Correctrice : Clina

Personnages : Minos du Griffon, Rune du Balrog

Mention de : Pandore, Hadès, Rhadamanthe de la Wyverne, Eaque du Garuda

Ship : Minos/Rune

Type d'écrit : romance

Arc temporel : comme pour les autres recueils, quelques années après la fin de la guerre contre Hadès, quand tous sont revenus à la vie. Se passe en parallèle du premier chapitre.

Lieu : Bibliothèque du premier Tribunal

Autre : Je ne tiens compte que du manga original de Masami Kuramada et de son adaptation animée.

Titre : Silence partagé


Le silence régnait dans la vaste bibliothèque de la Première Prison des Enfers. C'était au-delà du calme qu'on pouvait espérer trouver en un lieu habité d'une quelconque âme. Et Rune restait persuadé qu'il n'y avait pas d'endroit plus feutré et paisible au monde que cette pièce. Mais cela devait tenir au fait que peu de personnes errait en général dans la bibliothèque, lieu où il était de coutume de ne point parler pour ne point déranger les autres lecteurs; et aussi au fait qu'à cette heure crépusculaire les autres Spectres travaillant ici avaient tous regagné leur logis. Rune, lui, désirait finir son classement avant de rejoindre sa propre demeure, qui n'était pas vraiment la sienne. Il passait finalement assez peu de temps dans sa propre chambre. On pouvait s'étonner qu'il la conservât envers et contre tout. Mais il avait ses propres raisons, plutôt liées à ses peurs intimes en réalité. Où irait-il si son compagnon se lassait de lui et désirait mettre fin à leur relation ? Il se devait d'avoir un lieu où se réfugier, si cette triste et déchirante perspective devait devenir une réalité tangible. Il sentit ses muscles se contracter légèrement à cette vague idée. Certains argueraient qu'après autant de siècles et millénaires il ne devrait pas tant douter de son compagnon.

Rune eut un soupir. Et il secoua la tête. Pourquoi avait-il ce genre de pensées en cet instant ? C'était futile et inutile. Il le savait. Il devait se concentrer sur sa tâche pour la finir au plus vite. La journée avait été longue et il rêvait lui aussi de rentrer pour se détendre. Il l'avait bien mérité vu le travail qu'ils avaient encore accompli ces dernières heures. Depuis la fin de la Guerre Sainte et leur retour à tous à la vie plus rapide qu'habituellement, les journées se ressemblaient toutes. Et peut-être que ces actions bien rodées et rituelles lui offraient trop de temps pour gamberger dans son esprit. Pas qu'il se plaignait de la présence du Juge Minos à ses côtés pour rendre les jugements. Il avait toujours apprécié travailler avec son supérieur et sous les ordres du Griffon. Et il avait toujours été assez fier de la confiance et de l'estime que ce dernier lui portait, et cela bien avant que leur relation ne dépasse le cadre du travail ou d'une quelconque amitié. Rune se targuait d'être celui qui connaissait le mieux Minos, anticipant ses désirs, demandes et besoins avant qu'il ne les formule. Peut-être était-ce cela qui le rendait précieux aux yeux du Griffon ? Peut-être s'oubliait-il trop au profit de Minos, pour lui plaire ? C'était une remarque qu'on lui avait déjà faite.

Ne vivait-il vraiment que pour Son Seigneur ? Peut-être. Peut-être pas. Pouvait-il dire qu'il reniait ces propres désirs et besoins au profit de ceux de son compagnon ? N'était-ce pas aussi une preuve d'amour et de respect ? Mais au fond qu'est-ce que les autres pouvaient bien savoir de leur vraie relation ? Ils ne voyaient que le respect et la dévotion que Rune portait à son supérieur dans son travail. Peu de Spectres pouvait se vanter de vraiment le connaître lui ou de connaître Minos, qui passait parfois pour un démon qu'on redoutait aux Enfers. Le Balrog avait l'audace d'imaginer mieux connaître le Juge que tous les autres, à l'exception peut-être de ses frères et du dieu Hadès. Et il ne se vantait pas des quelques privilèges que sa situation actuelle lui offrait. Il n'en parlait jamais. Nul ne devait savoir, sauf un ou deux amis relativement proches qui avaient d'eux-mêmes percé son précieux secret à jour. Un autre soupir lui échappa. C'était aussi pour cela qu'il conservait sa chambre inoccupée. Cela pouvait rendre le change et éviter bien des commérages. Et aux Enfers, les rumeurs couraient très vite, toutes plus étranges et farfelues les unes que les autres. Alors s'il pouvait éviter d'être le centre d'une d'elles et protéger l'honneur de Minos…

