PARTIE NUMERO UNE: une étoile filante
Playlist
« Never let you go » Georgia
« Yellow » Coldplay
« In my blood » Shawn Mendes
« Home » Hollow coves
Chapitre numéro un
Partie numéro une
Point de vue d'Aodhan
Une paire d'ailes bleues aux reflets argentés apparait en un éclair dans le ciel sombre de New-York.
Un éclair bleu qui file à vive allure.
Ce n'est pas pour rien que le dénommé « Campanule » est comparé à un papillon. Ses ailes sont bleues. Des ailes de papillon Morpho. Un bleu éclatant. Un papillon unique en son genre. On a envie de se perdre dans sa couleur bleue. Son succès vient de sa bonne humeur constante, de sa joie de vivre communicative auprès des autres. Les new-yorkais sont fans, de ses pirouettes aériennes encore plus, des blagues faites aux passants beaucoup moins.
Les anges éprouvent un sentiment de liberté incomparable quant ils volent. Logique, c'est notre raison de vivre.
Voler dans les airs nous est indispensable, sentir l'air sur nos plumes, sur nos visages et sur le reste de notre corps est quelque chose d'unique. Un ange sans ses ailes ne se sent plus comme un ange. Il se sent comme un être insignifiant. Triste réalité. Un ange serait privé d'une partie de sa raison d'être sans ses ailes. Ce serait comme un vampire sans ses crocs. L'un incapable de voler et l'autre incapable de boire du sang pour vivre. Autrement dit, ils meurent. Illium force l'énervement de notre maître d'arme préféré lors des entraînements car il n'arrive pas à l'atteindre avec une arme blanche. Il est trop rapide. Trop prévisible des coups de l'adversaire qu'il arrive à deviner aussi vite que nous autres réunit dans la même pièce.
Le sentiment de voler telle une fusée sans avoir peur de quoique ce soit, c'est sa marque de fabrique. Il fait le vide de là-haut.
Le sentiment de liberté est la meilleure sensation du monde.
De là-haut, le monde humain semble si petit. Des fourmis. Des fourmis qui travaillent toute la journée.
De là-haut, on se sent bien, sans contraintes, sans quelconque pression, sans jugement, on est libre. Personne ne peut se douter d'autre chose que d'un vol amical dans un ciel calme et sombre de la ville de la Grosse Pomme.
J'ai toujours été comme subjugué par la vitesse qui s'intensifie de mon ami aux ailes bleues. Cet ange est le plus rapide que l'on connaisse. Je me demande s'il serait en capacité de traverser une tornade par exemple. Ce défi stupide risque fort de lui traverser l'esprit un jour. Son coté égocentrique le pousserait à tester l'idée. En vrai, Illium est loin d'être égocentrique. Il apprécie les compliments mais il tournera la tête soit pour rire soit pour cacher sa gêne quand moi j'ai envie de disparaître dans un trou de souris. Contradictoire. Ma personnalité est différente, je suis opposé à mon ami. Mais on se complète très bien, on se connaît par cœur depuis l'enfance. Rare sont les liens amicaux que j'ai eu dans ma vie mais celui avec cet ange bleu est unique. Il a été là dans les pires moments de ma vie. On a passé notre jeunesse ensemble et nous sommes parmi les rares anges à faire partis de la garde d'un Archange. Ce qui est exceptionnel. Raphaël ne nous considère pas que comme un membre des Sept, nous sommes une famille. Notre loyauté est éternelle et il ferait n'importe quoi pour nous. Dire que je l'observais voler au-dessus de ma tête à une époque, être dans sa garde est un honneur.
