Chapitre 11

La tension à Poudlard était montée d'un cran à l'approche du bal de Noël. Les couloirs grouillaient d'élèves gloussants et se poursuivant les uns les autres, pour tenter de décrocher les rencards les plus valorisants.

Hermione se tenait autant que possible éloignée de ce tumulte, bien qu'il soit impossible à éviter complètement. Ce dimanche-là, par exemple, le chemin reliant le château à Pré-au-Lard était chargé de collégiens riant, braillant, chantant, les bras pleins de cadeaux et de confiseries. Hermione, elle, s'était contentée d'une Bièraubeurre aux Trois-Balais en compagnie d'Isobel et Padma. C'était bien la seule fantaisie qu'elles pouvaient se permettre. En effet, tous les enseignants les avaient couvertes de recherches et de devoirs écrits, à l'approche des vacances. Il ne fallait pas que ce temps libre soit perdu, non, cela aurait été trop bête, vraiment…

- Bon, je vais filer à ma retenue avec le professeur Rogue… soupira Hermione à l'approche du château, resserrant son écharpe autour de son cou.

Le ciel indigo était dégagé, mais le crépuscule avait répandu sur les collines une humidité collante et glacée. Doucement, un vent de steppe forcissait, faisant tinter les cloches et grincer les enseignes.

- Je vais avancer sur mes runes, comme ça quand tu reviendras, on regardera ensemble les potions.

L'écossaise jeta un regard au loin, yeux plissés.

- Je dois avouer que… c'est bien plus simple de pouvoir échanger avec toi sur le travail que de te laisser copier passivement sur mes notes… admit-elle sérieusement.

Hermione esquissa un sourire, mais n'ajouta rien.

- J'ai vu ce… ce parchemin que tu avais sur ton bureau. Celui qui indiquait un rendez-vous…

- Ah. Et qu'est-ce que tu en as conclu ?

- J'ai préféré en conclure que tu avançais sur tes recherches plutôt que tu avais un nouveau rencard…

- J'avais rendez-vous avec le professeur Dumbledore, lança Hermione de but en blanc, sans quitter le château des yeux.

- Vraiment ? s'exclama Isobel en posant sa main gantée sur son bras.

Hermione lui lança un regard interrogateur.

- Oui, vraiment. Est-ce que c'est si étonnant ?

- Elle n'est pas très… accessible, d'habitude. Enfin, « pas très accessible » est plutôt un euphémisme… Elle se contente de donner un cours par année de sensibilisation à la magie noire, et de suivre quelques spécialités en septième année, mais c'est tout. Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

Hermione hésita, essayant de déchiffrer le regard menthe de celle qui était ici, en principe seulement, sa plus proche amie.

- Des théories sur la Magie Noire, la Magie de l'Amour, tout ça… soupira-t-elle vaguement.

- Mais elle connait ta potion ? Tu lui as tout raconté ?

- Oui, à peu près tout. Et, oui, elle connaît cette potion.

- Alors elle va pouvoir t'aider ?

L'espoir se lisait sur son visage et résonnait derrière ses mots. Était-ce dû à la perspective qu'Hermione soit sauvée ? Ou bien, plus possiblement, à l'idée qu'elle redeviendrait peut-être prochainement « la vraie Hermione », celle qu'Isobel avait toujours connue ?

- Je ne sais pas, mais je crois. C'est une potion de Magie Noire alors… elle a été assez évasive là-dessus mais, il faut que je réfléchisse et que je retourne la voir quand je serai prête.

L'Ecossaise parut déçue et ne parvint pas à masquer son insatisfaction, alors qu'elles passaient toutes deux les portes du château. Le hall était illuminé de milliers de chandelles qui lévitaient jusque sous les arcades. Elles plissèrent toutes deux les yeux et firent machinalement deux pas vers la gauche pour éviter une énorme boule de gui enchanté.

- Je t'assure qu'elle ne m'a rien dit de plus. Elle n'a même pas l'antidote aux ingrédients de base de la potion… mais bon, ce n'est pas le plus compliqué à élaborer… si l'on tient compte de la troisième loi de Gol…

Harry Potter venait de la bousculer pour la dépasser, heurtant son épaule droite.

