Le châtain dormait si bien qu'Isaac n'avait aucune envie de le réveiller. Il voulait juste s'installer à son chevet et attendre que ses yeux papillonnent, attendre un réveil naturel. Et en même temps, il savait que ce n'était pas la chose à faire. Dormir était une chose importante et il fallait que le jeune homme se repose. Il devait néanmoins reprendre des forces – c'était d'ailleurs vital au vu de son état. Déjà deux jours complets qu'il dormait et si Derek lui-même avait voulu lui laisser du temps, il avait finalement demandé à Isaac de le réveiller, à regret. Le jeune homme aux cheveux bouclés avait noté l'inquiétude dans son regard ainsi qu'une certaine incertitude. Isaac savait que son alpha n'était pas contre de faire ce genre de choses lui-même et qu'il aimerait éviter que ce genre de tâches incombe à l'un de ses louveteaux – ici, Isaac. Néanmoins, il savait que son statut et son air éternellement froid si difficile à décrypter lorsqu'on ne le connaissait pas ferait davantage peur à leur invité qu'autre chose. Isaac se souvenait parfaitement de la fébrile confrontation entre Derek et le châtain. La défiance et la désillusion qu'avaient exprimé ce dernier étaient révélatrices de son avis sur les alphas et, dans ce cas précis, sur Derek.

Isaac déposa sans un bruit le plateau sur la table de nuit. Son regard bleu céruléen se posa à nouveau sur le jeune endormi. Le fait de voir qu'il portait ses gants le rassurait : le bouclé n'aurait ainsi pas peur de faire une bêtise par inadvertance. Mais il ne voulait pas le réveiller, ne désirait pas casser l'harmonie de son visage sans aucune tension. Le jeune homme devait être trop épuisé pour rêver ou du moins, s'en rendre compte. Ainsi, il dormait profondément, tant et si bien que ses soucis n'étaient plus ancrés sur son visage.

Mais il fallait qu'il mange quelque chose, qu'il se nourrisse. Reprenne des forces. Ensuite, il pourrait se coucher à nouveau et se reposer davantage. Alors, Isaac s'assit au bord du lit et posa simplement sa main sur son épaule. Presque aussitôt, les traits si détendus du jeune homme se crispèrent et ses sourcils se froncèrent.

- Hey… Fit doucement Isaac.

La seconde d'après, le châtain ouvrit péniblement les yeux, surprenant Isaac qui ne s'attendait pas à un réveil aussi rapide. Sans doute ne savait-il pas que les mauvais traitements qui lui avaient été infligés avaient rendu son sommeil – même profond – particulièrement léger. A l'instant précis où les deux orbes ambrées se posèrent sur le loup-garou, la peur envahit son odeur. Isaac se crispa malgré lui mais ne perdit pas son air avenant.

- Je t'ai apporté à manger, l'informa-t-il.

Il ne parlait pas fort, faisait en sorte de ne pas rendre son réveil plus pénible qu'il ne l'était déjà. Si le châtain était rapidement sorti du royaume des songes, il n'en gardait pas moins un air épuisé – ses cernes étaient là pour en témoigner.

- Il faut que tu reprennes des forces, se sentit obligé de préciser Isaac. Dormir c'est cool, mais… Manger, c'est tout aussi important.

L'autre resta muet et Isaac ne sut si c'était parce qu'il n'était pas encore totalement réveillé ou s'il ne tenait pas le moins du monde à coopérer. Pour le plus grand désespoir du bouclé, les deux possibilités étaient toutes aussi probables l'une que l'autre. Quelle stratégie devait-il adopter ? Isaac ne savait pas vraiment quoi faire... A part être transparent.

- Tu peux te redresser ou tu as besoin que je t'aide ? Lui demanda-t-il.

Le châtain le scruta d'un air indéchiffrable et Isaac remercia sa nature de loup-garou de lui avoir légué le don de lire dans les odeurs. On trouvait plus classe comme capacité, mais c'était déjà pas mal parce qu'il sentait le stress qui continuait de mener la barque dans la tête de l'inconnu. Sans laisser à Isaac le temps de reposer sa question à cause de son silence, le jeune homme tenta de se redresser. Prit appui sur ses avant-bras mais eut tant de mal qu'il retomba lourdement sur le lit. Il avait si peu d'énergie… Et si faim. C'était très discret, mais Isaac entendit distinctement les gargouillis légers que fit son ventre. Le châtain retenta mollement sa chance avant d'abdiquer rapidement en poussant un soupir. Sa faiblesse encore plus marquée qu'à son arrivée toucha Isaac en plein cœur. Ce fut encore pire lorsqu'il tourna la tête vers le plateau repas. Une lueur vivre traversa ses yeux avant que l'amertume ne se fasse une place certaine dans son odeur. Il se força à détourner les yeux, à les fixer au plafond, la mâchoire contractée.

Isaac se rapprocha doucement du lit.

- Je vais t'aider, le prévint-il.

- C'est bon, on verra plus tard, fit l'autre d'une voix pâteuse et particulièrement rauque d'avoir dormi si longtemps.

