Note : Et voilà la 5ᵉ et dernière partie de mon histoire, cette fois-ci dédiée aux Enfers et aux Spectres. Comme pour les autres recueils, l'histoire se présente sous forme d'OS lisibles séparément tout en formant une histoire. Il n'est pas spécialement nécessaire de tout lire pour tout comprendre. Cependant, certains détails sont liés aux autres OS ou parties de l'histoire.
Correctrice : Clina
Personnages : Rhadamanthe de la Wyverne
Mention de : Athéna, Pandore, Hadès, Minos du Griffon, Rune du Balrog
Ship : aucun
Type d'écrit : introspection
Arc temporel : comme pour les autres recueils, quelques années après la fin de la guerre contre Hadès, quand tous sont revenus à la vie.
Lieu : Caïna, palais de Rhadamanthe
Autre : Je ne tiens compte que du manga original de Masami Kuramada et de son adaptation animée.
Titre : Réflexions crépusculaires
Le calme de ses appartements privés lui offrait un bref répit. Ceux qui imaginaient que les Enfers étaient un lieu de silence constant ne devaient jamais les avoir visités, ou ils n'avaient traversé que le premier tribunal. Il était vrai que Rune vénérait le silence. Et cela Rhadamanthe pouvait le concevoir. Lui aussi appréciait ce calme total, quand il regagnait sa résidence personnelle. Ici, rien ne perturbait le cours de ses pensées, ni de ses diverses réflexions. Et il appréciait à sa juste valeur cette paix sereine, qui flottait dans l'air de sa demeure après une journée de travail au tribunal infernal au milieu des serviteurs et des autres Spectres, toujours bien trop inutilement bruyants. Cela étant, les âmes jugées en ces lieux n'étaient pas non plus des plus calmes, bien souvent soumises à l'appréhension de leur jugement. Alors en ce bref instant où il passait le seuil de sa porte pour entrer dans ce qu'il considérait être son domaine privé et son monde, il savourait la lourde chape du silence total des lieux. Il prit un instant pour savourer ce retour au calme. Puis il se débarrassa de son Surplis par une émanation de son Cosmos. C'était devenu inutile de le porter. Il ne devait plus impressionner personne, ni juger les âmes des défunts. C'était l'heure d'un repos plus que bien mérité, vu la longue journée éreintante de travail qu'il avait eu. Pourtant Rhadamanthe n'était pas du genre à se plaindre.
D'un claquement de doigts impérieux, il fit s'allumer les lumières vacillantes de la pièce principale. Il appréciait toujours à leur juste valeur les petits avantages de sa puissance et de son Cosmos. Avançant d'un pas décidé vers un bar en bois sculpté et ouvragé, il l'ouvrit pour prendre un verre. Il y déposa exactement trois glaçons avant de se servir son meilleur whisky. Avec un sourire satisfait, il décida de s'installer dans son fauteuil face à une des nombreuses fenêtres de la vaste pièce. Il eut un soupir satisfait alors qu'il buvait une gorgée du liquide ambré. La légère sensation de brûlure dûe à l'alcool était agréable et surtout cela sonnait réellement la fin de sa journée de travail. Rhadamanthe était un être ritualisé, qui faisait les choses tous les jours dans le même ordre sans jamais y déroger. Il n'y avait que lors des Guerres Saintes, qu'il devenait plus imprévisible, étant alors même capable de désobéir pour servir au mieux les intérêts de son Seigneur et Dieu, Hadès. Il ne s'était jamais demandé ce que ce dernier pensait de lui et de ses deux frères ou même des Spectres en général. Ils étaient bien trop insignifiants comparés à une Déité olympienne. Pourtant il ne doutait pas quand Pandore affirmait que leur Seigneur appréciait ses Spectres et qu'il leur portait une certaine affection. Il y croyait sans en avoir la preuve. Mais après tout n'était-ce pas le fondement même de la foi ?
