Si Stiles devait être honnête, il percevait des choses depuis déjà un petit moment. Des sons. Des sensations. Il savait qu'il se trouvait en intérieur et n'arrivait pas à décider si c'était censé le rassurer ou non. De toute manière, son esprit n'était pas encore assez éveillé pour qu'il puisse réfléchir à ce point-là. Tout ce dont il arrivait à se rendre compte, c'était qu'il était réellement fatigué. En fait, son épuisement dépassait l'entendement. Rares étaient les fois où il se réveillait ainsi, seul. Avec douceur. A son rythme. Généralement, on le levait de force, parce qu'on avait « besoin » de lui, de son pouvoir. Et on l'épuisait, encore et encore, sans se soucier de l'état dans lequel on le laissait. Alors forcément, par réflexe, il s'attendit à ce qu'on le brutalise et qu'on s'empare de son énergie. Mais… Non, rien. Il entendait des chuchotements de temps à autres, mais c'était tout. Mis à part cela, le silence régnait.

Stiles attendait, encore. Parce que même sans arriver à réfléchir en profondeur, il savait que sa fuite était ratée. La preuve en était qu'il avait perdu connaissance et… C'était facile d'abuser de lui dans sa condition. Dans cet état, il n'était capable de rien, pas même de se sentir soulevé, transporté, emmené. Alors le reste… Stiles ne voulut même pas imaginer ce qui avait pu lui arriver dans son sommeil. A vrai dire, il n'avait pas envie de savoir quoi que ce soit, pas même où il était. Il sentait le confort, la chaleur d'une couverture étalée sur lui, oui. Mais il était si simple de le garder prisonnier quelque part, de l'amadouer ou même de se servir de son pouvoir sans prendre en compte son avis. C'était pour ça qu'il s'était enfui.

Et il avait tout raté, juste parce qu'il était épuisé.

En fait, ce constat fort simple lui donna envie de… Garder les yeux fermés et de dormir pour l'éternité. Pas mourir, pas vraiment. Juste, dormir. Le sommeil permettait l'oubli durant une certaine période et faisait passer le temps à une vitesse prodigieuse. Il en manquait d'ailleurs cruellement. Combien de fois l'en avait-on sorti juste pour se servir ? C'était facile, sa chambre se réduisait à une cellule composée d'un matelas et une cuvette. Tout le monde possédait la clé de sa chambre… Sauf lui. Alors forcément, Stiles n'eut pas envie de se forcer à reprendre complètement connaissance. Dormir n'était pas un si mauvais programme, en soi. Et puis… Au moins, il ne penserait pas consciemment à son échec cuisant. Il fallait en profiter tant qu'on ne s'intéressait pas à lui. Il s'agissait de secondes voire de minutes on ne peut plus précieuses qu'il ne fallait pas gaspiller. Courir après l'énergie. Voilà ce qu'il pouvait faire. Courir, courir, courir sans arrêt après quelque chose. Quand pourrait-il se poser, avoir le loisir de se reposer ? C'était un luxe qu'il n'était pas sûr de pouvoir s'accorder un jour tant sa nature tendait à le rendre… Utile. Un peu trop, sans doute. Était-ce de sa faute s'il était né avec un pouvoir aussi rare que particulier ? Non, il n'avait rien demandé. Ces mains magiques s'étaient imposées à lui et ce qu'il avait au départ pris comme un don n'avait été que malédiction. Servir les autres jusqu'à n'en plus pouvoir, voilà ce que ces mains l'obligeaient à faire. Tant pis pour sa santé. On allait continuer de lui sucer toute son énergie et un jour, il s'effondrerait définitivement. Ce serait là sa délivrance, son unique repos, celui qu'il attendait le plus au monde.

Le problème, c'est qu'il ne se rendormit pas. Il était épuisé, pas de doute là-dessus, mais quelque chose bloquait, l'empêchait de sombrer à nouveau, comme il l'aurait voulu. Tout lui parvenait de plus en plus clairement et son corps se réveillait. Il sentait le plaid remonté jusqu'à ses épaules, y compris l'oreiller confortable sous son crâne. Stiles essaya, fit de son mieux pour trouver un moyen de se reposer, de repartir de ce monde sans souci : il se devait de profiter du peu de temps qu'il devait avoir. Qui sait dans combien de temps il pourrait se recoucher ?