- Mais quel crétin ! s'écria-t-elle alors qu'il s'éloignait en levant vaguement les mains, dans un signe qui n'était sûrement pas celui d'une excuse.

Elles étaient arrivées au pied de l'escalier de marbre.

- Tu vois, rien de fou, clôtura Hermione. Bon... A tout à l'heure !

Elle s'élança vers les cachots alors qu'Isobel montait dans les étages. Elle croisa un groupe de garçons de cinquième année qui gloussèrent sur son passage. Sérieusement... espéraient-ils vraiment qu'en se comportant ainsi, elle allait se sentir irrémédiablement attirée par l'un d'entre eux ? L'enjeu était beaucoup trop grand, pour les cinquième et sixième année non-majeurs, puisqu'être le cavalier ou la cavalière d'un élève majeur leur permettait d'assister aux réjouissances. Et pour cela, en général, ils étaient prêts à tout.

Hermione soupira en resserrant sa cape d'hiver autour de ses épaules. Plus elle sombrait dans les étages, plus le froid se faisait féroce. Elle piqua à droite et s'engouffra dans la Réserve, qu'elle traversa pour éviter les dernières marches du grand escalier, ainsi qu'un détour de quelques minutes. Soudain, alors qu'elle tendait le pied pour franchir le seuil de la porte de sortie, un picotement s'insinua furtivement le long de son dos jusqu'à l'extrémité de ses pieds, et elle fut immobilisée. Ses semelles, comme collées au sol, refusaient de la laisser avancer. Elle leva les yeux, arrachant son bonnet, de rage. Au-dessus d'elle trônait une boule de gui d'une taille très honorable qui, elle l'aurait juré, n'était pas là quelques jours plus tôt. Elle pesta et son cœur manqua un battement, elle allait être en retard pour sa retenue hebdomadaire.

- Oh, tiens ! Granger ! s'exclama une voix depuis le couloir des cachots.

Ronald Weasley s'avança vers elle, l'air conquérant.

- Tu as l'air d'avoir un petit problème…

Il la jaugea d'un regard indéfinissable, plein d'envie et de convoitise, mais transpirant de mépris.

- La ferme, Weasley, se contenta-t-elle de cracher, serrant les dents.

Des pas dévalèrent les escaliers derrière elle. Quand Harry Potter la dépassa à nouveau et se posta aux côtés de Ron, elle sut que la situation se compliquait.

- Quelle belle prise, Ron ! félicita-t-il en tapotant l'épaule de son comparse.

- Oui, je savais que c'était une bonne idée de déplacer ce gui ici. Granger évite toujours le couloir des cuisines en passant par la Réserve pour aller à sa retenue de potions.

- Malin, malin… admira Potter. Il n'y a plus qu'à attendre.

- Oui, Granger. On a tout notre temps. Oh, mais c'est vrai, pas toi. Humm… mais si tu viens au bal avec moi, je pourrais peut-être te sortir de là…

- En m'embrassant, c'est ça ? Franchement, plutôt rouler une pelle à un Scrout à pétard.

- Tu ne diras peut-être plus ça dans quelques heures…

Hermione croisa les bras sur sa poitrine et appuya son dos au mur de pierre froide.

- J'imagine que je n'ai plus qu'à attendre qu'un élève passe, je ne vois pas pourquoi je serais forcée de t'embrasser, toi, Weasley.

- Oh, peut-être parce qu'on ne laissera personne te libérer ? ricana Potter.

- Ah bon ? Et qu'est-ce qui les en empêchera ?

- Je suis préfet en chef, j'ai quelques bons arguments…

Hermione leva les sourcils et eut un soupir outré.

- Vous êtes ridicules.

Le silence qui s'installa était lourd, épais. Elle jeta un regard dépité sur sa montre. Il était déjà dix-huit heures passées de quinze minutes. Soudain, des voix joyeuses percèrent l'atmosphère étouffante et se rapprochèrent. L'entrée de la salle commune des Poufsouffle était toute proche.