Le regard doré se perdit un moment sur l'extérieur et le décor ambiant. Les Enfers avaient changé depuis sa précédente vie, qui n'était pas si lointaine que cela. C'était étonnant comme l'humeur d'Hadès et ses envies pouvaient modeler le paysage de son Domaine Sacré. Tout était moins terne et moins mort, plus coloré depuis que leur Seigneur avait fait la paix avec la déesse Athéna. Il semblait enclin à offrir un environnement plus beau et lumineux aux Spectres. Était-ce une volonté d'adoucir l'au-delà aux yeux des âmes y venant ? Rhadamanthe n'aurait su le dire. Il n'était pas assez poche du dieu Hadès pour connaître ses motivations personnelles. Il n'était même pas certain que dame Pandore soit plus au fait des raisons de ce changement que lui-même. Cela tant, il ne se plaignait pas spécialement des changements. C'était actuellement légèrement plus agréable d'observer l'extérieur que dans ses souvenirs. Reportant son regard doré sur son verre, il s'amusa à faire tourner les glaçons. Et il observa pensivement leurs mouvements circulaires bien ordonnés pendant quelques secondes. Un autre soupir lui échappa et il avala une autre gorgée de whisky.
Cette nouvelle vie l'étonnait. Certes il savait qu'ils étaient ramenés en quelque sorte à la vie lors de chaque Guerre Sainte, tous les 250 ans environ. Mais cette fois-ci c'était différent. La dernière bataille contre Athéna et ses Saints ne datait pas de si longtemps, tout au plus une poignée insignifiante d'années à ses yeux immortels. Et c'était la volonté et les dons de négociatrice de la Déesse qui était à l'origine de leur retour à tous à la vie. Elle n'avait pas lésiné semblait-il sur les moyens, ni sur ses exigences. Dans la foulée de ses Saints, elle avait ramené les autres Guerriers Sacrés et même les Déités qui n'avaient pas survécu aux combats. Quel argument de poids avait-elle usé face à Zeus et aux autres Olympiens ? Rhadamanthe aurait bien aimé le savoir… Mais il semblait que la jeune Déité soit assez têtue et qu'elle sache user des bons arguments. En tout cas ce cadeau divin avait quand même eu un prix. Il leur était maintenant interdit de déclencher d'autres Guerres Saintes. Ils avaient tous signé le fameux Traité de Paix. Athéna, Poséidon et Hadès s'étaient engagés à rester en bons termes et à continuer de protéger la Terre selon leur domaine de compétences à chacun. Et ils avaient tous les trois joué le jeu, nommant même des ambassadeurs pour porter les messages d'un Sanctuaire à l'autre. Mais si les Divinités avaient accepté cela avec facilité, c'était moins évident pour leurs Guerriers Sacrés de faire fi de certains préjugés ou de certaines rancœurs. Rhadamanthe supposait que le temps limerait efficacement ces petites rancunes insignifiantes. Au final, tous et toutes finiraient par reconnaître qu'ils n'avaient fait que servir et obéir à leurs Dieux et Déesses.
Sa troisième gorgée lui fit finir son verre. Rhadamanthe grogna légèrement avant de se remettre debout et d'aller se servir un second whisky. Ce n'était pas cela qui le rendrait saoul. Il y avait bien longtemps que plus rien n'embrumait son esprit, probablement un don issu de sa nature de Spectre. Ou alors était-ce né de son habitude de consommer deux verres du breuvage ambré chaque soir ? Il eut un haussement d'épaules en se resservant, ajoutant au passage un glaçon au liquide avant de revenir s'installer confortablement dans son fauteuil. Il leva le verre en cristal pour observer le jeu de lumière dans le liquide translucide. C'était un des meilleurs whiskys au monde, un des plus onéreux et raffinés. Mais quand on était Juge des Enfers, on avait quelques privilèges bien sûr. Ils avaient tous les trois leurs petites habitudes nées de leur vie humaine, dont ils gardaient quelques fragments de souvenirs. Rhadamanthe n'était jamais une page blanche à chaque retour à la vie. Il était le produit savant de ses réincarnations passées et des restes de sa vie humaine de l'époque. C'était toujours étrange d'avoir ce mélange hétéroclite en tête. Parfois il ne savait plus lui-même, si ce qui hantait son esprit était quelque chose de cette vie-ci, ou bien une vieille réminiscence émergeant des tréfonds de son âme sans âge et de son esprit.