Mais impossible pour lui de sombrer à nouveau dans ce paradis qui le tentait tant. Il avait beau essayer, tout faire pour se replonger dans cet état d'inconscience bienheureuse, Stiles fut obligé d'admettre que son repos, si bref eut-il été, était terminé. Sa gorge se serra. C'était bien peu et il sentait que son corps réclamait davantage d'heures de sommeil pour recharger ses batteries. Mais Stiles ne pouvait lutter contre son cerveau hyperactif et son esprit torturé. Il ne songeait qu'à ses problèmes et que cela soit conscient ou non, cela lui pesait tant et si bien qu'il était réellement impossible pour lui de sombrer à nouveau dans l'immédiat. Dommage.

Alors, vint un moment où Stiles fut forcé de prendre son courage à deux mains et d'ouvrir les yeux. Un frisson traversa instantanément son corps faiblard alors qu'il se redressait péniblement. Une chose était certaine, l'endroit ne lui disait rien. Il se redressa. La pièce à vivre était d'une taille titanesque et une immense baie vitrée y faisait entrer son lot de lumière. Ce n'était pas aveuglant, mais l'adolescent dut plisser les yeux et mit un certain temps à s'habituer à cette luminosité particulièrement forte pour lui. Il essaya de deviner l'heure. Une chose était certaine, midi était passé. Et Stiles resta là, le regard comme scotché à cette baie vitrée. La barrière entre lui et la liberté.

Un peu trop longtemps.

- Oh, tu es réveillé.

Stiles sursauta violemment. Son cœur battait à une vitesse folle, si bien qu'il crut défaillir l'espace d'un instant – ce qui n'était pas bien compliqué au vu du peu de repos auquel il avait eu droit. Son regard affolé se posa sur un homme au teint chocolaté et aux yeux ébènes transpirant la douceur. Mais l'hyperactif avait bien trop souvent été victime de tromperies pour pouvoir s'accorder le luxe de croire à ladite douceur. Souvent, derrière elle se cachait une noirceur innommable. Combien de fois l'avait-on manipulé de cette manière ? Combien de fois avait-il compris son erreur alors qu'on le vidait de son énergie ? Abusé. On avait abusé de lui, de sa confiance, de sa vitalité. Plus par réflexe d'autre chose, Stiles ramena ses mains vers lui, sans pouvoir détacher ses yeux de l'inconnu qui poussa un soupir.

- Nous ne t'avons rien pris, s'empressa-t-il de dire. J'ai demandé à ce qu'on ne te retire tes gants sous aucun prétexte.

Le cœur de Stiles battait vite et sans être un loup, Deaton s'en doutait. Le garçon semblait purement et simplement effrayé. Quoi de plus étonnant lorsque l'on savait à quoi il servait ? C'était triste à dire, mais l'on se servait de ces gens-là comme des objets, des outils, sans jamais se préoccuper de leur ressenti, ni même de leur énergie. Il était évident que le jeune homme ne l'avait pas entièrement recouvrée. Il semblait complètement épuisé et son regard des plus cernés ne pouvait qu'appuyer ce fait.

- Comment te sens-tu ? Demanda le vétérinaire.

Le souffle de l'hyperactif était court et des milliers de pensées traversaient son esprit sans qu'il puisse arriver à les démêler. La question que lui avait posé l'homme était d'une simplicité enfantine, mais il ne l'avait pourtant pas entendue depuis des années.

- J-je…

Sa voix était rauque et prononcer quoi que ce soit lui paraissait atrocement difficile, d'autant plus que l'émotion lui nouait l'estomac. Que devait-il faire ? Que devait-il penser ? Face à lui, l'homme eut un sourire doux.

- Ce n'est pas une question piège, tu sais ?

Peut-être, mais comment pouvait-il le savoir ? Il ne le connaissait pas et n'avait pas la moindre idée d'où il se trouvait. Il ne cessa alors de se maudire. Bordel, il n'aurait véritablement pas dû perdre connaissance. Puisque l'homme avait parlé de ses gants, nul doute qu'il connaissait sa nature et c'était d'autant plus terrifiant que Stiles savait qu'il ne pourrait se soustraire à personne dans son état. Il était voué à servir et son énergie, si importante, lui faisait défaut au point de l'empêcher de renouveler sa fuite. A l'heure actuelle, l'envie de laisser ses paupières recouvrir ses yeux à nouveau était d'autant plus forte qu'il était particulièrement conscient qu'il lui faudrait un nombre incalculable d'heures pour se requinquer. Mais Stiles ne se faisait aucune illusion. On ne le laisserait jamais tranquille aussi longtemps. Il n'était même pas capable de se souvenir de la dernière fois où il s'était senti… En forme. Il ne savait plus ce que c'était.

