Chapitre XXV : J'ai même rencontré des tziganes heureux

L'Augure n'augure rien de bon.

Il ne sait vivre dans cette illusion.

Il observe le futur, soucieux de son passé,

Sans jamais dans le présent exister.

Patient, l'Augure, le Voyant attend des signes,

Et des mains de son sang, il sait lire les lignes,

Alors, souvent, pour le sang de son sang s'assassine.

Note au Don n. 3 du Codex de Serpentard


—Mais lâche-moi espèce de vieux tordu ! Sale sang infâme !

—Mais qu'est-ce que ? Chavo t'as ramené des raclis ?! Non ! Dehors ! Dehors ! gronda le vieil homme en tirant Bellatrix hors de la caravane.

—Mais qu'est-ce que tu fais là ? explosa Eddy. Tu es complètement cinglée !

La jeune fille se déroba prestement de la poigne du vieil homme. Elle lui donna un violent coup de pied dans le tibia et alors que Berry s'effondrait, la brune se rua vers la silhouette de sa petite sœur.

—Cissy ? Tu t'es cachée dans mon sac ? Tu m'as suivie ? Mais tu es complètement folle !

—Ça fait des semaines que tu prépares quelque chose. Je t'ai vu jeter un sort d'extensibilité sur le sac et mentir à Rodolphus. Je me suis glissée dedans ! s'exclama la petite blonde.

Puis quand ses yeux se furent habitués à l'obscurité, elle regarda d'un air horrifié l'endroit où elle se trouvait. Ses yeux se posèrent sur Eddy et sur Berry qui se releva brusquement.

—DEHORS ! Tous les trois ! Dehors !

Il essaya de saisir Bellatrix par le bras en même temps qu'Eddy, mais ils furent assez lestes pour s'extirper du petit habitacle de la caravane et en jaillirent d'un bond en emportant une Cissy terrifiée.

—Mr Berry ! Elles ne sont pas avec moi ! Je ne savais pas qu'elles s'étaient cachées ici ! Mandi lab ! Je promets ! dit l'adolescent en atterrissant lourdement sur l'herbe.

Berry lâcha une flopée de jurons tandis que Bellatix protégeait sa sœur de son corps sa baguette tendue devant elle. Eddy constata qu'elle n'osait pas jeter un sort. Elle s'était glissée dans la caravane pendant que Berry était chez les Scamander et ne désirait pas être retrouvée par le ministère en jetant un sort.

—Qu'est-ce que tu es venue faire ici ? siffla finalement l'adolescent. Réponds !

Au milieu de la nuit et de la campagne anglaise son cri se répercuta longtemps. Il n'y avait plus un seul son autour d'eux, la nuit était exceptionnellement calme. Berry avait dit qu'un orage se préparait, cette quiétude n'augurait rien de bon.

—Ne me parle pas sur ce ton ! Comme si j'allais te répondre l'Obscurial !

—Elle veut retrouver Andromeda, souffla Narcissa derrière sa sœur.

—Cissy ! hurla la brune dans le noir.

—J'avais raison, c'était ça que tu préparais, pépia la fillette outrée. Tu t'es glissée dans la caravane d'un inconnu avec l'Obscurial pour quitter Selsey ! Je viens avec toi ! Je veux voir Andy !

—Hors de question ! Tu es trop jeune !

—Pas question que vous restiez !

Eddy tourna la tête si brusquement que son cou craqua et il grimaça. Derrière eux, indifférent à leur dispute, Berry était remonté dans sa caravane et Kushti et Mullo la trainaient déjà derrière elles péniblement. Berry partait sans lui en le laissant.

—Hey ! Attendez ! cria l'adolescent en se mettant à la poursuite de la caravane. Attendez !

—Un orage arrive, je ne veux pas rester sous les arbres quand il arrivera, gronda le vieil homme.

—Vous n'allez pas nous laissez ici, sale moldu ! siffla Bellatrix en courant à leur poursuite. Je ne suis pas restée des heures dans votre taudis pour me faire planter ici. C'est moi qui vous ai dit où trouver la maison de Lee !

—Quoi ? s'écria l'adolescent.

Narcissa courait sur ses petites jambes à la suite de sa sœur et la vision d'eux trois à sa poursuite fut suffisamment amusante pour que Berry ralentisse un peu avec un ricanement.

—Et alors ? Tu m'as montré la maison de chavo mais tu as fugué de chez toi avec ta sœur, je ne veux pas avoir de problèmes.

—Et on n'en fera pas ! Vous allez vers le nord ! Notre grande sœur se cache par là-bas dans les environs de Birmingham. C'est tout ce que vous avez besoin de savoir. Vous avez dit que vous partiez là-bas avec Lee ensuite, j'ai tenté ma chance !

Eddy réalisa qu'elle avait interrogé Berry avant de lui donner la direction du cottage sur le chemin de Selsey.

—C'est Jedusor qui t'envoie ? siffla-t-il en la saisissant brusquement par les poignets. Réponds !

—Non ! Nos parents sont absents et je veux retrouver Andy pour lui faire payer ! Ne me touche pas espèce de sale scrout !

Elle s'apprêta à lui asséner une retentissante gifle mais l'adolescent fut plus leste pour l'éviter. Il lui rendit le coup et Bellatrix le fit tomber au sol en lui collant un coup de genou dans le ventre. Le coup fut si violent qu'il tomba au sol, soufflé de douleur. Narcissa tira en arrière sa sœur :

—Arrête ! Comment veux-tu qu'ils nous laissent monter si on les agresse !

—Toi tu ne devrais même pas être là !

—Comme si j'allais te laisser avec nous, gronda Eddy en se relevant grimaçant de douleur.

—Donnez moi une bonne raison de vous garder ici ? siffla Berry. Avoir encore plus d'ennuis que j'en ai déjà ?

—Je suis prête à payer ! souffla Narcissa. J'ai de quoi payer !

La blonde souleva ses cheveux pour montrer deux petits diamants à ses oreilles. Elle les enleva délicatement et de sa petite main les tendit à la large poigne de Berry.

—Non Cissy ! hurla Bellatrix. C'est un cadeau de mère !

—Je suis prête à vous les donner si vous nous emmenez vers le nord, monsieur, fit Narcissa avec une petite voix et de grands yeux tristes. C'est tout ce qu'il nous reste de notre mère-

—Mais elle n'est pas morte votre mère, fit l'adolescent qui l'avait vue au Derby avec Mr Black.

