Chapitre 3
Les canines et le front crevassé étaient de sortie avant même que Spike ait pu les retenir, comme instinctivement.
Cela n'empêcha pas son agresseur de serrer plus fort. Et de lui donner un petit coup de tête… presque amical ?
Il tourna sa propre tête pour mieux voir qui venait de l'agripper et si les canines ne disparurent pas immédiatement, ses réflexes de défense s'estompèrent immédiatement sous la stupéfaction.
Deux yeux aussi bleus que les siens mais dont la forme n'était pas sans rappeler ceux de la Tueuse, le fixaient avec charleur. Les cheveux et les hautes pommettes venaient indéniablement de la blonde, mais les fines lèvres, le menton pointu et les fossettes accentuées par le sourire enfantin ne pouvait lui rappeler qu'une seule personne : William Pratt.
Dans la confusion, un grondement un peu animal lui échappa et ses canines claquèrent.
« Papa ! » rit l'enfant de cinq ou six ans, toujours accrochée à son coup mais desserrant tout de même un peu l'étau. « Tu sais que je n'ai absolument pas peur de çà ! ».
Et comme pour prouver son affirmation, la fillette lui redonna un petit coup de tête et répondit par une imitation de grondement avec un air joueur. Avant de reprendre avec un faux air sérieux : « Tu sais très bien que c'est à toi de me lire une histoire, ce soir ! Aucune excuse. », insista-t-elle en remuant dans un geste négatif un index déterminé juste devant les canines qui auraient impressionné un homme aguerri.
Et pour couronner le tout, la petite se pencha et lui planta un bisou sur la joue crevassée tout en serrant à nouveau le cou de Spike avant de desserrer tout à fait sa prise, sans néanmoins le lâcher.
Le visage humain réapparut avant que le vampire blond n'y pense, encore sous le choc.
Papa ? Papa ? Oublions le changement de dimension. Spike avait sûrement atterri sur une autre planète. Le mari de la Tueuse, passe encore, mais le père de sa fille ? Comment cela était-il même possible. Un vampire était incapable de… Tiens ! Il était sûr que même sa vampire chérie n'aurait pu le prédire, çà ! On devait lui avoir jeté un sort. Il ne restait plus que cette explication. La rouquine devait avoir encore frappé. Ou alors, il était devenu aussi fou que Dru. Ou Angel avait du encore trafiquer quelque chose, volontairement ou involontairement.
Oui, c'était sûrement cela. Après tout, le grand ténébreux était responsable de la plupart des grands malheurs de sa vie, alors…
Il en était là dans ses réflexions lorsque la petite humaine à ses côtés s'impatienta.
« Papa, tu penses à quoi ? » avant d'ajouter non sans une certaine ironie « Je te rappelle que tu dis toujours que c'est maman qui doit décider. »
Cette fois, il se tourna pour regarder – sa fille ? – dans les yeux, presque indigné.
« Je dis çà, moi ? »
« Hm Hm. » acquiesça-t-elle presque solennellement, fronçant comiquement les sourcils. « Tu ne te rappelles pas ? A chaque fois que je te demande si je peux encore avoir une glace ou si je peux t'accompagner à tes parties de poker, tu précises toujours : », elle insista de manière exagérée sur le dernier mot. « 'Demande à ta mère'. ».
Les derniers mots imitaient le blond presque à la perfection et Spike soupira intérieurement en songeant, avec une certaine fierté qui le prit par surprise, que mise à part l'impossible génétique, cette gamine lui ressemblait énormément.
Et à la Tueuse également. Et d'ailleurs, où cette dernière était-elle passée ? Il ne fallait pas une heure pour aller boire quelque chose dans sa propre cuisine et il avait encore plus de questions que précédement auxquelles il exigeait qu'elle lui apportât quelques réponses.
La fillette avait-elle un quelconque pouvoir de lire dans les pensées ? En effet, elle leva sa petite tête blonde qu'elle avait posée sur son épaule avec abandon avec de crier.
« Maman ! Papa a besoin de toi ! »
Il ne l'aurait certainement pas formulé comme cela, tout du moins dans le sens que l'entendant la petite fille mais cela eu au moins le mérite de faire sortir la Tueuse de sa cuisine.
« Joy ! Je n'ai peut-être pas votre ouïe, mais je ne suis pas… »
Elle s'intérrompit en réalisant à quelle scène elle assistait. Visiblement, elle avait quelque peu oublié que son ennemi juré était assis au beau milieu de son salon.
Spike était toujours assis sur le canapé, sa tasse de sang au deux tiers vide dans une main et une fillette blonde accrochée presque comme une sangsue à son cou.
Buffy se figea, tendant tous ses muscles de manière subtile, mais pas assez pour le vampire qui guetta sans en avoir l'air la main de la blonde qui s'apprêtait sans nul doute à saisir un pieu déjà préparé dans une poche arrière de son Jean's.
Lentement, Spike posa la tasse sur la table basse et, sans quitter les yeux verts magnifiques du regard et sans même ciller, leva un peu les mains, paumes face à la jeune femme, afin de faire comprendre à celle-ci qu'il ne représentait aucun danger dans l'immédiat. Il força tout son corps à rester relaxé malgré sa propre anxianté et bien lui en prit, se dit-il.
En effet, Joy, elle, ne semblait avoir rien remarqué.
« Hein maman, c'est à Papa de me lire une histoire, ce soir ? »
L'interjection poussa enfin la Tueuse à cesser de fixer sur lui un regard angoissé et à jeter un regard, plus calme, sur sa progéniture.
