Hey ! Maintenant que la panne de réseau Internet est enfin terminée, je suis joie de retrouver mes habitudes, le chapitre est posté plus tard que prévu. La playlist est disponible. Bonne lecture et merci du soutien, ça compte beaucoup !
Playlist
« Dear insecurity » Gnash en duo avec Ben Abraham
« Chemicals » Dean Lewis
« I wanna be yours » Arctic Monkeys
« Mirrors » Niall Horan
Chapitre numéro vingt et un
Point de vue d'Illium
À peine ai-je atterri sur le toit du Refuge que le nœud dans mon estomac se noue déjà.
La nuit dernière a aussi été longue.
Quand Jason est venu me chercher chez moi suite à un appel de Dmitri, je ne pensais pas découvrir en même temps que lui Central Park entièrement recouvert d'une pellicule grise. Les cendres, les poussières, un mélange de tout ça ont recouvert le parc. On aurait dit un autre monde, un monde apocalyptique. Nettoyer a pris toute la nuit et le vent s'est levé. on a essayé de ne pas respirer les poussières. Des bronches fragiles pourraient être endommagées. J'ai toussé au début avant de mettre un foulard sur ma bouche, comme mon coéquipier. C'est Jason qui m'a fait remarquer que mon tatouage brillait. Encore une fois, la Cascade a montré sa présence. Il m'a demandé ensuite si Nisia avait trouvé des réponses sur son origine et si Vivek avait fait des recherches sur sa signification. Je n'ai su répondre à aucune de ses questions. Trop complexes pour moi et je dois avouer que prendre deux minutes pour y réfléchir me demande beaucoup d'énergie. De l'énergie que je ne trouve pas pour ces sujets là. Je puise de l'énergie pour faire ma part de travail quotidien à la Tour et auprès de l'Archange en cas de besoin. Réfléchir à ce tatouage ne me traverse plus l'esprit. Parfois, l'oublier dans un coin de ma tête me semble être une bonne idée. Je ne peux plus camoufler mon bras en prétextant une blessure qui nécessite un bandage. Il est évident que beaucoup d'anges se posent des questions, les bruits circulent vite. Et la presse a dû prendre des photos, j'en ai vu une l'autre jour, une photo floue. Des spéculations circulent sans gêne de la part des médias qui en profitent bien eux.
Jason et moi sommes restés tous les deux bouche bées face à ce spectacle étrange. Cette poussière est partie en analyse. Des particules ont dû flotter dans l'air et être respirées par les habitants. On aura de quoi surveiller dans les prochains jours. Des analyses toxicologiques seront effectuées. Pas question de risquer une épidémie. Je dois en parler aux équipes scientifiques pour organiser les tests auprès de la population vivant aux alentours.
L'hiver arrive le mois prochain. Même si les températures se rafraîchissent, je ne suis pas prêt psychologiquement aux fêtes de fin d'année. Je pensais que le temps n'avançait pas aussi vite mais pendant que j'étais dans une phase difficile, le monde a continué de tourner. Non, je ne suis pas un satellite qui tourne autour d'une planète. Je suis de retour dans la réalité. Travailler à la Tour me fait redescendre sur la planète Terre. Les missions données me permettent de ne pas déprimer davantage. Déjà que je consomme plus de médicaments que mon ordonnance trafiquée me le permet, la dose est dépassée. Mon corps s'est vite habitué aux antidouleurs dûs à ma chute dans les airs il y a presque un an. Les cachets me permettent de ne pas me sentir à l'écart, c'est grâce à eux que je peux me lever le matin et me coucher en étant fatigué de ma journée. Sans eux, je serais une loque.
