Chapitre 2 : Premières rencontres
Les deux enfants se remirent aussitôt en route. Ils devaient prendre un maximum d'avance sur leurs poursuivants. Ils coururent jusqu'à arriver à l'arrière d'une maison.
Ils tentèrent d'ouvrir la porte mais elle était verrouillée. Tandis que son amie la déverrouillait avec ses pouvoirs, le garçon fit le guet afin de s'assurer que personne n'arrivait. Lorsqu'il entendit le clic signifiant que Onze avait réussi, il la suivit à l'intérieur.
Les deux enfants, qui ne savaient pas où ils étaient, furent assaillis par des odeurs de nourriture qui réveillèrent leurs estomacs. Ils se rendirent alors compte qu'ils étaient affamés. Ils n'avaient rien avalé depuis la veille au soir, ayant été enfermés toute la journée.
Leurs regards se posèrent sur une petite corbeille en bois tressé remplie de bâtonnets dorés. Aucun d'eux ne savait ce que c'était mais cela sentait très bon. Ils se jetèrent dessus comme un seul homme, les enfournant par poignées entières.
Douze trouva cela pâteux, très salé et trop gras, mais cela remplissait son estomac vide et c'était tout ce qu'il demandait.
Les deux enfants, trop occupés à s'empiffrer, ne remarquèrent l'homme qui arriva derrière eux que lorsqu'il prit la parole :
— Eh ! Qu'est-ce que vous faites, vous deux ?
Le duo se retourna, la bouche pleine, pour faire face à un homme d'une trentaine d'années dont l'air furieux contrastait avec son visage rond, qui donnait l'impression qu'il ne pouvait pas faire de mal à une mouche.
Lorsqu'il vit à qui il avait à faire, l'adulte eut beaucoup de mal à réprimer le fou rire qui le gagna devant le spectacle qui s'offrait à lui.Les deux enfants, surpris en flagrant délit de goinfrerie, avaient les joues gonflées et la bouche débordante de frites.
Après leur avoir laissé le temps d'avaler, il les fit asseoir autour d'une table et posa un burger devant chacun d'eux. Le principe était simple : chaque fois qu'ils répondraient à l'une de ses questions, ils auraient le droit de prendre une bouchée. Le plus âgé commença par se présenter :
— Je m'appelle Benny. Benny Hammond. Et vous deux, quels sont vos noms ?
La jeune fille désigna le tatouage qu'elle avait sur le poignet, tandis que son voisin répondit :
— Douze.
Benny demanda pour être certain d'avoir bien saisi :
— Onze et Douze ? C'est comme ça que vous appelez ?
Le garçon répondit par l'affirmative. L'adulte acquiesça et dit :
— D'accord.
Benny les laissa prendre chacun une bouchée de leur burger puis continua :
— Et vous venez d'où ?
Il n'obtint cette fois aucune réponse mais il ne put manquer la lueur de terreur pure qui passa dans le regard des deux plus jeunes suite à cette question. Il leur posa d'autres questions mais les deux enfants restèrent silencieux. Lorsque Benny comprit qu'ils ne lui diraient rien de plus, il les laissa finir leur plat. Il leur fournit à chacun un t-shirt et leur indiqua où étaient les toilettes pour qu'ils puissent se changer.
Les enfants revinrent peu après, tous deux vêtus d'un t-shirt à l'effigie du restaurant de Benny qui leur arrivait pratiquement aux genoux. Il les autorisa à dormir chez lui, refusant de laisser deux enfants livrés à eux-même en pleine nuit. Il leur expliqua qu'il appellerait les services sociaux le lendemain.
Alors qu'ils suivaient l'homme jusqu'à son appartement, Douze n'en revenait pas qu'un inconnu ait plus fait pour eux en seulement quelques heures que le Dr Brenner au cours des onze dernières années. Depuis qu'ils le connaissaient, Benny leur avait offert un toit - même si ce n'était que pour une seule nuit - et un repas chaud et consistant. Avec « Papa », ils n'avaient eu droit qu'à des ordres et il ne se souvenait pas avoir déjà mangé à sa faim ou dormi dans un vrai lit.
Une fois qu'ils furent arrivés à destination, Benny guida les deux enfants jusqu'à sa chambre. Lorsqu'il leur expliqua qu'il passerait la nuit sur le canapé, Douze voulut protester mais l'adulte ne leur laissa pas le choix.
Ils se couchèrent sans se déshabiller et tous deux tombèrent à l'instant où leur tête toucha l'oreiller. Sans se douter un instant qu'un événement tragique allait se produire dans la nuit ni que ce qui en découlerait allait changer à jamais leurs vies à tous les deux.
