« There is no romance in real grief. Only longing and fury. »
The Star-Touched Queen - Roshani Chokshi
« Il n'y a rien de romantique au véritable chagrin. Il n'y a rien qu'un désir mélancolique et de la fureur.»
The Star-Touched Queen - Roshani Chokshi
Chapitre 78 : Longing And Fury
« Papa ! » hurla Harry avec une panique palpable. « Protego ! »
Severus grogna et leva la tête vers le champ de bataille qu'était devenu son salon.
« Je n'ai rien ! » répondit-il. Rien si ce n'était la honte d'avoir trébuché sur le coin du tapis pour éviter le maléfice que Nymphadora venait de jeter. Il occluda prestement le sentiment d'humiliation, d'impuissance que faisait naître sa jambe douloureuse et ses mains tremblantes qui le ralentissaient perpétuellement.
Il n'aurait pas dû laisser la canne dans la chambre.
À sa décharge, quand il s'était réveillé seul, un mauvais pressentiment au creux du ventre parce que l'air était trop froid même pour les cachots, il n'avait pas imaginé ça. Il était parti à la recherche de Nymphadora en s'imaginant la trouver au salon ou à la cuisine en train de récupérer d'un cauchemar, pas à deux doigts d'ouvrir le coffret qui contenait l'horcruxe.
« Dora, arrête ! » ordonna son fils, couplant la supplique d'un stupefix.
Nymphadora ne retenait pas ses coups.
Elle ne paraissait même pas les entendre.
Était-ce la semi-pénombre ou bien ses yeux luisaient-ils d'un éclat rouge ?
Severus se remit debout, l'attaquant sans attendre parce que les boucliers d'Harry avaient beau être parfaits, elle était trop déterminée pour ne pas parvenir à les percer.
« Harry. Tenailles. » ordonna-t-il, en se déplaçant sur le côté.
L'adolescent suivit son ordre mais Nymphadora n'était pas un de leurs généraux pour rien. Cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas vue se battre en duel et elle avait encore progressé. Briser sa garde serait difficile, éviter tous ses maléfices était presque impossible.
« C'est l'horcruxe ! » s'exclama Harry.
Oui, cela semblait évident.
« Es-tu affecté ? » lança-t-il, entre deux sorts qu'elle para sans mal. L'un d'eux fut dévié vers une des étagères et fit éclater le dragon de jade qu'Albus lui avait ramené de Chine.
« Non, je ne crois pas ! » répondit son fils, en esquivant un jet d'eau bouillante qui aspergea une pile de livres qui attendaient d'être rangés dans le coin. « Et toi ? »
Ses livres. Une partie de Severus, une partie mineure et rapidement mise de côté, s'en indigna.
« A priori, non. » Il se plaça droit devant Nymphadora, cessant de retenir ses coups. Il ne voulait pas la blesser mais elle allait finir par blesser quelqu'un. Leurs sorts se fracassaient contre les murs, les meubles… Leurs boucliers brillaient trop forts entre eux… « Occlude ! » hurlait-il entre deux attaques. « Nymphadora, occlude ! »
Profitant de la distraction de l'Auror, Harry s'était glissé dans son dos jusqu'au coffre-fort resté ouvert et après avoir enroulé sa main dans le sweatshirt qu'elle avait abandonné sur un fauteuil et jamais rangé, s'empara du crochet de basilic.
« Non ! » cingla Severus, son regard se déplaçant rapidement du garçon à la femme qu'il aimait et qu'il ne voulait pas blesser plus que de raison.
« Si on le détruit, elle ne sera plus possédée ! » riposta le garçon, d'un ton buté, en se tournant vers le coffret…
Deux choses se produisirent simultanément.
Quelqu'un attaqua les protections qui entouraient leurs appartements. Quelqu'un dont l'empreinte magique était familière.
Bill.
Et Nymphadora se tourna brusquement vers Harry, le visage crispé de colère.
Ce qui quitta sa bouche fut une série de sifflements qu'il n'aurait pas pu interpréter s'il l'avait voulu.
Du Fourchelang.
Il n'eut pas le temps de s'en préoccuper. Les attaques de Bill étaient comme des coups de bélier dans le ventre. Aucune subtilité, tout dans la force. Il renforça les protections pour sceller leurs appartements, devinant que le Briseur-de-Sorts ne devait pas être en meilleur état que Nymphadora. Et si ce n'était pas le cas, si c'était une tentative de leur porter secours… Non, impossible. Ils auraient emmenés Sirius au lieu d'attaquer. Severus flancha et ne para pas à temps le maléfice qu'il l'envoya voler dans les airs. Il heurta le mur, retomba sur une table d'appoint qui s'effondra sous son poids et resta au sol.
Un peu assommé, il se contraignit pourtant à relever la tête à temps pour la voir lancer une batterie de sorts d'attaque sur Harry qui les bloqua et esquiva comme il le put, encombré de son crochet de basilic et visiblement déterminé à récupérer le coffret pour détruire la coupe.
Jamais.
Ils avaient besoin de cette coupe.
Passant sur les genoux, ignorant les multiples endroits où son corps le faisait souffrir tout autant que les attaques trop brutales de Bill, il lança un maléfice droit sur la jeune femme qui passa son bouclier et la fit hurler.
« Ne t'approche pas du coffret ! » gronda-t-il, pour son fils, tout en se remettant debout.
Dans la même seconde, Nymphadora s'écroula, sur ses genoux, les mains posées au sol, elle haletait pour contrer la douleur qui avait dû la heurter comme un coup de poignard.
Il se dégoûtait d'avoir utilisé ce sort sur elle, se dégoûtait de l'avoir blessée…
Mais si c'était ce qu'il fallait faire pour…
Elle leva soudain la tête avec une rapidité qui n'avait rien de naturelle, le regard braqué sur le crochet de basilic dans la main d'Harry.
Il sembla à Severus qu'elle luttait pour lever sa baguette.
Il n'avait aucune doute qu'elle devait lutter contre la chose qui s'était emparée d'elle…
Mais ce n'était pas assez.
Son expelliarmus la désarma.
Mais pas avant qu'elle lance un sectumsempra.
Harry se jeta sur le côté mais lâcha pourtant un cri de douleur. Le crochet de basilic glissa au sol jusqu'à finir sous un fauteuil et l'adolescent ne se releva pas.
« Harry ! » cria-t-elle, effroi, douleur et terreur mêlés.
Severus se précipitait déjà mais elle fut plus rapide que lui, forçant le garçon à se relever en position assise, ses mains passant et repassant sur son bras qui saignait abondamment…
Son visage était pâle, ses yeux avaient perdu leur reflet rougeâtre et ce fut la seule raison pour laquelle il ne lui jeta pas de stupefix. Ça et parce que de grosses larmes roulaient sur ses joues…
« Harry… Harry… » répéta-t-elle, en localisant finalement la plaie sur son bras et en exerçant une pression. « Harry… Severus ! Severus, je l'ai blessé ! Je… »
Elle sanglotait si fort qu'il était presque impossible de la comprendre.
Il s'agenouilla auprès d'eux, écarta ses mains pour étudier la plaie sur le bras de son fils… Ce n'était pas joli mais ça n'allait pas le tuer.
Pas comme Nymphadora si l'horcruxe reprenait le contrôle.
C'était un miracle qu'elle ne se soit pas mise à lancer des sorts de morts.
Ou peut-être pas un miracle…
Elle n'était pas portée sur les Impardonnables en règle générale et il semblait qu'avoir véritablement blessé Harry ait brisé, momentanément ou pas, l'emprise de la coupe…
Sans aucune douceur, il attrapa la nuque de la jeune femme et la força à tourner la tête vers lui.
« Legilimens. » gronda-t-il, mettant assez de force dans son sortilège pour que les boucliers mentaux qu'elle dressa instinctivement ne le stoppent pas. Ils le ralentirent mais il passa en force et elle ne semblait pas savoir si elle voulait lutter contre lui ou non.
Ses défenses étaient là, pourtant.
Elles devaient lui répondre parce qu'il sentait son esprit réagir au sien.
Saleté d'horcruxe…
Était-ce la pensée de Nymphadora ou la sienne ? Difficile à dire.
Il s'enfonça plus loin, passant sur certains souvenirs sans y prêter attention, cherchant, cherchant…
Là.
Une succession de flashs.
Gringotts.
La Cascade.
Le dragon.
Le coffre.
La coupe.
Le dragon.
Le wagon.
Le Chemin de Traverse.
Severus affuta un peu plus son esprit, en fit un fer de lance et replongea à nouveau dans cette succession de souvenirs, peut-être avec un peu trop de brutalité parce que, sur le plan physique, il la sentit qui agrippait son avant-bras, qui s'y accrochait…
Gringotts.
La Cascade.
Le dragon.
Le coffre.
La coupe.
Le dragon.
Non, non, non…
Il lutta pour arrêter le flot de souvenirs, pour revenir une nouvelle fois en arrière… C'était délicat de faire ça dans la tête de quelqu'un d'autre. Il était extrêmement familier de ses défenses mais, comme lui, elle avait un talent naturel pour cet art et, là où il aurait peut-être plus manipuler les défense d'un autre Legilimens, avec elle, il était limité.
Gringotts.
Le dragon.
Le coffre.
La coupe.
La coupe.
Il lutta pour rester sur ce fragment de souvenir.
Elle dut comprendre ce qu'il voulait faire parce que, soudain, il n'eut plus à se battre autant contre son esprit. Au contraire.
La coupe.
Il visionna le souvenir trois fois avant de repérer la fêlure.
Les quelques secondes qu'elle avait occultées.
Les quelques secondes où l'horcruxe avait planté ses crocs en elle.
Saloperie.
C'était définitivement la pensée de Nymphadora, cette fois, et s'il avait pu sourire, il l'aurait peut-être fait.
Une fois le souvenir identifié…
Il se retira légèrement, juste assez pour caresser sa conscience de la sienne, un avertissement et une excuse tout à la fois.
Puis il plongea plus loin dans son esprit, remontant le fil attaché à ces crocs, sachant que ça devait être extrêmement douloureux pour elle. Mais il devait…
Là.
La présence était discrète, dissimulée entre deux souvenirs anodins, presque indétectable.
Au final, il n'eut pas à faire quoi que ce soit.
À la seconde où Nymphadora repéra l'intrusion, elle tourna toutes ses défenses vers lui. L'horcruxe – ou le filament qui y était rattaché – tenta de se défendre mais elle était beaucoup trop furieuse et déterminé. Elle l'éjecta de sa tête.
Severus s'en assura en faisant plusieurs fois le tour de son esprit et en inspectant ses défenses comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps.
Lorsqu'il se retira, il était cent pour cent certain qu'elle était à nouveau elle-même.
Elle s'écroula à moitié sur lui, haletante, pleurant toujours…
La poigne qu'il avait sur sa nuque s'adoucit et s'il l'étreignit brièvement, il tourna rapidement son attention sur le garçon trop pâle qui attendait assis là d'un air anxieux, se tenant le bras.
