. » précisa Hermione.
C'était sorti comme ça. Tout seul. Et maintenant que les paroles flottaient dans les airs, toute désinvolture avait disparu de la figure de Draco pour laisser place à une palpable stupéfaction. Hermione fut sur le point de rétropédaler, une porte de sortie sur le bout des lèvres, lorsque l'expression la plus détestable au monde peignit les traits de son voisin.
« Ooh, madame est insupportée par ma petite personne. » la provoqua-t-il ouvertement.
Si détestable qu'elle s'en sentit incitée à continuer, le pied sur l'accélérateur.
« Chaque fois que je viens ici, tu regardes tout le monde de haut comme si tu valais mieux que la pièce entière multipliée par deux. » dégaina-t-elle.
« Ce qui est le cas. Tu ne m'apprends rien. » ricana-t-il.
« Tu ne parles quasiment à personne. Et quand tu le fais, c'est comme si le simple fait de te forcer à prononcer des syllabes était une offense envers ta très sainte personne. » continua la brune, prise dans sa lancée.
« Bof. Onze sur vingt. Quoi d'autre ? »
« Tu te penses très clairement plus important que tu ne l'es, ce qui est risible. J'ai grandit avec des gosses de riche comme toi. Vous êtes des livres ouverts et vous n'impressionnez personne. »
« Cliché, mais ça s'améliore. Quoi d'autre ? »
« Harry t'adore et je n'arrive sincèrement pas à comprendre pourquoi. »
Aussi soudain qu'une poignée de semaines plus tôt, le sourire de Draco fit son grand retour étincelant sur son visage.
« Et nous y sommes. » prononça-t-il, satisfait.
« Il n'est pas hautain comme toi. Vos personnalités sont diamétralement opposées. » persista Hermione.
Draco eut un début de rire, visiblement diverti.
« Et qu'est-ce que tu en sais ? »
« Comment ça, qu'est-ce que j'en sais ? » siffla Hermione, insultée. « Je connais Harry depuis le collège. »
« Mais tu ne me connais pas, moi. » objecta-t-il.
« Et on ne pourrait pas me payer suffisamment pour changer ça. » répliqua du tac au tac la brune.
De la main qui tenait son cocktail, Draco pointa son index en direction d'Hermione avec une mine faussement confuse.
« Donc rappelle-moi : tu étais venue t'excuser pour quoi, déjà ? » lui demanda-t-il juste avant de tourner des talons.
Venait alors la partie dont Hermione se souvenait par bribes.
Deux coupes de champagne. Aucune n'éteignant sa rage intérieure. Son salut trouvé sur la piste de danse. Fred Again aux baffes. You know how to calm me down.Bras en l'air. Lumières floues. Shot tendu par Millicent. Parvati qui dansait avec elle. Ginny qui venait la remercier en tout dernier. Sourire faux, embrassades rapides. Boule dans la gorge. Deuxième shot, seule. Troisième. Retour sur la piste de danse, bondée. Seule, danser. Pull me out of this. Champagne. Vodka. Shot. Shot.
Talk to me.
Carrelage froid.
Cuvette.
Touch me.
Une main qui tenait ses boucles tandis que dans un état second, elle s'entendait pleurer. Se voyait vomir. Pleurer encore. Tandis qu'une voix à la cadence traînante constatait par-dessus le carnage :
« Ça ne te réussit vraiment pas, l'alcool. »
« Non. » articula-t-elle entre deux haut-le-cœurs avant d'ajouter, inexplicablement : « 'suis désolée. »
« Pour ? »
Gorge en feu et paupières tombantes, Hermione fixa le néant. Parce qu'elle ne savait pas. Elle n'avait jamais su. Elle se savait juste exister avec une culpabilité qui la poussait à constamment s'excuser de vivre. Depuis sa naissance, chaque bouchée d'oxygène se devait d'être justifiée.
Mais lorsque tout ceci, la brune ouvrit la bouche pour le vocaliser, il n'en sortit que de la bile.
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« Et tu parles souvent de ces choses, ma puce ? »
Hermione se souvenait encore de la mine soucieuse de l'infirmière de Poudlard, madame Pomfresh, lorsqu'elle lui avait posé cette question. À dire vrai, l'inquiétude dans son regard avait été trop grande pour les banalités miséreuses que la collégienne était venue lui déballer sans crier gare — anxiété, fatigue, solitude, doute, tristesse. Un lundi comme un autre.