Je sais que ce n'est pas bien de me comparer, les situations sont opposées mais quand mon meilleur ami allait mal, il s'est retiré du monde en se concentrant sur lui et sur l'art. Il n'a jamais été aussi créatif que pendant cette période de deux siècles de recul. Et quand il s'est retiré, je me suis senti délaissé de son attention. Nos parties de base ball me manquait, ses blagues me manquait, ses références à l'art quand on volait au-dessus d'un quartier de la ville, nos soirées passées à manger assis sur un toit d'un immeuble, sa présence tout cours me manquait. À ce moment précis de sa vie, rien n'allait. J'ai respecté son besoin d'isolement. J'aurais fait la même chose. Ma chute d'il y a huit mois, neuf mois ? Cette chute m'a changé. Elle m'a fait comprendre concrètement le besoin de me concentrer sur moi-même. La Cascade me change petit à petit sans que je ne sois ravie de ce changement d'état d'esprit en plus de l'état physique. Et je ne peux pas y faire grand chose. Haïr mon Ancien ne m'aidera pas non plus, de toute façon c'est déjà fait. Mon moral serait en berne totale. Subir ? Oui. Enfouir ça ? Aussi. Je me plonge dans le travail à la Tour, je souris face aux autres, je reste professionnel et maître de mes émotions. Les entraînements me donnent l'occasion d'enfouir mes émotions, de focaliser mes pensées sur autre chose et ce n'est pas plus mal. Je pense que ça m'aide. Ça n'a qu'un temps. Quand je rentre chez moi tard le soir ou au lever du jour, je me prends le silence en pleine face. Mes pensées se bousculent dans ma tête.
Alors quand j'entends la voix de la guérisseuse du Refuge, je ne suis pas surpris de sa colère. Elle a dû découvrir mes trafics. Logique que je paye le fruit de sa déception et de sa colère à mon égard.
« Illium ! » s'écrit une voix quand j'entre dans les locaux du Refuge.
C'est la voix de Nisia.
Elle est forcément au courant de mes ordonnances trafiquées.
Elle m'attend de pied ferme dans son bureau et je ne peux pas lui mentir.
Ses sourcils sont froncés quand j'apparais dans l'encadré de la porte. Elle me juge un peu. Sans le dire à voix haute. Des tas de feuilles sont entassées sur le côté gauche du bureau et des feuilles plus ou moins froissées sont empilées sur celui-ci. Des ordonnances avec des signatures reconnaissables entre mille. Des signatures qui ne devraient pas se retrouver sur autant d'ordonnances. Je regrette de m'être levé ce matin. De plus, je ne m'attendais pas à voir Keir dans un coin de la pièce, les ailes soigneusement collées dans le dos. Idem pour moi. Impossible de m'échapper d'ici. Je suis coincé tel un oiseau en cage. C'est là où voler est l'aptitude la plus inutile.
Je suis face à deux anges déçus et en colère. Leur sourcils sont foncés, les mines sont crispées et les mains sont resserrées.
Ma respiration est saccadée. Je suis pris la main dans le sac et je m'en veux.
J'ai eu besoin de ces médicaments dans un premier temps avant d'en abuser ensuite. Si je leur explique que ces boîtes m'ont rassuré jusqu'à présent. Chaque soir, je savais que je pouvais dormir et chaque matin je savais que je pouvais commencer la journée. Ils m'aidaient à y voir plus clair, pas de la meilleure des façons mais d'une manière plus facile. Les avaler me donnait une impression de contrôle. Reste encore à savoir sur quoi car me jeter dans leur bras a été une solution facile, accessible et la meilleure à l'instant T. Chose qui ne doit pas l'être sur un temps indéfini et sans contrôle. J'aurais dû le dire à Keir pour qu'il me prescrive lui-même les doses adéquates et éventuellement qu'il me fasse essayer d'autres médicaments plus adaptés à mes besoins. Je n'ai pas été capable de le formuler. Je suis un ange adulte et responsable. Sur le papier mais dans la réalité je suis comme tout le monde. Je suis un ange avec des soucis personnels qui ne souhaitent pas toujours les étaler sur une table. Quitte à ce que les médias s'en empare et me fasse passer pour un ange problématique et accro aux médicaments. Un avis médical est toujours recommandé. J'aurais dû être clair dès le début et dire à l'un comme à l'autre mes impressions sous les effets de ces médicaments. Ils auraient pu me conseiller et m'aider à maîtriser la dose recommandée sur la boîte. Je ne peux pas revenir en arrière.
« Tu peux nous expliquer Campanule pourquoi tu as autant d'ordonnances ? » me demande Keir la voix grave.