- Qu'est-ce que… Ça peut… Vous faire ? Articula-t-il péniblement.

Sa gorge le brûlait et sortir ces mots était une chose réellement difficile. Déjà, il reprenait son souffle. Il parlait si peu. Le silence était son seul ami. Stiles se souvenait parfaitement de l'adolescent qu'il était avant de faire la rencontre de ces gens maudits : il babillait à tort et à travers, inondait son entourage de tirades et diatribes endiablées, tant et si bien que suivre le fil oral de ses pensées relevait de l'ordre du miracle. Ce temps était révolu depuis longtemps.

Si Stiles avait choisi de poser une question plutôt que de répondre à celle de l'homme en face de lui, c'était tout simplement parce qu'il ne pouvait pas considérer l'éventualité que l'on cherche réellement à savoir comment il allait. L'inconnu voulait-il chercher à gagner sa confiance ? Pour prendre son énergie, nul besoin de chercher à l'amadouer. L'hyperactif ne pouvait plus empêcher quiconque de profiter de lui depuis longtemps. Il n'y avait qu'à se servir. Lui enlever ses gants, ou même tout simplement l'embrasser. Cette deuxième méthode, moins connue, était tout aussi efficace que la première. Le plus souvent, le jeune homme finissait aculé, vidé de son énergie, incapable de marcher. Enfin, il s'évanouissait quelques minutes avant que tout ne recommence. Un miracle qu'il soit encore en vie…

L'homme face à lui soupira.

- Que tu le croies ou non, je te pose sincèrement la question. J'ai besoin de savoir comment tu vas. Si tu as besoin de dormir, de te reposer un peu plus, il n'y a pas de problème. Nous ne sommes pas tes ennemis.

Stiles ferma les yeux une seconde avant de les rouvrir. Il se laisserait presque convaincre tant l'inconnu lui semblait gentil et doux. Oui, presque. Mais la vie avait appris à l'hyperactif que l'on ne pouvait pas lui parler sans avoir un intérêt derrière, intérêt peu difficile à deviner.

N'ayant plus la force de se battre contre ce qui semblait être son destin, Stiles capitula et poussa un soupir résigné. Il avait lutté durant des années pour améliorer sa condition et regagner les droits qu'on lui avait violemment arrachés. La violence dont on avait fait preuve à son égard ne l'avait pas arrêté, au début. Stiles n'était pas quelqu'un que l'on pouvait faire plier facilement.

Mais ces années l'avaient purement et simplement détruit. Toutes les crasses et les humiliations lui avaient été faites. Toutes, sauf une.

Il s'était enfui pour l'éviter, usant d'une dernière once de volonté pour espérer survivre et échapper à ce qu'on lui réservait…

… Pour au final retomber dans un nouveau guêpier.

Et Stiles n'avait plus la force nécessaire pour continuer d'endurer tout cela. Il ne pouvait plus supporter l'idée qu'il avait échoué. Qu'il ne pouvait définitivement pas être libre. Alors, autant essayer de précipiter les choses. Pour la première fois depuis le début de cette étrange entrevue, l'hyperactif planta son regard embrumé dans celui, chocolat et empli de lucidité, de son interlocuteur.

- Retirez-les et servez-vous, souffla-t-il.

Planifier sa fuite avait été difficile, tant et si bien qu'il avait mis des mois à y réfléchir, des semaines à la mettre en place. Le peu de repos auquel il avait droit était réservé à sa réflexion et il avait peu à peu commencé à sombrer dans un état d'hébétude qui rendait sa lucidité passagère. Et tout était fini. Les conséquences de sa fuite ratée se firent d'autant plus difficiles qu'il savait qu'il aurait peut-être pu y arriver. Cette fois, l'abattement le saisit à la gorge et son échec le tua. Non, il n'avait définitivement plus la force de lutter et à bien y penser, se donner jusqu'à son dernier souffle n'était pas une si mauvaise idée si cela lui permettait de quitter cette vie d'esclavage. Cette meute-là ne connaissait pas l'étendue de son état : avec un peu de chance, sans doute ses membres puiseraient-ils trop vite son énergie vitale.

Epuisé et complètement abattu, l'hyperactif ferma les yeux avant même d'apercevoir la profonde lueur de tristesse virevoltant dans les iris chocolat d'Alan Deaton.