Lorsqu'il se leva, le lendemain matin, Douze se fit la réflexion qu'il venait de passer la meilleure nuit de sa courte vie. Une fois levés, les deux enfants rejoignirent Benny dans sa cuisine. Pendant que leur hôte d'une nuit buvait son café, les deux évadés du laboratoire discutèrent à voix basse de ce qu'ils allaient faire ensuite. Ils savaient tous les deux qu'à l'heure actuelle, le Dr Brenner et ses hommes les recherchaient activement. Onze et Douze voulaient impliquer le moins de monde possible dans leur fuite, parce que tous ceux qui seraient mêlés à leurs problèmes seraient en danger de mort.
Quelques minutes plus tard, le duo suivait Benny jusqu'à son restaurant. L'homme leur donna à chacun une assiette contenant deux pancakes, des œufs brouillés et trois tranches de bacon. Benny leur dit :
— Bon appétit, les enfants.
Il expliqua ensuite :
— Pendant que vous mangez, je vais appeler les services sociaux. Ils vous trouveront un nouveau foyer.
Benny s'éloigna pour téléphoner aux services de protection de l'enfance, laissant les deux plus jeunes dévorer leur petit déjeuner. L'homme expliqua à la femme qu'il avait au bout du fil :
— Hier soir, j'ai trouvé deux enfants d'une douzaine d'années dans la réserve de mon restaurant. Je ne connais pas leurs noms, je ne sais pas s'ils ont de la famille.
Son interlocutrice lui demanda :
— Que voulez-vous dire quand vous dites que vous ne connaissez pas leurs noms ?
Le restaurateur expliqua comment avaient réagi les enfants quand il leur avait demandé leurs noms. La femme lui répondit que quelqu'un allait venir chercher les deux petits. Aucun des deux ne savait que la ville entière était sur écoute, ni que cet appel venait de condamner Benny.
Après avoir raccroché, il retourna voir les enfants. Ils avaient fini de manger et avaient empilé assiettes et couverts. Benny leur demanda :
— C'était bon ?
Douze répondit :
— Oui, monsieur. C'était délicieux !
Sa voisine acquiesça avec enthousiasme. Benny avait remarqué que la jeune fille restait généralement silencieuse et que c'était toujours son ami qui répondait aux questions qu'il leur posait. Même lorsqu'il avait demandé leurs noms aux enfants, la petite s'était contentée de lui montrer le tatouage qu'elle avait au poignet, là où son acolyte avait répondu avec des mots. Benny se disait qu'elle était peut-être juste d'une timidité maladive.
Le fil de ses pensées fut interrompu par des coups contre la porte. Il alla ouvrir et fit face à une femme blonde, qui se présenta :
— Je m'appelle Connie Frazier. Je suis une employée des services sociaux. Je viens chercher les enfants.
Benny l'interrogea :
— C'est vous que j'ai eu au téléphone ?
Connie Frazier répondit :
— C'est ça, Mr Hammond.
Benny se montra méfiant :
— Vous êtes sûre ? Votre voix semble différente…
Connie comprit que l'homme n'était pas dupe. La dernière chose que vit Benny fut le pistolet qu'elle pointa sur son visage. Elle tira avant qu'il n'ait le temps de comprendre ce qu'il se passait. Lorsque son corps toucha le sol, Benny Hammond était déjà mort. La femme laissa aux hommes qui l'accompagnaient le soin de maquiller la scène de manière à ce que la police conclut à un suicide. Elle se mit à la recherche des deux sujets évadés.
À quelques mètres de là, les deux enfants entendirent le coup de feu. Il ne fallut que quelques secondes au duo pour comprendre que l'auteur de la détonation était là pour eux. Ils ne perdirent pas de temps et voulurent prendre la fuite en passant par la porte par laquelle ils étaient entrés la veille. Mais ils furent stoppés par une voix dans leur dos :
— Arrêtez vous, les enfants. Si vous vous rendez sans faire d'histoire, il ne vous arrivera rien. Rentrez à la maison.
Les deux évadés se retournèrent lentement. La blonde, pensant qu'ils allaient obéir, eut un sourire satisfait. Les deux enfants échangèrent un regard déterminé. La même pensée les traversa. Hors de question de retourner dans ce laboratoire aux allures de prison, pas après avoir goûté à la liberté durant quelques heures.
Douze déploya un bouclier bleuté autour d'eux tandis que son amie éliminait un par un les hommes qui accompagnaient la femme.
Le garçon profita ensuite du chaos ambiant pour se rendre invisible ainsi que Onze. Et les deux enfants sortirent par la porte située juste derrière eux. La jeune fille utilisa ses pouvoirs pour remettre le verrou afin de faire perdre du temps à leurs poursuivants. Puis ils se mirent à courir aussi vite que leurs jambes le leur permettaient.