La réponse me fait mal au cœur. Je n'ai pas le courage de lui donner une réponse. Pas celle qu'il attend en tout cas. Ce sera ni une réponde attendue par la guérisseuse non plus. Le silence est actuellement mon pire ennemi. Le silence n'est pas bon. Il donne une impression de je m'en foutiste alors que c'est tout le contraire. J'aimerai bien dire à quel point ça me pèse sur le cœur, que mes insomnies sont liées. Aucune réponse ne décide de franchir la barrière de mes lèvres, elle reste coincée dans le fond de ma gorge. Ça me donne presque la nausée.
Les deux anges me regardent bien décidés à obtenir une réponse, quitte à attendre des heures et sous les menaces. Je ne sortirais pas de ce bureau avant d'avoir fourni une explication plausible à deux anges énervés. Sous le coup de l'émotion, ma gorge se serre encore plus. Difficile d'articuler un mot. Pourtant je suis un ange qui a vu beaucoup de choses au cour de sa vie et ce ne sont pas des ordonnances trafiquées qui vont me nuire. Si ? Je reprends une bouffée d'air, toujours sous leur regard attentif à ma future défense.
« Sérieusement, tu vas rester muet ? » intervient Nisia.
Je perçois l'émotion dans sa voix. Elle menace de me jeter un pot à crayons à la figure et Keir mettra son bras en travers pour l'empêcher de m'atteindre. La voir aussi déçue me rend triste et la voir en colère me rend coupable.
« J'ai merdé » est la seule phrase qui passe la barrière de ma bouche.
« Ah oui tu as merdé, qu'est-ce qu'il t'a pris ? » lance t-elle aussitôt.
Les explications que la guérisseuse attend ne vont pas lui plaire. Mais elle attend que je crache le morceau. Keir se frotte les yeux après avoir enlevé les mains des poches de la blouse.
« Tu ne vas pas mieux c'est ça ? ».
L'ange du Refuge décide de prendre le sujet non sans violence mais en utilisant une question anodine pour arriver à ses fins. Il retire les mains de ses poches, croise les bras et remet ses mains dans les poches de sa blouse. Il attend une réaction de ma part, que je ne suis pas capable de fournir à l'instant T. Ses yeux sont mis clos, la fatigue se fait sentir au vu des nombreuses nuits passées à travailler ici. Et je m'en veux un peu de le retenir ici avec mon cas. J'ai l'air d'un enfant qui attend une sanction disciplinaire. Je ne suis plus un jeune ange, je suis un ange adulte qui fait partie de la garde d'un Archange. Sur le papier. Dans la réalité, je suis désormais accro aux médicaments suite à ma chute d'il y a bientôt un an.
Si je réponds non, mille questions vont fuser dans la pièce. Dehors, le déluge continue et honnêtement, c'est comme si j'étais en dessous. Autant remédier à la situation et sortir d'ici pour voler en évitant de ressembler à un poussin mouillé.
« Je... ».
De nouveau le silence. Et je me force à ne pas craquer. Il faut que je prenne le temps de respirer même si l'air reste à moitié coincé dans mes poumons. Ce n'est pas un signe de faiblesse. C'est un signe d'épuisement. Mentalement, je suis fatigué et tenir bon n'est pas évident. Je dois formuler ça à Keir et à Nisia qui ne comprennent pas mon état psychologique. Je ne dis rien. Encore.
« Je t'ai sauvé la vie » lance Nisia virulente. « Je t'ai sauvé la vie » répète t-elle.
Sa voix tremble un peu. Logique qu'elle soit en colère. Le silence n'est vraiment pas en ma faveur. Si je continue, je vais rencontrer un mur la prochaine fois que je me rendrais ici au Refuge. Keir replonge les mains dans ses poches. Il hésite à intervenir en se focalisant une seconde sur une des ordonnances qu'il consulte devant moi. Seulement le visage de la guérisseuse est si crispé qu'il renonce et reprend sa lecture. Un rictus se lit sur son visage. Nisia tourne la tête à son encontre et se penche sur la feuille qu'il tient toujours dans ses mains et elle reporte son attention sur moi.
