- CHAPITRE 9 -

La Javanaise


Arthur avait fermé les yeux pendant un instant et s'était souvenu des longues nuits d'hiver au coin d'une cheminée où ses frères et lui se réchauffaient comme ils le pouvaient. L'odeur du feu, le son du crépitement au coin des ses oreilles et la voix encore juvénile de Dylan résonnait dans sa tête comme un lointain souvenir, un écho oublié. Puis l'image de cette après midi de printemps apparue devant ses yeux. Comme un mirage, les lignes droites formants les hautes rues de Brooklyn se dessinaient dans son esprit et il revit Amélia pour la première fois. Ses cheveux blonds foncés - encore longs à l'époque - étaient joliment retroussés et ornés d'un élégant chapeau en cercle rouge. Elle avait l'air si distinguée, calme et de bonne famille. Arthur s'en voulait toujours d'avoir cru en cette fausse image qu'il s'était créé d'elle.

Et enfin, comme un flash en pleine nuit, ses pupilles s'étaient contractées et son visage fut ébloui par celui de Francis. La première chose qu'il vit était la neige blanche et poudreuse qui se coinçaient entre les mèches de ses cheveux ondulés. Il souriait malicieusement, comme à son habitude, en donnant l'impression qu'il était constamment en train de préparer quelque chose. Son béret avait changé, il était maintenant rouge - comme celui d'Amélia - et sa silhouette paraissait si solide et imposante qu'Arthur en avait presque le tournis. Il voulut réouvre les yeux pour stopper ses pensés nostalgique, mais il n'y arrivait pas. L'anglais était coincé dans son rêve et il ne parvenait pas à en sortir.

— Nous avons choisi la nuit parfaite pour se revoir.

Francis se voulait ironique, mais pour Arthur, ce fut réellement la nuit parfaite. Il faisait sombre, le temps fut glacial et plus personne n'était dans les environ. Il n'y avait que Francis, lui-même et sa camionnette si emblématique qui attendait au coin de la rue, à quelques mètres de sa scierie fermée. Alors Arthur hocha la tête et emboîta le pas derrière lui.

Le bruit de leurs pieds traversant la neige rythmaient le cœur de l'anglais. Elle n'était pas épaisse et froide - il en avait connue des plus coriaces - mais elle suffisait pour combler le silence et recouvrir le bruit de ses battements. En traversant la route et en essayant de fuir la lumière des lampadaires, Francis lui raconta les quelques accrochages qu'il eut en chemin, le fait qu'Arthur devait impérativement lui rembourser l'essence gaspillée et que ça devait faire un bon moment qu'il n'avait pas fêté noël avec quelqu'un. Suite à cette révélation, Arthur leva les yeux vers lui, mais demeura tout de même silencieux. Il trouvait le visage de Francis étrangement nostalgique, mais également apaisé. Au contraire, ce fut sûrement la première fois que l'anglais fêta les fêtes de fin d'année en compagnie si réduite. Et même si cela sonna un tantinet égoïste, Arthur semblait apprécier. Pour la première fois de sa vie, loin de l'agitation crée par sa femme ou de l'attroupement causée par ses frères, le blond avait l'impression de respirer à nouveau. Dans son cocon, avec Francis, il se sentit plus léger et prêt à affronter le monde.

— Si on arrive à bon port, peut-être que je songerai à te donner de l'argent.

Le français arqua un sourcil, tout en s'approchant de son véhicule.

Le froid commença grandement à se faufiler entre les manches du manteau d'Arthur, tout en effleurant le bout de ses oreilles. Alors avec entrain, l'anglais devança son ami et contourna la camionnette afin de se positionner devant la porte du passager. Son regard vagua rapidement entre les rues vides et peu éclairées, puis la fenêtre reflétant son visage rougit. Soudainement, il sentit la présence de Francis se faufiler derrière lui et aperçut sa silhouette élancée à travers la vitre. Arthur voulut dire ou faire quelque chose. Mais le froissement de son estomac lui fit si mal qu'il resta pendant quelques secondes immobile et laissa les doigts de Francis se glisser le long de son dos, pour afin atterrir au creux de sa nuque. La froideur de ses doigts ne lui fit pas grand chose, mais leur brève contact contre sa chemise arracha son souffle et lui interdit de respirer. Dans le reflet de la vitre, Arthur vit son petit sourire. Soigneusement, Francis retroussa le col de son manteau tout en balayant les petits flacons de neige qui s'étaient faufiler ici et là.