Tous les deux savaient qu'ils devaient mettre le maximum de distance entre eux et les hommes du laboratoire. Ce fut la raison pour laquelle ils ne prêtèrent aucune attention à la pluie qui commença à tomber, trempant rapidement le t-shirt qu'ils avaient en guise de vêtements. Douze se dit que pour eux, les trombes d'eaux qui s'abattaient sur la forêt étaient salvatrices : elles effaceraient leurs traces. Ou, du moins, cela compliquerait la tâche des agents chargés de les traquer. Ce temps ne pourrait être que bénéfique pour les deux enfants.
Machinalement, tout en continuant de courir, le garçon attrapa la main de son amie dans la sienne pour ne pas la perdre de vue. La pluie réduisait considérablement leur champ de vision et Douze ne voulait pas prendre le risque qu'ils soient séparés.
Ils couraient depuis longtemps, sans qu'il puisse donner une estimation précise, essuyant l'eau qui masquait leur vision. Lorsque le garçon sentit ses forces arriver à leur limite, il leva le voile qui les rendait invisibles. Il avait réussi à le maintenir jusque là mais il ne voulait pas jouer avec le feu.
Douze se laissa tomber au sol, épuisé. Il se demandait même comment il avait pu maintenir son pouvoir aussi longtemps sans s'évanouir. Avec son bras, il essuya le sang qui maculait son visage.
Il resta assis à même le sol, les mains posées sur les feuilles, durant un long moment, le temps de reprendre des forces. À côté de lui, il sentait la présence de son amie. Même si elle ne parlait pas, il la connaissait assez bien pour savoir qu'elle aussi était contente de cette pause forcée dans leur périple.
Ils repartirent une dizaine de minutes plus tard et se remirent à courir, main dans la main. Peu de temps après, Douze entendit ce qui ressemblait à des bruits de pas et des voix étouffées.
Le garçon pensa qu'il devait s'agir de leurs poursuivants et ne perdit pas de temps. Les deux enfants redevinrent invisibles. Mais plus les pas et les voix se rapprochaient, et plus il semblait évident qu'elles n'appartenaient pas à ceux qui les traquaient.
Les voix étaient jeunes. Même s'il ne pouvait pas encore voir leurs propriétaires, Douze était pratiquement sûr qu'il s'agissait d'enfants.
Il se cacha derrière un arbre, entraînant son amie dans son sillage, en essayant de faire le moins de bruit possible. Toutefois, il semblerait qu'il avait échoué car une voix masculine, très jeune, s'éleva :
— Will ? Will, c'est toi ?
Deux autres voix s'élevèrent, appelant la même personne que la première.
Douze hésitait. Devaient-ils se montrer, au risque de mettre en danger des enfants innocents ? Des enfants qui pourraient continuer de mener une vie tranquille, sans histoire.
Finalement, ce fut l'inquiétude qu'il perçut dans les voix des enfants qui le décida. Il annula les effets de son pouvoir et essuya le sang qui avait coulé de son nez. Il prit son amie par la main puis les deux enfants sortirent de leur cachette.
À cet instant, il aurait été difficile de déterminer lequel des deux groupes d'enfants était le plus surpris. Douze détailla les nouveaux venus. Il s'agissait de trois garçons qui devaient avoir à peu près le même âge qu'eux.
Le premier avait la peau sombre, des cheveux bruns frisés qui avaient l'air rêches et des yeux marrons. Son voisin avait également des cheveux bruns frisés. Il avait la peau mat et des yeux bleus. Enfin, le troisième avait des cheveux bruns foncés coupés au bol, le teint pâle comparé aux deux autres et des yeux bruns.
Quand à Onze et lui, Douze se doutait de quoi ils devaient avoir l'air : deux gamins paumés au crâne rasé, vêtus de t-shirt beaucoup trop grands pour eux, qui arboraient sans doute un air effrayé. Et, effrayés, ils avaient de quoi l'être. Poursuivis par des scientifiques qui n'avaient pas hésité à tuer leur bienfaiteur, ils découvraient un monde qui leur était totalement inconnu.
Les cinq enfants se regardèrent en silence pendant un moment. Puis deux des membres du trio se mirent à chuchoter entre eux, trop bas pour être entendus.
Le troisième, celui au teint pâle, proposa :
— On pourrait aller chez moi ? C'est le plus près d'ici.
Cette invitation tombait à pic. Les deux évadés étaient trempés jusqu'aux os. Douze répondit par l'affirmative et son amie acquiesça. Le brun se tourna vers ses deux amis derrière lui et leur dit :
— Venez les gars, on rentre. On va chez moi.
Les deux autres stoppèrent net leur conversation. Celui qui avait la peau mat demanda, en désignant les deux enfants au crâne rasé :
— Ils viennent aussi, eux ?
— Oui. Et c'est non négociable.
Peu après, les cinq enfants se mirent en route. Ils marchèrent pendant une dizaine de minutes avant d'arriver devant une maison tout ce qu'il y avait de plus banal. Le garçon au teint pâle ouvrit la porte et conduisit tout le monde au sous-sol.
