C'était hypocrite, malhonnête et complètement lâche. Mais Crowley était un démon après tout, il n'avait aucune once de culpabilité pour faire ce qu'il était en train de faire : se rendre à un bal masqué pour espionner Aziraphale, son ange.

Ce dernier avait été invité par une famille de la haute société anglaise, cette dernière connaissait Aziraphale depuis très longtemps, si ce n'est depuis des générations. Evidemment, cette famille connaissait les ancêtres d'Aziraphale mais depuis, l'ange avait quand même gardé des liens avec cette vieille famille anglaise. Crowley ne les connaissait pas, il n'avait même pas retenu leurs noms tellement il s'en fichait. Non, ce qui l'intéressait c'était ce que son ange faisait à un bal masqué de plus est.

Pour l'occasion, Crowley s'était vêtu d'un grand manteau noir brodé de fils rouge entremêlé de broderies dorés, avec de grands bottes remontés sur son pantalon en cuirs noirs. Son masque cachait la moitié supérieur de son visage, jusqu'à ses lèvres. Il avait fait en sorte de prendre un masque rouge avec des verres qui cachaient ainsi la couleur de ses yeux. Pour cela, il avait du utiliser quelques miracles pour obtenir un masque aussi original. Exceptionnellement, il avait rendu ses cheveux roux plus longs, ils ondulaient jusqu'au milieu de son dos, il les avait rendu un peu plus clair qu'ils ne l'étaient, même si la chevelure gardait une certaine nuance de rouge. Il avait longuement hésité à utiliser sa version féminine, mais ayant été très souvent remarqué par son apparence féminine, il préférait sa discrétion masculine.

Le bal se déroulait dans un très vieux château anglais, regroupant les plus anciennes familles anglaises, des célébrités, des politiciens et des riches entrepreneurs, bref, la classe la plus haute. C'était ironique, ne pouvait-il s'empêcher de penser, que son ange, si pur et si gentil, soit mêlé parmi ses gens qui se souciaient si peu de la classe inférieure. En réalité, Crowley savait très bien pourquoi son ange avait accepté l'invitation, il aimait les bals, il aimait les vieux costumes, il aimait l'ambiance, donc il n'était pas étonnant qu'il ait facilement accepté. Il avait proposé à Crowley de l'accompagner, mais le démon avait refusé avec un grognement dégouté. Aziraphale n'avait pas protesté, il n'était même pas surpris de son refus.

Crowley se mêla alors à la foule mondaine, personne ne le remarquait, il voyait souvent le regard de certains humains se posaient sur lui, mais rapidement, après un léger miracle, ils se détournaient de lui. Ce n'était pas la première fois qu'il assistait à ce genre de fêtes, autrefois, au 17ème et 18ème siècle, il réalisait très souvent des tentations dans ce genre d'endroits. Certes, aujourd'hui, c'était un fantasme moderne des humains, on ne s'éclairait plus à la bougie et il y avait des téléphones portables dans toutes les mains. Et cela lui facilitait la tâche : trouver Aziraphale. Il était le seul qui n'avait pas de portables.

Ses yeux parcoururent chaque invité, tandis qu'il traversait toute cette foule masquée. Il savait que cela aurait été difficile de reconnaitre l'ange surtout si ce dernier avait décidé de jouer le jeu jusqu'au bout. Et après une dizaine de minutes à tourner en rond, dans l'immense salle de réception, il l'aperçut. Discutant avec des dames habillées avec de grandes robes en jupons colorés, se ventilant avec des éventails extravagants. Non sans surprise, Aziraphale était vêtu d'un costume, entièrement blanc et beige, qui ressemblait presque à ce qu'il portait en 1793 à Paris, lorsque Crowley était venu le sauver. La coupe de son manteau était cependant plus longue et à son cou, il portait un élégant nœud de papillon en soie, agrémenté d'une broche probablement en faux diamant. Son masque tout aussi blanc et doré était entouré de plumes blanches, mettant en valeur ses beaux yeux bleu, laissant entrevoir ses lèvres si délicieuses.

