Penny resta bouche bée.
Sa vision se brouilla et il lui sembla que les deux Aurors face à elle étaient devenus des silhouettes lointaines. L'air entrait et sortait lentement entre ses lèvres et c'était le seul son qu'elle entendait.
Enid Rowle s'était échappée.
Elle était parvenue à s'échapper de sa cellule à Azkaban, passant sous le nez des Détraqueurs pour se lancer à l'aveugle dans le monde des sorciers.
On avait dit qu'elles l'avaient cherché. Toutes les deux. Qu'Enid l'avait payé à cause de leurs efforts pour défier la société et l'ordre naturel des choses. Que le tour de Penny viendrait, un jour ou l'autre.
Penny, elle, avait plutôt pensé à une ironie du sort. Après tout, n'était-ce pas son ancêtre, Damocles Rowle, qui avait fait du bâtiment infesté de Détraqueurs la prison du Monde Magique en 1718 ?
Et pourtant, elle se retrouvait ici, sept mois après la condamnation d'Enid, assise dans cette chaise qu'elle n'aurait jamais cru occuper, sans voix, comme frappée de plein fouet. Venant de recevoir la nouvelle la plus choquante de sa vie. Ou du moins le pensait-elle à l'instant.
Les cris qu'elle avait poussés il y a quelques mois résonnèrent dans son esprit. "Pourquoi as-tu fait ça ?! Enid, pourquoi as-tu fait ça ?!". Suivies de ses plaintes et supplications ignorées. "Non ! Par pitié, ne faites pas ça ! Vous ne savez pas de quoi il s'agit ! Vous ne comprenez pas !"
On lui avait arraché Enid, qui n'avait opposé aucune résistance, pour la jeter dans les bras de la mort.
Et voilà qu'elle s'en était échappée !
-... Est en état de choc, murmura une voix.
Penny secoua la tête, reprenant pied avec la réalité, et releva un regard médusé vers Dragonneau, qui semblait presque inquiet pour elle.
Un son se forma dans sa gorge sèche, prit la forme d'un mot, d'un nom.
- Enid.
Dragonneau hocha la tête et Avery soupira, croisant les bras sur sa poitrine.
- Enid, répéta-t-elle. Enid s'est échappée.
- Oui, confirma Dragonneau.
Les yeux écarquillés, Penny le fixa sans en croire ses oreilles.
- Comment-
- C'est ce que nous essayons de comprendre, l'interrompit Avery. Où étiez-vous cette nuit ?
Penny reprit brutalement ses esprits et haussa un sourcil méprisant.
- Me suspectez-vous d'avoir organisé l'évasion de ma femme, Avery ?
- Précisément, répliqua sèchement Avery.
- S'échapper d'Azkaban est impossible et vous le savez mieux que personne, Mr. Avery, répondit Penny, perdant peu à peu son sang-froid.
- Exactement. Ce n'est pas la première fois que vous réalisez l'impossible, Mrs. Rowle, rétorqua Avery, appuyant délibérément sur son titre.
Penny se mordit la joue pour se retenir de répliquer avec force.
- J'étais avec ma sœur, dit-elle d'une voix mordante. Je suis rentrée chez moi par Poudre de Cheminette à 21 heures. Je me suis couché une demi-heure plus tard et je me suis réveillée à 7 heures, comme tous les matins.
- Où étiez-vous de 9 heures à 11 heures ? Demanda Avery.
- J'effectuai des tests de transplanage, répliqua Penny. Violet White, Septimus Weasley, Cassiopée Abbott, Ewan Doyle. Chacun une session d'une demi-heure, sauf pour Miss Abbott qui a eu besoin de quelques minutes supplémentaires suite à un léger désartibulement. Vous pouvez leur demander leurs témoignages, si vous le souhaitez.
Avery continuait à la fixer d'un air suspicieux, mais Dragonneau semblait convaincu. C'était déjà ça de gagné.
- Je n'ai pas fait échapper mon épouse d'Azkaban, messieurs, assura Penny en se tournant vers la vitre teintée derrière laquelle elle savait que Travers l'observait.
À présent qu'elle avait connaissance de la gravité de la situation, elle se demandait si le Ministre lui-même n'était pas là, à observer son interrogatoire.
- Pourquoi pas ? Tout le monde sait que vous êtes contre sa sentence, rétorqua Avery.
- Avery, marmonna Dragonneau, comme pour le prévenir.
- Vous l'avez condamnée sans procès équitable, sans même chercher à comprendre ce qui l'avait poussée à commettre un tel crime, murmura Penny, le ton acide. Enid ne méritait pas ça.