« Tes pensées semblent bien lourdes et mélancoliques. », souffla une voix taquine à son oreille alors que deux bras l'enlaçaient. Le corps de Minos se colla légèrement contre lui. Si l'étreinte se voulait possessive et amoureuse, elle restait suffisamment légère pour que Rune puisse se libérer aisément. Minos faisait toujours attention de ne pas emprisonner son compagnon trop fortement. Il savait que ce dernier avait besoin d'une échappatoire et de pouvoir remettre de la distance entre eux, au cas où quelqu'un approcherait…

« Je me contente de ranger les archives traitées à ce jour. », murmura le Balrog d'une voix basse et paisible. C'était pour cela après tout qu'il était encore en ces lieux.

« Une dizaine de minutes pour choisir si tu déposes le livre à gauche ou à droite de ceux déjà rangés me fait dire que tu es perdu dans tes pensées. », commenta le Griffon dans un souffle contre sa nuque. Rune put sentir l'ombre d'un sourire contre sa peau. « Et le plissement de ton nez et de ton front que ces dernières sont bien sombres. Alors me diras-tu ce qui encombre ta jolie tête ? »

« Rien qui ne vaille de s'appesantir dessus. », contra habilement Rune se décidant finalement à déposer le livre à sa place sur l'étagère. Depuis quand Minos était-il présent dans la pièce pour savoir qu'il rêvassait plutôt que travailler ?

Seul le silence lui répondit cette fois-ci. Rune se concentra sur le livre suivant qu'il se devait de ranger. Il ne s'étonna même pas que l'étreinte ne se dissipa pas autour de lui. Il sentit le menton de Minos se poser sur son épaule pour lire le titre de l'ouvrage qu'il tenait en main. De toute évidence le Griffon allait rester là. Il y avait des millénaires, Rune aurait imaginé que son supérieur le surveillait et qu'il vérifiait son travail. Il l'avait d'ailleurs imaginé, redoublant d'efforts et de volonté pour être un parfait procureur à l'époque. Ce n'était que bien plus tard, qu'il avait compris que le Juge errait autour de lui pour profiter de sa présence et dans une tentative vaine mais assez adorable de capter son attention et de le séduire. Le Balrog pouvait bien avouer que celui qui avait fait tout le travail pour que leur relation soit celle qu'ils partageaient aujourd'hui était Minos. Lui n'aurait jamais osé espérer attirer le regard du Juge de cette manière. Enfin à l'époque, aujourd'hui il savait que le Griffon gardait toujours un œil sur lui, non pas pour le surveiller mais parce qu'il semblait incapable de ne pas l'avoir dans son champ de vision. Un baiser léger se déposa sur sa peau sensible, suivi rapide d'une autre dans une tentative totalement assumée de capter son attention.

« Quand j'aurai fini mon travail, vous… », commença Rune sérieusement en essayant de retenir quelques frissons provoqués par les baisers papillon.

« Vous ?!… Allons allons, nous sommes seuls… », susurra Minos de sa voix cajolante. Rune soupira.

« Tu auras toute mon attention quand j'aurai tout classé. Promis. », déclara le Balrog. Ce n'était pas ainsi qu'il avait envisagé de formuler sa phrase. Ils étaient toujours au Tribunal, alors une marque de respect s'imposait envers Minos.

« Bon alors, je vais t'aider comme cela je serai plus vite le centre de ton attention. », proposa avec un sourire Minos, qui libéra son compagnon de son étreinte pour attraper un autre livre d'archive.

« Tu détestes ranger. », grommela Rune en l'observant du coin de l'œil.

« Pas faux. Mais plus vite ce sera fait, plus vite on rentrera. Et donc plus vite je pourrai te faire oublier tes sombres pensées. », commenta le Griffon avec un clin d'œil. Rune soupira et il lança un regard vers la double porte de la bibliothèque espérant ne pas voir débarquer un Spectre. « Cesse donc de t'inquiéter, il ne reste que nous. Personne ne sera témoin de notre réelle intimité. », ajouta Minos avec amusement.