Crowley déglutit difficilement devant cette vision, son ange était toujours aussi magnifique, peu importe ce qu'il portait. Le voyant qu'il était entouré de si bonnes compagnies, Crowley regretta d'avoir choisi cette apparence masculine, la jalousie s'empara de ses entrailles et autour de lui, les gens autour de lui manifestèrent leurs troubles, ne comprenant pas pourquoi il faisait brusquement chaud. Agacé, il se jeta sur les boissons qu'il trouvait sur les buffets placés sur les côtés de la salle.

Après avoir bu trois verres de champagnes, il reporta son regard à son ange, qui pour son plus grand soulagement, avait quitté le groupe de femmes pour s'aventurer à travers les humains déguisés. Il ne paraissait chercher personne en particulier mais s'émerveillait des costumes qu'il admirait. Crowley se cacha au mieux possible, loin de sa vision, l'observant discrètement, s'adossant à un mur.

Dès qu'Aziraphale trouvait un costume à son gout, il ne se gênait pas pour aller complimenter la personne, lui serrant la main, lui touchant l'épaule, échangeant quelques mots rapides, rendant Crowley encore plus jaloux, mais le comportement de son ange avait quelque chose d'attendrissant. Il avait cette capacité de s'émerveiller de choses si futiles aux yeux des immortels. Chose que le démon, malgré lui, appréciait.

Tandis qu'il continuait à espionner son ange, dans un coin, ce dernier s'arrêta brusquement au milieu de la foule. Crowley releva un sourcils, intrigué. Sans qu'il ne s'y attende, Aziraphale se tourna dans sa direction, croisant son regard. Son cœur fit un bond, le démon s'étouffa dans son verre, baissant la tête et se précipita vers une colonne pour s'y cacher. Il était impossible que l'ange l'ait remarqué, il avait fait en sorte de camoufler son aura démoniaque, raison pour laquelle très peu d'humains le remarquaient. Il était beaucoup plus puissant qu'Aziraphale, il n'y avait aucune chance qu'il le trouve !

Son cœur battant la chamade, il se calma un peu, soupirant, se rassurant intérieurement. Aziraphale ne l'avait pas vu, c'était impossible. C'était un hasard s'ils se soient retrouvés face à face, malgré la distance qui les séparait. Son ange avait un don pour l'effrayer parfois…

« Excusez-moi … » fit une voix totalement reconnaissable.

Il faillit hurler de peur, mais son côté démoniaque réussit à maintenir son cri. A la place, il lâcha un juron très peu poli.

Aziraphale se trouvait désormais à ses côtés, toujours masqué, le sourire à ses lèvres. Il ne paraissait pas du tout choqué par la réaction du démon, qui ne savait plus où se mettre. Crowley se sentait terriblement stupide, il avait été démasqué si facilement, il essaya de trouver des excuses le plus rapidement possible, crédible, pour justifier sa présence ici.

« Je suis désolé de vous déranger, cher monsieur, mais …j'aime beaucoup votre costume, continua le céleste.

Crowley cligna des yeux alors, bouche bée. « cher monsieur » ? L'ange ne l'avait-il pas reconnu ? Gêné, la rougeur lui monta à ses joues. Il toussa bruyamment, tentant de trouver une voix qu'Aziraphale ne reconnaisse pas, il la rendit la plus douce possible.

- Je…vous remercie, bredouilla-t-il espérant que sa voix ne le trahisse pas, le vôtre n'est pas mal non plus.

- Le mien, c'est un ancien costume, je n'ai aucun mérite, rit l'ange, pourrai-je savoir votre nom, monsieur ? »

Oh merde. Merde. Merde. Il ne s'attendait pas à ce genre de scénario. Il était content de ne pas être démasqué, mais en réalité, il n'avait jamais imaginé que son ange ne puisse pas le reconnaître ! Pourtant, sa fierté et son égoïsme devaient profiter de l'ignorance de son ange, pour éviter de se dévoiler. Il ne peut même pas prétendre qu'il s'appelle Anthony ! Ce sera trop flagrant.

