Scène 3
Alors qu'il empruntait une seconde fois le pont sommaire aménagé sur la rivière, Naruto se força à se rappeler que suivre Uchiha était sa seule option.
Il lança un regard en direction de ce dernier et admira malgré lui ses enjambées puissantes et assurées. Uchiha se déplaçait avec une souplesse extraordinaire pour un homme de sa stature. Et sans faire le moindre bruit.
Uchiha. Le jeune homme se concentra afin de retenir les bribes de souvenir qui surgissaient fugitivement de sa mémoire, chaque fois que son regard croisait les prunelles d'obsidiennes de l'homme qui portait ce patronyme. Mais rien à faire, le brouillard qui entourait ses pensées demeurait intact, et quand il tentait de le pousser, la seule chose qu'il parvenait à faire était de se donner des maux de tête.
Pourtant, il avait le sentiment confus de connaître Uchiha, d'une manière ou d'une autre. Repoussant sa frustration, il attaqua l'escalade du gros rocher qu'il avait gravi tout à l'heure. Cette fois, il s'arrêta un instant pour en contempler l'étrange aspect, faisant glisser sa main sur sa surface froide, polie par l'érosion.
« Vous gaspillez de précieuses minutes de jour », gronda son comparse d'une voix dure.
Naruto sursauta, détacha sa main de la pierre comme un gamin pris en faute et porta son regard vers lui. Les poings sur les hanches, le brun se dressait à quelques mètres au-dessus de sa personne, aussi immobile que le rocher qu'il admirait plutôt.
Il fut obligé de reconnaître qu'il avait fière allure, avec ses jambes bien campées dans le sol, ses cuisses musclées serrées dans la toile de son jean et ses larges épaules.
L'objet de son attention observa brièvement le ciel avant de ramener son regard sur lui.
« Le temps est clair. Il va faire vraiment froid, cette nuit. À moins de vouloir dormir à la belle étoile, vous feriez mieux de vous dépêcher. Je ne m'arrêterai plus pour vous le répéter », ajouta-t-il avant de se détourner et de poursuivre sa route.
Naruto considéra le vaste ciel sans nuage en se demandant comme il avait fait au juste pour prédire tout ça d'un seul regard. En tout cas, quelque chose lui disait que son comparse ne se trompait pas. Et avant que celui-ci ne disparaisse tout à fait de sa vue, il força ses jambes tremblantes de fatigue à se remettre en mouvement sur le sentier qui continuait à grimper avec constance.
Poussé par un regain d'énergie, Naruto rattrapa rapidement son guide. Sa poitrine, en revanche, était toujours aussi serrée, sans doute à cause de l'inconfort de la situation dans laquelle il se trouvait.
Le chemin déboucha tout à coup sur un immense trou béant dans la montagne. Le jeune homme fut frappé par le contraste entre ce paysage dévasté et la végétation opulente qui les avait entourés un instant plus tôt. Rien – ni arbres ni buissons -, ne poussait, ici. De grosses branches jonchaient le sol, sur lequel de gigantesques arbres gisaient, renversés. À l'autre extrémité de ce site désolé, des troncs, de la terre et des fragments de roches s'empilaient sur une vingtaine de mètres de hauteur – tel un monument élevé à la gloire du mystérieux phénomène qui avait pu sévir à cet endroit.
Uchiha avait continué à avancer, tandis que Naruto, qui s'était laissé captiver par l'étrangeté de ce lieu, était de nouveau à la traîne. Fidèle à sa parole, son guide ne semblait plus se soucier du fait qu'il le suive ou non.
Une fois encore, il rassembla ses forces afin de le rattraper.
« Qu'est-ce qui a pu causer de tels ravages ? », s'enquit-il lorsqu'il l'eut enfin rejoint.
Uchiha s'immobilisa et regarda derrière lui, comme s'il remarquait seulement maintenant leur curieux environnement.
« C'est une crue géante qui aurait ravagé ce coin en un clin d'œil, suite à des pluies diluviennes », répondit-il.
Naruto lança des coups d'œil méfiants autour de lui.
« Cela ne risque pas de se renouveler, j'espère ? »
Son guide eut un sourire sardonique.
« Tant que vous ne traînez pas trois heures en chemin, vous ne risquez rien », répliqua-t-il avant de se lancer de nouveau à l'assaut de la côte.
