De jambes et de devoir


Cela allait juste de pire en pire.

Janice n'était pas simplement vexée, elle était furieuse, et de plus en plus désagréable. Ce que Jim avait espéré ne serait qu'un crush passager se transformait en rancœur profonde, et mettait en péril tout leur équilibre professionnel.

Pourquoi ne comprenait-elle pas que le devoir de Jim passait avant tout ?

Un capitaine ne pouvait pas se permettre ce genre de folie.

Comme il l'avait rappelé à Bones, il avait déjà une magnifique femme de laquelle il devait s'occuper, et celle-ci requerrait tout son temps.

L'Enterprise passerait toujours avant tout.

Il n'y avait pas de place pour ce type de relation dans sa vie, plus maintenant.

Et il aurait aimé, vraiment, pouvoir lui répondre. Vraiment. Janice était belle, et courageuse. Dévouée, et surement capable de davantage que de lui servir le café, si l'occasion se présentait. Mais elle était aussi jeune, et amoureuse, et pas encore complètement mature, et Jim savait que la garder à ses côtés ne pourrait que conduire à un désastre.

Il l'avait déjà repoussée, plusieurs fois. Qu'était-il supposé faire d'autre, à part la réprimander dans un rapport officiel, et prendre le risque de détruire sa future carrière ?

Une fois qu'il serait écrit officiellement que la jeune femme n'était pas capable de se comporter professionnellement, plus personne ne voudrait lui donner sa chance.

Et Janice avait tellement de potentiel.

Qui d'autre serait parvenu à faire chauffer du café avec un phaser, en pleine bataille ?

Qui, sans réel entrainement sur ce type de situation, aurait réussi à cacher une maladie pendant plusieurs jours, avant que la douleur ne devienne telle que la peur avait pris le dessus ? Aurait-elle révélé son état s'il ne l'avait pas suivie dans ce couloir sombre ?

Janice était plus résistante qu'elle ne le montrait.

Elle était capable de bien davantage que ses fonctions actuelles, et c'était une des choses qui frustrait le plus le capitaine.

Jim n'était pas parvenu à ce niveau sans sacrifice.

Vous ne deveniez pas le plus jeune capitaine de l'histoire de Starfleet en mélangeant vie personnelle et professionnelle.

Jim avait sans aucun doute des défauts, et il avait encore beaucoup à apprendre en tant que capitaine. Mais une chose était certaine : il ne mettrait jamais en danger son travail, et son vaisseau, pour les beaux yeux de quiconque.

Le capitaine de l'Enterprise avait un devoir envers ses subordonnés, et son vaisseau.

Le comportement de Janice interférait avec la bonne marche de leur mission, et représentait un danger grandissant pour la stabilité de l'équipage.

Comme Spock le lui avait rappelé lors de cette mission maudite sur Alpha 177, un capitaine ne pouvait se permettre d'apparaitre moins que parfait. La moindre faiblesse, la moindre erreur, le moindre favoritisme, et il risquerait de perdre le respect de son équipage.

Si la rumeur venait à se répandre que le capitaine et son assistante avaient une relation autre que purement professionnelle..

Mais n'était-ce déjà pas le cas ?

Le mal n'était-il pas déjà fait ?

Combien de personnes avaient pu les voir échanger sur le pont ? Combien l'avaient entendu la rejeter gentiment, le plus discrètement possible ?

Janice n'était pas exactement discrète.

La passerelle entière était au courant de ses sentiments, et pire encore, de son attitude déplacée.

Et c'était là que le danger résidait.

Ses officiers étaient parmi les meilleurs, et sans aucun doute des professionnels aguerris, mais (en dehors d'une exception notable), ils demeuraient des êtres humains.

Et les humains parlaient.

Jim n'était pas naïf.

On ne parvenait pas à ce niveau de responsabilité sans comprendre le fonctionnement d'un équipage, et pire encore, celui de la machine à rumeurs.

Il devait étouffer ce problème dans l'œuf, tout de suite, avant que les choses ne deviennent hors de contrôle.

Il avait déjà essayé d'exprimer les choses discrètement, gentiment. Il savait que Uhura, le grand oiseau de la galaxie la protège, était aussi intervenue. Sa responsable des communications était une professionnelle, en plus d'être complètement loyale et capable de terrifier la passerelle entière par un regard.