« J'ai blessé Harry… » répéta-t-elle inlassablement, dans un murmure choqué, tout le temps qu'il lui fallut pour refermer la plaie. « J'ai blessé Harry… J'ai blessé Harry… J'ai… »
« Je vais bien. » tenta de la consoler maladroitement le garçon. « Dora, je vais bien, je te jure… »
Severus pinça les lèvres pour tenir sa langue. Aller bien était relatif. S'il ne s'était pas jeté sur le côté et avait pris le sortilège de face… Il occluda cette pensée terrifiante, comme il continua d'occluder la douleur des attaques de Bill sur les protections.
Il estimait qu'ils avaient encore deux minutes avant qu'il ne parvienne à les endommager sérieusement.
« Bill est également atteint. » lâcha-t-il. « Il tente d'entrer de force. » Nymphadora n'était pas en état de se battre, cela était clair. Il s'adressa donc à Harry. « Reste avec elle. Et pour l'amour de Merlin, ne touche pas à cette coupe. »
Parce qu'il ne faisait pas confiance à l'adolescent, il perdit de précieuses secondes à faire léviter le coffret dans le coffre-fort qu'il referma et verrouilla d'une nouvelle séquence magique. Celle-ci était similaire à ses protections habituelles mais ne s'effacerait pas pour Harry ou Nymphadora.
Boitant bas, tout le corps douloureux, il laissa la jeune femme sangloter sur l'épaule de son fils qu'elle serrait contre elle comme s'il avait été aux portes de la mort, et se dirigea vers la porte. S'il avait eu plus de temps, il serait sorti par le laboratoire, aurait pris Bill à revers…
Mais les protections étaient sur le point de céder morceau par morceau.
Il n'avait pas le temps.
Il se planta devant la porte d'entrée, prit une profonde inspiration et, dans le même temps, retira toute la magie qu'il avait utilisé pour renforcer ses protections et la projeta dans son sort.
Surpris, Bill n'eut pas le temps de se protéger de son sortilège de pétrification.
Il s'effondra dans le couloir, raide, les yeux ouverts, et Severus n'eut qu'à plonger son regard dans le sien. « Legilimens. »
Un mur de briques se dressa devant lui, haut, épais et impossible à franchir. Du moins, impossible à franchir pour quelqu'un d'autre.
Severus n'était pas Maître Legilimens pour rien.
Il ne s'embarrassa pas de subtilité dans ses attaques, il fit le tour de ses défenses, trouva un point faible et se lança dessus avec la même brutalité que le Briseur-de-Sorts avait mis à défoncer ses protections.
L'esprit de Nymphadora avait plus ou moins coopéré, celui de Bill était hostile.
Qu'importe.
Severus persévéra jusqu'à trouver ce qu'il voulait.
Gringotts.
Le directeur de la banque.
Le dragon.
Le coffre.
La coupe…
La même fêlure dans le souvenir que dans celui de Nymphadora, ces quelques secondes occultées où l'horcruxe avait saisi l'opportunité d'en faire ses jouets… Ils avaient été distraits tous les deux, inquiets de réussir leur mission et de sortir au plus vite… Aucun d'eux n'avait occludé comme il l'aurait fallu.
Il répéta la même opération qu'avec la jeune femme, localisa l'intrus caché entre deux souvenirs sans importance…
Bill paraissait déterminé à les éjecter tous les deux de sa tête mais Severus tint bon jusqu'à ce qu'il soit certain que toute trace du Seigneur des Ténèbres ait disparu avant de se laisser repousser. Il annula le sort de pétrification d'un geste mais garda sa baguette rivée sur Bill pendant que celui-ci s'asseyait, peinant visiblement à reprendre sa respiration.
« Putain… » lâcha l'ainé des Weasley, en se prenant la tête dans les mains.
« C'est le cas de le dire. » commenta-t-il. « Êtes-vous maître de vous-même ou dois-je vous immobiliser à nouveau ? »
Bill grimaça, se frotta le visage puis leva les yeux vers lui. « Les sortilèges que j'ai jeté sur le coffret… Ils ne sont pas complets. Je… Il m'a eu avant que je les lance. Je ne m'en suis pas rendu compte. »
« Fantastique. »siffla-t-il, pince-sans-rire.
Cela expliquait comment l'horcruxe avait pu les influencer alors qu'il n'aurait pas dû pouvoir le faire. Le coffret était censé contenir la magie noire.
Confus et penaud, Bill accepta la main que Severus lui tendit pour le tirer sur ses pieds et le suivit à l'intérieur. Il ne fit aucun commentaire sur l'état désastreux du salon où le mobilier cassé se disputait aux livres renversés.
L'ancien Mangemort et l'Auror n'avaient pas fait dans la dentelle lorsqu'ils s'étaient battus en duel.
Harry et Nymphadora étaient toujours assis par terre et, si elle semblait avoir cessé de pleurer et jeté un bouclier défensif sur eux deux, elle continuait de trembler et n'avait toujours pas lâché le garçon qui ne semblait pas savoir quoi faire d'autre que de lui rendre son étreinte.
« Harry ? » lança Severus.
L'adolescent secoua la tête, anticipant la question. « Je vais bien. Mais Dora… »
Le regard de la jeune femme trouva le sien, trouble de larmes et d'effroi. « J'ai blessé Harry. »
Oui.
Elle avait blessé Harry.
Elle l'avait forcé, lui, à la blesser à elle.
Et tout ça parce qu'elle et Bill n'avaient pas été fichus de…
Il occluda la colère qui n'aiderait personne.
« Harry va bien. » se contenta-t-il de répondre, sans y mettre le réconfort ou l'affection qu'elle attendait visiblement. Elle tressaillit et baissa la tête, faisant un effort pour contrôler ses larmes sans y parvenir. Il ignora le regard désapprobateur de son fils et ouvrit le coffre-fort, intimant d'un geste à Bill de ne pas s'aviser de s'approcher. « Lorsque l'on veut que les choses soient bien faites, autant les faire soi-même. »
Elle ne fut pas la seule à tressaillir, cette fois-ci.
« Sev. » siffla Harry, d'un ton plein de reproches. « Ce n'est pas leur faute. »
Sev et pas papa.
Il nota l'avertissement tacite, mit à profit les longues minutes nécessaires à jeter les sortilèges sur le coffret pour contenir la magie noire pour se calmer un peu, occluda ce qui lui restait de fureur…
La fureur, il en était conscient, venait surtout de la terreur qu'il venait d'éprouver.
Lorsqu'il verrouilla à nouveau le coffre-fort, après y avoir replacé le crochet de basilic, il se tourna vers eux et contempla le désastre. Au final, les dégâts matériels n'étaient pas importants. Quelques reparo et un peu de ménage suffirait à effacer les traces de ce qu'il venait de se passer.
Les conséquences sur eux tous, en revanche…
Bill s'était assis sur l'accoudoir du seul fauteuil encore debout et se frottait le visage, frissonnant dans l'air froid parce qu'il sortait visiblement du lit et n'avait pris la peine d'enfiler ni chaussettes ou chaussons, ni tee-shirt. Torse-nu dans les cachots, ce n'était jamais une bonne idée.
Nymphadora avait cessé de pleurer ou de serrer le garçon contre elle mais elle était toujours assise par terre et semblait incapable d'arracher son regard du sol.
Harry ne semblait pas savoir par où commencer pour les aider.
Severus, lui, ravala un soupir et s'approcha lentement de sa famille. S'accroupir fit hurler le muscle de sa mauvaise cuisse mais il occluda la douleur.
« Je suis désolée. » murmura-t-elle immédiatement, d'un ton qui ne pouvait être décrit autrement que comme une supplique. « Je suis désolée. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Je… J'ai blessé Harry. Je t'ai attaqué. Je… Je suis désolée… »
« Je sais. » promit-il, en dégageant les mèches brunes qui lui tombaient sur le visage. « Ce n'est pas ta faute. »
Elle secoua immédiatement la tête. « Il y avait une voix et… Je suis désolée, Severus… Je suis… »
« Tu es en état de choc. » l'interrompit-il. « Être possédé n'est jamais plaisant. » Il tourna les yeux vers son fils, l'inspecta à nouveau du regard simplement pour être certain… La plaie sur son bras était refermée, cependant, et n'avait pas été si profonde en premier lieu. Il soupçonnait que, consciemment ou non, elle n'avait pas jeté le maléfice avec toute sa force. « Va chercher une paire de chaussettes et un tee-shirt dans ma commode avant que Bill ne gèle sur place, s'il te plait. Et ma robe de chambre. »
Une fois qu'Harry fut parti, il s'employa à convaincre Bill et Nymphadora de quitter le salon dévasté pour la cuisine. Le Briseur-de-Sorts obéit sans protester mais la jeune femme…
« Je suis désolée. » murmura-t-elle encore, une fois qu'il fut parvenu à la remettre sur ses deux pieds. Il passa les bras autour d'elle, autant pour la réconforter que pour la réchauffer, et l'entraîna vers la cuisine. « Severus… »
« Ce n'était pas ta faute. » répéta-t-il.
« Mais j'ai blessé Harry… » insista-t-elle.
Il aurait préféré qu'elle cesse de le lui rappeler parce que ça rendait la colère dure à ignorer.
« Oui, et cela t'a donné la force de briser l'emprise qu'il avait sur toi. » répondit-il. « Ce n'est pas donné à tout le monde, tu sais. »
« J'ai froid. » lâcha-t-elle.
Il la força à enfiler la robe de chambre que ramena Harry et en noua lui-même la ceinture.
Il n'alla pas jusqu'à obliger Bill à enfiler les vêtements que lui tendit le garçon mais le Briseur-de-Sorts était plus docile qu'elle.
Une fois qu'il eut installé tout le monde à la table de la cuisine, il s'employa à préparer du chocolat chaud. Assez de chocolat chaud pour contrer l'effet de la magie noire.
Il fallut plus d'une demi-heure et deux tasses de cacao avant que Nymphadora et Bill ne retrouvent des couleurs.
La jeune femme avait collé sa chaise à celle de Severus. Sous la table, hors de vue, une de ses jambes était passée par-dessus la sienne et elle était plus ou moins appuyée contre son flanc. Il avait passé le bras autour d'elle pour la stabiliser.
Au moins avait-elle cessé de trembler…
« C'est ma faute. » lâcha Bill, au bout d'un long moment, brisant le silence presque paisible qui s'était installé. « Je connaissais les risques. J'aurais dû être plus prudent. »
« Ce n'est la faute de personne. » contra Harry, avant que Severus n'ait pu le faire. « Volde… »
« Harry ! » s'écrièrent-ils, Nymphadora et lui, avec un synchronisme parfait.
Le garçon ravala le reste du nom avec une irritation palpable pour le tabou. « Vous-savez-qui est un connard perfide et lâche. »
« Certes mais cela n'excuse pas ce langage. » déclara le Maître des Potions, avec un léger temps de retard.
Il se frotta le visage.
Au temps pour le repos qu'ils étaient supposés prendre.
