L'on avait installé l'inconnu dans le salon, sur l'un des deux canapés dépliables du salon du loft de Derek. Le maximum avait été fait pour qu'il jouisse d'un confort optimal. Qu'importe qu'on ne le connaisse pas : d'après le vétérinaire, il s'était évanoui à cause de son épuisement, hypothèse attestée par le stylo injecteur autrefois rempli d'épinéphrine. De l'adrénaline en tube. Pour en venir là, il fallait être désespéré.

Autour de lui, on s'affairait sans bruit. La découverte de ce jeune homme remuait tout autant qu'elle inquiétait, d'autant plus que Deaton avait répété de nombreuses fois à chacun des loups, exceptés Derek, de ne pas chercher à lui retirer ses gants. L'alpha n'avait pas besoin qu'on lui répète les choses. Il lui suffisait qu'on lui énonce une information et il la retenait aussitôt. Plus que cela : il allait toujours à l'essentiel, ne s'embourbait jamais du superflu. Il avait toujours été d'une efficacité redoutable. Si l'on ajoutait à cela sa bienveillance, sa patience et son amour incommensurable – mais discret – pour l'intégralité des membres de sa meute, on pouvait dire qu'il s'agissait d'un très bon alpha. Pour lui, il ne s'agissait pas d'un titre honorifique, mais bien d'un rôle à tenir, quelle que soit la situation.

Lorsque Derek passa justement dans le salon et s'approcha du jeune homme endormi, il ne parla pas, par peur de le réveiller. Il lança simplement un regard soucieux à Deaton, qui restait à son chevet. Le vétérinaire leva un pouce en l'air. Ça allait. L'alpha hocha la tête et sortit de la pièce pour aller dans la cuisine fermée, où une partie de la meute s'était réunie.

Aussitôt qu'il eut fermé la porte derrière lui, Lydia, la banshee du groupe, demanda :

- Comment va-t-il ?

Sans même le connaître, elle s'inquiétait déjà. Du Lydia tout craché. Si on l'avait longtemps cru pimbêche et insensible, la réalité était toute autre. Elle aimait chacun des membres de sa meute et ce jeune homme semblait déjà avoir gagné sa place dans son cœur alors qu'elle ne le connaissait même pas. Lydia avait une sensibilité particulièrement puissante, de celles que l'on respectait d'office et desquelles on ne doutait pas. Douter, c'était l'insulter. Derek lui avait toujours fait confiance. Elle avait tendance à bien analyser les gens sans même leur parler et il suffisait parfois d'un regard pour qu'elle cerne quiconque se trouvait devant elle.

- Il dort, répondit simplement Derek.

L'alpha n'était pas du genre très loquace, il n'avait jamais parlé beaucoup et de toute manière, il n'avait jamais eu besoin de beaucoup de mots pour se faire comprendre. Puis… Peu importe. C'était à prendre ou à laisser. En l'occurrence, c'était sa meute qui avait décidé de faire de lui un alpha, rôle qu'il avait amplement mérité. En somme, ce qui était à prendre ou à laisser avait été pris dans son entièreté. On l'aimait pour ce qu'il était, peu importe si son débit de paroles n'était pas des plus grands. C'était Derek.

- Ce qu'il s'est injecté… C'était quoi ? S'enquit Isaac en dardant son regard bleuté inquiet sur son alpha.

Derek le fixa et posa instantanément sa main sur son épaule. Isaac Lahey était sans doute l'un de ses loups pour qui il avait le plus d'affection. Ce n'était pas à cause de sa jeunesse : la plupart des membres de sa meute étaient au lycée. Disons que les circonstances dans lesquelles il avait mordu Isaac étaient spécifiques. Et depuis… Il le considérait un peu comme son petit frère. De même pour le bouclé : il voyait Derek comme son aîné, un membre de sa famille. Le statut hiérarchique lycanthropique n'intervenait pas là-dedans, ni pour l'un, ni pour l'autre. Bien sûr, il arrivait parfois qu'il doive corriger l'adolescent lorsque celui-ci partait en vrille ou prenait de mauvaises décisions, mais jamais il n'utilisait son rôle pour cela. Il lui parlait comme il l'aurait fait avec un petit frère. Derek n'ayant plus de famille, il s'en était recréée une. Plus ou moins. En tout cas, Isaac y avait tout de suite trouvé sa place.

- De l'adrénaline, répondit l'alpha du tac au tac.

Encore une fois, il ne s'embarrassa pas d'informations en plus. Il les donnerait si on les lui demandait.

Et c'est ce que fit le jeune Liam. Lydia revint également lui poser des questions, Isaac aussi. Les autres furent un peu plus discrets, se contentant d'écouter. Derek n'avait pas beaucoup de renseignements à leur donner, mais c'était amplement suffisant pour comprendre que le jeune homme semblait vouloir fuir quelque chose ou quelqu'un au point de s'injecter de l'adrénaline chaque fois qu'il faiblissait.

Une chose était certaine, il était bien tombé.

xxx

- Vous vouliez me voir, Parrish ?

- Oui, shérif, acquiesça l'adjoint.

L'homme au visage en permanence jovial déposa une enveloppe kraft sur le bureau de son supérieur, avec qui il s'entendait très bien. Il n'avait pas son poste depuis très longtemps, mais il en était très heureux et se plaisait bien dans cette ville particulière qu'était Beacon Hills.

Fronçant légèrement les sourcils, Noah Stilinski commença à ouvrir l'enveloppe.