Combien de vies avait-il déjà eu ? Combien de fois avait-il participé aux fameuses Guerres Saintes depuis sa première mort ? Cette fois où il avait accepté, tout comme ses frères, de devenir Juge des Enfers pour l'Éternité. Cela lui semblait tellement loin maintenant. Il savait qu'ils étaient tous plus ou moins des réincarnations ou des descendants des héros des Temps Mythologiques. Du moins, certains traits physiques ou de caractère laissaient penser que cela était le cas pour tous les Sanctuaires. Cela expliquait aussi les ressemblances de chaque nouveau corps de leur Divinité, ainsi que les traits de caractère similaires à chaque hôte. Et cela était encore plus vrai pour les Spectres quand leurs étoiles s'éveillaient sous l'impulsion de leur Déité protectrice, ils fusionnaient en quelque sorte avec toutes leurs vies précédentes. Ils avaient quelques souvenirs des autres Guerres Saintes, d'autres combats. Ils reprenaient le nom tiré des méandres confus d'une Époque Mythologique dont ils peinaient à se souvenir, allant jusqu'à oublier leur identité humaine de l'époque contemporaine. C'était étrange au départ, cette sensation de perte de sa mémoire et de sa personnalité. Cela ne durait que quelques brèves minutes. Puis tout revenait. Et la sensation d'être étranger à sa propre vie disparaissait. Il ne restait que l'identité de Spectre d'Hadès.
Rhadamanthe ne se souvenait pas de son nom dans cette vie humaine. Et cela lui apportait peu. Il avait bien sûr quelques souvenirs de son Angleterre natale, de sa maison d'enfance, de ses études. Il avait aussi gardé certains de ses goûts, notamment pour le whisky et le thé. Mais il avait aussi des choses plus profondes, plus confuses, dont il n'arrivait jamais à connaître l'origine. C'était selon lui des morceaux de ses autres vies. Des choses qu'il avait vécues, des êtres qu'il avait côtoyés. Sauf que le temps faisant son œuvre, les vies de plus en plus nombreuses se superposant, il était incertain sur certains détails. Les avait-il vécus dans une autre vie ? Ou bien dans celle-ci ? Ou était-ce juste issu de ses lectures des archives et des anciens mythes ? La confusion régnait par moments, mais il ne s'y attardait guère. Il savait intimement que le meilleur moyen de savourer cette vie-ci était de ne pas trop réfléchir aux petits jeux étranges de son esprit. De toute manière même s'il s'accrochait à ces morceaux éphémères de réminiscences, il ne pourrait jamais en être certain. Il acceptait l'idée d'un mystère quant à sa propre temporalité.
