- Et voilà ! Tu seras bien mieux ici que reclus dans cette chambre, grimaça Isaac en aidant le châtain à s'assoir sur le canapé.
Une longue journée était passée, et il avait encore trop peu d'énergie pour marcher seul. Il avait besoin d'un peu d'aide.
De son côté, Stiles haussa un sourcil, peu convaincu. La pièce à vivre de cette espèce d'appartement était gigantesque. Si on lui demandait son avis à lui, il dirait même que c'était un peu trop. A vrai dire, il n'était pas réellement fan des grands espaces de ce type. La chambre dans laquelle il se reposait autant que possible avait également une taille démesurée… Mais ça allait, parce que ça restait plus petit et fermé. Là, le salon était ouvert de tous les côtés et Stiles n'aimait pas la sensation que ça lui faisait. Il avait l'impression qu'on pouvait surgir de nulle part sans qu'il ne voie rien venir. Il détestait cette sensation, qui ne faisait qu'accentuer le sentiment d'insécurité qui l'habitait. Il baissa les yeux sur ses mains. Ses gants ne le quittaient pas. On ne les lui avait pas retirés. On s'y refusait. Isaac s'y refusait. Parce que l'alpha, Derek, il ne l'avait pas vraiment revu. Juste entraperçu. En fait, lors d'une des nombreuses visites d'Isaac – pourquoi s'acharnait-il à faire comme s'il voulait gagner son amitié ? –, la porte était ouverte, et Stiles avait vu l'homme passer dans le couloir. Dans tous les cas, il ne s'approchait pas de lui, pas vraiment. Et Stiles savait qu'on ne lui avait pas retiré ses gants dans son sommeil. Il l'aurait su. Parce que l'effet aurait été direct : Stiles serait bien plus épuisé qu'il ne l'était actuellement. On le laissait se reposer. Pour combien de temps ? Il n'en avait aucune idée, mais ce simple fait était dingue, à ses yeux. Car avec son ancienne meute, celle qu'il avait quittée en douce, cela n'arrivait jamais. On l'emmenait tout le temps, partout, pour l'avoir sous la main, se servir de son énergie quand on en avait envie. Stiles ne savait même pas comment il faisait pour être encore en vie après tout ce qu'on lui avait pris. On l'avait saigné jusqu'à la moelle… Et il était là. Vivant. Pour combien de temps ? Il savait que ça allait finir par déraper. Viendrait un moment où Derek se planterait devant lui et exigerait de lui une rétribution pour l'avoir gardé ici et laissé se reposer. Puisqu'il savait ce qu'il était… Il n'était pas difficile de deviner ce qu'il exigerait. Parce que c'était de cette façon que les choses marchaient, dans ce monde – en particulier avec les gens comme lui. Et Isaac ? Isaac finirait par céder à sa curiosité, Stiles en était sûr et certain. Le jeune homme ne lui semblait pas méchant, mais… Qu'était la gentillesse face à l'envie de découvrir, de savoir ? Aucun principe ne rivalisait pas. Il suffisait qu'Isaac doute, qu'il se demande ce que cela faisait. Qu'il se torture l'esprit… Jusqu'à, un jour, finalement choisir d'obtenir la réponse. Stiles le savait, il s'y était préparé. Il n'était pour l'instant pas capable de se dire que cela n'arriverait pas.
- Tu as faim ? Soif ? S'enquit Isaac.
Si Stiles s'écoutait, il lui demanderait, non sans être piquant, d'arrêter de faire le gentil, mais il se retint. Il en avait marre de dire ce genre de choses. Alors, il secoua simplement la tête. Parler non plus, il n'en avait pas envie. Tout ce dont il avait hâte, c'était de voir quand tout ceci allait se terminer. Quand on allait se jeter sur lui et cesser de faire semblant de le traiter avec égard.
Il ne baisserait pas sa garde tant que cela ne serait pas arrivé. Ensuite, il se laisserait aller. Et sombrerait, définitivement. Lutter, il n'en avait plus envie. Retomber sur une meute après avoir fui la sienne… Avait tout simplement brisé sa motivation à fuir. Stiles savait que sa vie serait courte. Pour autant, il avait tenu à s'éviter ce qui était, pour lui, la pire torture qu'on aurait pu lui imposer.
Et, par extension, il avait empêché une autre vie de vivre l'horreur de la sienne. Ça, c'était quelque chose qu'il n'aurait pas pu supporter. C'était pire que tout le reste.