Alors certes, le sourire était hésitant, mais il aurait pu paraître tout simplement fatigué et sa voix ne tremblait pas.
« Mon chaton, ton père est épuisé. Il a une rude journée, alors… »
Les deux adultes dans la pièce semblaient avoir oublié une chose essentielle lorsque l'on a des enfants : à leurs yeux, tout, absolument tout, doit avoir une réponse logique. D'où le fait qu'ils réussissent bien souvent à avoir le dernier mot.
« C'est pas grave. », soupira Joy, avant de finalement lâcher complètement le cou du vampire. Spike soupira d'aise avant de sursauter lorsque l'enfant se hissa par dessus le dossier du canapé, et, par une pirouette, atterrit assise juste à côté de lui. « Si tu nous racontes ta journée, cela me convient très bien. »
Les grands yeux aussi bleus que les siens le fixaient avec intensité, l'hypnotisant presque, l'empêchant de réfléchir à une quelconque réponse. Ainsi, il en aurait presque soupiré de soulagement lorsque la Tueuse intervint à sa place, déplaçant de ce fait le regard enfantin sur elle.
« Mon chat, ton père n'est vraiment pas dans son assiette, ce soir. Mais tu sais quoi ? », dit la jeune femme blonde d'un ton mystérieux en se penchant vers la fillette. « Il y a une casserole de chocolat tout chaud dans la cuisine. Qu'est ce que tu dirais d'en boire une bonne tasse avant de dormir ? »
Cela sentait le traquenard à plein nez, songea Spike, mais au moins pour une fois, ce n'était pas lui qui était visé.
Preuve que la fillette combinait sans doute ses propres méninges à celle de la tueuse, elle plissa les yeux avec un peu de méfiance, se tourna momentanément vers lui avant d'observer à nouveau sa mère.
« La recette de Grandma Joyce ? » Premier acquiescement. « Avec des petits marshmallows ? » insista-t-elle.
La méfiance était cette fois teintée de gourmandise. Mais le deuxième hochement de tête de sa mère la rendit plus pensive encore.
« Et j'ai le droit d'en boire tout de suite ? A dix heures du soir ? »
Le ton curieux sonnait dramatiquement faux, se dit Spike, même s'il ne pût s'empêcher de penser qu'il avait une admirable comédienne devant lui. Après tout, les chiens ne faisaient pas des chats et cela valait autant pour la Tueuse que pour lui.
Buffy ne se laissa pas démonter et continua d'un ton détaché.
« Tu peux aller t'en remplir une tasse et le déguster tranquillement du fond de ton lit. »
« Merci Maman ! Mais je veux rester avec vous. »
Joy avait fini par abandonner sa tactique, en quête de franchise. Elle ne manquait ni de courage, ni de ténacité.
Elle fit un petit geste vers la tasse de sang pratiquement vide avec une petite moue dégoutée.
« En plus, Papa a fini de manger. Et lui aussi adore le chocolat chaud, n'est-ce pas ? »
Le regard inquisiteur croisa à nouveau celui du vampire blond, qui ne put qu'acquiescer, presque ébahi par ce petit bout de femme, aussi déterminée et têtue que sa mère. Il n'en fallut pas plus pour qu'une petite tornade blonde ne disparaisse en direction de la cuisine, d'où provinrent l'instant d'après des bruits de vaisselle qui s'entrechoque.
Les regards bleus et verts se croisèrent de nouveau, mais avant que l'un des deux adultes ne puisse ouvrir la bouche, la fillette était de retour dans le salon, deux tasses presque fumantes dans ses mains.
Presque car la couchette épaisse de sucrerie qui recouvrait le liquide devait avoir du mal à laisser passer la fumée.
Le sourire de Joy était éclatant lorsqu'elle tendit l'un des mug à Spike. De son côté, Buffy renifla.
« Et vous appelez cela un chocolat chaud ? On ne voit même plus la couleur chocolat sous toutes vos sucreries… »
« Jalouse ? » fit gentiment le vampire en avalant une troisième gorgée douce et sucrée.
Pour toute réponse, elle roula des yeux.
« Tu n'as peut-être pas de problèmes de caries, mais ta fille… »
Elle s'interrompit et ils se regardèrent en chien de faïence, légèrement choqués par cet échange cordial et détendu alors qu'ils étaient sensés être ennemis.
Ladite fillette, elle, ne semblait n'avoir absolument rien remarqué et sirotait amoureusement son chocolat chaud, ses paupières s'alourdissant de plus en plus. Ce que sa mère ne tarda pas à remarquer.
« Allez, Joy, au lit. Tu peux finir ton festin là-haut et n'oublie pas de te brosser les dents. »
Preuve que l'enfant elle-même commençait à ressentir l'appel du marchand de sable, elle ne chercha pas à protester de nouveau et, après avoir fait un petit bisou rapide à son père en guise de 'bonne nuit', suivit docilement sa mère vers l'escalier.
Buffy, quant à elle, fit signe au vampire d'attendre son retour.
Où la Tueuse pensait-elle qu'il voudrait s'en aller ? En quelques minutes à peine, le nombre de ses questions venait de doubler voire tripler.
Spike prit le parti d'attendre le retour de la blonde, confortablement installé avec son délicieux chocolat chaud dans les mains. Avec un peu de chance, la Tueuse pourrait lui apprendre cette recette avant de l'aider à rejoindre sa dimension.
