Le lendemain matin, Harry se leva à contrecœur, mais un peu moins triste que la veille. Pleurer lui avait fait du bien. La discussion avec Ron lui avait donné la force de dormir quelques heures et de se lever ce matin pour affronter la journée.

Bien qu'il restait convaincu que sa vie allait d'ici demain redevenir un enfer sans nom, il devait admettre que son meilleur ami avait raison sur un point : il ne se sentait plus seul. Ses amis passèrent la journée à le distraire, lui proposer des activités et tenter de le faire sourire. Malgré tout, l'angoisse d'être à nouveau lié à un Maître, Rogue ou même un autre, le rongeait à chaque seconde. Au milieu des conversations avec les habitants du refuge de l'Ordre, ses pensées étaient saturées par ses souvenirs des premiers mois avec son Maître. La colère et la peur qui le consumaient, ses tentatives ridicules d'affirmations qui l'avaient conduit à tant de douleur et d'humiliation. La première gifle. La première fois qu'il avait été jeté sur son lit et fouetté à coup de ceinture. La première menace de la cravache. La première correction. L'humiliation de se retrouver corrigé le pantalon aux chevilles... Son esprit avait tant de grain à moudre qu'il termina la journée avec une migraine intenable.

Le soir venu, tout le monde savait qu'une réunion allait avoir lieu. Il avait été demandé aux enfants de se coucher tôt et de ne pas quitter leur chambre. Harry savait que Fred et les autres voudraient espionner la réunion et lui-même ignorait s'il y tenait vraiment. D'un côté, il serait fixé pour de bon sur la décision de l'Ordre, sans détour ni tromperie sur les raisons qui motiveraient leur décision finale. De l'autre il n'était pas certain d'être capable de supporter tout ça. Néanmoins, il n'eut pas la force de formuler ses doutes lorsque tout le monde débarqua. Fred installa l'oreille ensorcelée et une discussion animée résonna dans la chambre.

- Quel intérêt de tergiverser ? pesta Maugrey. Le gamin a visiblement des connaissances et des pouvoirs qui doivent être mis sous contrôle. Le professeur Rogue l'a fait durant cinq ans, et du peu que l'on voit, il l'a bien fait. Alors confions lui cette tâche et passons à autre chose.

- Je ne suis pas d'accord, Alastor, rétorqua Remus.

- Vous n'allez pas encore nous faire le discours du disciple opprimé, grogna le sorcier.

- Écoutez, on ne sait pas comment les choses se sont passées vraiment pour Harry ces cinq années, insista Lupin d'une voix calme mais forte.

De celle qui laissait penser qu'il formulait un discours éclairé devant une assemblée, songea Harry.

- Personne ici n'est bête, et clairement, nous avons tous compris que le professeur Rogue aura été extrêmement stricte. Je veux seulement rappeler à chacun d'entre vous que le professeur Rogue qu'Harry a connu dans ce temps où il a été éduqué, était un sorcier qui, lui, avait assisté à la chute du monde libre. Il aura vu une première version d'Harry Potter servir Lord Voldemort, user de sa magie pour faire le mal avant de finir exécuté. C'est ce que Harry nous a raconté à nos retrouvailles. En ayant cela en tête, son Maître ne pouvait qu'être d'une intransigeance sans nom, cela me semble plus qu'évident. Et je ne suis pas surpris qu'il n'ait renvoyé son disciple qu'avec la quasi certitude que nous le lierions à un nouveau Maître. Il s'est assuré que jamais Harry n'ait l'envie, la pensée ou le courage de changer de camp.

Un silence suivit, mais Lupin reprit rapidement :

- Maintenant, ce que j'aimerais que chacun d'entre vous pense, c'est que le Harry Potter qui est à l'étage n'a rien fait de tout cela. Il n'a jamais servi Tom Jedusor, il n'a eu de cesse de tout faire pour nuire aux plans de l'homme qui a assassiné ses parents depuis son plus jeune âge. Être disciple ce n'est pas facile, je ne vous l'apprend pas. Est-ce qu'il a besoin d'être en plus lié au même Maître mais qui n'a aucun souvenir de l'avoir éduqué ? Tout le monde sait ici que les choses seront compliquées pour Harry, que les relations entre le professeur Rogue et lui ne sont ni fluides ni saines. Le déséquilibre que créera la relation Maitre / Disciple ne sera pas juste et vous le savez tous. Il est venu en toute bonne foi nous sauver et nous aider, changeant à jamais notre destin premier. N'a-t-il pas le droit, lui aussi, à une deuxième chance ?