Mais face à elle, madame Pomfresh avait affiché une expression alarmée, comme si la brune avait brandi une corde d'une main et un tabouret de l'autre.
« À qui ? » s'était questionnée Hermione.
« Une copine ? Un ami ? » avait énuméré l'infirmière. « Je te vois souvent avec Harry. »
« C'est mon meilleur ami. » avait aussitôt répondu l'adolescente.
Dans sa voix, une possessivité presque craintive, comme si ce titre pouvait lui être ravi à tout moment.
« Oui, je vois que vous êtes proches. » avait alors confirmé madame Pomfresh avec un sourire bienveillant. « Est-ce que tu lui parles de ce mal-être, par moments ? »
« Quelques fois. » Hermione avait vaguement dodeliné la tête avant d'ajouter : « Mais il a déjà beaucoup de choses à gérer. »
Elle s'était souvent demandée, d'ailleurs, si les gens réalisaient le fardeau qu'être Harry Potter représentait. Partout où il allait le suivait cette étiquette de « Celui-Qui-A-Survécu », ce petit garçon dont l'Angleterre entière connaissait les détails macabres du meurtre de ses parents. Celui qui, à l'âge de trois ans seulement, avait films, documentaires, séries et romans sensationnalistes réinventant le drame de sa vie. Et ce voyeurisme malsain le suivait jusqu'en internat, l'emprisonnant dans un statut de héros qui le condamnait à être exceptionnel quand il n'aspirait qu'à être normal.
La brune s'était plus d'une fois demandée si tout cela, le monde entier le voyait, mais choisissait activement de l'ignorer ou si elle était véritablement la seule à s'en rendre compte. À lui laisser l'espace suffisant pour souffler, quitte à retenir sa propre respiration.
« Et le garçon roux qui reste avec vous depuis peu ? » avait continué madame Pomfresh.
Il n'en avait pas fallu plus pour qu'Hermione s'entortille sur sa chaise, joues roses et mine faussement nonchalante.
« Oh. Hum. Ron ? » avait-elle feint d'hasarder.
« Oui, c'est ça, Ronald Weasley. Est-ce que vous êtes proches ? » avait redemandé l'infirmière.
« C'est… notre relation n'est… on ne parle pas souvent de ça — de sentiments — lui et moi. C'est plus… les cours, les révisions, puis, euh, l'internat en général. Ces choses-là. » avait lamentablement bégayé Hermione.
Qu'à cela ne tienne, madame Pomfresh n'avait rien détecté du crush visqueux qui suintait de ses moindres syllabes. Le regard fixe, sa mine avait gardé cette même tension préoccupée du départ.
« Et est-ce que tu parles souvent à tes parents ? » avait-elle poursuivi.
« À ma mère, oui. » avait acquiescé Hermione.
« Et de quoi parlez-vous généralement, si ce n'est pas trop indiscret ? »
La brune avait haussé des épaules. Sa mère ne l'appelait qu'une fois par mois et jamais pour plus d'un quart d'heure.
« Mes notes. »
« Hun-hun. » l'avait incité à continuer madame Pomfresh, les mains croisées.
Cinq très longues secondes de silence s'étaient ensuivies avant que l'adulte ne se redresse sur son siège, les yeux légèrement écarquillés.
« Oh. Rien d'autre ? » avait-elle soudainement réalisé.
Confuse, l'adolescente de treize ans avait alors froncé des sourcils.
« Qu'est-ce qu'il y aurait d'autre ? »
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L'adulte de vingt-quatre ans se réveilla avec un mal de tête coriace servi sur fond de réalité répétitive. Car le Square Grimmault n'était plus sa maison, sa chambre n'était plus la sienne, sa soirée de merde avait fini en trou noir, rincez, séchez, répétez.
Ignorez : Hermione grimpa les escaliers comme elle l'avait maintes fois fait, s'enferma dans la salle-de-bain du premier étage et trouva l'ibuprofène dans la même étagère à pharmacie qu'avant. Elle ouvrit le reste des placards à la volée, soudainement obsédée par l'idée de tout retrouver comme avant ; les serviettes pliées par ordre d'épaisseurs, la réserve à dentifrices, les six parfums vides qu'Harry refusait de jeter, la gamme de peignes coriaces d'Hermione, la balance en verre sous le lavabo, les nombreuses crèmes qui sauvaient sa peau depuis le collège, le gel douche unique qu'Harry utilisait pour visage, corps, cheveux et sol.