- Si tu avais vu la… Granger ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?

C'était Jessy Faucett. Elle était accompagnée de son petit ami, James Stebbins.

- Et vous, qu'est-ce que vous attendez ?

Elle fusilla Potter et Weasley d'un regard furieux par réflexe, prête à en découdre.

- Ron invite Granger au bal, précisa Potter.

- Oui. J'hésite à l'embrasser, je crois qu'elle en meurt d'envie.

- La ferme Weasley, fulmina Hermione.

Puis, elle tourna les yeux vers la capitaine de l'équipe de Quidditch des serdaigles.

- Laisse tomber. Ils sont vraiment débiles.

- Embrasse-la, toi, lança Jessy a l'intention de Stebbins, le poussant un peu en avant.

Il lui jeta un regard à la dérobée et s'avança vers Hermione, finalement décidé.

- Hep, hep, hep, sursauta Potter, baguette levée. Tu n'avances pas, ou j'enlève cinquante points à Poufsouffle.

- Vous êtes vraiment ridicules, cracha l'attrapeur. Franchement, c'est votre seul moyen de trouver une cavalière ?

- Tu as des suggestions, Stebbins ?

- Oh, je ne sais pas. Le respect peut-être ?

Faucett eut un sourire satisfait.

- Je ne respecte que ceux qui me respectent en retour, trancha Weasley, au comble de la mauvaise foi.

Hermione commença à bouillir. Cette situation était simplement grotesque. Il fallait que cela cesse.

- Je n'ai aucune raison de te respecter Weasley. Et sincèrement, plutôt crever que de céder à ton chantage puéril.

Ron croisa les bras à son tour. Quelques poufsouffles les dépassèrent et finirent par s'ajouter au groupe, chuchotant. Malefoy ne pouvait-il pas débarquer soudainement ? L'embrasser à nouveau, comme quelques années auparavant ? Ou… ou bien n'importe qui. Rogue, tiens ! Lui n'était pas soumis au retrait de points ! Hermione eut un sourire amusé et baissa le visage en secouant la tête.

- Ça te fait rire, Granger ?

- Oui, vous êtes vraiment risibles.

Soudain, Weasley s'avança vers elle.

- Laisse-moi t'embrasser, et tu arrêteras de faire perdre du temps à tout le monde !

- Ne t'approche pas ! s'écria Hermione en pointant sa baguette droit sur sa poitrine.

- Mais qu'est-ce que tu fais Ron ?

La voix, féminine, indignée, s'était élevée juste derrière Hermione. Ginny Weasley venait de sortir de la Réserve. Encore Ginny. Par Morgane. Ses joues étaient rougies par le froid et peut-être par l'effort. Elle était seule.

- Et toi, on peut savoir ce que tu fais là ? s'exclama Ron à l'adresse de sa sœur.

- Je revenais de Pré-au-Lard quand on m'a dit que tu étais en train de faire une bonne blague très drôle aux cachots. Je connais tes blagues Ron, elles ne sont drôles que pour toi !

- Moi, je les aime bien, surenchérit Potter.

Ginny lui lança un regard glacial.

- Toi, tu n'es pas plus malin que lui.

Puis elle tourna le visage vers Hermione. Ses yeux, légèrement larmoyants à cause du blizzard qui s'était levé aux abords du château, la fixèrent un moment. Sa poitrine se souleva. Brutalement, elle s'avança vers elle et pénétra sous le gui.

- Qu'est-ce que tu… commença Ron.

Ginny approcha alors son visage de celui d'Hermione, abaissa ses paupières et, avec tous les égards possibles, elle posa finalement ses lèvres sur les siennes. Leur baiser sembla durer une éternité, et Hermione fut étonnée du frémissement qu'il répandit au creux de son estomac. Elle fut assaillie par un parfum de fleurs blanches si intense qu'il lui arracha un frisson. Il y eut, dans la petite foule qui s'était massée autour d'eux, des exclamations surprises et des souffles retenus. Soudainement, son pied se décolla du sol, et elle perdit légèrement l'équilibre. Ron Weasley eut un grondement furieux.