Le mois d'octobre a commencé, les températures se refroidissent un peu. Il est 22h. Et en ce mois d'octobre, les gens commencent à préparer Halloween. Des citrouilles. Des citrouilles et encore des citrouilles. Des enfants se déguiseront comme tous les ans en citrouilles. Sans doute dans un costume en feutrine orange fluo avec un visage de citrouille qui tient très chaud (du vécu ? Oh non), du maquillage orange sur le visage et un sac de bonbons prêt à être rempli dans les mains. Ou en momie ? Fantôme ? Vampire ? Très classiques comme idées mais ce sont des valeurs sûres. Les enfants sont adorables. Certains osent franchir la porte de la Tour le soir du 31octobre avec leur parent, leur grand-frère ou la grande-sœur réquisitionné pour ça à défaut d'aller à une soirée de films d'horreurs entre amis au cinéma. Ils sont accueillis gentiment par le personnel de l'accueil qui garde toujours des sacs de bonbons en réserve près à être distribués de façon équitable. Au vu des sourires des enfants, on ne peut résister à recommencer l'opération bonbons l'année suivante. Au moins, ça montre que la Tour n'est pas si hostile. Les rumeurs disent tout et son contraire, on est au courant. Si quelqu'un me suggère de m'habiller en fantôme ou en momie, ça va mal se passer. Je fais partie de la garde d'un Archange, j'ai une réputation à tenir. Je crois qu'Elena tient à fêter Halloween cette année. Une vraie fête. Avec un décors digne de ce nom, des ballons, une ambiance, de la nourriture, des costumes et de quoi boire. Depuis son arrivée dans nos vies, elle tient à nous fédérer à ce genre de fêtes humaines. C'est une idée sympa. Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie non plus mais plus les siècles passent plus on se détache de ces traditions là. Le temps fait que l'on y pense moins. On survole ces fêtes devenues trop commerciales au fils des années. La seule fête que je respecte à la lettre c'est Noël. Je suis attaché à Noël. C'est la période de l'année où je suis réunie avec ma sœur autour d'une table. Elle sait que je suis là pour elle en toutes circonstances mais je n'en parle pas beaucoup. Nous avons quelques siècles d'écarts.
Je m'égare un peu dans mes pensées.
« Rien à signaler, rien de suspect dans le ciel ce soir » dis-je à Dmitri par pensée.
Nous avons passé la journée à nous entraîner, à élaborer et à mettre en place des stratégies avec Galen et Campanule. La menace de l'Archange de Chine gronde et plane. Mes neurones ont demandé une pause alors j'ai proposé à Illium de sortir ce soir.
Mes yeux sont rivés sur mon meilleur ami. Illium est comme mon frère. Nous avons grandis ensemble. Quand on le regarde, on a envie de le protéger, de le serrer dans nos bras et on ne peut pas lui en vouloir pour quelque chose. On a envie de plonger dans ses beaux yeux dorés. Je n'en ai jamais vu de tels dans ma vie. De l'or liquide. Pour le coup, une couleur unique. Et il en est assez fier.
Au balcon de la Tour, je peux voir le regard amusé de notre Archange. Les pirouettes dans les airs de notre ange bleu préféré font à chaque fois leur effet. Du haut de l'immeuble, on a une vue panoramique sur New-York. Un peu en contrebas, ceux qui ont la chance d'avoir un appartement duquel la Tour est visible, les gens peuvent voir les anges décoller et atterrir. Je conçois que ça les fascinent. L'ancien logement d'Elena était comme ça. Elle a dû le quitter à contrecœur. Je ne lui ai jamais demandé quels anges elle pouvait voir de sa fenêtre.
Le ciel nocturne de New-York est illuminé par les millions de lumières qui scintillent la nuit. Cela donne des repères lorsque l'on vole dans les cieux. C'est une ville qui ne dort jamais. Si, entre une heure et six heure du matin quand la Gare Centrale ferme ses portes le temps d'être nettoyée, de réparer ce qui est nécéssaire.
« Illium, tu vas trop vite ».
J'ai l'impression qu'il ne m'écoute pas du tout. Il file telle une fusée dans le ciel nocturne. Je le regarde accélérer. Le connaissant, il a envie de faire une blague. Et les blagues sont sa spécialité. Souvent, il affiche un sourire moqueur et c'est une provocation car je ne vole pas assez vite pour le rattraper. Je ne dis rien, je me contente de lever les yeux au ciel pour montrer mon exaspération sans qu'il ne le sache.
Campanule s'élève de plus en plus haut dans le ciel. S'il continue, il va toucher les étoiles. Et ce n'est pas bon signe. On sait tous que son esprit est embrumé. Quelque chose le perturbe. Dans ses veines, pour ne pas viser juste. Il se passe quelque chose que personne n'explique dans ses veines. Voler la nuit est comme une bulle d'oxygène depuis quelques mois. C'est devenu important, plus que d'habitude. Sauf que ce vol nocturne n'est pas comme d'habitude. Quelque chose ne tourne pas rond.
Il se passe quelque chose que je n'aime pas du tout.
Nous volons actuellement au-dessus du fleuve Hudson, à son embouchure plus précisément. Au niveau de la statue de la Liberté, je remarque que quelque chose ne tourne pas rond. Définitivement pas rond. Illium est en train d'arriver à sa hauteur. D'ici deux minutes, il y est. Et d'ici deux minutes, il va la voir de plus près.