Ignorez : Ses vêtements de la veille délaissés au sol, Hermione lava la nuit sous le jet d'eau brûlant de la douche. Elle enroula ensuite ses boucles mouillées dans la plus duveteuse serviette disponible, mit ses propres habits dans la panière à linge sale puis trouva juste à côté un t-shirt blanc et un jogging gris sentant suffisamment la lessive pour être enfilés. Elle inaugura juste après une nouvelle brosse à dent chipée dans le tiroir à réserve, pressa une dose généreuse de Colgate et contempla le reflet de sa mâchoire mousseuse d'un œil extrêmement fixe.
Quelque part ici se trouvait la version d'Hermione d'il y avait dix mois. Celle qui vivait en perpétuelle asphyxie — angoisse scolaire, couple en crise, chaos existentiel. Celle qui, la toute dernière fois, n'avait ouvert les placards de cette pièce que pour les vider. Celle qui avait vu dans son semestre d'échange en Australie une solution sans se douter qu'elle créait un problème plus grand. Par naïf optimisme ou sévère stupidité, la doctorante avait espéré qu'à son retour, tous ses repères ne soient pas en ruines. Mais le Square Grimmault n'était plus sa maison. Et son meilleur ami n'était plus le sien.
Ignorez : Hermione ouvrit le frigo, scanna l'impressionnante montagne de vivres se dressant sous ses yeux et jeta son dévolu sur le marbré découpé en huit parts juste au-dessus du compartiment des fruits et légumes. Ses deux tranches de gâteau sélectionnée, elle attrapa une assiette — placard du haut à gauche, comme avant — pour réchauffer le tout au micro-onde puis s'installa sur l'un des tabourets de l'îlot de cuisine. Dehors, il faisait déjà beau, et la brune contempla distraitement le jardin ensoleillé tout en prenant sa première cuillerée de gâ—
« Mmh. »
Hermione haussa des sourcils, ses deux pupilles soudainement braquées sur son marbré. Dans le doute, elle s'en servit un autre morceau, encore un peu stupéfaite par toutes les saveurs qui cajolaient actuellement ses papilles et, mmh. Dé-li-cieux. En trente secondes, sa première part avait disparu. Trois crocs plus tard et la seconde part connaissait le même sort.
Lorsqu'Hermione se leva de nouveau, ce fut pour prendre le plat de gâteau entier et le déposer sous ses yeux. Elle s'octroya ensuite une troisième part et ne s'embarrassa d'aucune assiette ou micro-onde, juste d'une bouchée franche et d'un soupir à peine contenu. Merde. C'était meilleur encore froid. Une autre bouchée et mmmh, la brune en ferma les yeux, cette fois-ci. Bordel. Une dernière bouchée et sa part était finie. Paresseusement, ses paupières se rouvrirent et son regard croisa celui de Draco.
« Alors ? » articula-t-il, l'œil brillant. « Il est bon ? »
Adossé contre l'embrasure de porte, tout avait l'air ensommeillé chez lui à l'exception de ses yeux bleus plantés droit sur elle. Il l'observait comme un spectacle mauvais, mais fascinant, comme un monstre hideux contemplé par son créateur, et Hermione ne savait pas quel traitement elle haïssait le plus : l'habituel mépris ou cette nouvelle fascination morbide. La bouche encore pleine, la jeune femme arrêta brutalement de mâcher quoi que ce soit, ce qui tordit la figure de Draco en un sourire féroce.
« Et qu'est-ce que tu vas faire ? » l'interrogea-t-il, sa voix encore rauque du réveil. « Recracher ? »
Il pencha la tête vers la droite, sourcil haussé.
« Vomir ? Encore ? »
Le cœur en cavale, Hermione tenta de déglutir tant bien que mal, le marbré se ramollissant dans sa bouche jusqu'à ne plus devenir qu'une bouillie chocolatée. Et devant elle, Draco avançait d'un pas puis deux, les mains dans ses poches. Ses yeux bleus dans les siens.
« Avale. » ordonna-t-il.
Hermione avala. Puis se haït.
Quant à Draco, il était déjà passé à autre chose, attrapant une cigarette à gauche et une boîte d'allumettes à droite, la baie vitrée déjà entrouverte.
« Il en reste dans le frigo. » glissa-t-il avant de disparaître dans le jardin.
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Oui, ceci est un OS en cours d'écriture. Oui, j'en ai eu marre de le contempler dans mes fichiers, donc j'ai décidé de le diviser puis commencer à le poster. En espérant sincèrement que ce début vous plaise ! See you soon. ❤️