- Qu'est-ce que tu vas faire, hein ? s'exclama Ginny en jetant à son frère un regard incandescent, plein de défi.

- Attends un peu que je dise à maman que tu aimes les filles !

- Et toi, espèce de gros nigaud, attends plutôt que je lui dise que tu les harcèles !

Ron rougit de fureur à la manière d'une cocotte-minute, mais fut incapable de répondre.

- Qu'est-ce que c'est que ce brouhaha ? Miss Granger ? Vous avez exactement vingt-deux minutes de retard.

C'était le professeur Rogue.

- Weasley essayait de forcer Hermione à l'embrasser pendant que Potter dissuadait par la menace tous les autres de ne pas le faire, professeur, s'exclama Faucett, de rage et d'une intense satisfaction mêlées.

- Vraiment, Weasley ? Potter ?

Il les couvrit d'un regard atterré. Même pris sur le fait, ils conservèrent leur mine satisfaite.

- Miss Granger ?

- C'est vrai, répondit simplement Hermione.

- Faucett, Stebbins, Weasley, dans vos dortoirs respectifs, allez. On dégage l'espace. Potter, Weasley, cinquante points de moins pour Gryffondor…

- Mais professeur ! s'écria Ron.

- … chacun, compléta le maître des potions, claquant les talons. Et comptez sur moi pour vous obtenir une entrevue avec le directeur.

- Granger, circulez.

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Hermione pénétra dans la salle de potions et s'écroula sur le petit tabouret proche de son espace de préparation habituel. Elle soupira et laissa tomber son sac au sol alors que la porte de la salle claquait.

- Les mots me manquent, s'exclama Rogue, tranchant, après avoir pris place à son chaudron, juste derrière Hermione.

- Oh vous n'allez pas en plus me dire que c'est de ma faute… ne put-elle retenir.

Elle l'entendit se retourner brutalement sur son tabouret.

- Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

Hermione, à la fois bouillante de rage et terrassée de sidération, ne sut répondre.

- Adressez votre fureur à qui elle revient Granger, ce n'est pas moi qui vous ai coincée sous le gui.

- Sincèrement, j'aurais préféré que ce soit le cas, marmonna-t-elle en ôtant sa cape, qu'elle roula en boule sur son sac.

- Je vous demande pardon ?

Elle piqua un fard.

- Plutôt n'importe qui que ce foutu Weasley, finit-elle par cracher pour se justifier grossièrement.

Le maître des potions fronça un instant les sourcils, puis, comme s'il n'avait rien entendu, s'affaira à noter la recette de la préparation qu'il prévoyait de préparer avec Hermione. Comme souvent, le silence s'installa dans le cachot. Sa plume grattait le parchemin, régulièrement, mais de façon légèrement plus ferme et hachée qu'à son habitude.

- Voilà des années que j'insiste pour que ces satanés guis ensorcelés soient bannis du collège. Cela faisait beaucoup ricaner le professeur Dumbledore quand il était directeur, mais il est impossible à présent de nier le mauvais goût de la plaisanterie.

- Ariana Dumbledore ? questionna Hermione, vidée de son énergie.

- Albus, corrigea-t-il, pivotant sur son siège pour poser sur la paillasse qui les séparait le parchemin qu'il venait de rédiger.

Il dupliqua la feuille épaisse d'un coup de baguette négligé et fit glisser vers elle son exemplaire d'une main posée à plat.

- Potion de gaieté, lut-il en la sondant du regard.

Hermione ne l'écoutait pas. Elle n'avait pas même remarqué qu'il avait parlé. Son regard flottait dans le vide, vague et encore tout à la scène qu'elle venait de vivre. Le dégoût inspiré par Ronald Weasley était largement compensé par la douceur inattendue apportée par sa sœur, mais elle restait globalement sous le choc de ce déferlement d'émotions contraires.

- Granger ?

Elle leva le visage et les sourcils.