« On devrait le détruire. » déclara Harry. « Tout de suite. »
« On en a besoin pour le rituel. » lui rappela Bill, d'un ton las.
« C'est trop dangereux ! » insista le garçon. « Si… »
« Harry, arrête. » le coupa Nymphadora, avec lassitude. « La décision est prise. On… »
« La décision est prise par vous. » cracha l'adolescent. « Sans me demander mon avis. »
« Nous n'allons pas te sacrifier. » siffla Severus, en tapant du plat de la main sur la table.
Le mouvement brusque ramena le silence.
Il déglutit, augmentant d'un cran ses boucliers pour maîtriser son élan de colère. « Nous allons suivre le plan et te sauver. »
Harry planta ses yeux verts dans les sien. Lui aussi occludait. Son regard était distant et le reflet des flammes qui entouraient son esprit y brillait.
« Dis-moi encore qu'il ne peut pas me posséder. » le défia son fils.
« C'est différent. » contra-t-il.
« Ce n'est pas parce que tu veux que ça soit différent que ça l'est. » riposta le garçon. « Et ça ne te ressemble pas de te voiler la face comme ça. »
L'adolescent effectua une sortie théâtrale.
Severus n'eut pas la force de le suivre, pas la force de tenter de le convaincre à nouveau qu'ils allaient réussir, pas la force de lui expliquer qu'il refusait d'entendre parler de sa mort…
Nymphadora laissa tomber la tête sur son épaule avec un léger soupir tout aussi fatigué que lui. Elle agita vaguement sa baguette dans les air et un paquet de Fondants du Chaudron s'envola du placard pour venir se poser sur la table. Elle croqua dans l'un deux avec lassitude.
Bill, à son tour, poussa un soupir puis tendit la main vers le paquet de gâteaux pour en prendre un. « Ce n'est pas le bon moment pour en parler mais il n'a pas tort. »
« Si. Il a tort. » cingla Severus, agacé que le Briseur-de-Sorts et la jeune femme échangent un regard, comme s'il n'était pas raisonnable.
Bien heureusement, aucun des deux ne chercha à insister.
De guerre lasse, il prit lui-même un Fondants bien qu'il les trouve trop sucrés. S'il en avait un stock dans ses placards, c'était uniquement parce que c'étaient les préférés de la jeune femme.
Sentant le regard un peu trop appuyé de Bill, il releva les yeux avec son expression la moins aimable. Il avait parfaitement conscience que Nymphadora était blottie contre lui et que c'était davantage de démonstrations d'affection qu'ils n'en faisaient généralement preuve en public.
« Qu'y a-t-il ? » lâcha-t-il, le défiant silencieusement de faire le moindre commentaire.
« Rien, rien… » répondit son ami, avant de faire une grimace. « Enfin, si… Vous avez quelque chose à me dire à propos de vous et de mon frère ? Non parce qu'il est à Charlie ce tee-shirt. C'est moi qui lui ai offert. Et c'est moi qui ai fait le trou, là, en jouant au Quidditch. »
Le Briseur-de-Sorts agita vaguement la main au niveau de son propre col.
Severus avait complètement oublié ce qu'il portait et baissa les yeux vers le tee-shirt rouge et bleu des Catapultes. Puis il reporta son attention vers la jeune femme, sourcils levés.
Sans sembler s'en formaliser, elle haussa les épaules. « Je suis kleptomane des vêtements. Si tu ne t'en es pas encore aperçu, je ne peux rien pour toi. »
Il y avait une tentative de plaisanterie là-dessous, une tentative de garder la conversation sur un terrain plus léger.
« Oh, j'avais remarqué… » rétorqua-t-il, en lui frottant distraitement le bras. Autant pour la réchauffer que pour la rassurer.
Cela ne dut pas avoir l'effet escompté parce qu'elle tourna la tête et la nicha dans son cou, sans se préoccuper de Bill qui détourna poliment le regard.
« Je suis vraiment désolée. » murmura-t-elle. « Et ne dis pas que ce n'est pas ma faute. Je sais que tu le penses mais je sais aussi que tu es furieux. »
Les épaules du Briseur-de-Sorts s'affaissèrent un peu, même s'il ne tourna pas le regard vers eux. « Moi aussi, je suis désolé. »
Severus se vit forcé de lever les yeux au ciel.
« Je suis furieux. » admit-il. « Pour tout un tas de raisons qui n'ont pas toutes à voir avec ce qui vient de se passer. Plus que furieux, en revanche, j'étais surtout inquiet. » En avouer autant lui coûtait mais il s'humecta les lèvres et soupira. « L'important est que, frayeur mise à part, nous sommes tous indemnes. »
Ce n'était pas si simple et leurs visages fermés le confirmaient.
Mais, pour l'instant, ils devraient s'en contenter.
°O°O°O°O°
Nymphadora était assise en tailleur au milieu du lit, la couette drapée autour d'elle comme un cocon, sans parvenir à se réchauffer tout à fait malgré les multiples sorts qu'elle avait lancés. Le froid demeurait, comme une morsure glacée au niveau de son cœur. Un froid qui n'était pas sans lui rappeler celui des Détraqueurs.
Severus sortit de la salle de bain, une serviette enroulée autour des reins, et l'observa avec une expression lisse qui masquait mal une certaine inquiétude.
« Peut-être serait-il préférable que tu n'assiste pas au rituel. » décréta-t-il.
Elle avait beau savoir qu'il disait ça en grande partie parce qu'il s'inquiétait de la voir aussi catatonique, elle n'ignorait pas non plus qu'il y avait également là-dessous une perte de confiance. C'était la première véritable mission capitale qu'il lui confiait et elle avait lamentablement échoué. Non seulement elle avait failli tout faire foirer mais, en plus, elle avait blessé Harry. Et Severus, vu les hématomes qui commençaient à fleurir sur son corps.
Tout ça parce qu'elle avait été trop faible.
Elle ne s'était pas aperçu que la coupe avait planté ses crochets en elle, pas plus qu'elle n'avait su lutter contre sa volonté.
Les larmes lui montèrent aux yeux et elle baissa la tête pour les dissimuler, disparaissant davantage dans son cocon. Elle avait assez pleuré. Cela ne l'aiderait pas à convaincre Severus que…
« Nymphadora… » soupira-t-il. « Ce n'est pas une punition ou un désaveu. Le contrecoup d'une telle magie… »
Elle déglutit péniblement.
« Je vais bien. » mentit-elle.
Le bruit qu'il émit en réponse était tout sauf amusé. « Tu viens d'être possédée par un horcruxe. Si tu allais bien, ce serait préoccupant. »
Elle se décida finalement à sortir le menton de la couette pour le trouver planté devant l'armoire à l'étudier. Il avait une chemise à la main mais paraissait avoir momentanément abandonné sa décision de s'habiller.
Ils s'observèrent en silence un long moment, puis, avec un nouveau soupir, il jeta la chemise sur la commode et vint s'asseoir sur le bord du lit à côté d'elle. Probablement parce que, sans même avoir à recourir à la Legilimencie, il avait lu tout ce qui la hantait dans ses yeux.
Son nez était un peu enflé.
Parce qu'elle lui avait donné un coup de tête.
Il y avait plusieurs égratignures superficielles qui se mêlaient aux cicatrices plus anciennes et quelques bleus fleurissaient ici et là, recouverts d'une couche préventive de baume. Au moins, avait-il pris le temps de se soigner… Ce n'était pas toujours pris pour acquis.
Elle avait fait tout ça.
C'était à cause d'elle s'il était blessé.
Et Harry…
Elle avait…
« Mon amour. »
Le surnom la tira de cette spirale de dégoût plus efficacement que son prénom ne l'aurait fait, même s'il n'avait pas tout à fait l'affection habituelle. Il était toujours énervé bien qu'il prétende le contraire. Toujours furieux.
Après elle, sans doute, quoi qu'il en dise.
Et c'était mérité parce que…
Sa main glissa sur sa joue, la forçant d'une gentille poussée du pouce sur le menton à le regarder en face au lieu de rebaisser les yeux de honte. C'était dur d'affronter les yeux sombres qui la fixaient. Plus tôt, lorsqu'il avait envahi son esprit pour chasser la noirceur qui s'y cachait…
« Bill est un Briseur-de-Sorts accompli. » lui rappela-t-il. « Et il s'est laissé également prendre au piège. Les horcruxes ne sont pas comme un artéfact de magie noire classique. Ils sont vivants. Ils sont sournois. »
« Je savais tout ça. » murmura-t-elle, cillant pour chasser les larmes. « Tu as insisté et insisté… »
« Bill aussi savait tout ça. » réitéra-t-il. « Et il a plus d'expérience que toi avec ce genre de magie. Je le blâmerai lui avant de te blâmer toi. »
Son pouce retraça la ligne de sa pommette.
Elle s'humecta les lèvres et osa sortir une main de sous la couette pour effleurer une des égratignures qu'il n'avait pas pris la peine de refermer. « Je t'ai fait mal. »
Il pinça un peu les lèvres et ses sourcils se froncèrent très légèrement, trahissant beaucoup malgré l'Occlumencie. « Je suis plus contrarié d'avoir dû te blesser, moi. »
Ce fut son tour de froncer les sourcils puis elle se souvint du maléfice qui l'avait touchée juste avant qu'elle n'attaque Harry et qui l'avait laissée à genoux, le souffle coupé de douleur. Ce n'était qu'une vague impression. Ces moments étaient flous. Elle avait perdu des secondes entières. Son corps avait réagi par réflexe, rendant coup pour coup, mais son esprit…
Sa main quitta sa joue pour glisser sous la couette et trouver ses côtes, pile là où le maléfice l'avait heurtée et lui avait fait l'effet d'un coup de poignard.
« Tu n'avais pas le choix. » murmura-t-elle. « Tu devais m'arrêter. »
« Je sais. » lâcha-t-il. « Cela ne rend pas la chose plus facile à accepter. »
« Tu es en colère. » réitéra-t-elle, un peu faiblement. Elle le lui avait déjà fait remarquer plus tôt et, devant Bill, il avait un peu botté en touche mais…
« Je ne suis pas en colère après toi. » insista-t-il.
Elle ne savait pas si elle devait le croire.
Elle savait, en revanche, que tout était de sa faute et…
« Peut-être que Remus a raison. » avoua-t-elle, la voix nouée. « Peut-être que je me vois plus forte que je ne suis et… »
« Aucune affirmation commençant par Remus a raison n'est recevable dans cette maison. » la coupa-t-il. « Et laisse donc cet abruti là où il est. Un horcruxe le manipulerait à sa guise et le transformerait en un plus gros monstre qu'il ne l'est déjà. Il serait incapable d'y résister. »
« Moi non plus. » contra-t-elle. « Si tu ne m'avais pas sauvée… »
« Tu avais brisé son emprise avant que je ne t'en débarrasse. » l'interrompit-il. « Et tu as fait le gros du travail. » Ses yeux noirs se firent un peu plus perçants. « Tout ce que tu ressens à cet instant, c'est le contrecoup de l'horcruxe. Il amplifie tes émotions négatives, tes doutes, tes craintes…. Te rappelles-tu la dernière fois où j'ai dû en affronter un? Et, encore, il n'était pas entré dans mon esprit comme celui-ci l'a fait avec toi. »
Sa main glissa sur ses côtes jusqu'au creux de son dos et il l'attira à lui. Elle se laissa faire sans protester, s'installant sur ses genoux et se recroquevillant contre son torse. Elle n'abandonna pas la couette mais elle la drapa autour d'eux deux, à la place, trouvant plus de réconfort dans la chaleur de son corps que dans le duvet.