Narcissa devint d'une couleur violine dans le noir et Berry braqua sa lampe torche sur son visage déconfit. Bellatrix gronda et montra les dents.

—Tu pouvais pas te taire ?

Cependant un grondement se fit entendre au dessus d'eux et un vent violent se leva couchant la cime des arbres dans le noir. En deux secondes à peine, tout dérapa et une pluie diluvienne s'abattit sur les bois. Ils furent littéralement trempés et Berry poussa un juron. D'autres grondements se firent entendre et un éclair déchira le ciel.

—Vous voulez restez les gadji ? Va falloir travailler ! Au premier problème, je vous mets dehors !

Bellatrix eut un sourire victorieux alors que Narcissa remballait ses boucles d'oreille dans la poche de sa robe d'été. Berry ne se rendait absolument pas compte du danger qu'il avait laissé monter à bord de sa caravane, ou bien était-il plus préoccupé par la caravane qui s'enfonçait dans la boue et ses juments paniquées par l'orage. Les lourdes roues étaient enlisées sous l'eau.

—Si vous voulez avoir l'occasion d'aller quelque part tous les trois, il va falloir m'aider. Kanna ! Maintenant !

Bellatrix et Narcissa blêmirent à la suite d'Eddy et s'exécutèrent alors que le bruit de tonnerre devenait de plus en plus fort autour d'eux.

.

.

Ils avaient passé la nuit à traverser la campagne dans les chemins de terre et à pousser la caravane et désenliser les roues avec de la paille ou des herbes folles. Ça n'avait pas été probant et ils étaient exténués et couverts de boue en arrivant dans une petite ville aux premières lueurs de l'aube. Tout du moins les lueurs perceptibles sous l'épais manteau de nuages noirs qui obstruait le ciel autant que la pluie battante. Berry avait établi leur bivouac en périphérie de cette ville industrielle grisâtre avant de les laisser. Il leur avait dit de ne pas bouger.

Eddy était tellement abattu de fatigue qu'il n'aurait pas pu aller bien loin. Comme Bellatrix et Narcissa, après s'être battus toute la nuit sans magie pour les aider, ils étaient trempés et frigorifiés en plus d'être perclus de courbature.

—Quelle idée de voyager comme ça, siffla Bellatrix en tremblant de froid.

—Quelle idée de s'incruster aussi, répondit l'adolescent. Tu comptais faire quoi exactement ? On allait bien finir par te remarquer.

—J'aurais obligé le vieux gitan à m'obéir et toi aussi. Au final c'est un peu ce qu'il s'est passé, se moqua Bellatrix en égouttant ses cheveux.

—Grâce à moi ! claironna la petite Narcissa près de l'entrée de la caravane.

—Vos parents sont déjà à votre recherche sûrement, j'ai déjà suffisamment de problèmes comme ça ! râla Eddy. J'ai vu de quoi était capable ton père et je sais très bien pour qui il travaille !

Eddy se souvenait très bien de ce à quoi il avait assisté sur la plage à Selsey l'été précédent, aussi la violence de Mr Black et l'humiliation des sœurs Black, étaient encore bien présentes dans son esprit. Le visage de Bellatrix prit l'air impérieux et hostile.

—Tu veux qu'on en parle de ton père à toi ? Tout le monde l'a vu en épouventard t'attaquer avec son engin moldu !

—Moi le mien est mort, le problème est réglé !

—Et le mien ne perd rien pour attendre. Je suis encore mineure, j'ai encore la Trace… mais dès que je ne l'aurais plus…

Les yeux de Bellatrix luisirent et elle eut l'air très gourmand, cela eut l'air d'inquiéter Narcissa qui ne sut comment réagir.

—Tu veux faire du mal à Andy, fit la blonde. Raison de plus que je sois là !

—Tu n'as pas à t'en mêler. C'est moi l'aîné depuis qu'elle nous a abandonné pour son sang de Bourbe, c'est moi qui décide !

—Comment savoir si ce n'est pas Jedusor qui t'envoie !? Tu apparais comme ça en allant pile dans la même direction que moi ? Qu'est-ce que tu sais ? Qu'est-ce que Berry t'a dit ?

—Je pense que le… que Jedusor n'a pas besoin de moi pour te surveiller, pas avec ton collier en tout cas, de ce que j'ai vu au Derby. Je sais juste que tu recherches ta famille, mais ça quiconque ayant lu le Poudlard Illustré de Skeeter le sait, Lee.

Elle avait l'air satisfaite mais elle marquait un point.

—J'ai pris la première solution qui s'offrait à moi, et maintenant je suis dans la caravane crasseuse d'un moldu, trempée et couverte de boue dans une ville infâme avec ma sœur et un obscurial sang de bourbe. Non, je n'ai pas mérité ça.

—Je t'en prie, personne ne te retient, siffla l'adolescent. Ça nous évitera de t'entendre te plaindre.

Narcissa eut un petit ricanement qui vexa Bellatrix et cela eut au moins le mérite de la calmer. Eddy put souffler et tenter de se reposer, mais ce fut sans compter sur son ventre qui gronda et qui fut bientôt rejoint par celui de Narcissa et Bellatrix.

La brune plongea sa main dans son énorme sac et farfouilla longtemps avant de trouver une barre de céréales de Honeydukes qu'elle tendit à sa cadette. Eddy sortit sa propre barre de chocolat, croquer dedans lui fit du bien, et après quelques bouchées il se sentit mieux. Alors que la pluie continuait à verse dehors, Bellatrix s'impatientait.

—On va se noyer ici encore longtemps ? Qu'est-ce qu'il fait le vieux moldu ?

—Techniquement c'est un cracmol et tu recommences à te plaindre. Il a dit d'attendre. D'ailleurs comment tu sais où se trouve ta sœur ?

—J'ai demandé à Rosier de voler l'enquête sur la disparition d'Andy dans le bureau de son père pendant les vacances de Pâques. Ted Tonks aurait une grande tante habitant vers Birmingham et je sais qu'Andromeda aime cette ville. On y a enterré une grande cousine il y a quelques années. Je suis sûre qu'elle est là-bas.

—Tu te bases sur des déductions tordues.

—Et toi ? Comment t'es sûr qu'elle sera là-bas ta famille ?