- Vous ne m'écoutez pas, constata-t-il, la voix sourde, un rictus désapprobateur sur les lèvres.

- Non, confirma-t-elle, droit dans ses yeux, sans se vouloir provocatrice pour autant.

Il soupira.

- Comment s'est passé votre rendez-vous avec le professeur Dumbledore ?

- Mal, grogna-t-elle en se tassant.

Elle était incapable de mettre la main sur la moindre miette de motivation en elle.

- Mais encore ?

- Je pensais qu'elle avait une vague idée d'un antidote.

- Et ce n'est pas le cas ?

- C'est plus compliqué. Disons qu'elle compte sur… vous pour apporter un antidote aux ingrédients simples de la potion.

- Vraiment ? s'étonna-t-il.

- Et elle souhaite me revoir pour le reste.

Le professeur Rogue redressa son buste et croisa les bras sur sa poitrine alors qu'Hermione soupirait lourdement. Malgré la chaleur relative qui entourait les chaudrons, elle avait froid. Les émanations flottant dans l'air lui donnaient la nausée. Elle était épuisée. La présence du maître des potions, si proche d'elle que leurs genoux se touchaient presque, creusait son bas ventre d'une manière si intense que cela en était presque désagréable. Son parfum harcelait ses narines, remuait son estomac, si fort que les poils de ses avant-bras s'en érigeaient.

- Bon. Si vous voulez bien, nous verrons cela à la rentrée, soupira-t-il.

- Vous m'aiderez ? questionna-t-elle d'une voix si éteinte qu'elle était à peine audible.

Rogue leva les sourcils, sans répondre.

- Potion de gaieté, lança-t-il à nouveau en tendant vers elle le parchemin rédigé un peu plus tôt.

Sa curiosité piquée, elle finit par s'en saisir et y posa les yeux. Du doigt, elle suivit la liste des ingrédients en passant la pointe de sa langue sur sa lèvre supérieure. Salvia divinorum, feuilles, Papaver somniferum, graines et racines, ailes de fées… Hermione retroussa ses manches et attira à elle les ingrédients nécessaires à la préparation.

- Vous verrez, la respiration des vapeurs de cette potion a tendance à produire des effets similaires à son absorption par voie orale. Je vous avoue que votre humeur récente n'est pas étrangère à mon choix pour ce soir, ironisa-t-il.

Elle eut un sourire pâle.

- J'imagine qu'il faut tout de même s'y exposer le plus rarement possible ?

- En effet, je ne la produis qu'annuellement, avant le bal de Noël, car le directeur exige qu'une goutte en soit intégrée à chaque recette du banquet. Granger, au travail.

Hermione sourit un peu plus franchement devant tant d'optimisme et, alors qu'il s'apprêtait à remplir son chaudron, il stoppa son mouvement.

- Pourquoi cet air soudainement béat ?

Elle secoua la tête et se posta face à son espace de préparation, initiant la recette.

- Vous êtes tellement…

Elle leva une main au ciel alors qu'il l'observait de côté.

- Tellement étonnant. Tellement… enjoué.

- Et cela vous déconcerte ?

Hermione haussa les épaules en remuant sa potion naissante.

- Oh, disons que… je vous connaissais bien plus tranchant, d'humeur égale, mais sarcastique, ironique, injuste, doucereux et à la frontière de la malfaisance, déroula-t-elle.

- Rien que cela ! Je ne vous crois pas. Argumentez. Donnez-moi une anecdote.

Elle regarda droit devant elle et revit la scène ridiculement humiliante avant de la lui rapporter.

- En quatrième année, Drago Malefoy a lancé un Dentesaugmento qui m'a frappée de plein fouet, lors d'une dispute avec Ron Weasley dont je ne me souviens même plus du sujet. Mes incisives supérieures n'ont vite rien eu à envier à celles d'un rat musqué. Quand on m'a forcée à vous les montrer comme preuve du sort de Malefoy, vous avez déclaré « ne pas voir grande différence ».

Il pouffa.

- Vous voyez, vous trouvez cela drôle.