La poitrine soulevée par un soupir de frustration, Naruto repartit péniblement à sa suite. Le sol était de plus en plus accidenté. Dans son effort pour suivre les longues enjambées d'Uchiha, il trébuchait sur chaque racine et sur chaque caillou du sentier. Il riva un regard furibond sur le dos de son guide, qui, injustement, semblait savoir parfaitement où poser ses pieds à chaque pas. Il aurait aimé le voir trébucher, ne serait-ce qu'une fois.
Lorsque le froid grandissant le fit frissonner, il riva son regard au loin, où le soleil disparaissait inexorablement derrière les montagnes. D'immenses zébrures orange et pourpre striaient le ciel, en arrière-plan de la ligne hérissée de sapins qui, en contrebas, cédait la place à une vallée verdoyante. Ce paysage magnifique stupéfia Naruto. Même s'il n'avait aucun souvenir de son passé, il était intimement persuadé de n'en avoir jamais contemplé d'aussi beau. Un écureuil s'aventura à découvert, le fixa avec curiosité, puis disparut dans la forêt. Les oiseaux, vaquant à leurs affaires, volaient joyeusement au-dessus de leurs têtes ou poussaient de petits cris stridents, perchés dans les arbres.
Le jeune homme n'en reconnut aucune espèce. De toute évidence, il n'avait pas l'habitude d'observer la nature. Uchiha, par contre, semblait connaître parfaitement ces montagnes. De quelle façon s'était-il si bien familiarisé avec elles. Y avait-il toujours vécu ? Une fois de plus, il prit conscience qu'à part le fait qu'il était dangereux, il ignorait tout de cet homme. Il n'avait pas non plus la moindre idée de leur destination. Or la nuit commençait à tomber. Il avait froid, mal partout, et il mourait de faim.
Soudain exaspéré, il s'immobilisa et tapa du pied. Il se comportait comme un enfant, il le savait, mais il avait été sur son meilleur comportement ces trois dernières heures, et c'en était déjà bien assez.
« Je n'en peux plus ! », explosa-t-il. « Pourrais-je au moins savoir où vous comptez m'emmener ?»
Ainsi qu'il s'y attendait, Uchiha l'ignora et poursuivit son chemin. Naruto s'élança aveuglément dans sa direction, galvanisé par la colère, et s'immobilisa à côté de lui. Cette fois, son guide interrompit sa marche et le fixa avec un ennui amusé.
« À votre place, je regarderais où je mets les pieds », l'avertit-il en désignant ce qui se trouvait derrière lui d'un mouvement de tête.
Les yeux agrandis, Naruto découvrit qu'il se tenait au bord d'un précipice. Il se jeta spontanément contre Uchiha et sentit ses bras se refermer sur lui. Au même instant, ses pieds glissèrent sur la terre sèche et projetèrent un jet de cailloux en direction du vide.
« Putain de merde ! », s'exclama-t-il, tout en s'accrochant au blouson de son compagnon, malgré lui rassuré par le contact de ses bras puissants.
Uchiha le ramena sur un terrain plus stable, puis le lâcha.
« Faites un peu attention », dit-il d'un ton suffisant.
« Merci de votre conseil », riposta Naruto avec ironie, le cœur toujours battant de frayeur.
Il vit Uchiha agripper un long câble en acier qui était tendu au bord du gouffre sur une vingtaine de mètres.
« Tenez-vous à ce câble », lui indiqua-t-il. « Et regardez où vous marchez. »
Il n'eut pas besoin de le lui répéter deux fois, Naruto fit un premier pas, posa un regard hésitant vers le vide et eut un mouvement de recul. Le précipice plongeait à pic sur une bonne trentaine de mètres. Cramponné à deux mains au câble, il avança ensuite avec une extrême prudence. Pour une fois, Uchiha attendit qu'il ait franchi le périlleux passage avant de reprendre l'ascension du sentier. Celui-ci était de plus en plus abrupt et dès qu'il eut recouvré son sang-froid, Naruto se rappela qu'il ne savait toujours pas où ils allaient.
Tandis que l'obscurité se refermait rapidement sur le paysage, le chemin les amena sous un gros surplomb rocheux. En d'autres circonstances, sa beauté incongrue aurait sûrement fasciné le jeune homme, mais il était bien trop fatigué pour s'en émerveiller.