À nouveau Bellatrix marquait un point. Ils pouvaient très bien être partis de la ville et n'importe où dans le pays. Comment retrouver des nomades qui partaient au moindre coup de tête ? Pour autant, il restait méfiant des deux filles Black. Il haussa les épaules et leur tourna ostensiblement dos avant de fermer les yeux.

Quand il les rouvrit, il ne sut pas combien de temps s'était passé, il pleuvait toujours mais les gouttes s'étaient faites moins denses. Les sœurs Black n'étaient plus dans la caravane, quand Eddy en sortit, il vit qu'elles se trouvaient aux côtés de Mr Berry abritées sous un arbre face à un réchaud. Berry était de retour et paraissait encore plus fatigué et malade.

Asutti Chavo, kushti sovapen ? (T'as dormi garçon, tu as fait de beaux rêves ?)

—Kek. (Non)

Les deux filles Black échangeaient des regards suspicieux entre elles en ne pouvant pas comprendre le moindre mot de leur conversation. Bellatrix montra les dents en engouffrant son toast. Berry avait fait chauffer des beans dans leur boite à même son les braises. Il lui tendit une petite écuelle en aluminium remplie de flageolets qu'Eddy prit avec reconnaissance.

Pazzer la ? (Tu lui fais confiance ?) demanda le vieux rom en jetant un coup d'œil rapide à Bellatrix.

—Jin ? (Qui sait ?) répondit le garçon.

—Vous parliez d'un homme, continua Berry en romani. Un homme qui te surveille et les aurait envoyé. Tu es en danger ?

Si o baffadi mush. (C'est une personne dangereuse)

—Qu'est-ce que vous racontez comme ça ? siffla Bellatrix à bout de nerf. Quand serons-nous arrivés à Birmingham ?

—Tu poses trop de questions fillette, siffla le vieux gitan. Mange !

—Je ne toucherai jamais quelque chose que vous avez préparé espèce de sale-

Narcissa stoppa l'insulte de sa sœur en vol en récupérant l'écuelle tendue par Berry. Bellatrix eut l'air aussi horrifiée que si on l'avait frappée. Avec la boue qui lui couvrait le visage et ses boucles brunes trempées, Bellatrix avait l'air bien peu noble et surtout ridicule.

—Merci. Comment on dit merci dans votre langue ? demanda timidement Narcissa.

—Paks.

Après ça, Berry se releva lourdement et partit la tête baissée dans la caravane dont il claqua la porte. Sans doute allait-il se reposer avant de leur faire reprendre la route. Le vieil homme n'était pas content d'avoir la présence des deux jeunes filles avec lui, mais Eddy n'en était en fait pas fâché. Leur arrivée soudaine et les cris de Bellatrix lui avaient fait oublier ses soucis. Il n'avait pas une fois pensé à Tina et Newt depuis hier. Quelque part, cela le soulageait un peu.

—Quand est-il rentré ? demanda l'adolescent.

—Il y a deux heures. Cissy et toi dormiez, lâcha Bellatrix. Il a pas voulu me dire où il était passé. Qu'est-ce que vous vous racontiez dans votre langue ?

—C'est étrange d'ailleurs, fit Narcissa après avoir mâché sa dernière bouchée. On dirait une autre personne quand tu parles le gitan.

—Euh… merci ?

—À combien de jours on est de voyage ? réattaqua Bellatrix. Comment tu connais cet homme ?

Eddy plissa les yeux. Elle ne cessait de lui poser des questions et se montrait plutôt insistante. L'adolescent avait passé peu de temps avec la jeune fille au cours de cette dernière année, mais assez pour savoir que c'était presque son trait de caractère le plus agréable. Il préférait ça à ses coups en tout cas.

—On est à trois ou quatre jours de voyage. Ça dépendra de la météo et des routes que l'on prend. Certaines voies des moldus sont impraticables avec une caravane et des chevaux, elles sont trop rapides.

—Fichus moldus, siffla-t-elle en regardant la ville grise et abîmée qui sous la bruine revêtait des allures presque fantomatiques.

Des petites silhouettes de moldus s'affairaient sous des parapluies et avançaient entre les bâtiments au loin à toute vitesse. Sur une grande voie lointaine on voyait un contingent de petites voitures pénétrant dans la ville par un tunnel détrempé. On pouvait dire en effet que cette ville n'était pas la plus belle représentation du monde moldu.

—Pourquoi tes tuteurs ne t'ont pas fait directement transplaner à Birmingham ? Je veux dire, ils t'ont laissé partir avec ce type, alors pourquoi ne pas directement vous envoyer là-bas ?

—Les choses se sont faites comme ça, répondit pudiquement Eddy. Et Berry n'aurait jamais accepté qu'on utilise la magie. Il n'aime vraiment pas ça. Ni même les étrangers et les sorciers.

—Pourtant les gitans ont souvent voyagé avec des sorciers, souffla Bellatrix.

Cela surprit l'adolescent. Il avait bien remarqué que les sorciers anglais étaient assez neutres vis à vis de ses origines, son statut d'Obscurial étant beaucoup plus suspect.

—Qu'est-ce que tu veux dire ?

—Ce n'est pas écrit officiellement bien sûr, mais c'est une récurrence de l'arbre généalogique des Sangs Purs. Quand les sorciers ont eut besoin de disparaître et de traverser les pays à partir de la fin du moyen âge, ils allaient voir les gitans. Certains ont échappé comme ça aux chasses aux sorciers. Les Potter par exemple, ils se sont cachés parmi des gitans potiers, d'où leur nom. Au XVIe siècle l'ancêtre de Lucius, Lucius Malefoy 1e du nom a essayé d'ensorceler la reine des moldus. Il s'en est méchamment mordu les doigts, son manoir a été incendié par l'armée et il n'a pas eut d'autres choix que de se cacher parmi eux pour rejoindre l'Ecosse.

Bellatrix avait une passion pour l'Histoire, alors ce genre de détails ne lui échappait pas. Eddy n'avait jamais lu ces faits ou entendu Binns en parler en cours.

—Lucius ne m'en a jamais parlé, souffla Narcissa stupéfaite.

—Tu lui raconteras alors, gloussa la brune. Mais en tout cas, chaque sorcier sang pur doit avoir au moins un gitan sorcier dans son arbre généalogique. C'est même certain, donc que ton vieux gitan n'aime pas la magie ça n'a pas de sens.