Mon ami dévie sa trajectoire, il semble zigzaguer en plein vol.
Je fronce les sourcils pour être certain qu'il ne s'agisse pas d'une erreur d'interprétation mais ce que je vois est bien réel. Je ne suis pas myope. Illium dérive. Il ne vole plus normalement.
Il a un Ancien dans son arbre généalogique. Dans un coin de nos têtes, on sait qu'une Ascension est possible et peut arriver n'importe quand. Pour nous, les siècles sont comme un battement de cils, on peut attendre sans que rien ne change.
Mais pas aujourd'hui. Si je ne fais rien, tout va changer pour lui et pas dans le bon sens du terme.
Il va tellement vite que je peux même apercevoir la Tour briller sous les lumières de la ville, elles se reflètent sur les vitres.
« Illium, tu vas trop vite ! Attends-moi » dis-je à nouveau sur un ton plus ferme.
Le lien mental que nous avons tous ne suffit pas. L'ange bleu ne réagit absolument pas à ce que je lui dis. Il n'est pas du genre à ignorer les paroles des autres avec un sourire narquois et à continuer sa course.
Il ne me répond plus.
Ces longues secondes de silences me paraissent durer une éternité.
Aucune réponse au bout d'une minute ni même au bout de cinq, ce qui me semble être le délais maximal.
Rien du tout et ça m'inquiète beaucoup.
J'hésite à contacter Dmitri ou Jason. Mais non Jason est en voyage. Galen ? N'importe qui qui se trouve à proximité. Sauf que je n'ai pas le temps. Je suis à une seconde près. Il n'y a que moi qui puisse le rattraper un peu. Je suis le seul ange disponible dans les airs et à proximité de lui. Personne d'autres que je connais ne se trouve dans mon secteur. Mes ailes me tirent, les efforts fournis sont conséquents pour moi. J'aurais des courbatures demain. Ce n'est vraiment pas ce qui m'importe ce soir.
« Interrompez le trafic aérien. Dmitri donne l'ordre de couper le trafic aérien. Je t'en prie. Et prépare un hélicoptère » dis-je plus fermement à Dmitri.
Mon ami est dans une situation critique et à part courir après le temps, je suis impuissant.
Mon ton de voix est sec. Je n'ai pas le temps de crier.
Personne n'a le don d'arrêter le temps ?
Pour souffler.
Pour avoir l'opportunité de le rattraper.
« Dmitri » dis-je encore mentalement en grinçant des dents. « ça ne va pas ».
L'ange bleu évite la statue de la Liberté de justesse.
Mes yeux se sont fermés tout seuls pour ne pas voir ça. Il a réussi à dévier de sa trajectoire en effleurant de son pied gauche la torche de la statue. Impossible pour moi de voir un impact bleu sur le monument. Il faut que je trouve un moyen de le stopper. De le stopper d'une manière à ce qu'il n'encoure pas de risque. Le faire tomber dans l'eau par exemple serait l'endroit adéquat même si l'impact sera aussi meurtrier que de prendre une statue ou de traverser une vitre en verre d'un immeuble. Non ce n'est pas adéquat. Je n'ai pas le temps ni la capacité de le rattraper et encore moins de le bousculer pour le faire atterrir dans un endroit en sécurité. Rien. Illium va soit s'écraser sur le sol soit il va exploser devant mes yeux. J'ai l'impression de voler aussi vite que mes ailes me le permettent mais pour rien. Mon corps semble impuissant face à la situation. Je force mes muscles à faire le nécessaire mais c'est préjudiciable pour eux, ils risquent de se déchirer.
« DMITRI » répétais-je encore en grinçant des dents.
Mon souffle est saccadé. Je fais attention à ne pas perdre de vue l'ange en question à cause de ma respiration qui est en second plan.
Il pourrait tomber dans un des lacs de Central Park, non ? Ou s'il s'écrase, il va s'empaler contre un pic d'immeuble.
Plus la longue série d'immeubles approche plus j'ai peur. J'ai peur qu'Illium s'y empale. Ce sont des lames de rasoir à cette vitesse là. Et je suis comme un con derrière lui, à ne rien pouvoir faire. Même en criant à plein poumon, personne ne va m'entendre. Personne ne va intervenir à temps pour l'aider. Je suis seul face à une situation inédite. Un ange en pleine Ascension. Cela n'arrive qu'une fois par siècle, et encore car dans mes souvenirs, la dernière fois, c'était Raphaël. Notre Archange. Que je n'ai même pas vu de mes propres yeux, je l'ai lu dans les livres et ensuite on me l'a raconté en personne dont lui.