« Attention », l'avertit encore Uchiha en désignant la voûte rocheuse du doigt.
Naruto leva les yeux, juste à temps pour voir une stalactite aussi effilée qu'une dague tomber à un mètre à peine devant lui. Aussitôt, il se hâta de dépasser les dangereuses formations de glace. Uchiha, qui s'était arrêté une fois de plus pour l'attendre, reprit sa progression et Naruto le suivit d'un pas pesant.
Ils longèrent deux autres précipices, qui semblèrent au jeune homme plus périlleux encore que le précédent, sans aucun câble auquel se retenir et avec à présent la lueur de la lune pour seul guide.
Au fur et à mesure de leur progression sinueuse, il était de plus en plus gelé, les membres engourdis, la respiration pénible. Il scruta la forêt dense et obscure, et imagina un être humain se perdant et mourant de froid dans cette nature hostile. Son cadavre, supposa-t-il sombrement, ne serait sans doute pas découvert avant le dégel du printemps… s'il n'était pas dévoré avant cela par un animal sauvage.
Perdu dans ses pensées, il faillit heurter Uchiha, qui s'était arrêté avant une côte particulièrement raide. Il écarquilla les yeux dans la pénombre et distingua des rondins de bois aménagés dans la terre en guise de marches, afin d'aider les randonneurs. Voyant Uchiha les gravir deux à deux, le jeune homme sentit le découragement l'envahir. Mais même s'il devait y perdre ses dernières forces, il n'avait pas le droit de baisser les bras. Le temps qu'il atteigne le sommet de la montée, son cœur était prêt à éclater.
Assez vite, cependant, le sentier s'aplanit et la respiration de Naruto redevint normale. Il espéra qu'ils atteindraient bientôt leur mystérieuse destination. Ses pieds et ses chevilles le torturaient. Sa tête se joignait à cette violente symphonie de douleur et il avait la poitrine étrangement comprimée. Le resserrement progressif des sapins masquait presque entièrement la lumière de la lune, désormais, rendant leur progression plus difficile. Ses sens éperonnés par le parfum frais et piquant des conifères, Naruto se demanda s'il en existait, là d'où il venait.
Konoha, lui avait dit Uchiha. Les sapins poussaient-ils, à Konoha ?
D'un seul coup, Naruto sentit qu'il tombait et effectua une volte-face aussi brusque qu'involontaire. Il avait marché sur une plaque de verglas, comprit-il en laissant échapper un cri. Les bras d'Uchiha encerclèrent sa taille une fraction de seconde avant qu'il n'atterrisse sur la terre dure. L'homme le remit sur proprement ses pieds. Mais ensuite, au lieu de le lâcher, il garda ses bras fermement enroulés autour de lui.
« Je ne dois pas être patineur artistique », murmura Naruto d'une voix rauque.
« Sans doute pas », répartit son vis-à-vis, la chaleur de son souffle frôlant sa bouche.
Comme hypnotisé par l'éclat de ses prunelles encre de Chine, où jouaient les reflets argentés de la lune, Naruto fut un instant incapable de bouger. Il s'imprégna silencieusement de la chaleur de ce corps à portée du sien. Sa bouche, la traîtresse, eut alors envie de goûter la sienne, et ses doigts, indépendamment de sa volonté, se resserrèrent autour du cuir usé de son blouson.
« Nous sommes presque arrivés », finit par dire son compagnon d'une voix étrangement hachée, rompant le silence.
Il laissa retomber ses mains le long de son corps, se détourna de lui et, reprenant sa marche, fut de nouveau avalé par l'obscurité.
Interloqué par ce qui venait de se passer, Naruto eut l'impression que ses jambes avançaient d'elles-mêmes à la suite de son guide. Il émit un long soupir qui forma un petit nuage de vapeur dans la nuit glacée.
Reprends-toi !
Il ne s'était rien passé. Rien d'autre que la fatigue, la faim et l'effet trompeur de la lune. Et il ne se passerait rien.
Quelques minutes plus tard, il vit apparaître un panneau accueillant les randonneurs au gîte. Il remercia silencieusement le ciel en espérant qu'ils avaient enfin atteint leur but. Même si, dès l'instant où il s'avança dans la clairière, cet endroit se révéla plus que rustique. Une dizaine de petites cabanes de bois se détachaient sous la lumière blafarde de l'astre lunaire et aucune d'elles n'était éclairée. Le sentier menait à une sorte de bureau d'accueil qu'il contournait ensuite par la droite avant de repartir en direction de la forêt.