Le bouclé s'installa au bord du lit en secouant la tête. Approcha ses mains du châtain. Une nouvelle lueur naquit dans son regard et Isaac la comprit dès l'instant où il prononça faiblement ces mots :

- Ne me touche pas.

De la peur. Il était terrifié même s'il faisait en sorte de ne pas le montrer… Ce qui était inutile face à un loup-garou et il le savait. Tout comme il connaissait la propension de ces monstres à profiter de sa faiblesse et de ses émotions pour le terroriser davantage. C'était toujours comme ça, avec eux. Il n'y avait pas de surprise.

La seule qui s'offrit à lui fut le regard doux et quelque peu… Amusé de ce loup aux cheveux bouclés. Un loup qui avait un visage doux et particulièrement avenant. Oui, mais Stiles était assez bien placé pour savoir qu'une gueule d'ange cachait parfois le pire des sociopathes. Alors oui, il avait peur. Et à côté de cela, le plateau-repas lui faisait terriblement de l'œil… Presque du pied tant il était appétissant et tant son estomac réclamait quelque chose. Stiles ne savait pas combien de temps il avait passé à dormir, mais c'était suffisant pour que son ventre se serre à l'idée de manger et se montre des plus actifs.

- J'aimerais beaucoup respecter ton consentement mais pour cette fois, je t'avoue que je vais m'en passer… Lâcha Isaac d'un air étrangement sincèrement désolé.

Les deux mots n'allaient pas ensemble, mais c'étaient les premiers qui venaient à l'esprit de Stiles. Après tout, une gueule d'ange… C'était bizarre et ça donnait toujours envie d'avoir confiance. Cette fois-là ne faisait pas exception. Stiles avait envie… Besoin de se reposer sur quelqu'un, d'accorder sa confiance, de juste… Baisser sa garde. Un peu. Cependant, il n'eut pas le temps de comprendre le réel sens des premières paroles du loup-garou qui… Se rapprocha, passa ses bras autour de lui et le redressa purement et simplement. L'oreiller se retrouva contre le mur et son dos y trouva appui. Du reste, ahuri, Stiles regarda le plateau qui avait, il ne savait quand, trouvé sa place sur ses cuisses. Il releva un regard mi-meurtrier, mi sidéré au bouclé, qui esquissa un sourire en coin. D'où s'était-il permis de… Oh, et comme s'il ne pesait rien, en plus !

Face à lui, Isaac se rassit au bord du lit et son regard changea, devint un peu plus doux – comme si c'était possible.

- Je sais que tu es fatigué, mais ça ne doit pas t'empêcher de manger. Tu pourras te rendormir après et je t'aiderai à te recoucher sans aucun problème, lui dit-il, patient.

Le regard que lui lança le châtain témoignait sa méfiance qui ne dégorgeait pas, mais Isaac remarqua moins de hargne dans son regard… Peut-être à cause de son réveil récent. En tous les cas, il n'avait pas prononcé un mot et ça, il appréciait moins. Voyant qu'il ne touchait à rien, Isaac lui dit de se servir, de manger ce qu'il voulait. Le jeune homme hésita. Il céda toutefois rapidement lorsque son ventre émit de forts gargouillis qui le firent devenir rouge de honte.

Isaac resta avec lui et tenta de faire la conversation, sans succès. Au moins, le châtain mangea. Doucement. Extrêmement lentement. Il lui jetait souvent des regards méfiants et tiquait au moindre mouvement de sa part. De son côté, Isaac ne pouvait que notifier sa faiblesse, ses gestes gauches et très économiques dans la manière qu'ils avait de les réaliser. Le jeune homme était épuisé mais ne crachait pas sur la nourriture à laquelle il avait droit.

Pour autant, il fut incapable de manger l'intégralité de ce que contenait son plateau. En fait, Stiles n'était pas habitué à être nourri à sa faim et surtout, de manière régulière. Ces derniers temps, on le nourrissait selon son comportement et l'énergie qu'il avait à donner, alors forcément… Son estomac avait un peu rétréci par rapport à ce qu'on lui donnait avant. Au début, il pouvait même dire que c'était royal, parce qu'à cette époque-là… On le respectait. On n'avait pas découvert l'étendue de son pouvoir, de ce qu'il pouvait donner. C'était seulement après, lorsqu'on s'était rendu compte de l'énormité de son potentiel, qu'on avait décidé de le réduire en esclavage, réduisant sa confiance envers les loups-garous à néant.

Alors non, Stiles ne pouvait plus se fier à la moindre bête poilue. A vrai dire, manger comme il le faisait était plus un acte suicidaire qu'autre chose. Il restait dans cette optique morbide qu'il avait développé dès son réveil ici. Profiter de l'ignorance de ces gens par rapport à son état pour précipiter sa chute. Stiles n'avait pas la moindre envie de retrouver sa condition d'esclave et de se voir dépérir, tenir en vie, juste pour faire durer la longueur de ses services. Alors si la nourriture était droguée ou empoisonnée… Autant dire que ça lui allait.