- Antoine. Appelez-moi Antoine. »

Quel prénom pourri ! Il n'avait aucune imagination ou quoi ? Dans la panique, il n'était pas allé chercher plus loin !

« Antoine ? Êtes-vous français ? questionna l'ange enthousiaste.

- Euh…je…oui. Je viens de France.

- Merveilleux, j'adore la France, surtout les crêpes ! »

Oui, bien évidemment. Crowley aurait pu rire, si la situation n'était pas aussi embarrassante pour lui. Il venait de creuser sa propre tombe, même s'il savait qu'un démon n'aurait jamais de tombes. Il n'aimait pas mentir à son ange, mais il n'avait pas le choix.

« Je m'appelle Ezra Fell, déclara Aziraphale en lui tendant la main, je suis ravi de vous rencontrer.

- Moi de même, dit Crowley doucement en serrant la main tendue.

- N'est ce pas incroyable, ce genre de fête ? Je m'attendais pas à ce que ce soit tout aussi …beau.

- Oui, oui, ça l'est.

- Mais dîtes moi, si vous êtes français, comment avez-vous été invité ? »

Oh bon sang. Il avait oublié à quel point son ange était parfois si perspicace, stupide mais intelligent parfois. Sa langue parla tout seule, lançant un mensonge, qu'il espérait convainquant.

« Mon mari est anglais, il…a été invité.

- Oh, vous êtes marié, fit l'ange dans un murmure presque décevant, ce qui surprit Crowley au premier abord.

- Est-ce un problème ? demanda-t-il alors.

- Non, bien sur que non, c'est juste que…si vous êtes marié, que faites-vous seul ici ?

- Je…Eh bien…il avait …un empêchement…je… »

Alors qu'il tenta d'imaginer ce que son mari imaginaire faisait, étrangement, Crowley n'arrivait pas à imaginer son mari autrement qu'en l'ange qui s'occupait d'une librairie. Qu'est ce qui l'empêchait d'imaginer ça ? Aziraphale ne saura pas que c'est lui dont il parle, jamais il ne se douterait qu'il parlait de lui, puisqu'il ne sait pas que c'était Crowley en face de lui.

« Il avait d'autres occupations qui méritaient son attention, finit-il par dire, et je n'ai pas voulu l'accompagner.

- Oh…pourquoi donc ? s'enquit Aziraphale avec compassion.

- Je pense qu'il est mieux sans moi. »

Ce n'était même pas un mensonge cette fois.

« Cher ami, pourquoi ne lui dites-vous pas ? Il vous aurait certainement rassuré.

- Je ne pense pas, soupira Crowley.

- Comment cela ?

- Je n'en sais vraiment rien, souffla-t-il en haussant les épaules, en fait c'est difficile à dire, nous sommes ensemble depuis si longtemps.

- Mais, l'aimez vous encore malgré cela ? »

Devant cette question si intime et directe à la fois, le démon retint sa respiration, croisant le regard si tendre d'Aziraphale, qui ignorait qui se cachait derrière le masque, il était heureux d'en porter un actuellement. Cette question pourtant si innocente ne l'était pas pour Crowley, il y avait tellement de choses à dire derrière ses mots.

« Oui, je l'aime.

- Vous devriez lui dire.

- C'est quelque chose de difficile…surtout quand nous nous connaissons depuis longtemps…et de toute manière, je n'ai pas l'impression qu'il m'aime.

- Pourquoi dites-vous cela ? Vous êtes mariés ! s'étonna Aziraphale.

- C'est un mariage…en quelque sorte…arrangé, répondit Crowley en baissant les yeux.

L'Arrangement. C'était un Arrangement entre eux. Un avantage pour l'un et l'autre. Rien de plus. L'ange le côtoyait en partie pour ça et pour rien d'autres. C'était ce qu'il avait convenu depuis des siècles. Il n'était qu'un démon, un ange ne pouvait pas l'aimer.