Rune observa son compagnon quelques instants. Et il se fit la réflexion qu'il était faux d'imaginer que Minos ne faisait rien pour combler ses attentes et ses désirs à lui. Parce qu'honnêtement si cela avait tenu au Griffon, tous les Enfers auraient su qu'ils étaient devenus un couple. Et le connaissant, il l'aurait probablement aussi crié sur les toits des Sanctuaires d'Athéna et de Poséidon, même si l'information ne devrait pas les intéresser grandement. Seulement Rune avait cette nécessité de garder cela pour eux, pour éviter les rumeurs, pour éviter les remarques et parce qu'il avait inscrit en lui un besoin de discrétion. Et cela Minos l'avait toujours respecté. Il s'était accommodé du vouvoiement et de la distance respectueuse de Rune au Tribunal. Il savait de toute manière que dans l'intimité de son palais, les choses étaient différentes entre eux. Tout comme il n'avait jamais commenté cette envie de conserver une chambre à part pour encore une fois éviter les rumeurs et avoir un refuge au cas où… Et même si Minos n'avait jamais rien fait qui pouvait laisser suggérer qu'un jour il désirait rompre, il respectait le besoin de sécurité de son compagnon. Cela étant, il ne comprenait pas vraiment d'où venait cette peur de la rupture. C'était probablement lié à son passé humain…

« Donc à quoi pensais-tu ? », questionna-t-il à nouveau tout en déposant un livre sur une étagère. Il avait l'air de ne pas y toucher, on pouvait l'imaginer superficiel et joueur, mais il avait toujours à cœur le bien-être de son âme-sœur. Et il le sentait légèrement mélancolique, sans raison apparente.

« Rien d'important. », répondit Rune avec un léger sourire. « Des pensées passagères qui n'ont fait que traverser mon esprit. » C'était joliment formulé, nota mentalement Minos.

« Hum… En rapport avec une peur intime et primale chez toi qui te fait conserver cette petite chambre dans un dortoir ? », demanda plus directement le Juge. Le Griffon vit son compagnon se crisper. « Je te connais Rune. Nous sommes ensemble depuis des siècles, à chaque vie les mêmes préoccupations reviennent pour nous tous. Et comme à chaque existence je ferai tout pour que tu ne doutes pas de notre lien. Puis pourquoi te quitterai-je ? » La curiosité pointait dans sa voix, alors qu'il rangeait un dernier bouquin épais.

« Nous avons sûrement déjà eu cette conversation autrefois… », soupira Rune en rangeant le dernier livre d'archive. « Il y a plein de raisons qui peuvent justifier une séparation… »

Quand le Balrog se tourna, il eut un mouvement de recul, surpris de trouver le Griffon si proche de lui. Son dos percuta doucement la bibliothèque derrière lui. Les yeux dorés se noyèrent un moment dans le regard rosé. Minos pencha légèrement la tête pour déposer son front contre celui de son compagnon. Cela ne changerait jamais. Et ils devaient avoir ce genre de discussion à chaque réincarnation. Mais cela n'avait rien de lassant. Il n'y avait rien que Minos n'aurait fait pour Rune, pour lui prouver son affection et à quel point il tenait à lui. Il ne pouvait pas effacer ce qui était inscrit en son compagnon. Mais ils étaient des âmes-sœurs selon lui et ils se complétaient parfaitement. Rune était la face calme, et lui la face extravertie. Rune doutait et lui le rassurait. Ils avaient toujours fonctionné ainsi. Et malgré les siècles, le Griffon ne se sentait pas lassé de son compagnon, ni des petits doutes qui parfois resurgissaient. Il ne pouvait pas effacer le passé de Rune, ni sa première vie humaine. Et Minos ne savait pas vraiment ce que le Balrog avait bien pu vivre avant de devenir un Spectre d'Hadès. Ce dernier ne semblait pas en conserver le moindre souvenir.