Les traits d'Eddy se contractèrent en songeant que Berry avait ses raisons pour ne pas aimer la magie et les sorciers. Pour autant, il les avait accueillis tous les trois malgré leur condition. Son aversion était peut être plus une précaution qu'une véritable haine. L'adolescent se releva lourdement en se trouvant bien faible. Il éteignit le réchaud, faisant sursauter Bellatrix et récupéra les écuelles pour les laver à la moldue.

—De l'aide ne serait pas de refus. Berry a dit que vous deviez travailler. Travailler c'est ça. C'est aider.

Autant Narcissa se leva aussitôt pour débarrasser avec lui et mettre leurs maigres couverts sous la bruine pour les rincer, autant Bellatrix ne bougea pas, les bras croisés.

—Ça lui passera, chuchota Narcissa. Elle réagit comme ça parce qu'elle a peur.

—Je t'ai entendue, Cissy !

Ils repartirent quelques heures plus tard. La pluie s'était arrêtée et le soleil perçait timidement dans une espèce de brume opaque dans le ciel. Il faisait chaud et lourd, l'orage n'avait pas fait baisser la température bien au contraire. Berry leur avait fait savoir qu'ils établiraient leur campement bientôt car les juments ne pourraient pas suivre la distance sous cette chaleur.

Eddy ne s'en plaignait pas, il suffoquait un peu en marchant derrière Bellatrix entre les broussailles sur le chemin. Narcissa plus petite était dans la caravane avec Berry et tenait les rennes des deux chevaux avec un petit sourire. Ils ramassaient des fois des choses sur le chemin, ralentissant leur périple au grand damne de Bellatrix.

Bellatrix marchait sans vraiment desserrer les dents. Elle ne cessait de jeter des coups d'œil inquiets derrière elle comme si elle craignait qu'un sorcier ne débarque toute baguette dehors.

—Qu'est-ce que tu vas faire quand tu trouveras ta sœur, gadji ? demanda Berry à Bellatrix au bout d'un moment.

—De quoi je me mêle ?

—Je t'ai accueillie avec ta sœur car nous avons le même chemin autant profiter du voyage pour discuter, non ? répondit le vieil homme.

Narcissa semblait très mal à l'aise et jeta un regard presque suppliant à Bellatrix.

—Je vais tuer Andromeda, voilà, vous êtes content ? Elle a suivi ce répugnant moldu et elle payera pour ça ! Ce sera entre elle et moi.

Alors que Narcissa et Eddy étaient horrifiés, Berry fut prit d'un fou rire qui se transforma petit à petit en quinte de toux tonitruantes. Bellatrix eut l'air outré, elle sortit vivement sa baguette en s'apprêtant à lui jeter un maléfice :

—Vous vous moquez de moi ? Comment osez-vous ?!

—Tu ne pourras pas utiliser ta baguette, sinon tes amis les sorciers vous retrouveront, alors comment tu vas faire, petite chivvia (sorcière) ?

À l'expression de Bellatrix, Eddy comprit qu'elle n'en avait aucune idée. Cela renforça l'hilarité de Berry et fit même rire l'adolescent. Ce fut sans compter sur Bellatrix qui, vexée, se retourna et gifla violemment Eddy. À cela, son corps répondit et Bellatrix fut littéralement soulevée en l'air par la magie du jeune homme. Narcissa cria à l'instar de son aînée et les deux juments hennirent bruyamment en cahotant sur le chemin. Bellatrix à six mètres du sol poussa un gloussement suraigu en ayant l'air de trouver la situation plus amusante qu'effrayante. Elle essaya de nager dans le vide dans sa direction. Eddy complètement paniqué tenta de la faire redescendre en se calmant. Bellatrix rebondit en l'air plusieurs fois avant d'atterrir brusquement sur le chemin derrière la caravane que Berry essayait d'arrêter.

—Oh c'était trop bien !

—Bella ça va ? hurla Narcissa au bout du chemin. Excuse-toi pour ce que tu as fait ! Par Merlin, Lee, tu vas bien ?

Un peu sonné l'adolescent acquiesça et jeta un regard mauvais à Bellatrix qui arrivait dans sa direction d'un air extatique.

—Tu ne vas pas bien, petite gadji ? hurla Berry. Qu'est-ce que tu as trafiqué ?

—J'aurais pu te tuer !

—Comme tu as tué ton matou et attaqué Rita ? Voyons, j'ai plus de réserve qu'eux !

—Tais-toi ! siffla Eddy en ne pouvant se retenir de se jeter sur la jeune fille.

Elle eut l'air de n'attendre que ça et esquiva le coup qu'il lui porta avant de lui empoigner le bras pour le tirer vers l'arrière.

—Arrête ! Bellatrix, excuse-toi ! souffla Narcissa en sautant de la caravane.

Berry sauta lourdement sur le sol, il poussa brutalement Bellatrix au point qu'elle vacilla et tomba sur le derrière. Il prit ensuite le bras de Narcissa et Eddy et les jeta dans la caravane avant d'y grimper à son tour. De là, il fit galoper ses vieilles juments en quatrième vitesse laissant Bellatrix sur le bas côté du chemin. Elle poussa un hurlement de chat furieux en se mettant à leur poursuite.

—Vous allez la laisser derrière ? s'exclama Narcissa qui en était rendue à un niveau d'exaspération où elle ne savait pas si c'était quelque chose qu'elle voulait ou non.

—On pourra pas galoper indéfiniment à trois avec la caravane, et puis y'a toi et ses affaires, elle va nous suivre. Je la laisse se calmer.

Berry n'avait pas tort, aussi la tournure de la situation les fit plus rire qu'autre chose alors que Bellatrix les poursuivait en pestant sur le chemin boueux. Elle s'effondra en se prenant la chaussure dans un caillou sur le chemin et leur adressa une flopée d'insultes gratinées. La caravane ralentit alors qu'ils quittaient le chemin de terre. Ils étaient non loin d'un large champ et une chapelle solitaire était la seule présence humaine à l'horizon. Une voiture passait parfois au loin comme un petit insecte rutilant dans le soleil couchant. Berry leur dit qu'ils passeraient la nuit là et leur demanda de descendre pour guider les équidés sur une petite colline.

Il y avait un petit cours d'eau en contrebas qui avait été grossis par les pluies et dans la chaleur, son eau était des plus tentante, mais il fallait d'abord monter le camp. Bellatrix finit par arriver alors que Berry faisait un feu protégé du vent par sa caravane. Elle était transpirante, encore plus couverte de boue et ses cheveux n'étaient plus qu'un nid d'oiseaux remplis de feuilles. À leur visage hostile, elle eut une moue boudeuse mais peu contrite.