C'était la seule chose qui lui faisait du bien et chassait momentanément le froid cuisant: ses bras autour d'elle, la certitude qu'il n'allait pas la rejeter parce qu'elle avait été trop faible pour…
« Cela va passer. » promit-il. « Ce n'est pas agréable mais cela va passer. » Il appuya légèrement la tête contre la sienne. « Et ce n'est pas de ton fait, Nymphadora. Tu as fait du mieux que tu as pu et tu ramené la coupe. Tu n'es ni Maîtresse Occlumens, ni experte en magie noire. D'autres que toi ne s'y seraient même pas risqués. C'est la raison pour laquelle j'insistais pour venir. J'ai plus d'expérience avec ce genre de choses. J'aurais dû être là. »
Il y avait tout un tas de non-dits dans cette phrase qui ne la concernaient pas directement. Elle avait remarqué qu'il était de plus en plus frustré dernièrement. Il avait accepté sa jambe et les tremblements de ses mains mais sa magie un peu aléatoire était le coup de grâce d'une accumulation d'insécurité.
Elle ne savait pas comment attaquer ce problème, toutefois, et elle avait trop froid à l'intérieur pour…
« J'ai l'impression de t'avoir déçue. » admit-elle, incapable de retenir les larmes ce coup-ci. Elle les ravala vite mais quelques unes lui échappèrent et roulèrent sur l'épaule nue de Severus. « J'ai l'impression de t'avoir laissé tomber. D'avoir laissé tomber Harry. »
« L'horcruxe joue avec tes insécurités. » répondit-il. « Tu ne m'as pas déçu. Tu ne pourras jamais me décevoir. Et tu n'as certainement pas laissé tomber Harry. Harry t'adore. » Il soupira. « Nymphadora, je ne veux pas que tu viennes. »
Ce n'était plus une suggestion mais un ordre qui la cueillit au creux de l'estomac comme un coup de poing.
C'était un désaveu et…
« Pas parce que je n'ai plus confiance en toi. » murmura-t-il, glissant une main sur son cou. « La dernière fois… Tu n'es pas en état. Tu ferais une cible de choix. Si je pouvais me passer de lui, j'ordonnerai la même chose à Bill. »
« Mais tu peux te passer de moi. » cracha-t-elle, avant d'y penser à deux fois. Une pointe de colère chagrinée perça dans sa voix.
Il y eut un silence puis il s'humecta les lèvres et appuya son menton sur le haut de sa tête.
« Pour ceci, oui. » répondit-il honnêtement. « Pour le reste de ma vie, non. Raison pour laquelle, je préférerais que tu restes ici. »
Elle se détendit légèrement.
« De plus, cela donnera une raison à Harry de rester également. » ajouta-t-il, après une légère hésitation. « Et cela m'arrange. »
Parce que le garçon était déterminé à détruire cet horcruxe avant qu'il ne puisse causer de problèmes.
« Harry ne restera pas. » murmura-t-elle.
« Il finira probablement par te fausser compagnie d'une manière ou d'une autre. » confirma Severus. « Mais tout ce dont j'ai besoin, c'est de temps. Gagnes-en autant que tu pourras. »
Elle leva le visage vers lui, répondit au baiser qu'il déposa sur ses lèvres et le laissa se lever pour s'habiller. Ses boucliers mentaux étaient au maximum alors qu'il enfilait ses vêtements, sa concentration déjà maximale.
Elle tenta de se replier derrière les siens, elle aussi, de maîtriser ces émotions désagréables qui ne voulaient pas disparaître, mais elles étaient tenaces. Et elle était fatiguée. L'horcruxe avait beau agir avec dextérité, son cerveau lui faisait l'effet d'être passé au rouleau-compresseur.
« Devons-nous discuter du fait que je m'apprête à pratiquer de la magie noire à haut niveau ? » lâcha-t-il, en enfilant ses lourdes robes.
Devaient-ils en discuter ?
Cela avait toujours été entendu. La dernière fois qu'il avait détruit un horcruxe, il lui avait déjà affirmé qu'il devrait probablement répéter la chose. Et depuis qu'elle était au courant…
Elle n'aimait pas l'idée qu'il y touche.
Pas à ce niveau.
Pas avec son passif.
Néanmoins…
« On n'a pas le choix. » répondit-elle.
C'était une mauvaise réponse.
C'était une justification.
Et les justifications étaient le premier pas vers l'addiction.
« Deux fois. » promit-il, d'un ton trop neutre à cause de l'Occlumencie. « Une fois aujourd'hui, une autre pour libérer Harry et je n'y toucherai plus jamais. Pas comme ça. »
« Je sais. » affirma-t-elle, avec plus d'assurance qu'elle n'en éprouvait.
« Je ne retomberai pas là-dedans. » répéta-t-il.
Elle ne savait pas lequel d'eux deux il cherchait à convaincre.
« Je sais. » déclara-t-elle une nouvelle fois.
Il observait son reflet dans le miroir sur pied qu'elle avait ramené dans la chambre, chose qu'il faisait rarement. Il hocha la tête solennellement, comme s'il se faisait une promesse à lui-même, puis il se détourna et croisa son regard. « Cela va fonctionner. »
Cette fois-ci, elle fut incapable de sortir une platitude.
L'éclat désespéré dans les yeux noirs l'inquiétait.
Parce que si cela ne fonctionnait pas…
Severus était très près d'arriver à bout.
Peut-être ne le voyait-il pas ou ne voulait-il pas le voir, peut-être le cachait-il très bien au reste du monde, mais, pour Nymphadora, c'était évident.
Depuis la bataille, il n'avait rien lâché.
Il était sorti du coma et avait pris le poste qui lui avait été attribué sans broncher, il n'avait pas pris le temps de s'arrêter pour pleurer les morts bien qu'elle sache pertinemment que celle de Flitwick l'avait affecté davantage qu'il ne voulait l'admettre, il n'avait pas vraiment affronté ce qui lui était arrivé, ou du moins, avait préféré le mettre de côté rapidement et il tenait sur trop peu de sommeil et beaucoup trop d'angoisse.
On ne pouvait pas vivre perpétuellement sur le fil du rasoir.
Pas sans se couper.
« Je serai là quand ce sera fini. » promit-elle.
C'était le seul serment qu'elle pouvait faire.
Le seul qui aurait du sens.
Et il ne devait pas avoir beaucoup de poids alors qu'elle frissonnait sous sa couette, l'air pitoyable dans son pyjama emprunté.
Il força un demi-sourire qui n'atteignit pas son regard trop dur et quitta la chambre, sans refermer correctement la porte. Elle l'entendit parler avec Harry dans le salon, écouta les protestations agacée de l'adolescent alors qu'il lui demandait de rester en arrière pour veiller sur elle…
Elle ne se traîna hors de la pièce, toujours enroulée dans sa couette, qu'une fois qu'elle eut entendu la cheminée s'engager. Harry était assis sur un des fauteuils et boudait ostensiblement.
Nymphadora se laissa tomber sur le canapé, en faisant attention de ne pas déranger le chat qui y ronflait et avec qui elle entretenait des rapports conflictuels.
« On aurait dû le détruire tant qu'on le pouvait. » lâcha Harry, au bout d'un long moment de silence. « Et tu le sais. »
« Le rituel… » contra-t-elle.
« Le rituel met tout le monde en danger. » cracha-t-il. « Papa, Sirius, Bill, Dumbledore… Sans parler du reste de la communauté magique. Vous êtes censé être les dirigeants du pays, vous êtes censé prendre les décisions difficiles. Tout risquer pour une vie, ça n'a aucun sens. »
Pour la première fois depuis que l'horcruxe s'était emparé d'elle, elle se sentit un peu plus calme.
Parce que le garçon n'avait pas tort sur un plan rationnel.
Mais ils n'étaient pas rationnels lorsqu'il était question de lui.
« Ça en a si c'est la tienne. » rétorqua-t-elle.
Harry leva les yeux au ciel. « Je n'ai rien de spécial. À part la bombe à retardement dans ma tête. »
« Tu es spécial parce qu'on t'aime. » cingla-t-elle, plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu. « Et on fera tout ce qu'on peut pour te sauver. »
Un mélange compliqué d'émotions se succédèrent sur son visage avant qu'il ne redevienne lisse.
Si Severus avait réussi à enseigner une seule chose à ce gosse, c'était l'Occlumencie.
°O°O°O°O°
Sirius se tenait en retrait, observant d'un œil Bill et Severus tracer les runes sur la pierre à l'aide du sang qu'il avait volé juste avant l'aube.
« Je ne comprends pas comment ça a pu se passer. » marmonna-t-il, pour le Directeur qui se tenait à côté de lui, l'air grave. « La dernière fois, le médaillon n'a pas été actif jusqu'à ce qu'Harry ne l'ouvre. »
« Peut-être la coupe est-elle différente. » supposa Dumbledore, les lèvres pincées. « Contrairement au médaillon, peut-être n'a-t-elle pas besoin d'être… ouverte. »
Le vieux sorcier n'avait pas plus apprécié le récit de la nuit mouvementée dans les cachots que Sirius. Tous les deux auraient préféré être mis au courant immédiatement et pas des heures après les faits. Severus avait beau juré que la situation était sous contrôle…
Sirius n'avait raté ni la manière dont il s'appuyait lourdement sur sa canne, ni la couleur violacée de son nez.
Quant à l'absence de Tonks, elle parlait d'elle-même.
Il en aurait fallu beaucoup pour la convaincre de ne pas participer et l'excuse du Maître des Potions selon laquelle elle distrayait un Harry récalcitrant ne tenait pas tout à fait la route.
Rien de ce qu'il avait sous les yeux ne tenait la route.
Bill était taiseux, un peu trop hanté, un peu trop nerveux…
Quant à Severus…
« Sirius. » hésita le Directeur avant d'écarter d'un geste un des pans de ses sur-robes outrageusement colorées. Comment il était parvenu à y dissimuler l'épée sans inconfort, l'Animagus l'ignorait, mais, avant de comprendre ce qu'il avait sous les yeux, il s'était retrouvé avec une épée entre les mains.
Le nom de Godric Gryffondor était gravé sur la lame qui brillait à la lumière tremblantes des torches comme si elle venait d'être fraîchement astiquée.
« Albus. » gronda Severus, en interrompant momentanément ses gestes.