Isaac, face à lui, se mordit la lèvre. Sans doute s'imaginait-il que Stiles lui mangerait dans la main à force de quelques gentillesses, mais il se trompait. Les belles gueules comme les siennes, il s'en méfiait encore plus que les alphas. Parce qu'un chef de meute, c'était prévisible, et ça voulait souvent la même chose : du pouvoir. Les bêtas comme cette gueule d'ange, c'était différent. Il n'y avait pas que la puissance qui les intéressait. La curiosité, l'envie de tester et dépasser bon nombre de limites… Ils étaient plus perfides, plus sadiques encore que des omegas. Stiles les différenciait très bien.
En tout cas, Isaac semblait à la fois embêté et déçu. Désolé pour toi, joli cœur. Car Stiles ne comptait le satisfaire d'aucune manière. Et même si le jeune homme aux cheveux bouclés lui avait dit qu'il ne tomberait pas dans son piège, l'hyperactif était persuadé que c'était ce qui finirait par arriver. Il les connaissait, ces gens-là. Ça faisait les gentils au début, puis ça montrait son vrai visage, son côté sombre. Tout le monde en avait un. Isaac aussi. Il allait céder. Oui, si Stiles le travaillait un peu au corps, il allait céder. Après tout, n'était-ce pas tentant de se laisser aller à profiter d'un pouvoir inconnu ? Dans son état, Stiles était physiquement manipulable à souhait, et il ne pouvait qu'en avoir conscience. Autant en jouer. Mais il fallait y aller doucement, pas à pas. Car si Stiles ne pouvait pas fuir, mourir, il le pourrait. Dans son état, il n'était pas capable d'aller attraper un couteau et n'était d'ailleurs pas certain qu'on le laisserait en approcher un. Après tout, le but était de le garder en vie pour qu'il serve le plus longtemps possible. La manipulation restait donc sa seule solution.
- Tu as besoin de reprendre des forces, finit par lâcher Isaac d'un air fatigué.
- Pour ce à quoi je sers, je t'assure que ce n'est pas nécessaire, ne put s'empêcher de rétorquer l'hyperactif.
Il n'avait pu s'empêcher de laisser le sarcasme, son meilleur ami après la solitude, surgir sans prévenir. C'était trop tentant. Et puis il savait qu'il ne risquait pas grand-chose, à parler de cette manière. Parce qu'il aurait Isaac à l'usure. Stiles était plus que conscient du fait que l'on avait usé de lui au point qu'il ne sache plus contrôler ce qu'il donnait. Alors, une fois le bouclé suffisamment titillé, il en profiterait. A son humble avis, la mort était bien plus enviable à cette vie de servitude perpétuelle, parce que la sienne était de se vider, sans arrêt.
Isaac soupira et Stiles ne cessa de le regarder. N'aie pas l'air aussi embêté alors que tu vas finir par céder, se dit-il. Comme s'il avait lu dans ses pensées, le bouclé lâcha d'un air irrité :
- Tu es au courant que je ne suis pas stupide ?
Il n'était pas agacé, pas vraiment. Disons qu'il voyait sans mal ce que le châtain cherchait à faire. Ce qui l'irritait un petit peu, c'était de voir qu'il continuait d'essayer même s'il lui avait dit qu'il ne lui ferait rien. En somme, le jeune homme ne le croyait pas et Isaac devait avouer que c'était foutrement compréhensible… Et ça l'était d'autant plus qu'il savait qu'il lui faudrait être très patient. Ça tombait bien : il s'agissait de l'une de ses plus grandes qualités.
Le châtain haussa les épaules dans un geste qui servait à essayer de masquer sa faiblesse toujours aussi plombante.
- Tu es un loup-garou, rétorqua-t-il, comme s'il s'agissait d'une réponse qui expliquait tout.
- Je ne suis pas un enfoiré, fit Isaac. On n'est pas tous pareils.
Not all men. Not all wolves. Le châtain esquissa un rictus sans joie. Il avait passé l'âge de croire les promesses des uns, les revendications des autres.
- Tu peux essayer de me convaincre autant que tu veux, je connais ton espèce mieux que tu ne la connais.
Il y avait tout de même quelque chose d'étrange avec Isaac. Il n'avait pas cette furie, cette folie furieuse dans le regard. Et même si Stiles faisait le fort tout en se sachant dans la position de faiblesse la plus claire qui soit, il trouvait le moyen d'être étrangement… A l'aise. Un peu. Il n'avait pas peur de parler, pas peur de risquer de se prendre des coups, et pas seulement parce qu'il en avait l'habitude. C'était comme s'il savait que ce bêta aux airs angéliques ne lèverait pas directement la main sur lui pour le faire taire. Toutefois, Stiles était parfaitement conscient du fait que les apparences avaient tendances à être trompeuses. C'était pour cette raison qu'il était convaincu d'une chose : si Isaac décidait de lui faire du mal, ce serait plus subtil, plus discret, plus insidieux.