Un nouveau silence s'instaura et le cœur d'Harry battait tellement fort contre sa cage thoracique qu'il était convaincu que ses amis devaient l'entendre.

- Bien, entérina soudain la voix de Dumbledore. Je pense qu'il est temps de passer au vote et considérons que le résultat ne sera pas discutable dans l'immédiat. À mains levées. Qui pense que le professeur Rogue doit redevenir le Maître du disciple ?

Il y eut des bruits sourds alors qu'Harry était à deux doigts de mourir d'angoisse. La tension était à son maximum. Il aurait vendu son âme pour que la foutue oreille ensorcelée de Fred soit une paire d'yeux.

- Bien. Et qui pense que Remus serait mieux placé dans l'immédiat pour accomplir cette tâche ?

Les regards convergèrent brusquement vers Harry.

- Lupin s'est proposé, souffla Ron, estomaqué.

Harry était désormais à deux doigts de l'arrêt cardiaque. Comment pouvait-il être là, spectateur aveugle de la décision qui allait changer sa vie les mois ou années à venir ?

- Parfait, c'est donc décidé, précisa Dumbledore.

La frustration chez les jeunes sorciers était inqualifiable. Harry aurait pu s'arracher les cheveux. Qui l'avait emporté ??

- Et concernant Poudlard ? intervint McGonagall.

- Nous reviendrons sur ce sujet dans une semaine ou deux, mais je ferai le point directement avec le Maître de l'intéressé. Molly, pourriez-vous aller vous assurer que nos jeunes étudiants sont bien au lit avant que nous n'abordions le sujet suivant, je vous prie ?

Un mouvement de panique agita le plus silencieusement possible la chambre au-dessus de la cuisine. Fred arracha l'oreille et chacun regagna au plus vite sa chambre respective. Harry se mit au lit, le corps tremblant d'émotions. La porte s'ouvrit une minute à peine plus tard et les deux sorciers firent tous deux parfaitement semblant de dormir et, lorsque la sorcière repartit en silence, ni Ron ni Harry ne se redressa.

Le Survivant était d'ores et déjà convaincu qu'il ne dormirait pas de la nuit. Et, comme un écho à son état d'esprit agité, la marque dans son cou brûla avec intensité de longues minutes. Comme si celle-ci tenait à lui rappeler qu'il était temps de se lier à son Maître.

Le lendemain matin, Harry se leva avec la boule au ventre. Ron lui accorda une accolade juste avant de descendre, sans prononcer de parole en particulier. Il n'y avait rien à dire de toute manière, mis à part attendre de voir ce qui allait lui être annoncé dans la matinée. Le petit-déjeuner fut pris en silence et Molly s'étonna d'ailleurs du calme ambiant.

La porte s'ouvrit au moment où Harry débarrassait juste son assiette et son verre. La vue du professeur Rogue lui serra tellement la gorge qu'il manqua d'air. Il s'appuya sur l'évier en y déposant la vaisselle, ravalant sa panique ainsi que sa peur. S'il était là, cela ne pouvait signifier que l'évidence.

- Harry ? l'interpella Remus. Avec Severus nous aurions quelques mots à te dire, si tu as terminé ?

Incapable de prononcer un mot, Harry acquiesça et se dirigea vers eux sans attendre, tout en évitant soigneusement de croiser le regard de quiconque. Les trois sorciers se dirigèrent vers la salle où Harry avait fait ses premières évaluations. Une fois à l'intérieur, il se plaça face aux deux hommes, mains derrière le dos, la respiration hachée, le cœur en lambeaux tant il était malmené ces dernières heures.

- Voila, Harry, commença Lupin. Après discussion et délibérations hier soir, l'Ordre ainsi que Dumbledore se sont entendu pour te désigner un nouveau Maître.

Gardant la tête baisse, Harry retînt son souffle.

- Ce sera moi.

Harry releva brusquement les yeux en direction de son ancien professeur de Défense contre les forces du mal.

- V... Vous ? suffoqua-t-il presque.

Son regard dévia vers un Severus Rogue encore plus bougon qu'habituellement.

- Mais..., commença Harry sans oser poursuivre.

Le choc était tel qu'il n'arrivait pas à savoir ce qu'il ressentait. Du soulagement, de la peur, de la surprise. Tout était en train de se mélanger à grande vitesse dans sa tête et il craignait de bientôt renverser l'intégralité de son petit-déjeuner sur les pieds des deux hommes.