« La lame est imbibée de venin de basilic depuis qu'Harry s'en est servie pour tuer celui-ci. » déclara calmement Dumbledore, en désignant d'un geste l'énorme cadavre de serpent que Sirius aurait vraiment préféré qu'il fasse disparaître s'ils devaient continuer d'utiliser la Chambre régulièrement. La charogne empestait. « Cela sera plus pratique que les crochets. »
L'épée de Godric Gryffondor…
Par réflexe, Sirius la fit tourner une fois entre ses doigts, en testant le poids et l'équilibre…
La légende disait que seul un véritable Gryffondor pouvait la trouver ou la manipuler…
Pour lui qui venait d'une lignée de Serpentard et avait souvent dû prouver qu'il était bien un lion…
« Nous ne détruisons pas l'horcruxe. » cracha Severus, avec hostilité. « Si le rituel échoue… »
« Si le rituel échoue, nous ferons notre maximum pour préserver la coupe. » décréta le Directeur, d'un ton plus sévère que celui de son bras droit. « Néanmoins, nous ne mettrons aucun de nous en danger pour ce faire. Il s'agissait peut-être de la première expérience de Nymphadora avec ce genre de magie mais Bill en est nettement plus familier. Que la coupe ait réussi à le tromper tend à prouver qu'elle est retorse. Je ne prendrais aucun risque avec la sécurité des personnes présentes dans cette pièce. »
« Oh, mais avec la vie de mon fils, cela ne vous gêne pas ? » siffla Severus, en le foudroyant du regard.
« On se calme. » intervint Sirius, en passant l'épée à sa ceinture, attentif à ne pas se couper avec. Cela aurait été embarrassant. « Il a raison, Servilus, c'est plus pratique que les crochets. »
« Personne ne détruit cet horcruxe avant que nous ayons réussi. » insista froidement l'ancien Mangemort, en croisant leurs regards tour à tour. « Si cela doit prendre dix essais, cela prendra dix essais. Et si l'un de nous doit être blessé, alors nous serons blessés. Est-ce clair ? »
La question était trop ridicule pour appeler à une réponse.
Bill continua à peindre ses runes.
Sirius échangea un bref coup d'œil avec Dumbledore et força un sourire. « On est tous dans le même camps, Severus. »
Sauf que, à l'instant, il avait davantage l'impression d'être dans le camp du Directeur que dans celui de son meilleur ami et c'était dérangeant.
Ce fut la raison pour laquelle, lorsque Bill et Dumbledore terminaient d'installer les bougies rouges et noires et le trophée qui servirait de nouveau réceptacle, il approcha de Severus qui inspectait pour la dixième fois les deux cercles de runes reliés par un pont d'autres runes. Le sang commençait déjà à coaguler et ils devaient se presser.
« Tout va bien ? » demanda-t-il, à voix basse.
Il n'y avait pas vraiment de moyen d'avoir une conversation privée dans cette chambre caverneuse où les voix portaient, alors que deux autres personnes se tenaient à moins de dix mètres. Bill et Dumbledore étant polis, toutefois, ils firent mine de ne rien entendre.
« Tout ira bien une fois que nous aurons réussi. » rétorqua Severus.
Lorsque Sirius tenta de lui attraper le bras, l'homme se dégagea violemment et se tourna vers lui avec une agressivité dont il n'avait pas fait preuve envers lui depuis un bon moment.
Il leva les deux mains devant lui en signe de paix, incapable de réfréner un soupçon d'irritation qui mourut pourtant lorsqu'il détailla les cernes qui s'étalaient sous les yeux de son ami, sans parler de la manière dont il s'appuyait sur la canne.
Les derniers jours n'avaient pas été simples pour lui et Sirius ne l'ignorait pas.
C'était avec lui que Severus s'entraînait tous les matins, c'était lui qui essuyait le gros de sa frustration lors de leurs duels… Avoir été mis aussi complètement sur la touche pour l'Opération Niffleur avait attenté à sa fierté et fait ressortir des frustrations que le Maître des Potions éprouvait depuis un moment. Sans parler d'Harry dont l'état mental ne s'améliorait pas franchement et de l'angoisse de perdre la femme qu'il aimait qu'il avait très mal caché durant toute la durée du cambriolage la veille.
Plus que quiconque, Sirius savait à quel point il était important qu'ils réussissent.
« Je vais te poser deux questions. » lâcha-t-il, baissant encore la voix jusqu'au murmure. « Et j'ai besoin que tu me répondes franchement. » Severus pinça les lèvres mais acquiesça d'un geste sec du menton alors il prit une profonde inspiration. « Est-ce que tu es sûr que tu n'es pas, toi aussi, sous l'influence de la coupe ? »
Le Maître des Potions leva immédiatement les yeux au ciel. « Certain. »
D'un certain côté, il aurait préféré qu'il le soit parce que ça aurait au moins expliqué son comportement.
Sirius ne se souvenait que trop bien de lorsqu'il l'avait trouvé recroquevillé dans un coin de son laboratoire, après qu'il ait perdu le plein usage de ses mains.
Il avait la sensation désagréable qu'ils n'étaient pas loin de voir la chose se répéter.
Pire, il était suffisamment fatigué et désespéré lui-même pour l'imiter.
« Deuxième question. » grimaça-t-il. « Tu es sûr que tu es en état de faire de la magie noire ? Parce que… Ne le prends pas mal mais… »
« Je ne suis pas encore entièrement inutile. » le coupa Severus.
« Est-ce que tu es sûr de parvenir à maîtriser tes pouvoirs ? » insista-t-il.
L'ancien espion avait fait des progrès mais il lui arrivait encore, parfois, de perdre le contrôle, de jeter un sort plus fort qu'il ne l'aurait voulu.
« Plus j'y mettrais de puissance, mieux ce sera. » décréta son ami. « Surtout avec Albus en face. »
Ce n'était pas exactement rassurant.
Ou ce que Sirius avait voulu entendre.
« Nous sommes prêts. » déclara Dumbledore. « Il vaudrait mieux commencer tant que le sang est encore relativement frais. »
Severus lui répondit d'un hochement de tête et alla se mettre en place mais pas sans serrer brièvement l'épaule de Sirius, après un bref moment d'hésitation.
« Ne le détruis pas. » ordonna l'homme, tout bas. « Quoi qu'il se passe, remets-le dans le coffret, ne le détruis pas. »
Sirius alla prendre place d'un côté du cercle, laissant à Bill le soin de se placer de l'autre.
Le Briseur-de-Sorts avait un crochet de basilic à la main.
Sirius sortit l'épée de sa ceinture…
Severus accrocha le regard de Dumbledore et, sans se consulter, avec un synchronisme saisissant, ils se mire tous les deux à entonner le sort.
Sirius n'avait jamais été sensible à la magie mais il sentit précisément le moment où l'horcruxe cessa d'être inerte.
Les runes s'illuminèrent d'un coup et il déglutit, un mauvais pressentiment au creux du ventre.
La coupe se mit à tourner sur elle-même, lentement d'abord puis plus vite.
Il savait ce qui allait suivre.
Et, de fait, la voix sifflante de Lord Voldemort résonna dans la Chambre.
°O°O°O°O°
Tonks se sentait un peu mieux, sans le sens où elle n'avait pas plus envie de fondre en larmes toutes les deux minutes. Le froid intérieur était plus difficile à dissiper.
Elle revint au salon, une tasse de thé fumante dans chaque main, décidée à gagner la partie de cartes à laquelle elle avait forcé Harry à participer…
Et se retrouva dans une pièce vide, à l'exception de Paillette qui tentait toujours de sortir l'Ordre de Merlin de Severus de sa prison de verre.
« Harry ? » appela-t-elle, sachant d'avance qu'elle ne le trouverait ni dans sa chambre, ni dans sa salle de bain.
Par acquis de conscience, elle posa les tasses sur la table basse et fouilla les appartements avant de pousser un juron.
L'espace d'un instant, elle songea à partir à sa poursuite mais, outre le fait qu'elle doutait que ce soit une bonne idée d'interrompre un rituel de magie noire, même en cas d'urgence… Severus n'avait pas tort. Elle ne pouvait pas garantir qu'elle résisterait à l'horcruxe si elle s'y exposait.
Un nouveau juron et claqua la langue avec irritation. « Kreattur ! »
L'elfe apparut après quelques secondes et s'inclina. « Maîtresse ? »
« Ramène-moi Harry par la peau des fesses, tu veux ? » ordonna-t-elle. Le vieil elfe leva les sourcils et elle grimaça. « Pas littéralement de préférence. »
Si elle n'avait pas su la chose impossible, elle aurait juré que Kreattur avait ébauché un sourire amusé. Il s'inclina à nouveau. « Oui, Maîtresse Nymphadora. »
L'elfe disparut dans un craquement.
Elle espérait simplement qu'il retrouve l'adolescent avant qu'il ait pu débarquer en fanfare en plein rituel dans le but certain de détruire l'horcruxe.
°O°O°O°O°
Albus ne cessa pas de psalmodier même lorsqu'il sentit toute la noirceur de l'horcruxe se déployer dans la Chambre. L'odeur de la magie noire lui emplissait le nez, son goût lui grattait le fond de la gorge, plus familier qu'il ne l'aurait admit. Il garda les yeux rivés à ceux de Severus, garda sa concentration entièrement sur le rituel, focalisa ses émotions négatives dans le flot de puissance parce que c'était ce que ce type de magie exigeait, ce dont elle se nourrissait…
Ses doutes, il les avait enfermés dans le fond de son esprit.
Le travail que Bill Weasley, Sirius et Severus avaient accompli était impressionnant. La théorie était intéressante.
Il n'était toujours pas persuadé que la pratique fonctionnerait.
Pourtant, il avait promis à Severus d'essayer et il était déterminé à tenir sa promesse.
Car, après tout, il avait beau avoir sa propre théorie sur le sujet, s'il existait un moyen de séparer définitivement l'horcruxe d'Harry…
Les runes sanglantes s'illuminèrent tout à coup, nimbant la Chambre d'une lueur surnaturelle. La coupe se mit à tourner sur elle-même sous l'effet du tourbillon de magie que lui et Severus créaient… Il sentait la magie du Maître des Potions se mêler à la sienne, enfler lentement mais sûrement…
Il y avait une raison, une raison secrète mais pas si surprenante, pour laquelle il se tenait très loin de ce genre de magie depuis la fin de son adolescence. La magie noire grisait, corrompait, séduisait…
Et Albus y était beaucoup plus sensible que ce qu'on aurait pu en penser.
À son doigt, l'anneau marqué du symbole des reliques, du symbole de Gellert, pesait lourd.
« Tue-les. »
L'ordre claqua, cinglant, de la voix sifflante de Tom Jedusor.
Il ne se laissa pas déconcentrer.
Pas même lorsque Bill lâcha un grognement de douleur. « Vous ne me contrôlez pas. »
La voix enfla alors que le trophée se mettait à fumer, un peu plus forte, un peu plus paniquée… « Tue-les ! »
Le trophée s'était mis à tournoyer lui-aussi, se soulevant légèrement dans les airs sous l'effet de la bourrasque magique que Severus et lui générait.