« Je t'ai sauvé et c'est comme ça que tu me remercie ? ».
« Nisia » intervient Keir. « Tu es en colère d'accord mais regarde le. Les médicaments ne font plus effet. La Cascade plane encore au-dessus de sa tête ».
« La Cascade est toujours là, à attendre tapie dans l'ombre, je ne vois pas ce que ça change » répond t-elle sèchement.
« J'ai merdé » dis-je une seconde fois.
Nisia est surprise d'entendre à nouveau le son de ma voix et cette justification bidon par la même occasion. Elle me trouve pathétique. Pleurer comme un bébé dans son bureau ne va pas me rendre justice.
« Dmitri est venu me voir » ajoute Keir « Et j'aurais dû ouvrir les yeux avant ce soir ».
« Comment ça il est venu te voir ? Quand ? Et moi ? ».
« Il y a deux nuits. Je travaillais tard dans mon bureau, Dmitri est venu me parler et au cours de la conversation, il m'a fait part de ses inquiétudes du tatouage de Campanule qui se remet à briller. Et Campanule a avalé pleins de boîtes de médicaments, il ne va pas bien. On va refaire des analyses: prise de sang, IRM, examen psychologique le temps que dure la Cascade ».
« Toute la semaine ? » demande Nisia.
« Tous les matins à huit heure précise, Illium sera ici en train de passer des examens médicaux ».
Nisia note les instructions sur un post-it.
Le regard centré sur moi, l'ange aux ailes marrons me prend de cour. Je n'ai pas le droit de contester ses paroles. Lui ne hausse pas le ton, il explique les choses. Je n'ai plus mon mot à dire à partir de ce soir.
« On va vérifier tous les paramètres le temps que la Cascade le laisse tranquille et on le surveillera quelques temps ».
Les mots prononcés par le médecin sont rassurants alors que mon attitude mérite un sermon. Un sermon que je ne suis pas prêt à entendre. J'ai déjà versé des larmes dans le bureau de Dmitri et dans le bureau de l'Archange. Pas question que je me laisse aller et que je me mette à pleurer tel un bébé pris en flagrant délit d'une bêtise. Une bêtise que je risque de payer cher. La dépendance commence. Mes cachets m'apportent un soutien, grâce à eux je me sens apte à me lever le matin et à me coucher le soir. Juste que je suis épuisé mentalement. J'ai eu besoin d'une aide, une aide facile et accessible, qu'on peut dissimuler. Je le reconnais. Keir est compréhensif et je lui en suis reconnaissant. Reste à savoir si je suis de nouveau autorisé à entrer ici, sauf pour les examens demandés. Mon attitude les a déçu. Je le vois et je le sais. Les mots ont été dit.
En sortant dans le couloir froid et silencieux, je réalise à peine ce qu'il vient de se passer dans le bureau. Les paroles me percutent de plein fouet. Des frissons me parcourent le corps. Des frissons qui me rappellent que je suis un ange vulnérable. Le fait est que je suis sous le regard critique des soignants du Refuge. Mes analyses ne donneront pas les réponses espérées. Les effets des cachets seront déjà dissous dans le sang et pas de trace lisible sur la feuille d'analyse. Que demander de plus de la part d'une Cascade ? Les effets varient selon les anges concernés. Je suis un ange qui a des effets secondaires tardifs. Je me demande comment notre Archange les a supportés. Il a beau m'avoir expliqué que les effets se sont diffusés au fur et à mesure du temps, je n'ai pas pris la peine de me le rappeler à temps. Trop absorbé par les cachets et la facilité qu'ils me donnaient à ne pas me soucier de la réalité. Autant se consacrer au travail, sourire un peu et l'illusion est donnée aux autres. Sauf que c'est plus facile qu'on ne le pense, l'illusion est facile à donner. Seuls les gens très proches et attentionnés vont comprendre que quelque chose ne va pas. Il ne faut pas attendre une catastrophe pour dire la vérité. Si j'avais avalé la dose de trop un soir ? Si j'étais tombé dans les pommes ? Retrouvé grâce à mes appels manqués, mes messages manqués et qui sait ce qui aurait pu arriver.