- Avant d'officialiser les choses, je voulais t'offrir malgré tout la possibilité de choisir. Severus était d'accord pour devenir ton Maître également, il était même au départ le premier sollicité, pour des raisons évidentes. J'ai obtenu la majorité au vote à peu de voies et je voudrais être certain que tu te sens prêt à te lier à un nouveau Maître. Si tu préfères que le professeur Rogue endosse ce rôle, je me retirerai.

Les yeux de Harry s'écarquillèrent malgré lui. On lui laissait le choix ? Jamais il n'aurait pensé avoir une telle opportunité. Et là, en cet instant, face à cette liberté inattendue, il demeura figé, interdit. Il ne l'aurait pas parié deux heures plus tôt. Pourtant, l'hésitation était là. Il avait mis des semaines, des mois à regarder Severus Rogue comme son Maître. S'il pensait "Maître" "obéissance" "dévotion" tout son corps et son esprit se tournaient vers ce sorcier. Apprendre à obéir et se soumettre à tout ordre ou moindre geste n'était pas l'exercice que l'on appliquait à n'importe qui et dans n'importe quelle circonstance. Le lâché prise était ce qui avait été le plus rude à apprendre, au final.

Mais son véritable Maître était mort, tout ce qui s'était passé ces cinq dernières années n'existaient plus que dans sa mémoire. L'homme face à lui ne savait rien de ses sentiments, de son respect, de ses craintes. Tout recommencer aurait-il le moindre sens ? Peut-être que c'était une simple épreuve de plus pour lui ? Pour prouver qu'il était bel et bien dévoué corps et âme à un seul et unique Maître ?

Ou peut-être que les mots du professeur Lupin lors de la réunion étaient porteur d'une nouvelle leçon, d'une nouvelle page. Le premier Harry Potter que son Maître avait connu n'existait plus, lui non plus. Jamais Lord Voldemort ne pourrait se servir de lui, le soumettre et user de ses dons pour conquérir le monde. Il était assez fort aujourd'hui, il avait les clés nécessaires en main.

Sans parvenir à masquer les larmes qui chauffaient ses yeux, Harry se tourna vers Remus Lupin.

- Je serais vraiment très honoré d'être votre disciple, monsieur, murmura-t-il avec beaucoup plus d'émotions qu'il ne l'aurait pensé.

Remus sourit.

- Tu es sûr ? Une fois que c'est décidé, plus de retour en arrière.

Harry songea quelques secondes à sa décision. Même si personne au monde ne pouvait égaler Severus Rogue en terme de sévérité à ses yeux, il avait quand même été l'élève du professeur Lupin suffisamment longtemps pour savoir que le sorcier savait parfaitement être stricte. L'inconnu lui serra un peu la poitrine mais il savait qu'il était prêt à changer de Maître.

- J'en suis certain, monsieur, et je vous remercie de m'avoir offert ce droit de choisir.

Remus pencha seulement la tête en avant en signe d'accord. Rogue ne desserra pas les lèvres et s'engagea vers la sortie, estimant sans doute que sa présence n'était plus nécessaire. Harry se retourna précipitamment et l'interpella. Le sorcier fit volte-face avant de poser un regard plutôt neutre sur Harry. Ce dernier se plaça devant lui et replaça ses mains dans son dos.

- Est-ce que je peux vous dire quelque chose, s'il vous plaît ?

- Allez-y, Potter, soupira-t-il.

- Je sais que vous doutez de toute mon histoire et... et que vous me trouvez trop insupportable pour être honnête. Je voulais juste... vous dire... je n'oublierai jamais ces années passées, nos soirées au coin du feu, et surtout tout ce que vous m'avez appris. De la magie comme de la vie. Je vous serais à jamais reconnaissant et je resterai à jamais votre serviteur.

Harry s'inclina et, lorsqu'il se redressa et qu'il posa les yeux sur Rogue, ce dernier avait perdu de son air hostile. Il demeura quelques secondes muet avant de finalement relâcher subtilement les épaules.

- En tout cas j'aurai fait un travail d'éducation remarquable, admit-il.

Rogue leva brièvement les yeux sur Remus avant de reporter son attention sur son élève.

- Nous aurons d'autres occasions d'en discuter, j'imagine.

Il salua son ancien confrère et quitta pour de bon la salle. Harry inspira à fond avant de se tourner vers Remus. Ce dernier esquissa un sourire.

- Tu es prêt ?

Harry hocha la tête, le cœur battant.

- On va commencer par le moins agréable, annonça le sorcier en tirant sa baguette.