—Désolée, minauda-t-elle. Je le referai plus.

Berry haussa les yeux au ciel et d'un geste de la main les envoya voir ailleurs. Narcissa saisit la main de sa sœur pour la tirer vers le cours d'eau pour se débarbouiller. Alors qu'Eddy allait les suivre pour en faire de même, Berry l'interpella :

—Tu vas pas aller te laver avec les raclis, chavo. Pench chav'. (Réfléchis)

Le rouge aux joues, il songea que non, ce n'était pas envisageable. Berry l'incita à s'asseoir à ses côtés en tapotant le talus d'herbe folle où il se trouvait devant le feu. L'adolescent s'exécuta, tandis que Berry tisonnait les braises pour installer précairement sa popote.

—Tu as l'air kino (fatigué).

Lesti dui (Vous aussi).

—Tu as encore explosé, gronda-t-il. On a failli avoir un accident. Je ne veux plus de ça.

Eddy songea que Bellatrix l'avait bien cherché mais il ne voulait pas embarrasser davantage le vieil homme. Après ce qu'il s'était passé l'été dernier, après sa défection de Noël, il était tout de même revenu le chercher. Berry était un ami précieux, même si le terme semblait étrange, sa fidélité lui faisait dire qu'il pouvait lui faire confiance.

—Tu as tué ton chat et attaqué une fille ? demanda-t-il après une quinte de toux grasse.

—Non ! C'est l'homme qui m'a forcé à mettre ce collier et qui me poursuit. Il leur a fait du mal et je n'ai pu rien faire, murmura l'adolescent encore bouleversé.

Ils restèrent silencieux un moment, tandis qu'ils entendaient en contrebas les deux sœurs jouer dans l'eau.

—Un rom poursuivit n'est jamais libre, murmura Berry après quelques instants. Tu cours bien trop vite, c'est pour ça qu'on veut t'attacher.

Il versa le contenu d'une boite de conserve dans la popote, puis sortit de sa vieille veste élimée un petit dossier froissé.

—Peux-tu me rendre un service chavo ?

—Oui ?

—On m'a donné ça ce matin au dispensaire. Peux-tu me lire ce qui est écrit ? demanda le vieil homme en ouvrant le dossier qui semblait être un dossier médical. Je ne sais pas lire.

—Mais comment vous m'envoyiez des lettres ?

—En payant à boire. Une bière pour que quelqu'un gadjo écrive, et une autre bière à un autre gadjo pour qu'il la lise et que je sois sûr de ce que l'autre a marqué. Ça revient cher la lettre, dit-il bourru.

L'adolescent se saisit maladroitement du dossier médical. Il ne comprenait rien à ce qui était marqué et le vieux gitan non plus à en voir son air confus. Un mot cependant attira son attention et il lut la suite :

—Cancer du poumon évolutif, stade terminal. À ce stade, aucun traitement n'est envisageable. L'espérance de vie estimée est de trois mois.

L'adolescent n'en croyait pas ses oreilles et releva son visage brusquement vers Berry qui n'avait pas l'air étonné.

—C'est plus ou moins ce que j'savais déjà, releva le vieil homme. Ils m'ont donné mon dossier pour que j'aille prendre d'autres avis, comme ils disent. La question est tranchée.

Berry récupéra le dossier des mains d'Eddy brusquement et en sortit une radio de ses poumons qu'il regarda d'un air songeur.

—Vous allez mourir, souffla l'adolescent dévasté.

—Comme tout le monde, répondit-il. Je suis plus pressé que les autres pour une fois, chavo. Ce n'est pas grave.

À la lueur des flammes la radio des poumons du vieil homme brillait légèrement en ses coins. Une braise s'agrippa à un bout et commença à embraser rapidement la radiographie. Berry l'éteignit brusquement en tapant dessus avec sa main et eut l'air intrigué.

Bellatrix et Narcissa revinrent à ce moment là de leur baignade, propres et trempées. Berry rangea le dossier dans sa poche en laissant la radio à portée de main.

Rak dubba stor tui, chavo (garde ça pour toi). Maintenant va te laver, on va manger.

Berry avait parlé avec un ton sec, n'admettant aucune contestation, alors l'adolescent s'exécuta un peu pantelant. Berry allait mourir bientôt, et cela le ramena à une réalité bien plus terre à terre le concernant. Lui aussi n'avait plus beaucoup de temps.

Il enleva ses chaussures et rentra tout habillé dans l'eau. Cela lui fit un bien fou après tout un après midi à marcher couvert de boue sous le soleil brumeux. Il s'aspergea la tête pour s'enlever sa crasse et sa sueur. L'Obscurus continuait à grandir en lui, et il finirait par mourir. Sauf s'il écoutait Jedusor, mais au prix de quelle vie et de quels dommages ?

Il ressortit de l'eau rapidement comme si on l'avait électrocuté et récupéra ses chaussures. Il ne servait plus à rien de ruminer. Aujourd'hui malgré les obstacles, il était de retour sur les routes. Il n'était plus libre, mais pour le moment il était en mouvement. Il allait peut être retrouver les siens.

Bellatrix lui jeta son habituel regard impérieux lorsqu'il les rejoignit. Narcissa donna un coup de coude à sa sœur pour que finalement la brune ne prenne des confiseries dans son énorme sac et ne pose le sachet devant elle près du feu.

—On peut partager… Si on peut avoir des pois, vous aurez un dessert.

—Te voilà plus amicale, racli, gloussa le vieil homme. Ta petite course t'a fait du bien, on dirait. J'allais vous nourrir. Mange.

L'écuelle de pois et de lard convainquit la jeune femme qui se servit avec gratitude de son premier vrai repas de la journée. En partageant en quatre, c'était bien peu, et les friandises des Blacks n'étaient pas de refus. Berry ne prenait pas les confiseries sorcières. Il regardait d'un air curieux sa radio en ayant l'air de trouver l'image de ses os sur le bout de plastique tout à fait fascinants. Eddy le vit s'allumer une cigarette.

—En fait, demanda Narcissa, tu as utilisé la magie tout à l'heure. Pourquoi nous n'avons pas été repérés par la Trace et par le Ministère ?

—Je n'ai pas la Trace, répondit Eddy. Comme tous les Obscurials…c'est pour ça que le Ministère ne nous trouve jamais à temps. Mon tuteur pense que c'est à force de cacher notre magie, on brouille toutes les magies autour de nous, rendant la Trace inefficace.