Au creux de oreille, le français lui dit qu'il avait horreur du désordre et qu'il ne supporterait pas le fait qu'il salisse ou mouille sa banquette avant. C'était étrange, mais tout aussi machiavélique. Et Arthur grogna, par principe - parce qu'il détestait le fait qu'on le materne et que Francis se jouait de lui. Mais rapidement, il se calma et prit son temps pour apprécier le geste intime et bienveillant qu'avait eu le blond envers lui. Peut être qu'il aimait ça, un peu trop même et que la chaleur de ses doigts n'étaient pas assez pour satisfaire son grand cœur vide et assoiffé de sentiments.

Quand son ombre disparue de son champ de vision et que sa silhouette s'était enfin engouffrée dans le véhicule, Arthur fit de même. Il ne faisait pas plus chaud qu'à l'extérieur, mais la proximité qui se créa entre les deux hommes suffit à l'anglais pour réchauffer son corps. En quelques instants, le paysage se mit à défiler devant ses yeux et le calme ambiant apaisa son esprit. Les bruits que le moteur produisit ne le dérangea pas tant que cela et Arthur se mit même à profiter du spectacle que les Parisiens les plus téméraires lui offraient. Quelques-uns s'étaient engouffrés dans les rues froides de la capitale afin de profiter d'un noël neigeux et les dernières décorations illuminaient chaque recoins et chaque pavés alpestres. Mais ce qui réussit à lui décrocher un sourire fût sans doute la voix légèrement enjouée et toujours aussi bavarde de Francis. Ses anecdotes plus dramatiques les unes et que les autres et sa volonté de constamment vouloir attirer l'attention lui avait manqué. C'était presque rassurant de voir que rien n'avait réellement changé entre eux deux. Sauf peut être ce sentiment de complicité qui était devenu plus intime et plus profond. Arthur avait maintenant constamment l'impression qu'un aimant s'était accroché à lui et que Francis fut un bout de métal. Il était si attrayant et si déconcertant... L'anglais ne ressentait plus cette envie de partir loin d'ici et de demeurer éternellement seul. La présence du français lui était presque vitale et le besoin de lui dire affreusement embarrassant au point d'en devenir tabou. Il n'avait jamais les mots exactes pour décrire ce qu'il ressentait sur le moment. Avant leur rencontre, l'Anglais avait simplement apprit à refouler tout ce qu'il ressentait et à refuser de s'aventurer un peu plus loin, vers ce qu'il jugeait d'inconnu et de mauvais. Mais les derniers mots de Rose à son encontre et la voix vaporeuse et cloisonnée de Francis résonnèrent à nouveau dans sa tête, encore et encore.

En s'arrêtant à un stop, entre deux routes et accompagné d'un cycliste bien solitaire, la main fine et froide du français positionné sur le levier de vitesse attira le regard d'Arthur. Près de celle-ci, le bruit parasite de la radio ne l'empêcha pas de détourner son attention. Le dos de sa main paraissait si doux et ses longs doigts beaucoup trop raffinés. Ils avaient le don de l'attirer, comme un fruit défendu.

— Alors, tu en penses quoi ? Tu pourrais au moins me répondre...

Sans vraiment apporter plus d'attention au parole légère de son ami, Arthur fronça soudainement des sourcils et approcha très timidement sa main vers la sienne. Le geste fut maladroit et peu sûr, mais il eut l'effet d'une tempête dans le cœur du britannique.

En sentant les doigts affreusement froids d'Arthur serrer les siens, Francis se tourna vers lui, surpris.

— Oui, ça parait être une bonne idée. Murmura Arthur, tout en fixant son geste qu'il jugeait des plus déplacés.