Avec un sourire amusé, il but une autre gorgée du liquide doré. Et il soupira. Pourquoi avait-il à l'origine accepté ce pacte et ses multiples vies ? Si l'immortalité et l'éternité devaient avoir un certain attrait pour les Humains et leur nature mortelle, ce n'était plus le cas pour lui à présent. Il savait qu'il reviendrait à intervalles quasiment réguliers. Il savait qu'il rejouerait le même scénario. Alors certes cette fois-ci il ne devrait pas combattre Athéna et ses Guerriers. Mais que serait alors sa vie ? Il se contenterait de juger les âmes et d'attendre la fin du délai qu'on lui avait accordé ? Ce n'était pas spécialement réjouissant comme perspectif. Rhadamanthe soupira et il pencha la tête en arrière pour admirer le plafond sculpté et peint. D'une certaine manière, il avait une vie confortable. Et contrairement aux Guerriers Sacrés des autres Sanctuaires, ce n'était pas une première pour lui ce retour à la vie. C'était même plutôt habituel. Mais la vie avait-elle une saveur si elle n'avait pas de fin ? N'était-ce pas la temporalité courte de l'existence, qui la rendait agréable et précieuse ? Il se sentait presque philosophe ce soir. Mais il ressentait surtout une certaine lassitude après tous ces millénaires si semblables. Ce retour à la vie n'était que le suivant d'une longue liste et normalement le précédent d'une toute aussi longue liste.
Non, c'était faux. Cette fois-ci il y avait une infime différence. Il n'était pas revenu pour préparer le retour du dieu Hadès, ni la prochaine Guerre Sainte. Il y avait ce Traité de Paix, qui remettait tout en jeu à ses yeux. Sa vie n'était maintenant plus dédiée à servir et protéger son Seigneur. Enfin, si en partie, puisqu'il restait un des Juges des Enfers. Il avait toujours son travail à faire. Et on ne dérogeait pas à ses missions ici-bas. Mais il pouvait explorer autre chose. Il pouvait se forger une personnalité en dehors de ses capacités de chef et de guerrier. Il pouvait profiter un peu du temps qu'on lui avait généreusement offert. Peut-être pourrait-il visiter sa fameuse Angleterre natale ou découvrir le monde ? Il pouvait bien faire aussi autre chose que travailler. Il reste à découvrir ce qui lui plairait pour passer le temps jusqu'à la fin de ce cycle et le commencement du prochain. Car au fond, la vie était pour eux tous aussi cyclique que les saisons, suivant les désirs de leurs Divinités.
« Merci pour le présent dont on ne sait que faire, déesse Athéna. », déclara-t-il avec un sourire amusé en levant son verre. Elle ne risquait pas de l'entendre ou de lui répondre, mais après tout c'était elle qui les avait ramenés.
Rhadamanthe finit son verre d'un seul coup. Il pouvait sentir un Cosmos familier approcher. Un de ses frères venait le visiter. Il se demandait bien ce qui pouvait attirer Minos dans sa demeure, en cette fin de journée infernale. C'était étonnant qu'il ne profite pas de sa soirée comme à son habitude. Sans grande surprise, son frère pénétra dans sa demeure sans s'annoncer, ni toquer poliment à la porte. Ce qu'il pouvait être désespérant par moments selon les critères de Rhadamanthe. Ce dernier ne prit pas vraiment la peine de se lever pour l'accueillir. Il ne le salua même pas. Il tourna juste son regard doré vers le nouveau venu, qui étrangement portait son Surplis. La Wyverne se contenta de hausser lentement les sourcils en une question muette. Minos se fendit de son éternel petit sourire taquin, qui pouvait agacer si rapidement ses interlocuteurs dans certaines situations.
« Dame Pandore requiert notre présence à la demande du Seigneur Hadès. », déclara Minos de manière neutre. « Je crains malheureusement que tu doives remettre ton Surplis et abandonner ta dégustation de whisky pour le moment. »
Rhadamanthe se contenta d'acquiescer de la tête. Il déposa négligemment le verre vide sur une petite table. Une servante ou un serviteur se chargerait de ranger derrière lui. C'était des présences invisibles, mais horriblement efficaces quand elles travaillaient. Il appela son Surplis d'une étincelle de Cosmos. Ce n'était jamais désagréable à porter. C'était comme une seconde peau pour les autres Spectres et lui. Une fois prêt, il emboîta le pas de Minos pour se diriger vers le palais de Giudecca où séjournaient Pandore et le dieu Hadès. Il était curieux de connaître les raisons de cette invitation tardive.