- Donc vous avouez l'avoir fait sortir d'Azkaban.
- Avery ! Siffla Dragonneau.
- Non. Je ne l'ai pas fait sortir. Je ne l'ai même pas aidée, j'ignorais même qu'elle allait seulement tenter une telle chose. Je n'ai rien à voir avec son évasion, promit-elle.
Avery planta ses yeux dans les siens, le visage impassible. Penny ne se démonta pas et soutint son regard sans un mot, ne brisant pas leur contact visuel une seule seconde. Enfin, après un long moment, il détourna les yeux avec un soupir agacé.
- Je ne crois pas qu'elle sait quoi que ce soit, dit-il en se tournant vers la vitre.
Penny se redressa dans sa chaise. Soudainement, elle avait une énorme envie de fondre en larmes.
- Puis-je m'en aller ? J'aimerais rentrer chez moi, dit-elle. Si ce n'est pas trop vous demander, ajouta-t-elle avec colère.
- Bien sûr, vous êtes libre de partir, répondit Dragonneau, un peu trop vite à son goût.
Penny attrapa son manteau et quitta la pièce, adressant un signe de tête aux Aurors et en direction de la vitre teintée.
Elle se retrouva debout sur la moquette écarlate du Département de la justice magique, étourdie et perdue. Sa tête lui tournait, sa vue était brouillée. Par les larmes, réalisa-t-elle.
Elle était choquée.
Pendant des mois, elle avait pensé ne jamais revoir sa femme, tentant désespérément de la faire sortir d'Azkaban. Penny avait tout tenté, mais même avec de grosses sommes tirées de la fortune familiale, personne ne voulait l'aider. Tous pensaient Enid coupable.
Et Enid, son Enid, était à présent hors de sa cellule, sans qu'elle ne sache comment, ni où elle était. Tout cela était trop pour elle, trop à supporter avec impassibilité.
Elle erra dans le dédale de couloirs, se dirigeant machinalement vers le hall du Ministère. Personne ne sembla lui prêter attention, tant le trouble l'avait rendue invisible aux yeux des employés. Les réflexes de Penny l'emmenèrent vers les ascenseurs sans qu'elle ne le perçoive elle-même.
- Penny ! Entendit-elle derrière elle.
Elle tourna la tête et aperçut Dragonneau qui s'avançait vers elle à grands pas. Elle songea à prendre la fuite, mais il était déjà face à elle, et lui tendit un mouchoir.
- Je suis désolé, Penny, murmura-t-il.
Penny leva un regard larmoyant vers les yeux gris du Héros de Guerre.
- Mrs. Rowle, croassa-t-elle. Mon nom est Mrs. Rowle, Mr. Dragonneau.
Son regard s'assombrit aussitôt.
- Nous sommes... Nous étions amis, dit-il.
- Nous l'étions, il est vrai, jusqu'à ce que vous m'arrachiez ma femme et l'envoyiez à Azkaban sans même lui fournir un avocat de la défense, cracha Penny.
- Enid a-
- Commis un crime, oui, je sais ! S'exclama-t-elle. Je le sais mieux que personne ! Mais je l'ai écoutée, contrairement à vous, Mr. Dragonneau ! Je l'ai écoutée et je sais que ce qu'elle a fait n'était peut-être pas juste, mais ça avait au moins le mérite d'être justifié !
Elle étouffa un sanglot dans son poing.
- Je veux juste qu'elle soit en sécurité, Mr. Dragonneau. Est-ce trop demander ?
Et, sans attendre sa réponse, elle s'enfuit dans les couloirs du Ministère.
Penny vivait dans une petite maison perdue au milieu du quartier de Brixton, serrée entre des douzaines de maisons identiques à la sienne. Retrouver la bonne maison avait été un vrai casse-tête, au début. Enid n'avait cessé de rire en racontant comment elle était entrée chez les voisins par inadvertance. À présent, elle retournait chez elle sans même y penser.
Le nez enfoncé dans le col de son manteau, Penny terminait d'essuyer ses larmes en marchant dans la rue, se récoltant les regards surpris des passants. Elle les ignora et grimpa les quelques marches menant à la porte d'entrée en reniflant.
Un tour de clé et Penny rentrait dans la petite maison, essuyant son nez rouge en retirant son manteau.
Brusquement, elle se figea. Quelque chose avait changé.
- C'est ta baguette que je voie là...
La lumière s'alluma brusquement.
-... Ou tu es juste contente de me voir ?
Ébahie, Penny se contenta de s'appuyer contre la porte fermée derrière elle, manquant de défaillir.
- Enid.