« Nisia veut ton bien » commence t-il par dire. « Elle s'inquiète, comme nous tous et ce n'est pas un secret. On veut simplement savoir: pourquoi tu as continué d'avaler tous ces médicaments dont tu n'as plus besoin ? ».
« Je suis désolé » murmurais-je.
« Je sais ».
Mon attention n'est absolument de les décevoir.
Je suis désormais vu comme l'ange accro qui n'a pas su demander un avis médical et qui a préféré continuer de demander des boîtes, stockées chez moi maintenant. Il doit m'en rester cinq. Sur les vingt prescrites. Dire que je vais les jeter est un mensonge. Ce soir, je vais m'en avaler cinq d'un coup. Cinq cachets.
« J'aimerai juste que tu viennes me voir si jamais... la cascade ne te laissait pas tranquille. D'accord ? ».
« D'accord ».
Un accord oral.
Un accord de confiance.
Un accord de confiance que je ne peux pas rompre. Pas sans nouvelles conséquences et j'ai eu ma dose de conséquences jusqu'à présent. Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que j'ai besoin de ces cachets, juste pour dormir ce soir.
« À demain matin. Sois à l'heure ».
Oui, je me rappelle.
« Oui » dis-je simplement.
De retour à la maison, je me mets en boule dans le canapé. Cette soirée a été une catastrophe car Nisia et Keir savent. Impossible de faire semblant quand le tas de feuilles froissées d'ordonnances, avec la signature de Nisia, faisait acte de mes conneries. Avaler autant de cachets n'allait pas passer inaperçu. Évidemment. Comment pouvais-je continuer ce cercle infernal dans ces conditions ? Mon état mental est aussi pathétique que mon état physique. Je veux retourner au Maroc auprès de ma mère et de sa douceur. La chaleur du pays, le soleil sur ma peau, les fous rire avec ma mère dans la cuisine, ma chambre de jeune ange, elle. Je vais prendre le temps de me calmer pour ce soir et demain, je l'appelle. Entendre sa voix va me faire du bien. Entendre ses conseils va me faire réagir.
La télé tourne ne boucle depuis une heure. Je l'ai allumée après avoir pris une douche et enfilé des vêtements propres pour la nuit. Écouter des programmes divertissants me fait penser à autre chose pendant quelques minutes qu'à ce qui s'est dit dans le bureau de la guérisseuse au Refuge. Sauf que les coupures pubs me ramènent à ce moment. Et je ressasse les paroles de chacun en boucle. Mon cerveau a retenu des phrases précises. Les mots ont une place dans une partie de ma tête et ils resurgiront. J'ai peur de leur pouvoir.
Keir et Nisia ont raison, je ne peux me résoudre à continuer sur ce chemin. Avaler autant de cachets est une erreur.
Je me redresse du canapé en ayant un infime espoir que ma décision sera la bonne.
J'éteins la télé, il n'y a plus rien à cette heure-ci de la nuit.
Rester dans le canapé toute la nuit ne résoudra pas mon problème non plus, il faut que je me débarrasse de ses boîtes. Avant de le faire, je vais en parler à Keir. Nisia va s'en doute m'éviter et je n'ai pas envie de raser les murs au Refuge. Je lui ai assez causé de peine pour plusieurs semaines. Un bouquet de fleurs ne suffira pas à me faire pardonner. Ça fera quand même un début. J'ouvre mon ordinateur, Internet et clique sur un site de livraison de fleurs à proximité. Je commande un beau bouquet constitué de fleurs pastels, des belles anémones, j'évite les couleurs vives. Demain, il sera entre les mains de la guérisseuse du Refuge.
Le reste de la nuit a été calme.
Je n'ai pas avalé de médicament.
Je n'ai fait que consulter les notifications de mon téléphone reçues pendant la journée. Une premières heure de perdue à me perdre dans les méandres des réseaux sociaux. Pendant dix minutes, j'ai lu des messages de mes compères à la Tour sans y répondre. Et me perdre dans les vidéos partagées, les publications quelconques peut durer deux heures sans m'en rendre compte. Mon esprit est focalisé sur ça, le temps que mes paupières tombent. Je m'endors sur le canapé en deux temps trois mouvements.