Aziraphale posa une main douce et rassurante sur son épaule, ce qui le fit tressaillir. L'ange n'avait jamais été aussi tactile ainsi. Ses touchers étaient parfois parce qu'ils étaient proches physiquement ou bien quand l'ange l'aidait. Mais sans plus, il n'y avait rien d'affectueux, ce qui n'était pas le cas ici.

« Je suis certain que votre mari vous aime, souffla-t-il se voulant réconfortant, sinon pourquoi resterait-il marié si longtemps à une personne aussi charmante et belle que vous ? »

Oubliant sa propre cohérence dans son histoire, Crowley rougit furieusement devant ses paroles trop élogieuses pour lui. Si ce n'était pas pour duper son pauvre ami, il lui aurait dit qu'il n'était pas charmant, ni belle et son « mari » ne l'aimait pas du tout. La situation et les paroles d'Aziraphale étaient tellement ironiques, cela aurait pu faire rire ou bien pleurer le démon.

Contre toute attente, une musique, jouée par un orchestre, s'éleva dans la salle. Les invités s'écartèrent tous de la piste de danse, permettant à d'autres de former des couples et de se placer pour danser.

L'ange et le démon observaient la scène avec intérêt alors que les danseurs commençaient à tournoyer, au gré de la musique instrumentale.

« Une valse ! s'écria Aziraphale en frappant des mains, c'est merveilleux ! »

Crowley roula les yeux, pas du tout étonné de l'enjaillement de son ami. Il était l'unique ange, si ce n'est le seul, a apprécié la danse en général. C'était à la fois touchant et un peu décevant, car ce n'était pas forcément des danses que Crowley appréciait. Si lui appréciait juste bouger son corps librement comme il le souhaitait, Aziraphale aimait des danses avec des règles, en fait, il n'avait jamais su danser comme Crowley. C'est pourquoi il avait appris les pas de la Gavotte, une danse de gentleman, selon lui, avec ses propres règles stricts.

« Voulez-vous danser, très cher ? »

Il se figea soudainement, surpris par la proposition. Il se tourna lentement vers lui. Aziraphale tendait sa main avec élégance vers lui, un sourire chaleureux sur ses lèvres, les yeux bleus pétillants. Sa posture était très assurée, il était loin de l'ange maladroit et confus que Crowley connaissait. C'est normal, il était dans son élément, il ne manquerait plus que des étagères de livres sur les murs et c'était parfait.

« Je…ne sais pas…danser, balbutie le démon espérant qu'il abandonne.

- Ce n'est pas un problème, je vous guiderais.

- Quoi ? Mais…vous…ne…. »

Sa langue faillit dire « vous ne savez pas danser ». Mais il se retint, c'était dangereux, il révèlerait son identité.

« Mon mari n'apprécierait pas…mentit-il alors avec un rire embarrassé.

Par Satan, il espérait que cette excuse marcherait ! Son ange ne pourrait pas se permettre d'encourager l'adultère !

- Votre mari est-il ici ? s'étonna Aziraphale en regardant stupidement autour de lui.

- Quoi, non ! Je…

- Alors ce n'est pas un problème.

- Monsieur Fell, je ne peux…

- C'est juste une danse, très cher. J'apprécierai vraiment que vous puissiez apprécier cette soirée.

- Je l'apprécie !

- Vous étiez seul, rappela l'ange doucement avec ses yeux si tendres sous son masque qui heurta le cœur du pauvre démon démuni.

Merde, merde et merde ! ça ne devait pas se passer comme ça. Deux sentiments se battaient entre eux dans son for intérieur, le premier fut la panique, il n'avait pas prévu un contact direct avec Aziraphale et encore moins passé autant de temps avec lui, le second fut la jalousie envers lui-même, envers Antoine, pour avoir réussi à attirer l'attention de son ange. Dieu se moquait-il de lui ? Le punissait-il pour avoir espionner son ange ? Comment cette soirée qui aurait dû ressembler à d'autres missions d'espionnages dignes d'un James Bond (oui, ce n'était pas la première fois) avait-elle fini ainsi ? Il n'eut pas le temps de faire quoique ce soit, son ange lui avait pris la main, lui avait attrapé la hanche opposée et l'avait tiré délicatement sur le bord de la piste de danse.