Son corps s'immobilise dans les airs avant de tomber.
« Et merde... » dis-je frustrée et énervé.
Les yeux habituellement rieurs d'Illium ne le sont pas. Ils ne le sont plus. Ils sont perdus. Il tombe dans le vide. La gravité l'attire et je ne suis pas assez près de lui pour lui venir en aide. Je ne peux pas le toucher. Je suis trop loin. Impossible. Je vois ses yeux révulsés, perdus. Je ne veux pas y penser, je ne veux pas y croire. Mon ami doit être secouru. Me résoudre à ne pas réussir à l'attraper est impensable pour moi.
« S'il te plaît » dis-je la gorgé serrée. « Ne fais pas le con, je t'en prie. Mais ouvre les yeux et vole de tes propres ailes bon sang ».
Il ne m'écoute toujours pas.
Il ne m'écoute plus.
Il tombe.
Il tombe.
La gravité l'attire.
La gravité l'attire comme un aimant.
Son corps tombe tel un projectile qui pèserait une tonne.
J'ai l'impression que je vais tomber dans les pommes.
Ma conscience me hurle de crier quelque chose.
Qu'est-ce que je peux crier ?
Il n'y a rien à crier. Les faits sont là. Illium chute.
Les larmes me montent aux yeux. À moi aussi, mon cœur va exploser. Et je ne suis pas près à ça.
La chute lui sera fatale s'il atteint le sol.
Son état doit être tel qu'il est dans une phase où lui-même ne se contrôle plus.
Dans une phase où son esprit est ailleurs et rien ne pourra changer ça.
La noirceur l'a envahit pour aller dans un endroit totalement silencieux. Un endroit loin de l'agitation qui l'anime, loin de mon stress, loin de mon anxiété, loin de mes larmes, loin de mes cris sans aucune réponse, loin de personne. Ce n'est sans doute pas plus mal pour lui.
Saloperie de Cascade.
Elle est en train de le consumer à petit feu depuis des mois et elle menace de le tuer concrètement sous mes yeux.
Je ne peux pas accepter ça.
De plus, le vent s'est levé et cela ne joue pas en ma faveur. Ma concentration est uniquement focalisée sur l'ange bleu. Je ne peux pas regarder ailleurs sinon je vais tourner de l'œil ou je vais faire une crise d'angoisse. Fendre l'air est tellement facile pour lui ou pour Jason. Je ne suis pas une fusée comme eux. Nous savons que sa puissance augmente tous les jours. Plusieurs fois, j'ai essayé d'en parler avec lui mais de peur de le frustrer plus qu'il ne l'est déjà me rebute. Même Raphaël. Et je n'ose pas le mettre en colère, ma tentative tombe à l'eau. D'un côté, je me dis que c'est noyer le poisson. Faire l'autruche, ne pas regarder le problème en face et en quelque sorte le laisser dans sa souffrance que je refuse d'admettre. Lui non plus ne l'admets pas.
Campanule n'a pas le droit de mourir.
Je ne peux pas l'aider, personne ne peut l'aider parce que la puissance d'un ange ne se contrôle pas.
Il est comme une bombe à retardement. Tout son corps est en ébullition comme une cocotte minute oubliée sur le feu. Comment on l'éteint ? On débranche tout ? On coupe le compteur électrique ?
Quelle idée d'avoir un Ancien dans sa famille.
Mes ailes m'amènent le plus rapidement possible vers son corps mais je ne suis pas assez rapide comparé à la vitesse à laquelle il va. Alors je prie intérieurement que Raphaël puisse le rattraper avant qu'il ne s'écrase sur le sol. Tant pis, je ne peux pas rester là, à le regarder sans agir. Mes muscles sont fatigués, ils menacent de se déchirer. Tant pis s'ils me lâchent, je tombe dans le fleuve aussi. Je ne serais plus en état de faire quoique ce soit les deux prochaines semaines.
« ARCHANGE, Illium tombe ! ».
Voilà ce que je réussi à dire. J'ai haussé le ton à défaut de ne pas avoir de réponse.
Il chute sous mes yeux, sous les yeux de New-York.