Le lendemain matin, j'entre dans une boutique près de la Tour pour récupérer une commande passée la veille.
Il est temps de prendre mes responsabilités. Et de m'excuser d'avoir falsifier des ordonnances.
« Bonjour » dis-je quand la sonnerie de la boutique retentit.
Le lieu est rempli d'odeurs nouvelles.
« Bonjour » annonce la vendeuse visiblement habituée à répondre aux clients tout en préparant une commande.
Une femme âgée, élégamment vêtue attend patiemment à la caisse pour régler les fleurs achetées. Elle me sourit.
Je hume les parfums délicats des fleurs disposées de part et d'autre de la boutique. Une boutique décorée avec goût. Des pots en terre sont disposés sur des étagères, des pancartes trônent en bas, des grands pots, des bouquets déjà préparés, d'autres attendent leur tour. J'ai toujours aimé les fleuristes. Les parfums flottent dans l'air, j'en reconnais certains qui me rappellent les serres d'Elena. Les murs sont clairs et chargés de plantes grimpantes qui forment des murs végétaux. Le lieu est élégant. Les bouquets disposés sont très beaux. J'en ai commandé un sur Internet sans savoir quelle fleur choisir si je devais faire un choix maintenant.
« Que puis-je faire pour vous ? » me demande un jeune homme vêtu d'un tablier.
« Euh... Je viens retirer une commande au nom de la Tour ».
« De la part de l'Archange ? ».
« De ma part ».
« Oh ».
Je reconnais que mon entrée dans une boutique ne passe pas inaperçu. J'aurai pu acheter un bouquet à un marchant ambulant ou simplement le cueillir moi même non loin du Refuge. Choisir les couleurs, le type de fleur est un choix personnalisé et Nisia le mérite.
« Laisse, c'est un ange de la garde de l'Archange » annonce la vendeuse.
« Je le reconnais » ajoute la dame âgée.
« Merci madame » répondis-je.
« Tenez ».
« Les couleurs sont magnifiques » murmurais-je.
« Excellent choix si je peux me permettre ».
Je paye le bouquet, remercie les employés et m'envole aussitôt dans le ciel.
De là-haut, le paysage est imprenable, comment peut-on s'en lasser ? Depuis les airs c'est inimaginable.
Je m'imagine déjà dire à Keir que les fleurs embelliront leur bureau respectif s'il divise le bouquet en deux. Ou le mettre dans le hall du Refuge ou le faire trôner dans un beau vase sur le bureau de Nisia.
À peine le pied droit posé sur le toit du Refuge, la vue sur les montagnes remplace les immeubles new yorkais. L'odeur de fleur me parvient aux narines et ça me donne un élan supplémentaire de franchir les portes pour m'excuser, un bouquet à la main.
Ma respiration se régule peu à peu. Je dois me calmer. Mon anxiété commence. L'entrainement de ce matin m'attendra quelques heures. Mon nom n'est plus sur le planning aux premières heures de la journée.
Le scanner fait un bruit de machine à laver.
La machine tambourine dans la pièce et les images de mon corps doivent apparaître sur l'écran. L'infirmier les enregistre. Je me demande ce que Keir va y voir, la Cascade est toujours là. Elle ne dort jamais. Dehors, elle plane et sans doute prête à agir.
« Détend toi » annonce la voix de Keir dans le micro.
Il est là, en train de surveiller le bon déroulement de l'examen. Il est attentif.
Huit heure trente tapante et je suis ici. Je hais les examens. Ma patience a des limites et je suis contraint de me plier aux règles fixées par le médecin et la guérisseuse.
Eux m'attendent au tournant. J'espère ne pas être sujet à des questions trop intrusives.
« Merci Illium » ajoute t-il.
Sa voix est calme et me met à l'aise pour terminer ce scanner.
L'appareil se met à tourner autour de moi. Je prends une profonde inspiration pour ne pas paniquer dans ce tube métallique. Le bruit ne s'atténue pas. Je connais ce sentiment d'oppression quand on est à l'intérieur mais mes doigts craquent, c'est nerveux. Mes doigts se croisent et se décroisent. Le stress commence à monter. Je ne me sens pas très bien à l'intérieur de ce tube mais la voix de l'infirmier interrompt ce stress.