Lorsqu'il fit comprendre à son geôlier qu'il eut terminé, celui-ci s'en assura. Lui demanda s'il était certain de ne plus vouloir y toucher. Stiles hocha la tête. Peut-être aurait-il dû manger d'avantage, histoire d'avoir des réserves au cas-où l'on déciderait de se montrer moins généreux à son égard la prochaine fois… Mais il savait qu'il n'en était pas capable. Son estomac, avec sa taille actuelle, avait des limites. D'autant plus que sa fatigue ne l'aidait en rien : il savait qu'il avait faim, mais sentait l'intégralité de son corps plus ou moins anesthésiée. Alors évidemment, il eut envie de se reposer, de replonger dans les abysses sans rêve du sommeil, histoire de récupérer un peu. Pas d'être en forme. Stiles ne savait plus vraiment ce que cela voulait dire, ni ce que cela faisait et il était certain de ne plus jamais connaître cet état. Sa nature le conditionnait au rang d'objet. Que dire d'autre ?

De son côté, Isaac s'empara du plateau et, au lieu de s'en aller avec, le déposa sur la table de nuit. A disposition. Il se rapprocha à nouveau, pour l'aider à se rallonger. Si le châtain était toujours aussi dérangé par sa faiblesse et par le fait d'avoir besoin du loup-garou pour cela, il ne fit rien de plus baisser les yeux et laisser son ressentiment se disséminer dans son odeur. Enfin, il allait pouvoir dormir à nouveau et oublier ses soucis actuels… Quoiqu'une pensée soudaine le traversa et il leva ses orbes ambrées vers le loup-garou qui s'était relevé et le fixait, comme s'il savait devoir s'attendre à quelque chose.

Stiles tenta sa chance.

- Tu peux toujours m'enlever mes gants, dit-il faiblement, sa voix rendue rauque par sa rare utilisation et sa fatigue lancinante.

Le loup-garou qui lui faisait face était jeune et donc, par définition, influençable. En fait, il avait l'air d'avoir son âge. Il avait donc, techniquement, davantage de chances de le convaincre de faire une connerie plutôt que son alpha, qui semblait vouloir lui faire recouvrer un peu d'énergie, sans doute pour pouvoir profiter de lui plus longtemps. Ils faisaient ça parfois, dans son ancienne meute… Quand ils n'étaient pas accrocs à cette énergie qu'il était capable de donner.

Alors un jeune loup-garou… Ce serait facile.

- Tu peux tester, je ne t'en voudrai pas.

Le bouclé se rapprocha, un peu. Oui, viens. Viens et finissons-en, le supplia mentalement Stiles, à bout. Il avait beau faire le fier, il avait réellement peur que cette situation dure. Il ne voulait pas terminer ses jours ainsi et mourir seulement lorsqu'on se serait un peu trop servi alors qu'il n'avait plus rien. Stiles voulait choisir de partir. Être libre de pouvoir s'en aller. C'était son seul moyen de se donner l'impression d'avoir encore un impact sur sa propre vie… Alors oui, il voulait se reposer, mais… S'il avait la chance de partir plus tôt, il comptait bien la saisir. Être lui… Ce n'était pas vivable.

Il vit le loup-garou s'installer au bord du lit et appréhenda la suite. Il était certain de pouvoir l'influencer, certain de pouvoir profiter de ce qu'il savait commun à la plupart des métamorphes : la curiosité et le pouvoir.

Mais le bouclé détourna son regard de lui un instant, avant de finalement le fixer d'un air à la fois sérieux et… Rieur ? Stiles cligna plusieurs fois des yeux. Il était vraiment fatigué pour s'imaginer des mélanges d'expressions aussi stupides.

- J'ai deux choses à te dire, Taciturne.

Stiles fronça les sourcils. En plus d'y voir flou, il avait l'impression de mal entendre.

- Taciturne ? Répéta-t-il d'un air idiot.

- Puisque je ne connais pas ton nom et que tu n'as pas l'air à être du genre à coopérer, tu ne m'en voudras pas de t'avoir trouvé ce petit surnom qui vient du peu que je sais de toi, expliqua tranquillement le loup-garou.

- Tu es extrêmement loin de la réalité, rétorqua le châtain en soupirant. Hyperactif me conviendrait mieux.

Stiles se cala un peu mieux et resta tourné vers le loup. Pour quelle raison ? Aucune idée. Il avait simplement l'impression qu'il aimait bien sa voix et que… Non, en fait, il était juste curieux et s'imaginait qu'en lui faisant plaisir et en participant à la conversation, le loup-garou se laisserait avoir.

Le bouclé hocha la tête et esquissa un petit sourire.

- D'accord, Hyperactif, reprit-il d'un air amusé. Moi, c'est Isaac et je tiens à te redire que je compte bien te prouver qu'ici, tu es en sécurité et que personne ne te fera rien.

Le châtain leva les yeux au ciel et ignora les appels incessants de son corps pour qu'il le laisse dormir. Ça, ce n'était pas demain la veille qu'il allait y croire.

- Deuxièmement, continua Isaac, je n'ai pas la moindre intention de t'utiliser et non, je ne testerai pas. Désolé de ne pas être assez con pour tomber dans ton piège, mais je ne compte pas faire semblant de te faire plaisir alors que ça pourrait causer ta perte.