Je prie de toute mes forces pour que notre Archange soit plus près que moi, qu'il puisse intercepter Illium à temps. Autrement, je ne m'y ferais jamais. J'aurais cette image sur la conscience pour le restant de mon existence d'immortel.
Je ne peux pas envisager l'impensable.
Pas Campanule.
Pas lui.
Mon monde serait sur le point de s'effondrer.
Illium n'a jamais luit d'une telle façon, on dirait une luciole au premier abord et ensuite on est troublé par la nature de la lumière qui émane de lui.
Son corps menace d'exploser.
Des nuances de dorées, de bleues se mêlent à la nuit noire plus les lumières de la ville qui brillent.
Cela me fait penser à un feu d'artifice.
Une statue dorée.
La même couleur que ses yeux.
Il brille comme une statue dorée qui menace d'exploser. Une statue vivante.
Toutes ces couleurs traversent son corps.
Je me dis que c'est sûrement mieux s'il ouvre les yeux à la dernière minute mais je doute que ça soit efficace car il a déjà entamé la dernière minute. Il se contorsionne, cherchant un moyen d'évacuer cette énergie sans y parvenir seul tel un pantin. Un pantin dont on s'amuse à tirer les ficelles.
Les humains en dessus doivent avoir les yeux rivés sur ce triste spectacle.
Personne ne doit y assister.
Les cris des gens me parviennent de là-haut et les larmes me montent aux yeux.
Le corps de Campanule continue de se transpirer, ses poings sont serrés, ses ailes ne lui servent plus et son visage est vide, comme son corps qui tombe. Il doit souffrir. Je ne peux absolument rien faire pour le soulager. Est-ce que sa peau brûle ? Est-ce qu'il peut m'entendre si je lui parle ? Est-ce que son énergie peut traverser mon corps ?
Il est comme un projectif.
Un projectif impossible à rattraper.
Un boulet de canon.
Rien ne va.
Dans ma tête, rien ne va. Tout est mélangé. J'ai l'impression de voir flou.
« Impossible de le rattraper ! » ajoutais-je à l'attention de notre Archange les larmes aux yeux et la gorge nouée. « JE NE PEUX PAS ».
Il faut absolument que Raphaël arrive à temps.
Je ne le vois pas.
Je tourne la tête dans tous les sens, plusieurs fois jusqu'à ce qu'une lueur familière me donne un espoir. En vain. Cette pensée supplémentaire m'horrifie. Les larmes menacent de couler et rien ne peut les empêcher alors je laisse mes émotions prendre le dessus. Je ne peux rien faire tout seul.
J'ai beau voler aussi vite que possible, mon front est perlé de sueur. Je ne peux voir qu'une chose: Illium. Rien d'autre dans mon champ de vision.
Lui.
L'ange bleu.
Je suis assez fort pour le rattraper.
Il me glisse entre les doigts.
Non.
Envisager le pire me donne envie de vomir.
Mon cœur est serré dans ma poitrine. J'ai l'impression que l'on va me l'arracher de ma cage thoracique. Au quel cas, je me l'arrache moi-même.
Je ne peux pas m'y résoudre.
Non.
Pas lui.
Pas de le perdre à jamais.
Alors je m'approche aussi vite que possible, sans me rendre compte de l'environnement autour de moi. Il peut y avoir un hélicoptère, un avion je me le prend en pleine face.
« Stoppez le trafic aérien. Stoppez le trafic aérien. STOPPEZ TOUT IMMÉDIATEMENT » dis-je fermement.
Ma respiration semble ralentir, elle est quasiment au minimum tellement mon cœur menace de se mettre sur pause, comme si je ne m'en souciais pas. Ma respiration est une option, comme une « perte » de temps. Des secondes inutiles quand mon ami chute. Mon regard est focalisé sur lui. Il a dépassé la moitié d'un immeuble.
Raphaël arrive enfin dans mon champs de vision.
Une fusée blanche.
Des ailes blanches, son feu d'ange se trouvent enfin dans mon champs de vision.
Sa puissance de vol s'accélère de jour en jour.
« Enfin ! » dis-je avec soulagement.
Il rattrape mon ami et l'attrape comme s'il pesait l'équivalent d'une plume.
Une belle plume bleue.
Une chance incroyable que Raphaël soit parvenu à rattraper notre ange bleu à temps.
« Je t'ai entendu Aodhan, je suis là et je m'occupe de lui ».
Mon cœur peut recommencer à battre.