« Merci Illium, on a toutes les images » ajoute t-il à nouveau.
L'appareil s'éteint enfin. Je suis soulagé que ça soit terminé. Je me redresse, enlève ma blouse en papier et me rhabille. Le produit de transfert sera éliminé dans le sang dans la journée. Je remplis un questionnaire demandé plus tôt mais comme j'étais en retard, l'infirmier me tend un stylo. Je ne fait que cocher « oui » quand c'est justifié et « non » quand c'est injustifié. Facile. Il récupère le document ainsi que le stylo d'un air satisfait. Je me retrouve seul dans la pièce. Une pièce vide dans laquelle trône l'appareil qui vient de capturer des images de mon corps. Je dois encore attendre avant qu'on vienne me chercher pour la suite.
Le visage de Keir est moins fermé qu'hier. Au moins, il aura des réponses sur les clichés. C'est le moment que mon tatouage choisi pour briller. Super. Et l'angoisse accumulé me fait briller tel une luciole. C'est bien ma journée. Je veux rentrer chez moi pour me réfugier sous la couette et ressortir demain comme si de rien n'était. Sauf que je suis sous le feu des projecteurs du médecin de la Tour et je suppose qu'un rapport sera écrit.
« Depuis quand ce tatouage est présent sur ta peau ? » me demande un scientifique aux yeux noirs et aux cheveux blancs.
« Quasiment un an ».
« Et tu sais ce qu'il signifie ? ».
« Non, je n'en ai pas discuté avec Vivek ».
Comme si j'étais au courant de ses recherches.
Depuis deux semaines, trois bientôt, je ne me suis pas rendu dans son bureau pour en discuter. Il est occupé. Sa place est convoitée. Il a des ressources, je suis quasiment certains qu'il saura trouvé des indices et m'en faire part à temps. Cette constellation gravée sur ma peau sans mon consentement n'a pas de sens à mes yeux. Il s'agit d'une marque de la Cascade. Je ne veux pas être marqué comme du bétail. C'est l'impression que ça donne. Un signe de reconnaissance. Je sais bien que des Archanges en ont une et les marques qu'ils ont sont signes de puissance. À raison, ces Archanges en question ont des millénaires d'existence et ont vu tellement de choses. Ils sont un symbole de pouvoir, un symbole de puissance dans notre monde. Titus incarne la puissance, Raphaël incarne la puissance, les autres Archanges de ce monde ont cette puissance. Depuis des millénaires, le pouvoir coule dans leurs veines. Faire partie de ce monde comporte des sacrifices, je ne suis pas prêt. Les humains n'en sont pas conscience mais les anges oui. Je ne fais pas parti de ce cercle fermé d'anges puissants dans le monde. Je suis dans la garde d'un Archange, ça s'arrête là. Sauf qu'en réalité, ça ne s'arrête pas là. Cascade ou pas, elle est au-dessus de ma tête. L'Archange de Chine attend un moment précis pour agir sur moi, sur les autres Archanges et probablement sur d'autres anges qui vont rien comprendre. La puissance se diffuse dans les veines sans demander la permission. Elle se diffuse vite et comporte des risques, la toute puissance est un risque. Si l'Archange de Chine n'en a absolument rien à faire, moi ça m'importe. Tout ce que je souhaite est qu'elle me laisse évoluer comme n'importe quel autre ange. Pas question de devenir un ange que je ne connais, que je ne pourrais reconnaitre dans un miroir. Ma mère serait déçue. Elle mérite bien mieux. La décevoir est la dernière chose que je souhaite. J'ai envie de m'enfuir d'ici pour la retrouver au Maroc, la serrer fort dans mes bras et laisser mes larmes couler. Impossible, je suis coincé ici pour des examens médicaux imposés. Je me retiens de pleurer. Ma respiration se régule. Je ferme les yeux pour ne pas voir quelqu'un entrer et encore moins montrer mes émotions.