Au grand désespoir de Naruto, au lieu de se diriger vers les cabanes, Uchiha resta sur le sentier.
« Nous ne nous arrêtons pas ici ? », l'interrogea-t-il.
« Les gîtes sont fermés pour l'hiver. Il n'y a personne, à part le gardien. Et je ne veux pas prendre le risque qu'il nous voie. »
« Alors qu'est-ce qu'on va faire ? »
Sans répondre, Uchiha quitta brusquement le sentier et se fraya un chemin dans l'herbe haute, en direction d'une minuscule cabane, dissimulée à l'arrière du site.
Plus que contraint, Naruto progressa péniblement à sa suite. Il était si soulagé à l'idée de trouver enfin un abri qu'il ignora les piqûres des ronces qui s'accrochèrent à la toile de son jean. Uchiha, qui atteignit la cabane bien avant lui, inspecta rapidement la porte et les fenêtres, afin de choisir la meilleure façon de s'y introduire par effraction, sans aucun doute.
Le temps qu'il le rejoigne, son comparse était déjà à l'intérieur. La pièce unique contenait un lit étroit, une lampe à kérosène posée sur une table, deux chaises et un petit poêle, également à kérosène. Ses murs et son sol étaient constitués de simples planches de bois. Qualifier ce lieu de rustique relevait de l'euphémisme. L'adjectif rudimentaire était plus adapté pour le décrire. Mais cette cabane leur fournirait un abri contre le vent et le froid, et en l'heure actuelle des choses, ils auraient tout aussi bien pu s'être enregistrer dans un cinq étoiles.
Naruto considéra une nouvelle fois le petit lit en fer. Tout valait mieux que de passer la nuit dehors, sur le sol glacé. Mais où Uchiha allait-il dormir ? se demanda-t-il tout en se dirigeant vers le lit, sur lequel il se laissa tomber avec un soupir d'intense satisfaction. Le seul fait de s'asseoir était salvateur. En fermant les yeux, il succomba lentement à l'épuisement. Il agrippa une couverture en laine rêche et la remonta sur ses épaules. Bien qu'ils aient trouvé un abri, il faisait tout de même sacrément froid. Il passa sa langue sur ses lèvres en rêvant de baume apaisant, de lotion nettoyante et d'huile d'amande douce.
« Ecoutez-moi, Naruto », ordonna Uchiha, le forçant à rouvrir brusquement ses paupières alourdies. L'homme se tenant dans la pénombre, prêt à ressortir de la cabane. « Je vais voir si je peux trouver une ou deux boîtes de conserve dans la cabane qui fait office de cuisine commune. Mais je vous avertis, si vous essayez encore de vous enfuir, je vous jure que cette fois, je vous égorge. »
Naruto leva les yeux au ciel. Ce type le prenait pour un idiot ou quoi ? Il n'avait pas à s'inquiéter. Il n'avait aucune intention de bouger et d'essayer de s'enfuir dans le froid pour finir par mourir d'une pneumonie.
« D'accord », marmonna-t-il, mais Uchiha avait déjà disparu en laissant la porte ouverte.
Bercé par le murmure du vent dans les arbres tandis que le silence nocturne l'enveloppait, Naruto sombra aussitôt dans le sommeil.
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Au moment où Sasuke regagna la cabane avec son butin, Naruto dormait profondément.
Il déposa sur la table les quatre boîtes de cassoulet, la bouteille d'eau et les deux cuillères qu'il avait trouvées. Il songea à laisser dormir le jeune homme, d'autant que ce dernier n'avait fait que l'exaspérer depuis le début de leur périple. Mais il n'avait rien mangé de la journée et il allait devoir retrouver des forces afin de continuer cette marche infernale, le lendemain.
Avec un soupir, il s'avança donc jusqu'au lit et le secoua doucement.
« Naruto, réveillez-vous. » Comme il ne bougeait pas, il insista : « Il faut que vous mangiez. »
« Quoi ? »
Le jeune homme ouvrit brusquement les yeux, se redressa dans un sursaut et observa vivement l'espace autour de lui.