Ma respiration est en apnée.
J'ai besoin de savoir que mon ami soit encore en vie, qu'il aille bien, que son âme soit encore présente dans son corps. Je veux toucher sa main, ses cheveux, n'importe quoi du moment que je me rende compte qu'il soit bien en vie. Je veux le toucher.
Moi qui n'aime pas spécialement le contact physique, j'en ai besoin. Il me faut une preuve. J'ai besoin de toucher sa main, son bras.
Les courants d'airs sont devenus plus fort en quelques minutes et les chances de le récupérer en un seul morceaux étaient si minces que je ne pouvais jusqu'à présent ne pas me résoudre du contraire et je sais que Raphaël non plus. Nous le savons tous. Raphaël tient fermement Illium dans ses bras et essaye d'établir un contact visuel bien qu'un contact mental ne soit pas possible pour l'instant. Rien n'est possible pour l'instant. Du moins en apparence, peut être que dans quelques minutes ce sera possible.
Il est sonné.
Raphaël ne sait pas quoi dire, il ne me dit rien alors je ne sais pas s'il parle à quelqu'un, peut-être qu'il prévient Dmitri.
J'ai envie de hurler à Campanule qu'il est pris en charge, que nous sommes près de lui, que j'ai tenté de l'attraper mais cela n'a pas d'intérêts. Il est en train de souffrir sous mes yeux, sous les yeux de Raphaël. Le voir ainsi me rend malade. Mon cœur menace d'exploser encore une fois.
Il continue de briller. Cette fois-ci, les nuances dorées et bleues se mêlent à celles de Raphaël qui sont blanches comme la neige.
Un feu d'artifice coloré.
Un feu d'artifice angélique.
Les larmes coulent encore le long de mes joues. J'ai envie de me montrer fort mais les larmes expriment les émotions. Et mes émotions sont en vrac, elles ont besoin de sortir ce soir.
Ce qui arrive à mon ami est impensable.
Ce qui arrive à mon ami n'est pas possible, pas maintenant.
Il est trop jeune. Beaucoup trop jeune.
Cette histoire de Cascade est précoce pour lui.
Rare sont les anges qui y survivent.
La puissance se glisse dans ses veines pendant plusieurs siècles, pas en quelques secondes qui pourraient lui être fatal et surtout pas aux yeux de tous.
Illium a un Ancien dans son arbre généalogique.
C'est un élément déclencheur.
Je dois reprendre un minimum mes esprits avant de rentrer à la Tour.
Je suis fatigué.
Physiquement.
Émotionnellement.
Mes émotions sont en vracs.
Mon cœur est en vrac.
Mon regard se reporte tout de suite vers mon ami ailé dans le ciel.
Des lueurs dorées de mon ami se mêlent aux blanches de notre Archange qui essaye d'absorber l'énergie émise en surplus.
Un feu d'artifice doré, bleu et blanc se crée dans le ciel new-yorkais.
Des nuances de couleur comme des confettis qui virevoltent.
Un feu d'artifice avec des confettis.
De l'énergie.
Illium produit de l'énergie.
Je suis impuissant.
Je ne suis pas une batterie susceptible de la canaliser. Je ne suis pas assez fort pour ça.
Des éclairs jaillissent.
Des lumières blanches. Des lumières dorées.
Je ne comprends absolument rien à ce qu'il se passe ici. Ça n'a aucun sens.
Illium produit de l'énergie et notre Archange tente de l'absorber. Comment je ne sais pas, je n'ai pas la foi de réfléchir.
Je ne pensais pas qu'il était possible d'absorber l'énergie d'un autre ange de cette manière. Raphaël relâche le surplus qui endommage le corps de notre angle bleu préféré. Il approche sa paume de sa poitrine et l'énergie arrive à lui comme un aimant. Elle semble attirée. Étonnant comment le pouvoir fonctionne chez les anges. Il réitère le processus plusieurs fois jusqu'à ce que sa respiration redevienne normale. C'est vraiment horrible à regarder. Mon cœur se serre de plus en plus dans ma poitrine. Les éclairs jaillissent à nouveau. Le feu d'artifice semble prendre fin peu à peu. Je me permets de respirer normalement mais ne détache pas mon regard de la scène pour autant. Raphaël fait office de batterie. Il absorbe l'énergie pour la relâcher vers le ciel. Elle parcours son corps avec une facilité déconcertante. Je ne savais même pas que c'était possible. On voit ça dans les livres, pas dans la vraie vie. Et j'assiste à ça. Les spectateurs en bas des immeubles y assistent aussi. À mon avis, ils doivent être confinés dans les lieux à proximité, immeubles ou magasins. Les habitants qui sont chez eux assistent à ça depuis leur fenêtre. Sans parles des médias qui ne doivent pas en perdre une miette.