En accompagnant le silence jadis reposant qui s'était soudainement transformé en quelque chose de pesant, Francis sourit. Un franc et tendre sourire, rempli de reconnaissance.

Enfin, Arthur osa lever les yeux vers lui, tout en laissant le français reprendre les reines et remodeler cette situation en quelque chose de plus vivable et de plus confortable. Il empoigna tendrement les doigts d'Arthur et exerça de subtiles mouvements de caresse avec le bout de son pouce. Peut être que Francis attendait ce moment depuis longtemps ou peut être qu'Arthur ne l'avait jamais vraiment osé jusqu'à maintenant. Replonger son regard verdâtre dans ses yeux azur, tout en laissant la douceur et le silence reprendre ses droits ne fut qu'une chose de plus prouvant que leur temps avait été gâché.

Mais la route fut encore longue et Noël approcha à grand pas. Alors à contre cœur, Francis retira doucement sa main et remit son véhicule en route. Il continua de parler, comme si de rien n'était et Arthur fixa la route tout en calmant les battements de son cœur.


Arrivé dans le hall d'entrée plutôt luxueux, Arthur ne s'attendait pas à voir autant de monde. Quelques silhouettes s'agitaient au loin et il aperçu du monde installé au bar. Il fallait croire que l'Anglais n'était pas le seul vagabond pendant Noël dans Paris tout entier. L'odeur de tabac et de whisky que dégageaient les hommes d'affaires lui monta au cerveau.

— Dit donc... Si j'avais su que tu m'emmènerais dans cet arrondissement, je serais venu te voir beaucoup plus tôt.

Francis faisait presque tâche. Entre le tapis cramoisi, le grand chandelier dans les airs et les réceptionnistes tirées à quatre épingles, le Français avait du mal à se mouler dans le décor. Et bizarrement, Arthur ne s'accommoda pas du fait que quelqu'un puisse le remarquer. Les deux jeunes hommes finirent tout de même par prendre l'ascenseur avec hâte. Les couloirs paraissaient grands et identiques aux yeux de Francis. Il imaginait la silhouette flâneuse de son Arthur déambuler quelques minutes avant de trouver sa chambre, à suivre les pas qu'il était entrain de faire, synchronisés tel un orchestre.

— Je n'ai pas l'habitude de fermer la porte. Mais ne t'avise pas de venir comme bon te semble. Avait-il dit, tout en lui ouvrant celle-ci.

Alors Francis sourit et s'engouffra dans la chambre.

La première chose qui étonna le blond fut probablement la froideur que dégageait cette pièce. Non pas une froideur comparable à la neige de dehors, mais sûrement celle s'assimilant à de la solitude ou bien à une âme perdue. Une froideur venant du Nord, vers l'Ouest, humide et maladroite. Les rideaux étaient sombres et la tapisserie épaisse. Elles absorbaient le peu de lumière que la pièce pouvaient contenir. Et Francis s'en vu presque navré quand il n'aperçu pas son tableau accroché il ne sait où. Cet endroit... Ce fut celui d'Arthur. Et aussi maussade que cela pouvait être, il lui allait bien.

— J'ai une faim de loup !

— Moi aussi, alors finissons-en rapidement. Reprit le Britannique, tout en se déchaussant.

Quand Francis s'engouffrât un peu plus dans la chambre, il découvrit une petite pièce de séjour qui avait pour vis-à-vis la rue adjacente. C'était loin d'être modeste et le blond fut un tantinet frustré qu'Arthur n'eut le courage de lui parler de son mode de vie. En même temps, à quoi s'attendait-il ? Son ami était un homme d'affaire, peut-être plus riche que toute ses connaissances réuni. À cette pensée, Francis sourit et sorti de son sac un autre en papier carton aux senteurs alléchantes.

— Sérieusement Arthur. Tu m'avais caché tout cette richesse ? Quand je pense que tu aurais pu m'acheter toutes mes œuvres en un claquement de doigt...

Un bruit de placard résonna derrière lui, puis vint la voix à l'accent britannique :

— Oui, peut être. Mais je ne voulais pas m'encombrer de tant de médiocrité.