« Cela vous dérange-t-il vraiment ? demanda-t-il mi-amusé et mi-sérieux.

- Non, tout va bien, déglutit Crowley vaincu et bouleversé par sa proximité avec le céleste.

- Bien, posez votre main gauche sur mon épaule et prenez la mienne dans l'autre, vous n'avez qu'à me suivre tout simplement, d'accord ? »

Il s'exécuta malgré son agitation intérieur. Comment Aziraphale pouvait-il être aussi familier et si proche d'un inconnu ? Était-ce la première fois en 6000 ans ? Ou bien avait-il déjà fait ce genre de choses avec d'autres personnes ?

Ses pensées curieuses et emplis de jalousies s'évaporèrent quand il s'élança avec lui sur la piste. Aucun humain ne les regardait, comme s'ils n'existaient pas, si bien Crowley pensait qu'Aziraphale avait jeté un miracle pour les rendre le plus discret possible. Ses pieds suivaient malgré lui chaque mouvement de l'ange et si Crowley avait bien vu que la valse paraissait rapide, l'ange avait ralenti le tempo sans doute pour lui et étonnement, la musique avait suivie, freinant son rythme.

C'était à la fois déstabilisant et à la fois agréable. Le démon était un peu plus grand que lui et pourtant, alors que l'ange menait le mouvement, il avait l'impression d'être plus petit et son partenaire plus imposant. Crowley se sentait curieusement bien, son malaise de danser avec Aziraphale avait disparu et il appréciait la proximité que lui offrait la valse. Il avait presque envie que cet instant dure toute une nuit, voire une éternité. Plus rien ne comptait, à ce moment-là. Même la musique, qui n'était pas son style, avait peu d'importance. Il était près de son ange, à ses côtés. Son masque lui permettait d'être accepté à sa juste valeur, il n'était pas un démon aux yeux de l'ange, juste une personne normale, un humain parmi la foule. Pendant un instant, un seul et unique instant, il s'imaginait enfin être aimé par Aziraphale. Il était enfin regardé sans que l'étiquette de « démon » lui soit collé à la face.

Et même s'il allait souffrir lorsqu'il devra retirer le masque, lorsqu'il devra mettre Antoine au placard, même si demain il allait retrouver son ange, qui ne se doutera pas un instant qu'il avait passé la soirée avec lui, même s'il allait retrouver son identité de démon, il avait enfin pu être heureux et il pouvait être lui-même juste pour un soir, avec Aziraphale, sans crainte.

« Est-ce que tout va bien ? s'enquit l'ange.

- Je…je vais bien…, répondit-il cachant son émotion, je m'attendais pas à…ce que vous dansiez aussi bien…

- J'ai appris la valse, il y a longtemps…

Si Crowley ne voyait pas ses traits à cause du masque, il pouvait apercevoir une lueur de tristesses dans les yeux d'Aziraphale.

- Et vous n'avez pas trouvé de partenaires adéquates ? plaisanta-t-il pour faire disparaître cette lueur triste.

- Oh, bien sur que si, très cher, rit Aziraphale, je vous ai trouvé. »

La tristesse n'était plus là, mais par contre, cette dernière phrase avait complètement ébranlé le démon qui trébucha sans le vouloir, s'emmêlant les pieds. Il tomba contre l'épaule du céleste, les déséquilibrant tous les deux. Cependant, Aziraphale, dont il avait oublié sa force, lui attrapa les hanches de ses deux mains, le stabilisant, lui évitant de basculant trop en avant.

« Oh Seigneur, est ce que ça va ?

- Je vais bien…se redressa Crowley haletant et honteux, la valse, c'est pas mon truc.