Deux anges qui tentent de se sauver. L'un pour sa vie et l'autre pour éviter des dégâts ultérieurs.
Ils se relaient une énergie incontrôlable. J'espère que les pouvoirs de notre Archange va faire des prouesses, c'est le moment.
« Campanule, tu n'es plus tout seul » tentais-je de dire par le lien mental.
Dmitri se trouve déjà sur le toit de la Tour, le visage dur, près à intervenir si besoin. Je devine à quel point, il doit se sentir mal. C'est celui qu'il préfère parmi les anges je le sais.
Nous le regardons sans savoir quoi faire.
Il est entre les mains de Raphaël.
J'atterri sur un toit voisin de la Tour afin d'avoir une vue plus directe.
« Je suis désolée » me dit l'ange aux ailes de minuit et couleurs de l'aube à mes côtés. « Aodhan, il est tombé d'un coup » dit Éléna la main sur la bouche. « Il est tombé d'un coup » répète t-elle. « Comment c'est possible ? Aodhan, la prophétie ? ».
C'est devenu une amie, je l'ai presque oubliée. Je ne prête que peu d'attention à Éléna et j'en suis navré. Je ne peux pas me diviser.
En attendant que Raphaël n'amène Illium sur le toit, je croise le regard d'Eléna qui ne sait pas quoi dire non plus. Sans réponse de ma part, je hausse les épaules. Je me sens inutile, perdu et sans repère. Je suis stable sur mes pieds. La réalité me frappe de plein fouet, comme une gifle qui nous prend par surprise. Les choses prennent une tout autre ampleur et ça me terrifie.
« Co...Comment ça se fait ? Ce n'était pas prévu, si ? » dit-elle troublée.
« Non, ce n'était pas prévu » dis-je en tentant de formuler une phrase correctement.
Le silence.
Je le déteste dans ces moments-là.
Elena ne sait pas quoi dire, moi non plus et je ne veux pas mettre une mauvaise ambiance.
C'est ce qu'il se passe qui commence à nous ronger d'inquiétude.
Dmitri est toujours debout sur le balcon, regardant la scène avec stupeur et le cœur mis sur pause.
« Il est stable, il est stable » m'indique Dmitri. « Je suis désolé ne pas faire plus ».
Le savoir me soulage.
« On rentre à la Tour, je vais avoir besoin de vous » annonce Raphaël.
Il ne dit rien de plus mais je ressens son inquiétude.
Raphaël descend doucement en maintenant l'ange contre lui afin d'éviter qu'il ne tombe à nouveau. Son attention lui est dédiée. Sa peau est blême, son corps est vidé de toute énergie et je présume qu'il ne rêve que d'être au chaud dans son appartement.
Il est sonné.
Il tente de murmurer quelque chose mais n'y parvient pas la première fois. Ses mots sont inaudibles. Je me doute que cela le frustre. Il doit se sentir faible. Ses yeux en disent longs, l'éclat n'est plus le même. Ses ailes ne le portent plus. C'est Raphaël qui est obligé de l'aider sinon il s'effondre sur le sol. Il se laisse guider comme un pantin désarticulé. Il a souffert, il s'est battu avec son propre corps pour ne pas se laisser consumer par l'énergie émise mais aussi se faire consumer sous nos yeux. Sa puissance a augmenté de façon exponentielle.
Ce n'est pas normal ni logique d'affronter cela seul, sans aide, dans les airs pendant des minutes qui lui ont paru, comme à nous tous interminables avant que notre Archange ne lui vienne en aide pour son et notre plus grand soulagement collectif. Voir un autre ange souffrir dans ces conditions a dû rappeler la sienne à Raphaël. Il a acquis cette puissance au double de l'âge d'Illium et cela n'a pas été facile alors à son si jeune âge, il aurait pu se consumer dans le ciel en une minute. Se consumer tel une bougie. La seule trace aurait été une masse calcinée dans un premier temps et des plumes bleues ensuite. Des plumes bleues brûlées avant de s'envoler à l'état de poussière.
« Il est stable Aodhan, je m'en occupe et ton aide sera précieuse » me dit Raphaël.