Il avait donc été logiquement mortifié lorsqu'il avait appris par le biais d'un McCoy semi-amusé, semi-frustré, que son officier des communications n'était pas loin de faire un rapport qu'il devinait lapidaire.


« Rien contre toi, Jim. Au contraire, je pense qu'elle espère t'éviter de devoir le faire toi-même. Cette femme n'est rien de moins que terrifiante. » Le médecin soupira, avant de le fixer depuis son bureau. « J'aimerai pouvoir en dire autant de Janice. Elle aurait dû comprendre le message depuis longtemps »

Le capitaine le fixa depuis l'autre côté de son bureau, ses lèvres plissées sous la frustration alors qu'il faisait les cent pas, agité.

« Ce n'est pas à propos de moi, Bones. Je n'ai rien à me reprocher, et nous le savons tous les deux. » Il s'immobilisa, avant de pivoter sur ses pieds pour le fixer. « Il est hors de question que je laisse sa carrière être détruite. Son attitude est incorrecte, mais elle peut encore évoluer. Janice est jeune, elle est toujours immature. Un rapport de ce type détruirait tout son futur, et tu le sais très bien »

« Alors fais quelque chose, capitaine. Avant que quelqu'un d'autre n'intervienne »


Sans surprise, Spock n'avait pas été d'une grande aide. Son Premier Officier était brillant, mais les relations inter-espèces – les relations tout court, en fait – demeuraient un sujet sur lequel le Vulcain possédait le niveau de finesse d'une loutre perdue en pleine espace.

« L'attitude de Mademoiselle Rand est source de tensions et un risque grandissant pour votre éthique personnelle, capitaine. Je ne peux que vous rappeler nos précédents échanges sur ce sujet »

Spock, ou cette capacité innée à frapper droit dans le cœur.

Jim savait que si cela n'avait tenu qu'à lui, son second aurait transféré la jeune femme depuis très longtemps.

Mais Jim était un homme d'espoir, qui ne croyait pas dans les situations impossibles. Il avait voulu donner sa chance à Janice, et espéré qu'en lui offrant un modèle neutre et professionnel, celle-ci réussirait à (re)trouver le professionnel inhérent à tout membre de Starfleet.

Il avait échoué, et cela le frustrait plus qu'il ne pouvait l'exprimer.

Peut-être, aurait-il dû avoir une conversation honnête avec elle dès le départ.

Jim soupira, avant de se frotter les tempes, repoussant la migraine en cours d'explosion. Face de lui, l'ordre de transfert de Janice le narguait, le fixant depuis l'écran de son ordinateur. Tout ce qui manquait étaient sa signature, et celle de Spock. La blonde quitterait le vaisseau dans un mois, lors du roulement semestriel de l'équipage. Elle partirait avec ses félicitations, et un nouveau poste sur un autre vaisseau, dirigé par un capitaine plus âgé, et, sans aucun doute, moins attirant.

Jim ne pouvait qu'espérer qu'elle y fleurirait.

Janice n'était pas une mauvaise personne. Elle avait simplement besoin de temps pour murir, et prendre conscience du réel degré de ses responsabilités. Jim avait été jeune, lui aussi, et parfois prompt à se laisser dominer par ses émotions. Il ne laisserait pas la jeune femme détruire son futur à cause d'une simple erreur, capable d'entacher définitivement sa réputation.

Jim avait vu sur d'autres vaisseaux ce qui pouvait arriver, lorsqu'un subordonné succombait aux charmes d'un officier.

Pour rien au monde il ne laisserait ce genre de choses arriver sur son vaisseau.

Le capitaine soupira, avant de se redresser. Fronçant les sourcils, il appuya sur le bouton de l'interphone, sa voix ne révélant rien de son trouble personnel lorsqu'il ordonna :

- Monsieur Spock. Reportez à mes quartiers immédiatement.

La voix du Vulcain lui répondit immédiatement, neutre et professionnelle comme à son habitude.

- Oui, capitaine.

Jim hocha la tête, avant de couper la communication et se redresser, son expression déterminée.

Sa décision était prise, et ne changerait plus.

Il ne pouvait qu'espérer avoir fait le bon choix, pour lui, l'Enterprise, et Janice Rand.