C'était en train de fonctionner.
C'était miraculeux mais cela était en train de…
Bill tomba à genoux, s'agrippant la tête entre les bras, et se mit à hurler comme un dément.
« Bill ! » s'écria Sirius, en faisant un pas en avant. L'ancien fugitif s'arrêta là, cependant, pas assez idiot pour traverser un cercle de runes en plein milieu d'un rituel de magie noire.
« Tue-les ! » réitéra la voix de Lord Voldemort, alors même que Severus d'un geste déterminé projetait davantage encore de puissance dans son incantation.
Albus en fit de même, ne cherchant plus à moduler sa puissance.
L'âme de Voldemort se matérialisa sous la forme d'un amas noir qui glissait de la coupe au trophée… Et luttait, luttait pour s'accrocher à son vaisseau…
Un par un, les filaments qui l'y rattachaient se rompaient…
Ils allaient y arriver.
Ils allaient y arriver…
Ou, du moins, ils auraient pu y arriver si Bill n'avait pas choisi ce moment là pour se relever et, le visage impassible, jeter un sort de mort sur Severus.
°O°O°O°O°
Harry courrait le long des tunnels, se maudissant pour avoir choisi d'utiliser le laboratoire de Serpentard, plutôt que les toilettes de Mimi Geignarde. Sur le moment, cela lui avait parut plus simple de rester dans les cachots mais c'était aussi plus long et…
Les sons portaient dans ces tunnels, ricochaient sur les parois, se distordaient…
Quelques minutes plus tôt, tout n'avait été qu'incantations et, à présent…
Les cris.
Et Harry était perdu.
Comme un idiot, il s'était…
Le craquement retentit, un plus tardif que ce à quoi il ne s'était attendu.
« Maîtresse Nymphadora a ordonné à Kreattur de ramener le jeune maître à la maison. » déclara le vieil elfe, le visage pincé. « Ce n'est pas gentil de désobéir à ses parents, Maître Harry, pas gentil du tout. »
Kreattur tendit la main vers lui, probablement pour le forcer à transplaner avec lui…
Il esquiva. « Annule cet ordre. » L'elfe se figea, l'observant attentivement, comme si la situation ne lui plaisait pas. « J'ai précédence, hein ? Mes ordres surpassent les siens ? »
« Maître Harry est l'héritier de la noble et ancienne nouvelle génération de la Maison Black. » confirma Kreattur, avant de croiser les bras avec désapprobation. « Mais Maîtresse Nymphadora est inquiète pour le jeune maître. »
« Je sais. » admit-il, avec une pointe de culpabilité. « Mais c'est pour Severus qu'elle devrait s'inquiéter. J'ai besoin que tu m'emmène dans la Chambre des Secrets. Et j'ai besoin que tu m'aides. Sirius est probablement en danger. »
« Maître Sirius ? » s'inquiéta l'elfe, avant de se figer lorsqu'il entendit l'écho de nouveaux cris. L'expression de Kreattur se fit déterminée. « Kreattur va mettre Maître Harry en sécurité. Ensuite Kreattur ira aider Maître Sirius et Monsieur Severus. »
« Je t'ordonne de m'emmener dans la Chambre des Secrets. » contra Harry. « Tout de suite. » Il grimaça. « Et je suis désolé de te donner des ordres comme ça. »
Kreattur, il était inutile de le préciser, n'était vraiment pas content après lui.
°O°O°O°O°
Le trait vert fusait sur lui mais le rituel était presque terminé. Il suffisait de rattacher le bout d'âme à l'autre vaisseau et…
La décision fut prise en l'espace d'une microseconde, aidé par le pragmatisme que la magie noire avait fait naître en lui : il allait continuer. Il terminerait peut-être avant que le sort ne le touche. Sa vie ne serait pas sacrifiée en vain si…
Quelque chose le plaqua violemment au sol.
Le sort de mort passa à un millimètre de ses cheveux.
« Idiot ! » hurla-t-il, en repoussant Sirius.
Les bougies, comme les torches, avaient été soufflées.
Ils étaient dans le noir le plus total à l'exception des runes qui brillaient toujours mais n'éclairaient pas grand-chose… L'aggloméras de magie noire qu'était l'âmedu Seigneur des Ténèbres flottait toujours au milieu, coincé entre la coupe et le trophée…
« Non… » murmura-t-il, alors que, à l'autre bout des cercles de runes, Albus écarquillait brusquement les yeux d'horreur.
Parce que le bout d'âme n'était pas coincé.
Le bout d'âme n'était rattaché que par de maigres filaments à la coupe.
Et le bout d'âme avait parfaitement compris qu'il lui fallait un autre vaisseau.
Et il tourna son attention vers le vaisseau le plus puissant de la pièce.
« Oh, merde… » marmonna Sirius, en comprenant en même temps que lui.
Severus voulut se lever, sa jambe céda sous lui, trop malmenée par le duel contre Nymphadora dans la nuit.
Il n'eut guère le temps de faire plus, Bill apparut devant lui, ses yeux rouges brillant dans l'obscurité…
« Endoloris ! » siffla une voix qui n'appartenait pas vraiment au Briseur-de-Sorts.
Severus se tendit par réflexe, se préparant à la douleur mordante…
Une nouvelle fois, il se vit poussé sans ménagement.
Et ce furent les hurlements de Sirius au lieu des siens qui se répercutèrent sur les parois caverneuses de la Chambre des Secrets.
°O°O°O°O°
Albus comprit ce qui allait se passait une seconde avant que l'horcruxe ne tourne son attention vers lui.
Il recula précipitamment, mettant autant de distance entre le cercle de runes et lui qu'il le put… L'horcruxe ne pourrait pas franchir le cercle. De maigres filaments le rattachaient encore à la coupe mais si le bout d'âme s'ancrait dans un nouveau vaisseau…
« Viens à moi… » murmura Voldemort d'une voix qui ne lui appartenait pas, d'une voix qui tordit l'estomac d'Albus parce que…
« Non. » l'avertit-il froidement, cadenassant davantage son esprit jusqu'à en faire une forteresse imprenable. La magie noire lui avait fait l'effet d'un sursaut d'adrénaline et sa tête tournait un peu, comme s'il avait avalé la moitié d'une bouteille d'hydromel. Mais ses pouvoirs lui faisaient également l'effet d'être plus acérés, plus vifs, et toute sa puissance, il l'a mis dans ses boucliers mentaux.
Ce n'était pas que son esprit ou son cœur qu'il devait protéger.
C'était son âme.
Et le chemin jusqu'à son âme était tout trouvé pour qui savait la lire.
Or, pour un horcruxe, ce n'était pas bien difficile.
Le ricanement qui résonna à ses oreilles étaient bas, intime comme lorsqu'il roulait le long de sa colonne vertébrale, accompagné de baisers brûlants…
« Non. » répéta-t-il.
« Liebling… » gronda la voix, avec une désapprobation amusée. « Hast du mich nicht vermisst ? »
Malgré toutes ses précautions, malgré l'épaisseur de ses boucliers, la gorge d'Albus se serra. La bague à son annulaire gauche lui paraissait soudain brûlante.
Il n'osa pas fermer les yeux.
Il n'osa pas détourner son attention du mensonge tant désiré que lui offrait l'horcruxe.
Il ne se hasarda pas, non plus, à mentir alors que la nuée ténébreuse prenait forme à l'intérieur de sa prison de runes.
Lui avait-il manqué ? Gellert lui manquait tellement, à chaque seconde de la journée, que parfois il se retrouvait le souffle court et ressentait tout le poids de son âge. Pendant des années il s'était refusé cette vérité. Pendant des années il avait préféré prétendre que ce n'était plus qu'un distant souvenir d'une jeunesse envolée. Impossible désormais. Impossible de mentir, de faire semblant. Impossible. Pas après avoir retrouvé ce qu'il avait si longtemps désiré. Pas après avoir gâché une seconde chance par pure lâcheté.
Et le voilà qui se tenait à nouveau là, devant lui.
Gellert Grindelwald.
La lumière qui émanait des runes jetait des ombres tremblantes sur ce visage qu'il avait adoré.
Ce n'était pas le vieillard affaibli qui se tenait devant lui mais l'homme fort, frondeur, qui avait mis l'Europe à genoux.
Ce n'était pas de son fait.
Jeune ou vieux, au sommet de sa puissance ou aux portes de la mort, Gellert restait Gellert pour lui. Il aimait les deux versions.
Mais Lord Voldemort – ou le bout d'âme qui avait pris son apparence – n'aurait jamais pu le comprendre. C'était le conquérant qu'il choisissait de présenter, le mage noir qui l'avait précédé…
« Crois-tu réellement que je me laisserai prendre à ce genre de supercheries, Tom ? » demanda-t-il calmement, alors qu'un craquement annonçait l'arrivée d'un elfe de maison quelque part dans l'obscurité.
Le faux Gellert tourna ses yeux à l'éclat rougi dans cette direction, la tête inclinée comme s'il avait soudain trouvé plus intéressant qu'Albus…
« Va aider Sirius et Severus. » ordonna le Directeur, sans tourner le regard vers le garçon qui, caché dans l'obscurité, tâchait de déterminer quoi faire. Albus n'osait pas détourner les yeux de l'horcruxe mais cela ne l'empêchait pas d'entendre. Sirius avait été soumis à l'Endoloris et Severus était désormais aux prises avec Bill.
Et, s'il ne se fourvoyait pas, son Maître des Potions peinait.
°O°O°O°O°
Le maléfice que Severus avait lancé à Bill aurait dû l'arrêter mais le Briseur-de-Sorts était au-delà de la douleur.
Et, l'espace d'une terrible seconde, il fut reconnaissant que Nymphadora n'ait pas davantage insisté pour l'accompagner ce matin-là. Nul doute qu'elle aussi serait retombée sous la coupe de l'horcruxe.
Ces choses étaient beaucoup plus retorses et vicieuses qu'il n'y paraissait.
Raison pour laquelle Severus se traînait maintenant sur le sol, tâchant de garder une certaine distance entre lui et le Briseur-de-Sorts qui avançait droit sur lui et lançait régulièrement des sorts que l'ancien espion n'esquivait qu'en roulant sur lui-même ou en dressant un bouclier hâtif.
Sa canne était perdue dans l'obscurité. Sa jambe refusait de le soutenir.
Sirius était quelque part sur sa gauche… Il n'était pas inconscient, Severus entendait ses halètements de douleur alors qu'il se remettait du Doloris, mais il n'était clairement pas en état de se battre non plus.
Et Bill…
Du mauvais côté de sa baguette, Bill était impressionnant.
Severus lança trois stupéfix en succession rapide qui furent parés avec beaucoup trop de négligence.
Pourtant, l'ancien Mangemort se sentait puissant. Le rituel avait gonflé ses pouvoirs, la magie noire l'enivrait et il savait que s'il avait pu se tenir debout, sur ses deux pieds, dans une position de duel, il aurait été imbattable.
Seulement voilà, son corps le trahissait et il était forcé de ramper au sol comme un chien.