- Vraiment… j'étais d'une injustice crasse. Quel goujat, s'esclaffa-t-il.

Hermione venait d'ajouter les graines de pavot à sa préparation dont la couleur tourna au vert vase.

- Pisse-vinaigre, oui.

- Granger ! la reprit-il.

- Désolée professeur. C'est sûrement un effet du pavot…

- Le pavot a bon dos.

Hermione se revit un instant affublée de ces deux dents immenses. Elle prit conscience qu'ici, elles n'avaient pas raccourci, et qu'elle ne s'en portait pas plus mal, finalement.

- Sachez que je suis ici une personne bien plus… divertissante, lança-t-il soudain.

Les racines de pavot broyées firent légèrement crépiter le feu qui ronronnait jusqu'alors sous le chaudron d'Hermione, et elle tourna le visage vers Rogue qui se concentrait sur sa potion, égrainant du bout des lèvres le nombre de tours de chaudrons qu'il donnait au liquide mauve.

- Je ne vous crois pas, plagiat-elle. Donnez-moi un exemple.

- J'ai été président du club de Bavboules de Poudlard.

- Ça alors ! s'exclama Hermione. Comme votre mère ?

Il fit volte-face pour la toiser, l'œil incrédule.

- Comment le savez-vous ?

- Je crois avoir lu un article à son sujet, il y a quelques années…

- C'est elle qui m'y a initié, en fait.

Rogue eut un soupir et sembla hésiter puis, finalement, précisa son propos.

- Nous y jouions beaucoup quand elle a quitté mon père et que nous avons été seuls. Ma mère… plus mystérieuse à elle seule que tout le département des mystères… enfin…

Un long silence s'installa, uniquement interrompu par moment par le bouillonnement de leurs potions.

- Et quand avez-vous cessé de jouer ? questionna Hermione qui ne souhaita pas l'obliger à approfondir ses confidences à propos d'Eileen Prince.

Il pouffa.

- Quand j'ai su la nature du liquide que les Bavboules vous projettent au visage.

- Ah ? s'étonna-t-elle.

Elle s'étonna également de ne jamais s'être posé aucune question à ce sujet.

- Et quel est-il ?

- Vous ne voulez pas vraiment savoir, Miss Granger… lança-t-il en secouant le visage.

- Dites-le moi. De toute façon, j'irai chercher l'information moi-même si vous ne me la donnez pas, argua-t-elle, presque boudeuse.

- De la semence d'Eruptif.

- Vous plaisantez ? s'étrangla-t-elle, manquant de laisser tomber sa baguette dans les remous de sa préparation.

Rogue éclata de rire. La scène était tellement improbable qu'Hermione se laissa entraîner après un moment d'incrédulité. Elle en pleurait presque quand son hilarité finit par se tarir. Le maître des potions, lui, ne s'était pas laissé emporter.

- Merlin, gémit-elle en s'essuyant les yeux.

Elle ne parvenait plus à le quitter du regard, bloquée sur ce sourire qu'il affichait, tellement nouveau pour elle.

- Je ne vous avais jamais entendu rire, confia-t-elle.

- Remerciez le pavot, dans ce cas… Vous voyez, Miss Granger… La potion de gaieté était un choix judicieux pour votre retenue qui, entre nous, n'a plus rien d'une retenue…

Rogue se passa une main sur la joue et se tourna vers elle.

- Poursuivre ces séances n'est plus vraiment nécessaire. Voudriez-vous que nous cessions de nous voir les dimanches soirs ?

- Non ! s'exclama-t-elle avec ferveur.

Il lui adressa un regard interloqué par la vigueur de sa réponse.

- Non… Je veux dire. Non, reprit-elle plus calmement.

- Bien. Fixons donc que nous nous consacrerons ces temps à la confection de votre antidote.

De l'extrémité de sa baguette, il fit couler quelques gouttes de sa potion dans une minuscule fiole au goulot de laquelle il enfonça, du pouce, un bouchon de liège. Sans cesser de l'observer, il fit glisser le petit flacon orangé jusque devant elle.

- Pour vous, dit-t-il simplement.