- En temps normal, je ne vous ferais pas part de cette découverte, mais… Au vu de ce dont nous avons déjà parlé, j'ai pensé que cela pouvait être important.

Jordan Parrish faisait référence à une soirée un peu arrosée qu'ils avaient passé ensemble, à se raconter leur vie autour de deux bouteilles de whisky. Avant de sortir les différents documents de l'enveloppe, Noah releva les yeux vers son adjoint. Toute jovialité avait disparu. Et il crut à une mauvaise blague, même si ce n'était pas le genre de son bras droit. Ainsi, il tint à dissiper tout doute sur la situation :

- Ecoutez Parrish, je vous aime beaucoup, mais ce n'est vraiment pas le genre de sujets sur lequel j'aime plaisanter. C'est de très mauvais goût et je vous avoue ne pas apprécier que vous y fassiez référence.

- Shérif, jamais je ne me permettrais de plaisanter à ce sujet et vous le savez très bien.

Jordan était un homme droit et il faisait de son mieux pour le montrer. De plus, ce serait immoral que de faire des blagues sur la disparition de son fils, survenue des années plus tôt. Fils qu'il croyait mort, à raison.

- Regardez ce qu'il y a dans cette enveloppe, lui intima-t-il simplement.

Il était conscient que cela allait remuer un tas de choses en lui, peut-être bien plus qu'il ne pourrait en supporter. Quoi de plus normal, pour un père ? Mais il n'avait pas le choix. Il fallait qu'il lui dise sans attendre. S'il tardait, les conséquences pouvaient être bien plus douloureuses et dangereuses.

Troublé par les propos et la conviction de son adjoint, Noah finit par obéir avec une certaine nervosité. Son fils… C'était un sujet sensible, chez lui, la chose dont il ne parlait plus, sauf à sa thérapeute et… Cette fois-là, avec Jordan. En dehors de ces exceptions, il ne l'abordait jamais, qu'importe la personne face à lui. Parce que… Bordel, même des années après, c'était toujours aussi douloureux et des réminiscences de culpabilité faisaient parfois leur apparition. Et dire qu'il avait été forcé d'abandonner les recherches… ! Et de se rendre à l'évidence : Stiles était probablement mort et ce, depuis longtemps.

La première photographie qu'il sortit de l'enveloppe le poignarda en plein cœur, tout simplement parce qu'elle montrait la vieille Jeep que sa défunte femme avait légué à son fils. Si elle était déjà abîmée, là, la peinture avait fait ses valises à plusieurs endroits et les roues étaient maculées de boue. Tout autour de la voiture, des arbres à portée de vue. Le souffle court et parce qu'il ne comprenait pas encore ce que cela signifiait, Noah sortit les autres documents de l'enveloppe. Parmi eux, d'autres photographies, et des relevés scientifiques. On voyait l'intérieur de la voiture aux sièges abîmés comme jamais, quelques affaires négligemment jetées à l'arrière, ce qui démontrait une certaine précipitation, comme si le propriétaire hypothétique de la voiture avait cherché à fuir en urgence. Stiles, pensa automatiquement Noah avant de se raviser, éteignant cet espoir aussi vite qu'il était arrivé. Il devait arrêter de rêver et se rendre à l'évidence : son fils était mort. Mais il regarda les documents suivants, et les lut en diagonale. Il apprit ainsi que des cheveux couleur châtain avaient été retrouvés dans l'habitacle, ainsi que d'autres détails particuliers, comme des seringues et stylos-injecteurs. Plus perturbé que jamais, le shérif releva les yeux vers son adjoint :

- Dans combien de temps pensez-vous que l'équipe scientifique aura terminé son analyse ?

Il avait resserré les mains sur les feuilles qu'il tenait, histoire de dissimuler un minimum les tremblements qui le prenaient. En lui, la flamme de l'espoir faisait tout pour se rallumer et prendre de l'ampleur : Noah eut bien du mal à la réfréner et à prioriser son côté rationnel. Parce que, eh bien… Le père qu'il était voulait croire à la possibilité que, peut-être… Il pourrait revoir son fils un jour. Le serrer dans ses bras. Le protéger. En fait, c'était la police de Washington qui lui avait annoncé le décès de son Stiles. L'immeuble dans lequel il se trouvait à ce moment-là avait explosé puis brûlé et l'on n'avait trouvé aucun survivant que des cadavres rarement identifiables. Voilà pourquoi Noah s'entêtait à parler de disparition. Parce qu'on ne lui avait pas apporté son cadavre sur une civière, ce qui lui permettait parfois de ne pas s'effondrer. Il était plus facile de se dire qu'il ne reverrait jamais son fils parce que celui-ci avait disparu. C'était plus simple. Ainsi, il pouvait l'imaginer heureux, vivant sa vie avec joie, même sans son père… Mais là… C'était la Jeep. Avec cette plaque d'immatriculation toute cabossée qui, parce qu'elle était encore lisible, n'avait jamais été changée. Et sans doute à cause de cet espoir renaissant, Noah fut persuadé que les cheveux trouvés dans la voiture… Appartenaient à son fils.

- D'ici quelques heures, shérif, répondit l'adjoint.

Noah hocha la tête et ordonna à Jordan de rassembler une équipe et d'organiser une patrouille d'urgence dans la forêt tout en essayant de garder son calme. Même si pour le moment, c'était le côté policier qui tenait les rênes, le père en souffrance refaisait doucement surface.