Sasuke recula d'un pas, confus par cette réaction. Rares étaient les gens qui réagissaient aussi vite à leur réveil. Néanmoins, alors que Naruto le fixait avec de grands yeux, il imagina qu'en fait, il l'avait surpris.
« J'ai déniché de quoi manger. Vous devez vous nourrir », lui dit-il avec fermeté.
Naruto soupesa sa suggestion un instant, puis acquiesça :
« D'accord. »
Toujours enveloppé dans la couverture, il se leva et le suivit d'un pas traînant jusqu'à la table. Il s'assit sur l'une des chaises et le regarda ouvrir deux boîtes de conserve.
« Qu'est-ce que c'est ? », demanda-t-il avec méfiance.
« Du cassoulet. »
« Beurk. Je déteste ça », dit-il, le nez froncé de dégoût.
Sasuke lui jeta un regard.
« Comment pouvez-vous le savoir ? »
Le jeune homme se raidit.
« J'ignore comment, mais je le sais. »
« Mangez tout de même », ordonna Sasuke dans un soupir. « Et buvez », ajouta-t-il en poussant la bouteille d'eau dans sa direction. « Vous allez avoir besoin de toute votre énergie, demain. »
Naruto croisa son regard à travers la table.
« Pourquoi ? Que devons-nous encore faire, demain ? »
« Marcher, comme aujourd'hui », répliqua Sasuke.
« Vous plaisantez ! », se lamenta le jeune homme.
Sasuke n'honora pas ses jérémiades d'une réponse mais lui fit la grâce d'un regard agacé. Naruto but un peu d'eau au goulot de la bouteille, puis il enfouit une première bouchée de haricots dans sa bouche qu'il mâcha à peine, avant de l'avaler avec un frisson. Lorsqu'il fut enfin venu à bout de sa portion de cassoulet, Sasuke lui en proposa une autre. Manger était synonyme de survie, et plus vite monsieur Uzumaki l'apprendrait, mieux il se porterait.
« Non merci », s'empressa de répliquer ce dernier.
« Dans ce cas, je vais les conserver pour demain », déclara Sasuke d'un ton moqueur.
« Super », marmotta sans enthousiasme le blond, tout en regagnant le lit d'un pas lourd.
Il s'y effondra dans un bruit de ressorts, laissa aller son dos contre les barreaux en fer et resserra la couverture autour de lui.
« Je vous préviens », reprit-il, le nez enfoui sous sa couverture. « Je ne bougerai pas d'ici avant que le soleil soit levé et qu'il ait réchauffé ces maudites montagnes. »
Sasuke roula des yeux. Naruto découvrirait bien assez tôt que ses journées commençaient toujours avant l'aube et qu'au cours de ce voyage, c'était lui qui décidait de leur emploi du temps.
Il alla s'asseoir à l'autre extrémité du matelas et s'adossa lui aussi aux barreaux du lit. Les yeux à présent accoutumés à l'obscurité, il observa attentivement son mystérieux compagnon. Tout en se demandant qui il pouvait bien être, il passa en revue les détails qu'il avait notés le concernant.
Il ne portait pas d'alliance, ce qui laissait supposer qu'il n'était pas marié. Sa peau impeccable et ses ongles manucurés démontraient qu'il n'exerçait pas un métier manuel. Ses vêtements, ainsi que ses chaussures, révélaient des étiquettes de marques réputées. À l'évidence, Naruto gagnait bien sa vie. À en juger par son vocabulaire, il semblait relativement instruit. Enfin, en dehors du coup qu'il avait reçu à la tête et de l'amnésie qui s'en était vraisemblablement ensuivie, il paraissait en bonne santé.
À mesure qu'il regagnait ses forces, Sasuke avait également vu une indubitable assurance émaner de lui, révélant un jeune homme à la volonté de fer et au caractère affirmé. Il ignorait quoi conclure de l'évolution des choses. En fait, il ne savait pas grand-chose de l'amnésie, en dehors du fait que cette affection pouvait être temporaire et s'estomper de manière sporadique.
Tout à coup, il se rendit compte qu'il dévisageait Naruto depuis un certain temps et que le jeune homme avait surpris son regard. Il s'éclaircit la gorge et s'empressa de déclarer d'un ton détaché :
« J'étais en train de réfléchir au fait que nous allons devoir trouver un moyen de lutter contre le froid. Car la température va sérieusement baisser, au cours de la nuit. »
Naruto écarta la couverture de son visage.
