Tant pis, elle allait s'endormir sur le canapé.
Vesna commençait à somnoler, elle avait abandonné son livre sur l'accoudoir, et elle se laissait bercer par le reflet des flammes qui dansaient sur son visage. Ces ondulations étaient invisibles puisqu'elle avait désormais les yeux clos, mais elle ressentait leur chaleur de façon extrêmement précise. Se recroquevillant un peu plus sous son plaid, elle soupira doucement de bonheur. Mais ce moment de détente éclata en morceau lorsqu'elle crut entendre un bruit inhabituel au dehors. Redressée en sursaut, Vesna attendit le signe qu'il ne s'agissait pas d'une simple hallucination due à sa somnolence partielle.
Des craquements dans la neige. Comme des pas. Merci à la structure toute simple et mal insonorisée de la maison, sans qui elle aurait pu rater ces bruits.
Personne ne s'aventurait jamais devant chez eux à part Clatia, Dragan et elle-même, et Clatia ne débarquait jamais après la tombée de la nuit. Quant à Dragan, il travaillait, il ne rentrerait pas avant deux jours encore. Quelque chose clochait. Des monstres s'étaient-ils approchés de leur habitation ? Vesna connaissait les bruits de la forêt par cœur, il ne pouvait pas s'agir d'animaux : ce qu'il y avait actuellement dehors, ça ne faisait pas craquer de branches mortes tombées au sol, et ça avait le pas trop lourd pour être un petit animal suffisamment léger pour faire moins de bruit qu'un chevreuil.
Lentement, silencieusement, Vesna se leva du canapé, prenant garde à ne pas s'approcher trop des fenêtres. Longeant doucement le mur, elle saisit le pommeau de son épée, posée dans un coin de la pièce principale. Sans un bruit, elle s'attela à extraire l'arme de son fourreau, et elle s'avança jusque près de la porte, enfilant rapidement ses bottes, se préparant à se battre.
Les bruits de pas cessèrent tout d'un coup, pendant plusieurs secondes infinies. Le silence fut brisé lorsque la porte d'entrée sauta, s'écrasant sur le parquet dans un bruit sourd.
Le premier homme qui entra reçut un coup de pied dans l'estomac, et un coup de pommeau dans la tempe qui l'envoya s'étaler par dessus la porte déjà à terre, inconscient. Les deux suivants durent donc l'enjamber pour entrer à leur tour. Ce détour vertical qu'ils furent contraints d'effectuer leur coûta cher, car cela laissa le temps à Vesna d'attaquer la première. Ils trébuchèrent sur leur camarade en tentant de s'enfuir, et la jeune brune les vit se rouler dans la neige pour éteindre leurs uniformes en feu.
Tant qu'elle restait juste à côté de l'entrée, les autres ne pourraient attaquer que deux à deux, ce qui rendrait la défense de Vesna bien plus facile. Mais pourquoi des Fatui l'attaquaient-ils au juste ?
« Vesna ! Stop ! » hurla une voix à l'extérieur.
Dragan semblait véritablement paniqué. Vesna perçut même un tremblement dans son intonation, un tremblement qui envoya une nouvelle vague d'adrénaline dans son sang. Elle n'avait jamais entendu son frère terrifié.
« Pose ton arme et sors lentement de la maison, la supplia-t-il. S'il te plaît. Ils ne te feront pas de mal, et à moi non plus. Je te le promets. »
Vesna passa la tête au-dehors pendant une fraction de seconde seulement, juste assez pour voir son frère maintenu par les épaules par deux tirailleurs. C'était bien lui, pas une imitation de sa voix, donc peut-être pas un piège. Que devait-elle faire ?
« Vesna ! Ils sont là à cause de Clatia, mais ils vont tout t'expliquer. Il y a eu un problème… sors, s'il te plaît. »
La jeune femme pinça très fort les lèvres, mais elle finit par poser son épée sur ce qu'il restait de la porte, devant l'homme inconscient. Très lentement, elle fit un premier pas vers l'extérieur, puis un second, jusqu'à avoir les deux pieds dans la neige. Les mains levées vers le ciel, elle regarda plus en détail la scène qui s'offrait à elle : il n'y avait que peu de lumière, mais l'ombre chatoyante du feu qui traversait les fenêtres suffisait pour se rendre compte qu'il y avait une bonne vingtaine de soldats. Les deux tirailleurs qui tenaient Dragan portaient un œil divin pyro, et ils étaient accompagnés par ce qui ressemblait à un adolescent. Il était un peu plus petit que Vesna, mais son regard était dur, et ses cheveux violet sombre coupés au carré étaient en partie cachés par un large chapeau conique.
« Au nom des exécuteurs et de la Tsaritsa elle-même, je t'ordonne de nous suivre sans résister. Attention, la moindre étincelle sera considérée comme une déclaration de guerre », la mit en garde le garçon d'une voix sûre.
Vesna détourna le regard dès qu'il eut achevé sa phrase, préférant se fixer sur les yeux de Dragan à la recherche d'un signe rassurant. Mais son frère semblait décontenancé tout autant qu'elle.
Vesna avait l'impression de marcher sur un lac gelé en train de fondre. Le garçon qui semblait mener les Fatui participant à l'arrestation n'avait expliqué ce qu'il en était qu'une fois entrés à l'arrière d'un fourgon dont la couleur sombre tranchait sur la blancheur de la neige. Clatia était accusée de haute trahison, et en tant que proches, Vesna et Dragan étaient soupçonnés de complicité. Les charges reprochées étaient aussi simples qu'effrayantes et potentiellement terriblement lourdes de conséquences. De plus, les faits étaient vraisemblablement assez graves pour que la Tsaritsa prenne la décision d'envoyer un exécuteur chercher les deux jeunes gens. Tenant visiblement à ce que Vesna et Dragan se souviennent bien de lui, le garçon aux cheveux violets leur avait alors précisé qu'il se nommait Scaramouche. Vesna le trouva prétentieux, mais elle garda bien entendu sa réflexion pour elle. Le trajet les menant au palais Zapolyarny fut terriblement long. Interminable. L'angoisse rongeait Vesna, si bien qu'elle n'échangea pas un mot avec son frère. Ils s'étaient seulement regardés lorsque Scaramouche avait expliqué brièvement à Vesna ce qui se passait, et ils n'avaient eu besoin d'aucun mot pour partager leurs questions, leurs inquiétudes : est-ce que c'est vrai ? comment ça pourrait l'être ? c'est Clatia… notre Clatia est quelqu'un de bien, elle n'a pas pu vouloir nuire à Snezhnaya…
Le jour se levait lorsqu'ils arrivèrent enfin. On les poussa hors de leur fourgon, et le convoi qui les avait emmenés se dispersa. Bientôt, les véhicules disparurent, et il ne resta plus autour d'eux que Scaramouche ainsi qu'une toute petite poignée de soldats.
C'est lorsque le dernier fourgon s'éclipsa qu'ils découvrirent la beauté du palais Zapolyarny. Dragan l'avait déjà vu une ou deux fois, mais Vesna ne le connaissait qu'à travers les récits de son frère. Et, sans vouloir le rabaisser, ses descriptions étaient bien ternes à côté de la réalité.