« D'accord Illium. Plus qu'une prise de sang et tu pourras rentrer chez toi pour la journée. La matinée a été riche pour toi » annonce t-il d'une voix douce dans le micro.
Je réponds en hochant simplement la tête sans chercher à comprendre la suite.
Je me laisse faire par un autre infirmier.
« Bonjour, je viens faire ta prise de sang prescrite et ensuite tu pourras partir ».
Je tends mon bras comme un réflexe.
J'ai déjà eu des prises de sang.
Je n'aime pas les aiguilles.
Je crois que si j'étais encore insouciant, franchir les portes d'un salon de tatouage m'aurait traversé l'esprit. Une bonne étoile au-dessus de ma tête m'a empêché de faire cette bêtise car le tatouage aurait été horrible. Une marque gravée sur la peau qui est d'autant plus dangereuse que la marque d'une Cascade, à différent niveau bien entendu. Et j'ai eu raison de ne pas céder à ça.
« Il n'est que dix heures du matin » dis-je.
« La journée est très calme. Profite en ».
Effectivement. Je n'ai vu que l'agitation classique d'une journée calme en entrant dans le hall tôt ce matin. Pas de cri d'urgence, pas de blessé qui attend le premier rendez-vous de la journée. Le calme résonnait dans le hall.
Profiter de cette journée signifie pour moi, prendre une douche et m'enrouler dans ma couette. Autant dire que je ne suis pas capable de diriger un entrainement ce matin auprès des anges. Mon nom a été effacé du planning. Je devrais aller voir Dmitri pour en discuter.
« Voilà, c'est terminé ».
« Je n'ai rien senti ».
« C'est bien l'objectif » me dit l'infirmier d'un clin d'œil.
Lui au moins est satisfait de la prise de sang.
Je me demande ce qu'elle va révéler, si la Cascade se perçoit sur les analyses. En plus, j'ai brillé dans le scanner il y a vingt minutes, est-ce que c'est perceptible sur les images ? Je demanderais aussi à Vivek de m'expliquer ça si c'est le cas. Ce sera un mystère non résolu dans le cas contraire.
« Où est mon bouquet ? ».
« Quel bouquet ? ».
Une conversation sans fin. Je laisse tomber jusqu'à ce que Keir entre dans la pièce. Ses ailes sont repliées dans son dos. Il regarde l'infirmier avant de reporter son regard bienveillant sur moi.
« Il est dans son bureau, Nisia appréciera cette attention délicate Campanule ».
Mon surnom.
Je hoche de nouveau la tête en guise de satisfaction, au moins il est arrivé à destination.
Sortir d'ici, sentir le vent sur mon visage, le soleil réchauffer ma peau est ce que j'apprécie le plus. Je veux sentir ça encore des siècles et des siècles. Faire la course dans les airs me manque. Un avion plane en dessous de moi, je me mets au défi tout seul d'aller plus vite que lui. Les passagers ne sont pas conscient de ma présence dans les airs. Pas de risque d'être repérer autrement que par les radars de l'appareil. Je file droit comme le vent, comme un oiseau livre et non enfermé dans une cage. Je me sens libre. Une fusée dans les airs. À bonne distance de l'appareil derrière moi, je tourne en direction de l'Enclave. Rentrer à la maison me fera du bien. Demain, je reprends l'entrainement.
Atterrir dans mon jardin fait déjà descendre mon anxiété. Être chez moi me rend aussi nerveux car mes pensées n'en font qu'à leur tête qu'en sécurité car rien ne vaut un chez soi accueillant. Mon cerveau doit se mettre en pause. Je referme la porte du portail derrière moi ainsi que la porte d'entrée, ça y est, ma tension redevient stable.
Une vibration attire mon attention, un message. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas entendu sonner ou alors je ne me rends même plus compte de son existence alors que je m'en suis servi ce matin. J'ai vraiment besoin de repos. Je consulte quand même le message en question pour connaître le degré d'urgence. Vivek.
« Hey Campanule, j'ai du nouveau, tu vas être content, la musicienne vient récupérer son violon demain matin à la Tour ».
Vivek a ajouté un émoji que je n'arrive pas à discerner et je ne préfère pas, tant pis il attendra demain matin.