- Vous vous êtes bien débrouillés, mon ami. Voulez-vous prendre l'air ? »

Le démon hocha la tête, ravi de pouvoir s'éloigner des humains et d'arrêter ce désastre. Aziraphale, lui tenant toujours la main, l'emmena à l'extérieur, sur un des grands balcons, qui permettait d'admirer la vue du domaine du château, emportant avec eux, deux coupes de champagne. Dehors, il y avait un merveilleux lac, sur lequel se reflétait la lune et les étoiles, entouré par les plaines et une forêt, dans leur manteau sombre de la nuit. La vue était magnifique, même aux yeux du démon, c'était une vue incomparable.

Se sentant observer, il se détacha de la vue, reportant son attention vers Aziraphale. Ce dernier était effectivement en train de l'observer. Crowley ne pouvait s'empêcher de rougir devant ce regard insistant. Il avait l'impression que l'ange voyait au plus profond de son âme, derrière son masque.

« Ne me regardez pas comme ça, lâcha le démon la voix tremblante en buvant d'une traite sa coupe.

- Pourquoi ?

- Je vous ai dit, je suis marié.

- Je n'ai aucunement l'intention que vous rompiez vos vœux de mariage, rassura Aziraphale, c'est juste que…

- Que quoi ?

- Que j'envie votre époux d'être marié avec quelqu'un de si merveilleux que vous. »

Le cœur de Crowley s'arrêta et jamais il n'avait ressenti des picotements aussi intenses au niveau de ses joues. Il était certain qu'il pourrait bruler sur place, s'il n'avait pas un semblant de contrôle. Aziraphale était définitivement en train de flirter avec lui, il se sentait à la fois flatté et à la fois énervé car jamais ses mots ne s'adresseraient au vrai Crowley.

« Vous essayez vraiment de me séduire, Mr Fell, marmonna-t-il en avalant difficilement sa salive.

- Je l'envie tellement d'avoir pu vous garder aussi longtemps dans ce mariage, que vous dîtes arrangé, je suppose que si vous êtes restés auprès de lui, c'est parce que vous l'aimez. »

Son mensonge paraissait crédible pour Aziraphale mais pour Crowley c'était une métaphore de sa propre vie. S'il restait aussi longtemps avec son ange, c'était parce qu'il l'aimait oui. Mais qu'en était-il réellement d'Aziraphale ?

« Oui, je l'aime…mais je ne sais pas s'il m'aime, avoua-t-il. Son visage était caché, il n'avait aucune crainte de pouvoir dire ce que son cœur souhaitait.

- Je pense qu'il vous aime, j'en suis persuadé… »

Aziraphale hésita un moment avant de continuer.

« Vous devriez avoir confiance en votre mari…Soyez honnête avec lui et il sera honnête avec vous.

- Comme si c'était facile, soupira le démon, parfois je me demande si ce n'est pas mieux que je parte.

- Vous êtes un homme charmant et très agréable, il aurait tort de vous laisser partir.

- Il s'en ficherait pas mal.

- Vous partirez vraiment ? »

Crowley ne s'attendait pas du tout à cette question. Il pivota vers lui, à la fois intrigué et surpris. Aziraphale lui lançait un regard inquiet mêlé à une douce chaleur qui lui était si familier.

« Peut-être.

- Ne le faites pas.

- Pourquoi ?

- Vous pourrez le regretter.

- Et si vous partez avec moi ? »

Profondément ancré dans son mensonge, Crowley se perdit dans son invention, pendant cet instant, il en parvint même à oublier qu'il avait un mari qu'il était censé aimer et qu'il jouait le rôle d'Antoine, un français humain, et non en tant que Crowley.

Aziraphale écarquilla les yeux, ouvrant la bouche plusieurs fois, manifestant son abasourdissement et cette demande inattendue de sa part.

« Et si vous partez avec moi, nous pourrions aller où nous voulons, nous pourrions nous aimer, vous et moi.