Francis laissa presque tomber les plats sur la table et se retourna subitement vers Arthur, outré.

— Pardon ? Retire tout de suite ce que tu viens de dire !

Le ricanement roque de l'Anglais résonna dans toute la pièce. Les traits plissés, il se dirigea vers Francis tout en débouchant une bouteille de vin. Face à son silence, le blond demeura baudruche et impatient.

— Arthur...

L'homme d'affaire prit un verre de vin qu'avait sorti son ami et le rempli, quasiment à ras bord. Accompagné du bruit de la boisson, il reprit presque immédiatement :

— Non.

— Salaud.

Puis vint la tentative échoué de Francis, qui semblait s'apparenté à un léger coup de poing dans l'épaule et le rire encore plus profond d'Arthur qui continuait à s'enfoncer dans les graves. Le verre de vin avait lui aussi du mal à rester immobile et l'Anglais se précipita alors pour en boire une gorgée. Il était agréable de le voir ainsi : moins sur ses gardes, plus approchable et presque reconnaissant. Francis n'aimait pas pensé au fait que son ami fut toujours aussi froid et distant qu'au début, mais Arthur avait cette manie de toujours garder un pied derrière la ligne d'arrivée - juste au cas où. Mais ce soir, ce fut autre chose. Le Français voulu blâmer l'alcool, mais sa compagnie fut sûrement la seule drogue dont l'homme d'affaire eut besoin.


L'heure était maintenant très avancé. Les lumières dans la rue furent presque éteintes et Arthur s'inquiéta pendant un instant du dérangement qu'il causait pour son voisinage (les chambres d'à côté). Mais vint rapidement l'euphorie de l'alcool et se délicat effet qu'avait cette boisson sur son cerveau. Il était encore conscient de ses mouvements, mais le temps lui paraissait en suspend. La bouteille de vin de Francis fut l'une des plus délicieuses qu'il eut la chance de goûter et son dîner, un met exquis digne des plus grands restaurants. Il disait cela d'une voix légèrement enroué et le Français portait les fautes sur l'alcool, même si Arthur pensa véritablement ce qu'il disait.

— Non, vraiment... C'était très bon Francis. Reprit-il, debout et devant lui, tout en desserrant sa cravate.

Après quelques instants de bataille endiablé, il décida de finalement l'enlever et de la balançait il ne sait où. Francis, pendant ce temps, le regarda du coin de l'œil et alluma sa cigarette.

— Mais, parce qu'il y a un mais, je ... je suis sûr que j'aurai pu faire mieux.

— Ne te ridiculise pas Arthur, s'il te plaît.

Son ton se voulait porté sur la plaisanterie, mais le Français fut plus occupé à le détailler de la tête au pied qu'à essayer de faire de l'ironie.

Shut up. Il y a bien des domaines où je te bas à plate couture.

— Ah bon ?

— Oui. Rétorqua immédiatement l'Anglais, sourcil froncé mais certitude croissante.

Il y a quelques mois, il lui avait fait part de sa passion pour la littérature et Francis découvrit à quel point il était doué avec les mots. Sur ce terrain là, il est certain que le peintre ne pouvait le battre. Un petite bibliothèque se tenait au coin de son lit et l'imaginer lire à ses heures perdues rendait Francis fière de lui, comme un gosse à qui on aurait apprit à écrire ou faire du vélo. Il pensa rapidement au recueil de poème cité dans sa lettre et à quel point il eut envie de l'entendre de sa bouche.

— Qu'elle heure est-il... Murmura Arthur. Déjà minuit passé.

Le britannique avait remonté les manches de sa chemise - qui ne ressemblait déjà a plus grand chose - et Francis put apercevoir une petite mais robuste montre accrochée à son poignet. La parure ambrée reflétait systématiquement la lumière contre elle et les aiguilles furent si fines qu'elles ressemblaient à des feuilles d'or.

— Tu ne devrais pas me montrer ce genre de montre. Je risquerais de te la voler, tu sais.