« Avada Kedavra ! » cracha le Seigneur des Ténèbres, par la bouche de Bill.
Celui-ci, Severus ne serait pas parvenu à l'esquiver.
Ce fut donc une bonne chose que Kreattur l'attrape et disparaisse avec lui juste une seconde avant que le trait vert ne touche le sol de pierre. Ils réapparurent un mètre plus loin et l'elfe l'abandonna à côté de Sirius, qu'il avait très certainement déjà dû sortir de la ligne de mire de leur ami, pour aller foncer sur Bill en hurlant de toute la force de ses poumons comme un forcené.
Ou, plus exactement, pour distraire Bill qui tourna sa baguette vers l'elfe.
Et ne vit pas l'énorme prédateur se jeter sur lui par derrière.
Le Briseur-de-Sorts tomba comme une masse sous le poids du tigre qui feula sa colère. Kreattur les rejoignit à ce moment là et décocha un méchant coup de pieds dans les côtes de Bill avant de claquer des doigts. L'homme ne se laissa pas assommer et, avec une force décuplée par l'horcruxe, parvint à repousser le tigre qui se retourna en plein air et retomba sur ses pattes, extrêmement contrarié.
Un revers de bras envoya voler l'elfe dans l'obscurité.
Il y eut un bruit sourd qui ne présageait rien de bon.
Kreattur ne revint pas à la charge.
« Où est l'épée ? » marmonna Sirius.
« Non ! » protesta Severus, devinant ce qu'il voulait faire. « Si tu le détruits, nous perdons toute chance de… Nous y étions presque ! »
« Severus, arrête tes conneries ! » s'énerva l'Animagus. « Il faut arrêter Bill avant qu'il ne tue l'un de nous et… » Son regard tomba sur Albus qui faisait face au spectre d'un Grindelwald qui avait encore l'aspect des quelques photos qui subsistaient de son règne de terreur. « Merde. »
Il fallut quelques secondes à Sirius pour le reconnaître mais Severus, lui, s'y était attendu. Quelle autre forme aurait pu prendre l'horcruxe s'il s'agissait d'attirer Albus dans un piège ?
« Vas-y ! » ordonna-t-il, occludant mal sa panique.
Albus était trop près du cercle de runes, trop près de l'horcruxe, et Grindelwald…
Si Severus avait été à sa place, si Nymphadora avait réellement péri pendant la bataille et s'était soudain tenue là devant lui… Même en connaissant la supercherie, il n'était pas certain qu'il serait parvenu à y résister.
Parfois, un mensonge valait mieux que la cruelle et froide réalité.
« Il faut détruire l'horcruxe ! » insista Sirius, en se remettant debout.
« Non ! » s'entêta-t-il. « Nous pouvons terminer le rituel. Cela fonctionnait ! Il suffit de… »
L'Animagus était déjà parti en direction d'Albus, probablement parce que, consciemment ou non, le Directeur avait fait un pas vers le cercle.
L'attention de Severus fut distraite par un regain d'activité sur sa droite et il chercha une ouverture, un moyen d'aider son fils, sans parvenir à en trouver une…
Bill lança une batterie de maléfices sur le tigre qui les esquiva tous de bonds agiles, tout en se précipitant à nouveau sur lui. Mais au lieu de lui sauter dessus comme l'homme s'y attendait visiblement, l'animal frappa bas. Il balaya ses jambes d'un coup de patte impitoyable, puis profita de la chute du Briseur-de-Sorts pour redevenir humain, presser sa baguette contre son torse et jeter un stupefix.
À bout portant, le sort eut finalement l'effet escompté et Bill cessa de se débattre.
Essoufflé, Harry se tourna vers lui, croisa brièvement son regard avant que ce dernier ne se porte sur la coupe.
« Harry, non ! » cria-t-il.
Il voulut lever sa baguette, la retourner contre son fils si c'était ce qu'il fallait faire pour garantir…
L'adolescent redevint un tigre.
Un tigre qui avait écouté toute leur conversation à Sirius et lui.
Un tigre qui était déterminé à trouver l'épée.
°O°O°O°O°
« Liebling… » murmura le faux Gellert. « Komm näher… »
« Je n'ai aucune intention d'approcher. » répondit sèchement Albus.
Et pourtant…
Pourtant…
N'était-il pas déjà plus près du cercle que quelques secondes plus tôt ?
« Pourquoi pas ? » riposta l'horcruxe. « Je ne mords pas. Enfin… Sauf si tu me le demandes… »
Un frisson descendit le long de son échine mais il n'en laissa rien paraître.
Il était Albus Dumbledore, se murmura-t-il pour lui-même, et l'homme qu'il aimait était mort.
Ceci n'était rien d'autre qu'une mauvaise imitation.
Pire que le fantôme d'Arianna.
C'était une insulte.
« Cesse cette comédie, Tom. » ordonna-t-il, ignorant les bruits de bagarre dans le fond, ignorant les cris de Severus.
« Rejoins-moi et nous pourrons être ensemble pour toujours. » insista le faux Gellert. « N'est-ce pas ce que tu veux, Albus ? Nous serons imbattables. Nous aurons le monde à nos pieds. Ensemble. Ne me trahis pas une nouvelle fois, Liebling… »
Gellert…
Le faux Gellert tendit la main vers lui, son expression était d'une telle supplique…
Ses doigts tressautèrent.
Il dut se faire violence pour ne pas l'imiter, pour ne pas…
Il savait que ce n'était pas vrai…
Il savait que…
« Ne le touchez pas ! » s'interposa Sirius, en se plaçant devant lui, baguette pointée sur l'abomination.
« Allons, allons… » se moqua Gellert, avec un de ses ricanements trop intimes. « Albus a toujours voulu goûter aux ténèbres… Elles l'envoûtent… Je l'envoûte. N'est-ce pas, vrai, Liebling ? Un mage noir ou un autre, est-ce que c'est vraiment important ? Je peux prendre la forme qu'il désire… Je peux… Qu'est-ce que tu fais, toi ?! »
Sans prévenir, Gellert fit volte-face vers la coupe et le garçon qui se tenait là, épée brandie au-dessus de sa tête, lame vers le bas.
« Harry ! » hurla Severus, la panique, la colère et le désespoir se mêlant dans sa voix.
Le vieux sorcier se prépara, prépara son cœur à ce qui allait suivre, mais ça ne l'empêcha pas de saigner lorsque le visage de Gellert disparût soudain, se fracturant en une brume noire qui fusa vers l'adolescent de manière menaçante.
Albus leva sa baguette, déployant un épais bouclier autour d'Harry – ce qui empêcha Severus de lui arracher l'épée d'un sort d'attraction comme il essaya de le faire.
Le reste se joua en une poignée de secondes.
Le Maître des Potions hurla à nouveau, tenta de se relever uniquement pour retomber lourdement au sol…
Harry abaissa impitoyablement l'épée et il y eut un éclat de lumière soudain qui les aveugla tous puis un cri. Le cri d'agonie d'une partie de l'âme de Lord Voldemort.
Il était bon à savoir, nota Albus dans un coin de sa tête, qu'il était toujours possible de détruire un horcruxe tant qu'il était rattaché à son vaisseau, même par un infime filament.
Ils restèrent tous dans le noir un long moment puis Harry souffla une formule que le Directeur n'avait jamais entendu. « Vide Totalum. »
Une lumière douce baigna lentement la Chambre des Secrets.
Harry jeta l'épée et courut au chevet de l'elfe de maison assommé qui gisait à côté d'une pierre ensanglanté. La créature avait visiblement réussi à s'ouvrir le crâne. Sirius se précipita, lui aussi, jetant déjà des sorts de diagnostic et de soin un peu maladroit…
Albus décida de réserver les siens à Bill. Il rejoignit le Briseur-de-Sorts en grandes enjambées, jetant un coup d'œil à Severus au passage. Le Maître des Potions semblait trop choqué pour tenter de bouger. Il fixait la coupe fendue en deux sans la voir.
Silencieusement, le vieux sorcier se prépara à l'orage qui n'allait pas manquer d'éclater.
°O°O°O°O°
Les battements de son cœur résonnaient à ses oreilles comme des tambours de guerre.
Il ne parvenait pas à détourner son regard de la coupe brisée.
La métaphore avec tous ses espoirs était trop évidente alors il se retint de seulement la penser.
« Severus, un peu d'aide ? » appela Sirius. « Je ne suis pas bon en sorts de soin ! »
Lentement il reporta son attention sur l'elfe de maison que son fils et son ancien rival tentaient de ranimer. Visiblement, son crâne avait heurté une pierre à un mauvais angle.
Et c'était bien fait.
Si cet elfe ne s'en était pas mêlé, s'il n'avait pas aidé Harry à…
La nausée manqua le plier en deux alors que les conséquences de ce qui venait de se passer se faisaient de plus en plus limpides. Il ne restait que deux horcruxes. Le diadème et Nagini.
Nagini était hors de portée.
Et le diadème…
Ils n'auraient plus droit à l'erreur.
Ils…
Severus tenta une nouvelle fois de se lever, sa magie gonflée par la magie noire, oubliant momentanément les limitations de son corps. Il retomba lourdement au sol, incapable de retenir un léger cri qui attira l'attention de tous.
« Hé, ça va ? » demanda Sirius, son inquiétude changeant de cible.
Ça va ?
Il osait demander si…
Rien n'allait.
Rien n'allait parce qu'ils étaient censé trouver une solution ce jour-là, ils étaient censé délivrer Harry du monstre qu'il avait dans la tête et…
L'adolescent se releva et ramassa quelque chose au sol avant d'approcher avec un peu de nervosité. Severus lui arracha sa canne des mains dès qu'il fut suffisamment près, résistant à peine à l'envie subite et presque incontrôlable de le frapper avec. Il ignora la main tendue du garçon comme il ignora les regards inquiets de Sirius et d'Albus.
« Je t'ai dit de ne pas le détruire ! » rugit-il, dès qu'il fut sur ses pieds – et cela lui prit trop de temps pour quelque chose d'aussi simple, tout comme cela lui avait pris trop de temps face à Bill. S'il avait été plus rapide, s'il avait été plus dextre, si…
Mais il n'était plus bon à rien.
N'était-ce pas pour ça qu'on lui avait refusé sa participation à la mission de la veille ? Ils pouvaient l'enrober de tous les jolis mensonges et demi-vérités qu'ils le voulaient, Severus savait ce qu'il en était réellement. Entre son corps qui flanchait et sa magie capricieuse, il n'était plus qu'un handicap. Un frein. Un boulet que l'on trainait au pied.
S'il avait été meilleur, s'il avait été capable…
S'il était allé chercher la coupe, lui, l'horcruxe n'aurait possédé ni Bill, ni Nymphadora. Bill n'aurait pas perdu le contrôle et ils auraient pu terminer le rituel. Ils auraient pu sauver Harry.
« Et moi je t'ai dit que c'était trop dangereux. » répondit calmement le garçon.