Sans avoir le moindre doute, Harry pensa à sa marque. Lorsque son précédent Maître l'avait scellée, il avait ressenti une brûlure à peine supportable, et la manière dont le professeur Lupin annonçait les choses lui laissait penser que les minutes à venir ne seraient pas plus confortables.

Après avoir inspiré à fond, Harry quitta son pull, puis se mit dos au sorcier. Ce dernier posa la main sur la nuque d'Harry et le jeune disciple frissonna au contact des doigts de l'homme. Il entendit quelques mots latins s'échapper des lèvres du sorcier et, après une poignée de secondes, une chaleur se déploya de sa nuque vers sa tête. Au début, elle était douce, mais très vite, elle devint intolérable. C'était comme si des flammes léchaient sa peau. Harry tomba à genoux et plaqua ses mains sur sa nuque en gémissant. Les dents serrées, le coeur à la volée, il fallu une bonne dizaine de secondes avant qu'il ne perçoive la voix de celui qui était désormais son Maître.

- Respire doucement, lui murmura-t-il. Ne résiste pas à l'enchantement.

À bout de souffle, les yeux plein de larmes, Harry bascula en avant et se rattrapa d'une main pour ne pas finir à plat ventre. Puis, sans signe avant-coureur, toute douleur s'estompa. Durant un moment, seule la respiration saccadée du jeune homme se répercuta dans la salle. Harry remarqua à cet instant que l'ancien professeur de Poudlard s'était accroupi près de lui et avait posé une main sur son dos.

- C'est passé ?

- Oui, expira Harry avec difficulté, encore sous le coup du sortilège.

- Allez, debout, annonça Lupin.

Il se releva en soutenant son désormais disciple.

- Ça va ?

- Oui, monsieur, acquiesça Harry, reprenant ses esprits. Je veux dire, oui... oui, Maître.

Il rougit, un peu gêné face à l'ami de ses parents.

- À titre d'information, si c'est si douloureux c'est parce que tu résistes, précisa-t-il d'un ton professoral. C'est la part de toi qui ne tient pas à être disciple, qui se bagarre un peu vivement.

Harry frotta sa marque sans réprimer le frisson que ses pensées provoquèrent malgré lui. Désormais, par cette marque, Harry se savait incapable de mentir ou désobéir à son Maître sans conséquence. Elle le ferait souffrir s'il cherchait à mentir volontairement ou désobéir à un ordre clair et directe.

- Est-ce que tu te sens bien ?

- Oui, assure-t-il avant de se reprendre. Oui, Maître.

- Bon... Je suis désolé d'avoir dû en passer par là, mais tu sais que la marque t'aurait fait de plus en plus souffrir jusqu'à ce que tu me demandes de le faire.

Harry hocha de la tête avec entendement. Il le savait oui, mais ce n'était pas pour autant facile, il fallait en convenir.

- Je dois m'acquitter d'une tâche importante ce matin, alors nous n'allons pas pouvoir discuter tout de suite. Je ne voulais pas te faire attendre après déjeuner pour t'annoncer la décision de la réunion. Je te laisse profiter de ta matinée tranquillement et nous ferrons le point sur la situation après déjeuner, d'accord ?

Harry mit deux ou trois secondes à réagir. Que le sorcier face à lui fut désormais son Maître était difficile à réaliser. Qu'il fut son Maître et lui demande si sa décision lui convenait était déstabilisant.

- Je ferai ce que vous voudrez, Maître.

- Parfait, acquiesça-t-il avec douceur. Tu peux filer dans ce cas.

Harry jeta un coup d'œil curieux au sorcier. Il avait l'air un peu mal à l'aise et le disciple ignorait s'il était responsable de cela ou non. Après une courte hésitation, il s'inclina respectueusement et se dirigea vers la sortie.

- Harry ?

Le susnommé fit volte-face et replaça ses mains dans son dos.

- À partir d'aujourd'hui, tu n'espionnes plus les réunions de l'Ordre. C'est entendu ?

Un élan de panique lui broya le cœur alors que Remus Lupin lui offrait un sourire un peu taquin. Complètement déstabilisé, Harry demeura figé. Pourquoi son nouveau Maître souriait alors qu'il lui révélait être au courant de son espionnage ? Son prédécesseur aurait déjà défait sa ceinture à ce moment de la conversation.

- Allez, file, ajouta Lupin. L'heure tourne.

Harry s'exécuta sans demander son reste, mais il passa la matinée à se demander de quelle manière il allait être puni pour cette bêtise.