Arthur tourna son attention vers Francis et afficha un léger rictus d'amusement, qui se transforma en un sourire nostalgique. Il mit du temps à engager la conversation, puis reprit :

— C'est un cadeau d'Amélia. Pour noël. Elle... Elle a insisté pour que je la reçoive en avance et, imagine, Allistair était sur le point de me faire une crise de jalousie.

La fumée de tabac avait englobée les deux hommes et un silence assez reposant c'était installé. Le regard de Francis ne laissait rien paraître, malgré son insistance sur le poignet de son ami et son teint rougit par l'alcool.

— Elle a bon goût. Je suis sûr qu'on s'endenterait bien, elle et moi.

— Ne... Ne dit pas.

Arthur avait détourné le regard, le cou luisant. L'idée que sa femme et Francis engagent ne serait-ce la moindre discussion le mettait dans un effroyable embarra. Il n'y avait jamais pensé et n'y penserait sûrement plus jamais. Amélia était si différente de lui et lui, n'avait rien à lui envier. Ce fut comme si l'Anglais se trouvait de l'autre côté du miroir, comme si en ayant traversé la Manche, son épouse faisait partie d'une autre réalité. Le jeune homme n'arrivait pas à visualiser un monde où elle et Francis pouvaient cohabiter.

— Et pourquoi donc ?

Le peintre aimait - adorait - jouer ce petit jeu. Même avec tout l'effort du monde, il ne pouvait cacher son petit sourire en coin, signe de malice. Arthur le trouvait horriblement pervers et perfide quand il faisait ça. Cela le dégoûtait, mais il était dur d'avouer qu'il trouvait ça secrètement déconcertant... et d'une bonne manière.

— Pour la simple et bonne raison que... qu'Amélia n'est pas domptable. Elle n'est ni comme toi, ni comme moi, ni comme personne. Je suis probablement le seul homme sur terre capable de la côtoyer plus de vingt-quatre heures. Arthur passa sa main dans ses cheveux emmêler et continua. Je ne dis pas ça pour être méchant c'est juste la simple vérité... Passons.

— Domptable ? Lâcha Francis, en ricanant. T'apparenterais-tu à un gardien de zoo à présent ?

— Avec toi, c'est certain.

Il y eut encore plus de rires.

Puis soudainement, Arthur attendit que Francis termine sa cigarette pour prendre ses deux bras et le faire lever de sa chaise. Il était maintenant à la même hauteur que son ami et le britannique ne bougea pas d'un millimètre (sûrement parce que les effets de l'alcool lui en empêcher, ou bien aimait-il tout simplement cette proximité). Les deux hommes se regardèrent dans les yeux pendant un moment et Arthur donnait l'impression de manigancer quelque chose.

— Très bien. À moi de t'offrir un cadeau maintenant.

— Quoi ? Francis avait levé un sourcil.

— Oui, un cadeau. Alors ne t'emballe pas mais... Je devais, comme qui dirait, me racheter. Tu n'as pas intérêt à bouger c'est compris ?

Immédiatement, Arthur avait fait demi-tour et s'était avancé vers une petite table disposée non loin d'une glacière en bois vernis où refroidissait une bouteille de champagne. L'œil de Francis fut attiré par le tourne disque Thorens disposé dessus. De façon habile, il regarda son ami posé un vinyle et enclenché le bras de lecture. Les premiers crépitements laissèrent rapidement leurs place à une mélodie d'abord calme et théâtrale. Et pendant un moment, Arthur laissa la musique prendre place dans la pièce. Francis ne dit rien lui aussi, mais demeura tout de même intrigué.

Les pas de l'Anglais revint finalement à leurs place initiales après un petit moment.

— Je t'offre une danse. Pour me rattraper de la dernière fois où... où je suis parti sans te dire en revoir.

Dans les pupilles de Francis se reflétait celles d'Arthur et de cette soirée qui paraissait maintenant à des années lumières.

— Une danse ? Avait demandé Francis avec une certaine excitation dans la voix.