—Comme une sorte de champ de force, comprit Bellatrix dont l'œil brillait. C'est pour ça que nous non plus nous n'avons pas été repérés. Ça veut dire que tu peux utiliser la magie quand tu veux en dehors de Poudlard ?

—Techniquement, oui, répondit Eddy de plus en plus mal à l'aise et qui voyait le visage de Berry se contracter. Mais je ne l'utiliserai pas. Ma magie est suffisamment catastrophique comme ça.

—Mais pourquoi ? Si je t'aide on pourra rendre la caravane dix fois plus légère. Je peux même essayer de le faire si tu brouilles tout !

—Non, répondit le gitan. Pas de magie. Vous les sorciers vous croyez tellement invincibles avec votre fichue magie que vous n'essayez même pas de voir le monde. Vous voulez être partout à la fois, tout le temps. Ma caravane, mes règles, pas de magie.

—Bien sûr, susurra Bellatrix avec l'air de ne pas en penser un mot. Qu'est-ce que c'est ce truc que vous tenez, monsieur ? pépia-t-elle ensuite avec de faux airs de petite fille.

—Une image de moi, apparemment, gadji.

Berry posa sa radio sur l'herbe. Il s'arracha quelques mèches de cheveux qu'il trempa dans sa gourde d'eau et commença à appuyer le bout incandescent de sa cigarette sur le plastique de la radiographie. Elle s'enflamma aussitôt et Berry utilisa l'humidité de sa mèche de cheveux pour guider l'embrasement et faire un dessin dans la radio. Narcissa s'était penchée d'un air très intrigué. Au bout d'un moment Berry découpa le dessin d'une fleur dans le plastique et le tendit à Narcissa. La petite fleur découpée grossièrement était faite sur un bord des côtes, dessinant des étranges motifs blancs sur le noir du plastique.

—Paks, murmura la petite blonde touchée par cet étrange présent.

Berry lui frotta la tête et Narcissa fut complètement décoiffée et un peu tourneboulée de cette preuve d'affection à en voir son air. Berry retourna à son ouvrage sur sa radio avec sa cigarette et sa mèche de cheveux. Même Bellatrix s'était intéressée à son ouvrage lent et minutieux, à guider la chaleur sur ce petit bout de plastique. Berry découpa ce qui ressemblait à une roue sur le blanc de sa radio et la détacha précautionneusement. C'était une petite roue de la taille de sa paume légèrement argentée et très fragile que Berry tendit à Eddy. Émut de ce présent, l'adolescent n'eut pas les mots pour répondre, mais il échangea un long regard avec le vieil homme qui parut troublé.

—Ne sois pas plus pressé que moi, chavo. Prend ton temps. Tu les retrouveras.

Berry barbouilla ensuite différemment sur la radio en appliquant de l'eau au préalable pour humidifier les coins. Eddy rangea précautionneusement la petite roue fragile dans la poche de sa veste qu'il avait attachée à sa taille. Berry découpa grossièrement un petit serpent à Bellatrix :

—Pour la pire vipère que j'ai rencontré jusqu'ici. Vassavi chib(1). (langue de serpent). Nous, on prend notre temps pour faire les choses car ça occupe les mains, et on a l'esprit libre de rêver. Les sorciers c'est l'inverse vous vous occupez l'esprit pas les mains. On part avant le soleil demain.

Bellatrix récupéra le petit serpent tendu avec une moue réellement contrite cette fois. Elle l'inspecta avec l'air de vouloir dire quelque chose, mais Berry se releva et retourna dans sa caravane dont il claqua la porte. Sans doute, connaissant maintenant son état de santé qu'il avait terriblement besoin de repos.

—Il est vraiment bizarre, mais moins horrible que je l'aurais cru, souffla Bellatrix au bout d'un moment.

La nuit était tombée, Bellatrix se leva pour ouvrir son énorme sac et elle plongea presqu'entièrement dedans. Elle en sortit une toile de tente miteuse dont elle commença à batailler avec les piquets et sardines. Si Eddy amorça un geste pour l'aider, elle lui jeta un regard si farouche qu'il préféra rester sur place et la laisser se débrouiller. Narcissa vint l'aider et à deux elles montèrent la tente après plusieurs grognements furieux.

—Tu vas dormir dans la caravane du coup ? demanda la blonde.

—Je ne dors pas avec Berry. Quand il est dedans, je dors dehors.

La jeune fille opina et rentra dans la tente en leur souhaitant bonne nuit.

Bellatrix ne fit pas mine de la suivre. Elle s'assit lourdement à côté d'Eddy qui faisait la vaisselle dans la bassine.

—Avec une baguette ce serait plus rapide, pointa-t-elle justement.

—Si c'est pour me dire que je ne suis pas un vrai sorcier, on repassera, siffla l'adolescent en la menaçant de son chiffon trempé. Tu vas vraiment tuer ta sœur ?

—J'aviserai si Cissy me suit ou non. Et toi ? Tu feras quoi quand tu retrouveras ta famille ? Ils t'ont abandonné aussi, non ?

—Je ne sais pas. Ils ne m'ont pas abandonné, c'est plus compliqué que ça.

Pourtant, peut-être que les paroles de sa tante Zelda avaient celé son destin. Que ferait-il quand il la rencontrerait ?

—Je demanderai des réponses, finit par dire l'adolescent en finissant de rincer la dernière écuelle.

—Moi aussi, souffla Bellatrix et elle rajouta dans un chuchotement. J'ai besoin de voir ce qu'Andy vit, pour voir si ça vaut le coup.

—Le coup de quoi ? demanda Eddy.

—De vivre selon mes propres règles, répondit-elle d'une voix brûlante en tisonnant les braises chaudes du bout d'un bâton avec à sa main sa bague de fiançailles dont le rubis brillait.

Eddy songea que la jeune sorcière avait été engagée contre son gré à Lestrange en début d'année scolaire et qu'il l'avait vu même pleurer dans la salle commune quand personne n'était là. Non, il n'enviait pas non plus la situation de Bellatrix.

—Tu n'aimes pas Rodolphus.