- C'est impossible, vous le savez, vous devriez…

- Cette soirée est la plus belle soirée que j'ai pu avoir depuis des années, je…peux enfin être moi et je peux enfin me permettre d'aimer sans qu'on ait à me juger ! »

L'impulsivité était un défaut de Crowley. Il ne réfléchissait pas du tout à ces actions, ni parfois à ce qu'il pouvait dire sur le coup de l'émotion. Alors, troublé par sa propre tromperie et par le comportement d'Aziraphale, il avait lâché ses mots. Pour une fois, il avait dit la vérité, il n'y avait pas de mensonges, il avait dévoilé ses sentiments les plus profonds. Alors, sans réfléchir, et probablement dans un désespoir incontrôlé par la peur de retrouver cette vie où Aziraphale ne serait juste qu'un ange amical envers lui, il lui attrapa le bras et le rapprocha de lui, déposant ses lèvres contre les siennes.

Il embrassa Aziraphale avec passion. Chose qu'il avait toujours voulu faire depuis des années. Des mains attrapèrent ses épaules, sans le repousser, en fait, l'autre homme ne montra aucune résistance et il en était heureux. Cela voudrait dire qu'Aziraphale l'aimait et…

« Antoine… mais vous êtes...» haleta ce dernier quand ils furent séparés après quelques secondes.

Crowley blêmit alors, n'écoutant plus les mots de l'ange. Il se rappela de sa supercherie. Il portait toujours le masque évidemment, de même pour Aziraphale. Bien sur qu'il était toujours Antoine. Il pourrait enlever le masque et dire à son ange sa véritable identité, mais la réalité le rattrapa soudainement. Il réalisa alors son erreur dans ses mensonge. L'ange n'était pas amoureux de Crowley, non, c'était d'Antoine dont il était amoureux. Cela n'a jamais été lui. Tous les louanges qu'il avait reçu n'étaient pas pour Crowley, mais pour Antoine. Aziraphale avait dansé avec Antoine, il avait rit avec Antoine, il avait partagé un baiser avec Antoine. Crowley n'avait jamais été là. La terreur de se dévoiler au céleste s'empara de lui.

Devant cette soudaine réalité, il recula d'un pas. L'autre le remarqua et il tendit la main, comme pour le rattraper.

« Je…suis désolé…bredouilla Crowley, cela n'aurait jamais…du arriver. »

Et il s'enfuit, ignorant l'appel d'Aziraphale. Il retourna à l'intérieur, se faufilant parmi les invités, courant à en perdre l'haleine, se dirigeant vers la sortie le plus rapidement possible. Derrière lui, il sentit l'aura angélique qui le poursuivait. Son ange était à sa poursuite, cherchant vainement à l'attraper avant qu'il ne s'échappe.

Dans sa course, il serra les dents, répétant mentalement qu'il était désolé. Crowley était un lâche, il avait toujours été. Quand ça devenait trop compliqué pour lui, il fuyait. Il n'avait pas la force de faire face à des problèmes, même si cela le concernait. Il avait menti à son ange et il était effrayé par sa réaction s'il apprenait que Antoine n'était autre que lui.

Au moment, où il réussit à rejoindre l'entrée du château, il percuta violemment un invité et il trébucha brutalement, causant une chute dans les escaliers. Son corps dévala douloureusement les marches et il se retrouva au sol. Ne se souciant pas des regards qu'on lui lançait suite à cette chute spectaculaire, il se redressa vivement et remarqua avec horreur que son masque était tombé, tandis que ses longs cheveux, dans sa chute retombaient sur son visage.

« Attends ! Ne pars pas ! » C'était Aziraphale, sa voix était beaucoup trop proche à son gout, il devait donc faire vite.

Il abandonna le masque et sortit précipitamment. A l'extérieur, il réussit à trouver sa voiture garée parmi celles des invités. Sa Bentley était camouflée par miracle, il l'avait transformé temporairement en une belle Ferrari rouge. Ne perdant pas de temps, il s'y engouffra et la démarra, s'éloignant du domaine, sans jeter le moindre regard derrière lui.