Il fut gratifié d'un signe de tête en guise de réponse. L'Anglais avait le cœur qui battait à la chamade. Jamais - au grand jamais - il aurait imaginé faire ça un jour. Combien de fois avait-il refusé d'accompagner Amélia à ses cours de rock'n roll malgré son acharnement et ses supplications renversantes... Arthur n'avait jamais été un grand danseur. Il n'aimait tout simplement pas la lumière que cette pratique promettait tant. Le britannique était fait pour le calme, l'ombre et la tranquillité. Mais en venant ici, celles-ci ne lui avaient apportées que de mauvaises choses. Francis fut comme un crépitement grandissant aux fil des jours et se transformant en une flamme étincelante : si Arthur voulait l'approcher il ne pouvait évité la clarté. Et cela lui en était presque bénéfique.

Les premières paroles résonnèrent enfin dans la pièce. En suivant la voix grave et mélancolique du chanteur, l'Anglais tendit sa main devant celle de Francis et sa paume attira immédiatement dans la sienne. Le contact était chaud, bien plus que les rayons du soleil en été. Ce fut comme si la main d'Arthur était faite pour celle de Francis. Les deux se mêlaient parfaitement et s'emboitèrent tel un simple puzzle. Cet effleurement était bien plus fort que n'importe quoi d'autre au monde et Arthur ne su toujours pas d'où lui venait ce courage si puissant et admirable qui le poussa à faire ça.

I'm a fool to want you

[...]

To want a love that can't be true

A love that's there for others too

— Allons y alors.

Le murmure de Francis s'était longuement logé dans l'oreille d'Arthur. Et en suivant le départ plutôt timide, le Français passa sa main droite sur la taille de l'Anglais et le suivant, sa main gauche sur son épaule.

Les deux hommes tournoyèrent pendant un moment dans tout l'espace. Ce n'était ni trop long, ni trop rapide. Assez pour que Francis fasse preuve d'une excellente agilité et pour qu'Arthur ait toute la peine du monde à cacher sa maladresse. Mais cela fonctionnait tant bien que mal. La synchronisation ne se faisait pas à travers leurs pieds, mais plus au battements de leurs cœurs. Les deux hommes fut si proches l'un de l'autre, s'en était presque déconcertant pour Arthur. Accompagné du silence, il voulut dire un million de chose qu'il n'osa pas prononcer et faire un million d'autres qui étaient interdites.

Time and time again I said I'd leave you

Time and time again I went away

But then would come the time when I would need you

And once again these words I'll have to say

Arthur était dans cette pièce, sa plus grande intimité, avec lui. De toutes ses forces et du peu de raisonnement qui lui restait encore, le jeune homme essaya de ne pas lui dire au combien il pensait l'aimait profondément. Il tenta d'étouffer ce sentiment, comme un mensonge trop honteux pour être révélé de vive voix. Et quand Francis s'était encore plus collé à lui, Arthur en tremblait presque. Ce fut comme s'il sentit son cœur prendre racine dans son corps.

You seem to enjoy torturing my poor heart do you not ? You're quit the sadist, Francis. Avait-il murmuré.

Pour lui, ce sentiment fut la plus grande et intense chose qu'il n'avait jamais ressenti. Cela n'avait rien avoir avec ce qu'on lisait dans les poèmes ou bien regarder dans les salles de cinéma. Ce fut gigantesque, presque insurmontable et terriblement terrifiant. Son affection pour Francis lui fit peur pendant l'espace de quelques secondes.

— La torture dont tu fais référence s'appelle l'amour, Arthur.

Take me back, I love you

Pity me, I need you

I know it's wrong, it must be wrong

But right or wrong I can't get along

Without you

Les yeux d'Arthur s'agrandissaient légèrement. À présent, il ne savait plus si ses pieds suivirent parfaitement le schéma qu'ils étaient censés suivre. Tout ce qui l'hypnotisa fut les lèvres de Francis sur lesquels il était pendu. Si proches et si tentatrices... Il ressenti son souffle chaud contre le sien.

— Et, excuse moi du commentaire, mais tu parais être un peu plus masochiste que moi.

What gives you that impression ? Arthur avait haussé un sourcil, un petit sourire au coin des lèvres.