—Non, c'est un idiot. Mais il a le sang pur, alors c'est tout ce qui compte, j'imagine… Mais si on parle logiquement, les enfants qu'il me donnera seront potentiellement aussi stupides que lui. Alors ça n'a pas de sens, s'énerva Bellatrix en frappant le sol de ses talons furieusement. Si on sélectionne le sang c'est bien pour ne pas avoir de gêne de moldus, mais je vais devoir mêler mon sang à celui d'un demeuré ? C'est stupide, ça n'a pas de sens !

Pour la première fois Bellatrix lui parut démunie et perdue. Elle butait face à cette dissonance cognitive avec hargne et son visage était tordu en une curieuse grimace.

—C'est pour ça que je suis partie. Ça et parce que je sais qu'ils ont couvert ce que Rosier avait fait à Médusa. Rodolphus et son frère me l'ont dit, ça les faisait bien rire ces enflures. Je ne pouvais plus me le voir en peinture. J'espère que Rosier bouffe les pissenlits par la racine, maintenant.

—Tu sais pour Médusa ? releva l'adolescent.

—Oui, et je n'ai rien vu. C'est comme si j'avais laissé faire, souffla Bellatrix douloureusement. Je suis sûre que Med s'est vengée, mais elle est toujours tellement froide depuis ça.

Eddy hocha la tête en songeant à quel point sa camarade lui avait semblé semblée triste et apathique du peu qu'il l'avait vue. Depuis qu'Eddy avait rencontré les sœurs gorgones et Salazar, il avait l'impression de leur avoir a tous gâché la vie. Peut-être bien qu'il portait malheur, comme le disait Zelda ?

Bellatrix finit de tisonner les braises et regarda le petit serpent de plastique fondu que lui avait donné Berry avant de lever les yeux vers lui :

—À quoi tu penses, Lee ?

—Tu trouves que je porte malheur ? Que je fais le mal autour de moi ?

Quelque part le jugement de cette fille violente était important à cet instant car elle répondrait franchement :

—Tu ne sembles pas le vouloir, mais tu pourrais y trouver un certain plaisir, ronronna Bellatrix. Moi ça me défoule. Faire du mal aux autres, ça défoule. C'est ce que le Maitre nous propose.

—Le Maitre ?

Les yeux de Bellatrix brillèrent tandis qu'elle jetait un regard à la tente où dormait sa sœur.

—Le professeur Jedusor ne sait pas que je suis ici avec toi. Personne ne sait, je cherche vraiment Andromeda. Il faut corriger l'inutile, ou l'exécrable, siffla la jeune fille en répétant ces mots avec révérence.

Eddy se souvenait très bien de ces mots que le professeur avait proférés envers lui. Bellatrix était une de ses plus jeunes adeptes mais peut être bien la plus fervente à la manière dont elle parlait d'une façon presque caressante de son « maitre ». Eddy trouva la scène très dérangeante.

—Pourquoi tu me racontes ça ?

—Parce qu'avec ta puissance, imagine les moldus que tu pourrais massacrer. Personne ne te résisterait. Tu serais respecté et crains parmi nous autres sorciers. Tu serais important pour le peu de temps qu'il te reste ! Tu pourrais faire quelque chose de grand, de démentiel ! Mais tu préfères perdre ton temps sur les routes à chercher des chimères avec un vieux.

—Je ne vais pas attaquer des moldus, ils ne m'ont rien fait, enfin ! Je ne veux pas faire de mal ! À chaque fois je n'ai pas eut vraiment le choix.

—On a tous le choix, siffla Bellatrix. Jedusor te veut dans son armée alors pourquoi refuser ? Tu pourrais être auprès de Salazar et Médusa, tout serait plus simple.

—Tu sais quoi, on va arrêter cette conversation. Je suis fatigué.

L'adolescent récupéra son sac devant une Bellatrix victorieuse et partit se coucher auprès des deux juments qui broutaient paisiblement dans le champ.

Ils furent réveillés quelques heures à peine plus tard par des fermiers moldus venant travailler le champ contigu à leur campement. Manifestement, ils n'avaient pas le droit de camper ici, et avant même que le soleil ne se lève ils n'eurent d'autre choix que de fuir en quatrième vitesse sous les cris des paysans. Bellatrix baguette levée finit par jeter une pierre dans la direction d'un vieux moldu qui levait sa fourche contre elle. Elle partit ensuite sans demander son reste. Ils marchèrent une partie de la journée, alternant dans la caravane et s'arrêtèrent durant les heures les plus chaudes.

Eddy n'avait pas reparlé à Bellatrix depuis leur conversation auprès du feu et ne voulait pas lui donner la satisfaction de le voir troublé, alors il avançait souvent en éclaireur sur la route pour vérifier que le chemin était praticable. Cela l'isolait et le laissait à réfléchir.

Ils atteignirent Birmingham deux jours plus tard alors que le soleil était haut dans le ciel et la ville visible dans le lointain.

—On va devoir s'arrêter là. Je ne rentrerai pas dans la ville avec la caravane, chavo, murmura Berry d'une voix fatiguée.

Eddy se rendit compte qu'il n'était peut être pas en état de le conduire dans la ville. S'il ne lui restait que quelques mois à vivre, il avait besoin de se reposer.

—J'ai de la kopra à vendre, au nord, chavo. Les Lee auraient un campement dans les environs. On peut chercher par là.

—Je vous suis. Et vous deux, vous allez où ? demanda l'adolescent suspicieux.

—La maison de la parente de Tonks se trouve dans le Handsworth, débuta Bellatrix.

Mais elle n'avait aucune idée de où aller et cela se voyait. Elle avait l'air hésitante face aux hautes silhouettes des bâtiments.

—Tu sais par où aller, n'est-ce pas ? demanda Narcissa presque désespérée.

—Handsworth c'est un nord ouest, grogna le vieil homme. Je peux vendre mon cuivre là-bas, j'ai un revendeur.

Eddy jugea que le mieux était justement d'accompagner Bellatrix et Narcissa pour s'assurer d'être seul ensuite. Il n'avait aucune confiance en la jeune fille après ce qu'elle lui avait confié et voulait la voir le plus loin possible des siens.

Rak les arri, murmura l'adolescent. (Garde les loin)

Berry comprit ses hésitations et hocha la tête. Il reprit la route sur une départementale pour les mener vers le nord de la ville d'où s'échappaient des brumes épaisse. Il faisait chaud. Narcissa avait fini la gourde d'eau depuis longtemps et ils étaient assoiffés. Les deux juments grises et squelettiques de Berry étaient affaiblies et fatiguées. Berry, les arrêta là avec une toux grasse qui dura longtemps.