Je ne peux pas m'empêcher de refouler mes larmes. Et ça me fait mal. Très mal. Le soulagement de savoir mon ami en vie, dans un triste état mais en vie est énorme.
Le nœud au fond de mon ventre me fait horriblement mal.
Il est comme une poupée de chiffon.
Je ne peux m'empêcher de m'attribuer aussi cette comparaison deux siècles plus tôt.
Je suis dans l'incapacité de faire autre chose que de me résoudre à attendre.
Il est pris en charge et c'est tout ce qui m'importe. Je ne peux pas me résoudre à ce que son état empire encore.
L'Archange demande de l'aide directement auprès de Keir. Il tient Illium dans ses bras, à peine conscient de ce qui se passe autour de lui. On les suit jusqu'au refuge. Nisia regarde l'ange bleu blême et immobile. La main sur la bouche par le choc, elle laisse tomber la chaise sur laquelle elle s'est assise. Ses yeux en disent beaucoup plus et avec un sang froid hors norme, elle prend les choses en mains et demande des examens en urgence. Des antidouleurs avant toute chose. Elle n'a jamais vu ça de sa vie. Pourtant, elle est habituée à voir des situations plus ou moins importantes tous les jours. Illium n'est plus capable de se défendre tout seul alors on va l'aider.
« Il a fallu que tu fasses les choses en grand ce soir, quand je suis seule au dispensaire, Illium tu as intérêt à te réveiller. Au quel cas, je t'étrangle moi-même » pense t-elle si fort que j'arrive à l'entendre.
« Tu peux m'aider ? » me demande t-elle. « Si tu ne peux pas, je comprends ».
« Dis-moi quoi faire ».
« Je vais lui donner de quoi éteindre le feu intérieur en premier lieu pour éviter tout risque que ses organes ne brûlent. L'Archange a dû tout absorber. C'est un moyen de me rassurer aussi. Ensuite, je lui ferais des examens en urgence et tu pourras partir ».
« D'accord ».
À peine, ai-je effleuré la peau de mon meilleur ami, sa tension augmente. Ma respiration se saccade encore une fois car tout reste à faire cette nuit. Des bulles rouges se forment aux coins de ses lèvres. Je ne veux pas revivre un nouvel épisode. Des perles de sueur apparaissent sur son front, il a une poussée de fièvre. Or c'est l'effort engendré, la souffrance et le choc corporel qui a causé cette transpiration excessive. Il doit avoir froid en même temps. Des larmes coulent le long des joues de l'ange aux ailes bleues. Elles se mêlent aux bulles de sang. On dirait qu'il veut recracher quelque chose et que c'est bloqué. Je ne comprends pas comment c'est possible. Est-ce le bon moment pour y penser ? Non, bien sûr que non. Plus le sang s'écoule plus Nisia essuie le surplus avec une serviette. Des tas de questions se bousculent dans nos têtes et nous n'aurons pas l'énergie pour y répondre cette nuit car les prochaines heures sont cruciales. Ses larmes signifient combien il doit souffrir, combien il doit se sentir consumé, perdu. Les médicaments agissent doucement, il doit sentir un premier soulagement. Du monde l'entoure et il ne comprend pas directement. Il ne doit pas avoir conscience de son état et honnêtement je ne le lui souhaite en aucun cas. Personne ne doit souffrir intérieurement sans avoir la possibilité d'exprimer sa souffrance interne, sa souffrance physique. Il a mal. On le ressent. Les doigts de Nisia parcourent délicatement sa mâchoire, ses mèches de cheveux collées au visage d'une tendresse infinie. Ses yeux commencent à se brouiller de larmes.
« Ça devient critique Aodhan, je suis désolée de te demander de sortir maintenant, il faut que j'agisse seule ».
C'est ainsi que je me retrouve dans le couloir sans avoir pris conscience de ce qu'il vient de se passer.
Hey !
Bienvenue dans cette réécriture d'« En haut de l'immeuble ».
Ces petits anges et vampires m'ont beaucoup manqué. Ils sont là et prêts à partager leurs aventures. Ravie de vous y retrouver aussi chers lecteurs !
Si je suis honnête, même si c'est moi qui l'ai écrit, le relire me fait toujours mal. Je ne vous caches pas qu'à la relecture de ce premier chapitre coupé en deux parties, mon cœur a eu mal.
Mais je vous souhaite une bonne lecture quand même :)