— Un regard fatigué, épuisé de travailler jour et nuit pendant que le reste du monde s'amuse ou s'endort, rêvant d'une chère fantaisie où l'amour n'a pas besoin d'être enfermé derrière des portes secrètes.

Le peintre approcha son visage vers sa joue et laissa la chaleur de celle-ci s'imprégner de la sienne. S'entend les mèches de cheveux de Francis caresser sa peau cramoisie, Arthur ne voulue même plus arrêter les battements de son cœur.

— Et toi, aime-tu être un imbécile amoureux ?

Probably not as much you do.

Petit à petit, les deux jeunes hommes avaient arrêtés leur danse sans s'en rendre compte. Et Francis semblait s'être fait piéger à son propre jeu. Alors, il ricana doucement tout en baissant ses deux mains.

— C'est vrai. Je ne peux pas te contredire.

Francis. I...

La musique s'était maintenant définitivement arrêter, comme un gong final. Arthur n'avait plus aucune raison de rester aussi près de Francis et lui, plus aucunes raisons de garder ses mains dans les siennes. Et pourtant, les deux jeunes hommes ne pouvaient détourner leurs regards. Ce fut comme si il n'y avait plus de retour en arrière possible. L'un avait jeté l'hameçon pour que l'autre morde dedans. Et leurs corps étaient si chaud que l'alcool ne fit plus office d'excuse. Arthur en avait démesurément abusé, il est vrai, mais il ne pouvait pas mettre ses sentiments sur le dos de la boisson. Ce qu'il ressentait au plus profond de lui, enfuit sous son ventre et entre son estomac, venait de lui même. L'Anglais était le seul homme ici présent qu'il fallait blâmé. Parce que ce fut chez lui, qu'il en avait décidé ainsi et que le corps de Francis l'attira de plus en plus, comme un satané bout de métal à un aimant.

— Alors, Arthur ? Vas-tu enfin faire quelque chose ou bien serait-ce encore la millième fois où je finis par souhaiter que tu m'embrasses ?

Et immédiatement, sans même hésiter une seconde de plus, le Britannique attrapa son visage entre ses mains et l'approcha du sien pour qu'enfin, dans l'instant, leurs lèvres se touchèrent. Et ce fut pratiquement indescriptible comment la toile de Francis qui, aux abords paraissait blanche, se transforma en un ouragan furieux où les éclaboussures de peinture ne devenaient plus distinctes. Sous son emprise, Arthur n'arriva plus à reprendre son souffle. Il se l'interdisait parce qu'il n'y arrivait tout simplement pas. La sensation et le gout ne pouvaient être comparable à ce qu'il imaginait dans ses rêves. Et quand Francis l'obligea à reculer jusqu'à percuter le mur, son corps refusa de suivre tout mouvements cohérents. Enveloppé sous son odeurs, Arthur n'était plus maitre. Il se vouait corps et âme à ses lèvres qui firent bouger les siennes en synchronisation.

Il était enfin là, ce moment. Où tout problèmes paraissaient inexistants, où la terre s'arrêta de tourner et qu'il se sentit enfin pleinement vivant. Arthur avait l'impression d'avoir atteint son but, son bonheur ultime. Parce qu'avant ce soir, il n'avait aucune idée de quels couleurs était la vie avec un peu plus d'amour. Ni même des reflets dorés contre sa peau, de ces pigments chauds qui se cachaient entre chaque vers afin de les rythmer un peu plus, de leur donner du sens.

L'Anglais passa ses deux mains dans la chevelure de Francis, l'empêchant de partir et celui-ci resserra son étreinte en signe de réponse. Leurs lèvres étaient à présent brillantes et leurs fronts luisants. Apres tant de mois, tant de non-dits et d'incertitude, la course folle au bonheur fut terminée. Les deux jeunes hommes pouvaient pleinement profiter de ce moment, en s'aimant le temps d'une chanson.

— Arthur... Lâcha tendrement Francis en reculant son visage.

Essoufflé par cette course folle ayant duré plusieurs mois, il sourit doucement, presque de façon timide, comme s'il s'empêcha d'éblouir Paris tout entier. Et ils s'embrassèrent à nouveau, encore et encore.