Sans qu'il ne le voie venir, Isaac s'assit à côté de lui et eut l'air songeur.
- Je dois avouer que sur le coup, tu as raison.
Stiles haussa un sourcil, crispé par cette proximité soudaine et cette réponse quelque peu… Particulière. Il s'attendait à bien des réactions, mais pas celle-ci. Depuis le départ, Isaac n'arrêtait pas d'essayer de le contredire… Mais pas là. Tentait-il une nouvelle approche, une nouvelle stratégie dans le but d'essayer de le pousser à baisser sa garde ? Dans tous les cas, ce n'était pas une tentative comme celle-ci qui allait pousser Stiles à cesser de se méfier. Il ne voulait pas prendre le risque de faire confiance. Pas si c'était pour se voir trahi la seconde d'après. Et puis il se savait incapable de se fier à cette espèce qui ne le voyait que comme un outil. Stiles préférait ne compter que sur lui-même et s'activer à trouver le moyen le plus rapide d'en finir. Car en plus de ne plus avoir la force d'essayer fuir à nouveau, il savait qu'on mettrait tout en œuvre pour l'en empêcher. Et même s'il y arrivait… Avec la chance qu'il avait, il tomberait sur une autre meute. Encore.
Isaac tourna la tête vers lui et la pensée que son regard était étrangement doux ne quitta pas l'esprit de Stiles.
- Je ne suis pas un loup-garou depuis ma naissance, finit par lâcher le bouclé. J'ai été mordu il y a quelques années seulement, alors j'ai encore quelques lacunes concernant cette vie et… Les loups-garous, tout ça.
Légère pause.
- Alors oui, tu dois en savoir plus que moi sur le sujet, continua-t-il. Ça, je ne peux pas le nier. Pour autant, tout n'est pas tout noir ou tout blanc. Dans toutes les espèces, dans toutes les communautés, il y a des gens bons et des gens mauvais.
Stiles prit le temps de réfléchir… Mais cela ne changea rien. Il ne sut quoi répondre, pour la bonne et simple raison qu'il avait juste envie de dire qu'un loup-garou, c'était forcément mauvais. Et il en avait marre de se répéter – même si ce qui se répétait le plus actuellement, c'était ses pensées. Il n'en exprimait pas le quart. Et alors qu'il trouva finalement quelque chose à dire – il était fatigué, mais autant faire passer le temps –, il y eut cet homme. L'alpha. Il pointa le bout de son nez, pénétra dans l'énorme salon, un air tendu peint sur le visage. Stiles ne put s'empêcher de se crisper intensément. De baisser les yeux, aussi. Parce que c'était un alpha. Qu'il détestait les alphas. Qu'il en avait peur. Qu'il n'aimait pas le fait de savoir… De se savoir dans la même pièce que lui. Les rouages de son cerveau se mirent en marche. Son souffle, discret, se fit néanmoins plus court. D'un coup, son envie de retourner dans la chambre à l'étage s'accrut. Mais ici, ce n'était pas lui qui décidait. Qu'importe l'endroit, qu'importe le moment, ce n'était jamais lui, de toute façon. Devant Isaac, il faisait le fier, parce qu'il n'avait pas réellement peur de lui et qu'il savait qu'il réussirait à le piéger… Mais l'alpha ? L'alpha avait son destin en main. Les yeux baissés, Stiles ne vit pas la manière dont le regard de Derek se durcit. Il ne le vit pas non plus se tourner vers Isaac.
- Je dois m'en aller, fit-il d'un ton indéchiffrable.
Pause d'un instant.
- Le shérif m'a appelé, il a besoin de mon aide, ajouta-t-il.
- Il t'a dit pourquoi ? S'enquit Isaac, qui n'avait pas peur de dire quoi que ce soit devant Stiles.
Derek prit le temps de réfléchir avant de répondre. Il avait l'air embêté, selon Isaac qui avait l'habitude de le côtoyer. Stiles, de son côté, ne voyait pas ce qui clochait car il refusait de relever les yeux. Il était terrifié. Et si les deux loups le sentirent, ils décidèrent de ne pas relever ce fait pour le moment, histoire de ne pas le mettre plus mal à l'aise qu'il ne l'était déjà.
- Non, mais il n'était pas dans son état normal, alors il vaut mieux que je me dépêche. Ferme à clé derrière moi.
La précaution, que Stiles voyait davantage comme un moyen de pression contre sa personne, le fit plus frissonner qu'autre chose. Il était définitivement… En cage. Encore.