Parce qu'il avait envie de lui tordre le cou, Severus se détourna, claudiquant vers le trophée qui gisait inerte au sol, tout aussi fendu que la coupe.
Inutilisable.
La vague de fureur, alimenté par la terreur, qu'il réprimait depuis trop longtemps l'envahit et il voulut donner un coup de pied rageur dans le bout de métal tordu, oubliant momentanément qu'il n'avait qu'un équilibre très instable.
Si Harry ne l'avait pas rattrapé, il se serait sans doute pitoyablement effronté à nouveau au sol.
Une humiliation de plus.
Une humiliation de trop.
Une main sous son aisselle, l'autre agrippant son bras pour le stabiliser, l'adolescent n'osait pas croiser son regard.
« Es-tu si désespéré de mourir que tu ne puisses pas obéir à de simples instructions ? » gronda-t-il, reportant sa colère sur lui puisque le trophée refusait de la subir. « Je t'ai dit de rester avec Nymphadora. Je t'ai dit qu'en aucun cas nous ne devions détruire cet horcruxe à moins d'avoir réussi. Si tu tiens tant que cela à te suicider, j'ai des poisons qui feront l'affaire. Ou peut-être préfères-tu une méthode plus dramatique ? Peut-être souhaites-tu sauter du haut de la Tour d'Astronomie ? Ou cracher davantage sur le sacrifice de Lily et James et aller te jeter droit dans les bras du Seigneur des Ténèbres ? »
« Arrête… » murmura son fils. Une supplique. « S'il te plaît… »
« Pourquoi m'arrêterais-je ? » siffla-t-il, en se dégageant de sa poigne, s'appuyant plus lourdement sur sa canne. « Pourquoi m'arrêterais-je, Harry, lorsqu'il est évident que tu n'as aucun respect pour ta propre vie ou mes efforts ? »
Il avait élevé la voix.
Suffisamment pour que son écho se réverbère pendant de longues secondes.
« Ça suffit. » ordonna Sirius, en se redressant, son elfe de maison dans les bras. Kreattur paraissait lutter pour soulever les paupières. « Tu ne sais plus ce que tu dis. »
« Je sais parfaitement ce que je dis, au contraire. » contra-t-il froidement. « Je dis que ce petit ingrat… »
« Severus. » cingla Albus, en se remettant debout à son tour. « Assez. »
« Laissez tomber. » soupira Harry avec amertume, en se frottant le visage. « Il faut juste que ça sorte. Une fois qu'il aura hurlé toutes les horreurs qu'il peut, il se sentira mieux. » Les yeux verts se plantèrent dans les siens. « Enfin, pendant cinq minutes. Après il se rendra compte de tout ce qu'il a dit et il le regrettera. Je pensais qu'on en avait fini avec ça, Professeur Snape. »
Il reçut le titre comme une claque en plein visage.
Il ouvrit la bouche pour cracher tout son venin, exactement comme Harry venait de l'accuser de vouloir le faire, mais le regard braqué dans celui de son fils, il se trouva incapable de prononcer un mot.
Il se détourna et partit en direction des tunnels, ignorant leurs appels comme il ignora sa cuisse qui se crispait à chaque pas.
« Laissez-le. » ordonna Albus, d'un ton triste. Probablement parce que Sirius avait tenté de le suivre. « Il a besoin d'être seul. »
Ce ne fut pas exactement les minutes les plus dignes de son existence.
Il traînait sa jambe sur les pierres glissantes de mousse et d'humidité, s'appuyant contre le mur pour se stabiliser… Le cercle était vicieux, plus il se sentait impuissant, plus il se mettait en colère. Plus il se mettait en colère, moins son corps était coordonné.
Il n'était pas certain de comment il parvint à atteindre le laboratoire de Serpentard, emporterait jusqu'à sa tombe le secret de la manière dont il avait remonté l'escalier jusqu'aux cachots – sur les fesses comme un enfant apprenant à marcher.
Lorsqu'il arriva finalement chez lui, il était éreinté autant physiquement que mentalement, et bouillonnait toujours de cette colère sourde qu'il ne parvenait pas à occluder.
Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas éprouvé ce genre de choses que…
Il se sentait seul. Seul contre tous. Incompris. Rejeté, peut-être même. Tellement en colère que…
Nymphadora faisait les cent pas dans le couloir.
Il aurait préféré qu'elle ne soit pas là.
« Severus, qu'est-ce que… ? » demanda-t-elle mais elle sembla lire la réponse sur son visage avant même d'avoir fini la question.
« Je t'avais demandé de garder Harry loin de la Chambre. » siffla-t-il. « Ne peux-tu rien faire correctement ? »
Il resta aussi choqué qu'elle.
Aussi horrifié qu'elle.
Parce que ces mots là, il les avait entendus cent fois dans la bouche de Tobias.
Incapable de la regarder en face plus longtemps, accablé de honte, de frustration et de colère, il la dépassa d'un pas aussi vif que sa jambe le lui permit et claqua la porte de la chambre derrière lui. Il la verrouilla d'un geste, au cas où Nymphadora aurait l'idée saugrenue de le suivre.
Improbable vu ce qu'il venait de dire.
Peut-être allait-elle le quitter après ça.
Elle aurait eu raison.
Harry aussi aurait eu raison de partir avec elle.
Une fois qu'il aura hurlé toutes les horreurs qu'il peut, il se sentira mieux. Enfin, pendant cinq minutes. Après il se rendra compte de tout ce qu'il a dit et il le regrettera. Je pensais qu'on en avait fini avec ça, Professeur Snape.
Il croisa le regard de son reflet dans le miroir que Nymphadora avait installé dans un coin de la chambre.
La canne vola avant qu'il ait seulement pensé son geste.
La glace explosa.
Mais ce n'était pas assez.
Ce n'était pas suffisant pour calmer cette rage qui le brûlait de l'intérieur.
Il envoya valser tout ce qu'il y avait sur la commode d'un revers de bras, jeta une lampe contre le mur, massacra à coup de canne ce qu'il restait du cadre du miroir…
Il entendait les coups à la porte, les suppliques…
Il sentait les tentatives pour percer les protections plus élaborées qu'il avait inconsciemment déployées…
Il ne voulait pas la laisser entrer.
Qui pouvait garantir qu'elle ne serait pas la suivante sur la liste ? Qu'il ne la battrait pas pour tenter d'apaiser sa fureur ? Que…
Il lui avait dévoilé trop de ses secrets, lui avait appris trop de choses.
C'était ce qui avait perdu Merlin, ultimement. Avoir partagé toutes ses découvertes avec Vivianne.
Il n'était pas entièrement certain de comment elle déjoua les verrous magiques sur la porte mais le battant finit par s'ouvrir brusquement et il se figea, pris de cours, la canne encore levée…
Elle était toujours en pyjama.
Le short un poil trop court, la chemise en coton noir dont tous les boutons n'étaient pas passés, les cheveux bruns voletant autour de son visage comme sous l'effet d'une brise invisible – comme toujours lorsqu'elle utilisait une magie avancée.
Elle était si belle.
Et Tobias l'aurait défigurée pour le simple soulagement de passer ses nerfs.
Avec un dégoût plus profond que sa fureur, Severus jeta la canne sur le tas de bois et de verre qu'était devenu le miroir et se laissa tomber au sol comme un pantin disloqué. Un bout de verre lui entailla la paume, sa jambe tressautait ce qui était nouveau et probablement pas bon signe…
Elle entra lentement, prudemment, et ferma la porte derrière elle.
En trois coups de baguette, elle avait effacé les traces de son accès de colère. Les objets qu'il avait balayés d'un geste revinrent s'aligner sur la commode, le miroir se reconstitua mais garderait de légères estafilades sur la glace… Elle posa la canne contre le mur – loin de lui, ne put-il s'empêcher de noter – et s'agenouilla à côté de lui pour refermer la plaie sur sa paume d'un murmure. Elle pausa la main sur sa cuisse dont le muscle continuait de se contracter de manière incontrôlable mais ne suggéra pas qu'il avait besoin d'un Médicomage.
Sans doute parce qu'elle pouvait deviner comment serait accueillie cette proposition.
Tout du long, elle ne prononça pas un mot.
Il était toujours en colère mais c'était une colère compliquée qui se disputait au chagrin. Il goûtait à la brûlure des larmes dans le fond de sa gorge, refusait de les laisser passer ses yeux…
Il se pencha silencieusement en avant jusqu'à pouvoir poser le front sur son épaule, tout le corps tendu, s'attendant à être violemment repoussé – et elle aurait toutes les raisons de le faire, il ne pourrait pas l'en blâmer.
Au lieu de ça, elle passa les bras autour de lui, l'attirant contre elle sans une hésitation.
« Pardon. » murmura-t-il.
Un autre mot qu'il avait trop souvent entendu dans la bouche de Tobias.
Un autre mot qui avait perdu tout son sens.
« Chut… » répondit-elle gentiment. « N'y pense plus. »
Il secoua la tête sans pourtant la soulever de son épaule.
C'était dangereux de ne plus penser à ce genre de choses. Ça invitait la récidive. Ça invitait l'amplification.
Il ne serait pas son père.
Il…
« Severus. » Sa main glissa dans ses cheveux avec douceur. « Tu ne m'as pas touchée. Tu as à peine élevé la voix. Et tu ne veux pas l'entendre mais tu es à bout de nerfs. Tu n'es pas ton père. On ne va pas devenir tes parents juste parce que tu t'es énervé une seule fois. »
« Je n'ai pas crié que sur toi. » avoua-t-il, fermant les yeux à s'en faire mal.
« Je sais. » admit-elle. « Harry est dans la cuisine, il est revenu avant toi. »
La honte était peut-être pire que la colère ou la frustration ou le sentiment d'humiliation qu'il éprouvait à chaque fois qu'il échouait à faire quelque chose de basique.
« J'ai dit des choses affreuses. » souffla-t-il.
« Oui, ça aussi il me l'a dit. » soupira-t-elle. « Il ne t'en veux pas, tu sais. Il a dit que tu allais les regretter dès que tu aurais repris tes esprits. »
Il attendit quelques secondes, pesa le pour et le contre, puis décida que s'il ne pouvait pas lui dire la vérité à elle, il ne pourrait jamais la dire à personne. « Je ne suis pas certain de les regretter. »
« Ah. » lâcha-t-elle, ses doigts se figeant momentanément dans ses cheveux.
« Il a détruit une des dernières chances de… » tenta-t-il de s'expliquer, sans parvenir à se convaincre d'ôter sa tête de son épaule. « C'est comme s'il voulait mourir. »
« Il ne veut pas mourir. » contra-t-elle. « Il pense juste que c'est la solution la plus sûre pour tout le monde et qu'on n'est pas objectif. »
« Bien entendu que nous ne sommes pas objectifs. » rétorqua-t-il. « Je brûlerai la planète entière avant de le laisser mourir. »
« Ce n'est pas ce qu'il veut entendre. » répondit-elle.
« Nous y étions presque… » lâcha-t-il. « Nous y étions presque. »
Elle le serra plus fort.
Il se laissa faire.