« Ce qui n'arrivera pas. J'ai eu des millénaires pour me lasser de toi, et ce n'est jamais arrivé. Tu me captives toujours autant. », répliqua Minos très sérieusement et avec une voix où perçait toute la tendresse qu'il éprouvait pour son compagnon. « Tu restes mon âme-sœur. Je t'aime. Même avec tes doutes et tes manies qui sont plus des tocs en fait… »

Un baiser baptisa le front de Rune avec beaucoup de douceur. Il était toujours surprenant de constater à quel point le Griffon pouvait être délicat et tendre dans certains de ses gestes et propos. Enfin en général c'était uniquement avec lui. Un autre baiser s'échoua sur le bout de son nez comme une taquinerie légère. Rune releva les yeux et la tête, qu'il n'avait pas eu conscience de légèrement baisser. Le sourire de Minos lui réchauffa le cœur. Les petits nuages gris, qui assombrissaient ses pensées, disparurent quand les lèvres du Griffon frôlèrent les siennes. Le Balrog put sentir le sourire de son compagnon quand il répondit à la douce et chaste pression. Rune ferma les yeux et il savoura la caresse amoureuse. Il ne s'octroyait jamais le droit d'avoir des gestes aussi tendres entre eux au tribunal, mais pour une fois il voulait bien laisser tomber ses réticences à s'afficher avec son compagnon. Et puis c'était agréable de se faire un peu dorloter par Minos. Une main caressa sa longue chevelure claire, venant jouer avec quelques mèches. L'instant éphémère était hors du temps et leur appartenait uniquement à eux.

« On devrait rentrer. », murmura doucement Rune, les joues légèrement rouges. S'il restait un livre ou deux à ranger cela pourrait attendre demain. Et vu le sourire de Minos, ce dernier partageait son avis sur la question.

« Bonne idée. Et nous profiterons d'un repos et d'un moment de détente bien mérité ! », répondit le Juge en s'éloignant de son compagnon.

Une légère caresse frôla la joue légèrement rosée du Balrog avant que Minos ne remette une distance respectable entre eux. Après tout ils étaient toujours au Tribunal, et il s'estimait déjà chanceux d'avoir pu voler deux étreintes et un baiser à son compagnon. Il ne tenterait pas plus sa chance, voulant vraiment profiter d'une soirée paisible en amoureux. Et il avait quelques idées pour que ce temps précieux soit bien occupé et pour plaire à son âme-sœur. Seulement alors qu'il se dirigeait vers la porte, il vit débarquer un Spectre au pas de course dans la bibliothèque. Ce dernier glissa et il faillit bien s'étaler face à eux, arrachant un rictus à Minos. Cependant il était contrarié de cette présence qui perturbait ses plans pour la soirée. Reprenant un air plus neutre et froid, le Griffon darda un regard qui aurait glacé le sang de n'importe qui aux Enfers, à quelques rares exceptions sur le nouveau venu qui se confondit rapidement en excuses.

« Mes excuses Seigneur du Griffon... Je ne voulais pas… Enfin c'est qu'un message est arrivé de la part de Dame Pandore. Le dieu Hadès requiert votre présence en son palais de toute urgence. », balbutia le pauvre Spectre toujours à genoux face à eux. Rune fronça légèrement des sourcils. « Et si vous pouviez en passant quérir la présence des autres Juges… », osa ajouter le subordonné, sans oser relever le regard.

Un grognement lui répondit alors que Minos le congédiait de la main. Lui qui avait prévu une soirée des plus romantiques et qui comptait sur ce moment pour détendre Rune… Il allait devoir reporter. Ô il ne doutait pas que son compagnon comprendrait. Après tout on ne désobéissait pas à un ordre d'Hadès, ni d'ailleurs à un de ceux émanant de Dame Pandore. Mais il était quand même contrarié. En plus il devait servir de messager et récupérer ses deux frères au passage. Cela étant il était certain de les trouver dans leur palais respectif à cette heure-ci. Un soupir lui échappa. Il se sentait légèrement agacé. Il sentit les doigts de Rune s'enrouler doucement autour des siens comme pour apaiser sa frustration du moment. Ce petit geste assez inhabituel en ces lieux de la part de son compagnon attira son regard vers lui. Le Balrog se permit un sourire apaisant.

« Va. Je t'attendrais. Mais faire patienter le dieu Hadès est plutôt une mauvaise idée, non ? », déclara Rune avec son calme légendaire. Il déposa une bise légère sur la joue de Minos. « Plus vite tu seras parti, plus vite tu reviendras. », ajouta-t-il. Minos eut un autre soupir. Mais il se décida à aller chercher ses frères pour répondre à l'ordre de son Seigneur. Il commencerait par Rhadamanthe, il serait plus aisé de le convaincre.