« Et alors ? »
«Il nous faudra partager la couverture.»
Le jeune homme braqua sur lui un regard médusé.
« Vous plaisantez ? On se connait à peine ! Si vous étiez un gentleman, vous n'oseriez même pas le suggérer. »
« C'est exact », rétorqua Sasuke d'un ton sec. « Nous voilà au moins d'accord sur un point.»
Il redressa la tête et le dévisagea avec un rictus sardonique.
« Mais pour vous prouver que je ne suis pas non plus tout à fait un mufle, en échange de la moitié de la couverture, je vous réchaufferai dans mes bras. »
« Pitié ! », s'écria Naruto avec une moue dégoûtée.
« Vous n'aurez qu'à vous rapprocher et vous serrer contre moi. Rien de plus. »
Afin d'illustrer son propos, il ouvrit son blouson en un geste d'invite.
« Blottis l'un contre l'autre dans nos vêtements et sous cette couverture, je vous assure que nous serons parfaitement bien. »
« Je préfère mourir de froid », affirma Naruto.
« Comme il vous plaira. », ricana-t-il en refermant son blouson.
Puis il croisa ses bras sur sa poitrine, exagéra un frisson et regarda Naruto batailler avec sa conscience.
« Pourquoi n'allumez-vous pas ce poêle à kérosène ? » demanda le jeune homme d'un ton acerbe.
« Je ne suis pas encore magicien », dit-il dans un soupir exaspéré. « Je n'ai ni briquet ni allumettes sur moi. »
« D'accord. »
« D'accord pour quoi ? », demanda Sasuke avec ironie.
Naruto lui décocha un regard furieux.
« Nous partagerons la couverture mais ne vous mettez pas martel en tête, parce que je suis parfaitement entraîné à l'autodéfense. »
Sasuke se rapprocha de lui et lui murmura à l'oreille :
« Comment le savez-vous ? »
« Je n'en sais rien, mais vous, vous devriez vous en souvenir », riposta son vis-à-vis d'un ton lourd de sous-entendus.
Sur ce, après avoir renoncé à une moitié de la couverture, il lui tourna le dos. Au souvenir du genou de Naruto s'enfonçant dans son entrejambe, Sasuke grimaça. Le gamin avait en effet réussi à le neutraliser un bon moment.
Quoi qu'il en soit, il avait obtenu ce qu'il voulait. Il se pelotonna contre lui. Naruto lui décocha un coup de coude dans le ventre et s'écarta le plus possible de lui.
Douloureusement échaudé, Sasuke demeura parfaitement immobile jusqu'à ce que la respiration régulière de son compagnon lui indique qu'il était profondément endormi. Il glissa alors un bras autour de sa taille et l'attira contre lui afin de contrer le froid insidieux. Au contact du corps abandonné et vulnérable du jeune homme contre le sien, il sentit aussitôt son sexe commencer à se remplir.
Seigneur. Jamais il ne parviendrait à dormir. Par le passé, il avait pourtant souvent fait équipe avec des hommes très attirants, sans jamais se laisser émouvoir de la sorte. Mais il était forcé de reconnaître que dès l'instant où il avait ouvert sa porte à Naruto, son éthique professionnelle ainsi que son instinct de préservation étaient tous deux passés à la trappe.
Naruto Uzumaki avait le pouvoir d'anéantir tous les préceptes les mieux enracinés en lui. Il avait toujours été un solitaire, et n'avait jamais eu à se préoccuper que de lui-même. Or Naruto n'avait cessé de hanter son esprit tout au long de la journée. En quoi ce jeune homme inconscient et naïf différait-il tant des autres ?
Jamais Sasuke n'avait désiré quelqu'un à ce point. Et jamais, il n'avait éprouvé une telle envie, un tel besoin, de protéger quiconque.
Son trouble ne pouvait pourtant pas provenir du péril de la situation. La vie ne l'avait pas épargné, et ce n'était pas la première fois qu'il fuyait pour sauver sa peau. Mais cette fois, c'était différent. Naruto était différent.
À moins que ce ne soit lui, qui commençait à s'attendrir en vieillissant… ou à devenir tout simplement stupide.