Non Berry n'était pas en état de faire le trajet à pied.

—Je vais vendre votre cuivre, Mr Berry, murmura l'adolescent en romani. Je les emmène et ensuite je reviens. Déjà, je vais vous acheter de l'eau, j'arrive.

L'adolescent avait vu un petit magasin d'alimentation générale qui bordait la périphérie de la commune jouxtant Birmingham. Il sauta de la caravane alors que Berry protestait et alla acheter des bouteilles et de quoi se nourrir avec les derniers sous moldus qu'il avait en poche.

—Merci, murmura Berry. Ne t'occupe pas de la koppa. Lel les gadji akai. (Emmène les)

Bellatrix et Narcissa se saisirent des bouteilles avec reconnaissance. Après plusieurs jours de voyage, l'adolescent n'aurait pas su dire s'il se sentait plus proche d'elles, mais en tout cas, il les appréciait un peu plus. Et l'inquiétude visible sur le visage de la petite blonde lui indiquait que Bellatrix risquait bien de craquer lorsqu'elle retrouverait Andromeda.

Bellatrix était pressée de partir, aussi après s'être sustentée, elle sauta sur ses chaussures abimées par des jours de marche. Narcissa la suivit aussitôt en jetant à Eddy un regard suppliant.

—Je reviens, Mr Berry.

—Tu vas nous suivre, maintenant ? pesta Bellatrix.

—Autant éviter un cataclysme, répondit le garçon moqueur auquel Bellatrix adressa un geste courroucé avant de le devancer.

En vérité, après les révélations de Bellatrix, il était curieux de voir ce qu'elle allait faire en retrouvant son ainée. Aussi s'enfoncèrent-ils dans les quartiers d'Handsworth. Bellatrix et Narcissa avaient l'air tout bonnement terrifiées et jetaient des regards aux moldus près d'elles. Outre les silhouettes des fermiers moldus qui les avait réveillés, les deux jeunes filles n'en avaient jamais vu d'aussi près.

—Maintenant on y est, on demande où se trouve les Tonks ? demanda Narcissa d'une petite voix frémissante. Bella promets moi que tu ne lui feras pas de mal.

—Ça dépendra d'elle, siffla Bellatrix. Je ne l'attaquerai pas, c'est tout.

—Il faut trouver un endroit où il y a du passage.

Eddy visualisa un clocher et se dit que de nombreuses personnes étaient souvent présentes autour des églises, c'était là une occasion à saisir s'ils voulaient interroger le plus de moldus possibles. Il s'y dirigea et les deux filles le suivirent en longeant les ruelles constituées de petites maisons de deux étages en brique sombre. Bellatrix retint difficilement un hoquet terrifié quand un moldu à moto démarra près d'elle et l'adolescent se moqua d'elle.

Ils étaient arrivés sur la place principale de cette commune où un petit marché se tenait devant une église excentrée par un parc. Des maraichers et un marchand de poisson vendaient non loin et une foule s'y pressait. Narcissa fut la plus courageuse des deux sœurs à aller voir un moldu pour lui demander si elle connaissait la famille Tonks.

—Si notre mère nous voyait… Elle nous enfermerait sous l'escalier, lâcha Bellatrix qui se mortifia avant de passer ses réticences et son dégoût pour aller parler à un moldu.

La scène fut si drôle qu'Eddy les regarda un moment avant de les rejoindre.

—Tonks, un grand dadais d'environ six pieds accompagné d'une fille noble trop bien pour lui, ça ne vous dit rien ? s'énerva presque Bellatrix. C'est pourtant clair comme description !

—Sur un autre ton, jeune fille, fit un homme qui devait être un notable du coin avant de tourner les talons. Allez voir la police !

—C'est qui cette Polis ? demanda Narcissa, perdue. Elle habite où ?

L'homme les houspilla, persuadé qu'elles se moquaient de lui et traça son chemin dans la foule.

—Il voulait dire aller voir les policiers, ce sont les aurors des moldus. Mais ils ne pourront pas nous aider, vu qu'Andromeda est sorcière et majeure, dit Eddy.

—Ne crie pas sur les gens, comment tu veux qu'ils te répondent ? souffla Cissy à sa sœur.

—Je leur parle sur le ton que je veux à ces moldus répugnants et idiots, siffla Bellatrix en les plantant là pour disparaître derrière un étal.

Narcissa soupira avant d'aller demander à une maraichère des indications et revint contrite vers Eddy.

—Désolé pour Bella. Je sais qu'elle est insupportable quand elle est comme ça.

—Elle est tout le temps comme ça, râla l'adolescent après avoir questionné une femme dans la foule sans résultat.

—Pas toujours, non. Avant elle était plus drôle, mais depuis qu'Andy est partie… ce n'est plus vraiment pareil.

La petite fille se referma sur elle même et Eddy songea que Narcissa à son jeune âge était étonnement courageuse vis-à-vis de tous ce qu'elle avait vécu. Le cri de Bellatrix se fit entendre derrière eux, alertant des passant.

—Mais lâchez-moi, vieille carne !

—Tu veux pas savoir ton avenir ma zolie ? Je vois pleins de choses en toi, viens, viens.

—Laissez-moi tranquille !

Quand Eddy se fut assez approché, il se gela à la vision qui s'offrait à lui. Bellatrix face à une vieille femme gitane en tenue sombre, elle avait un foulard sur la tête, des nattes compliquées et grisâtres et un visage qu'Eddy reconnaissait sans mal. La gitane se figea en le voyant.

—Danny ?

—Tante Zelda…

.

.

Dire qu'il s'y était préparé était évident, mais dire qu'il s'était attendu à ce que cela se passe ainsi était clairement faux. Il n'était pas préparé. Sa tante resta interdite face à lui en ayant l'air d'avoir vu un fantôme. Elle poussa soudain un hurlement perçant quand un éclair de compréhension passa dans ses yeux sombres.

—Oh chavo !

Sa tante se jeta dans ses bras dans un cri puissant en l'enlaçant fermement. En une seconde, Eddy au contact de ses bras eut l'impression de retrouver une part de lui même. C'était un mélange indistinct, de sons, de voix, d'odeurs et de moments qui avaient été longtemps enfermés dans sa mémoire.

—Tu es rentré chavo. Chavo, soupira sa tante en le serrant si fort contre lui qu'il avait du mal à respirer alors que d'autres gitans émergeaient des abords de la place. Tu es ici.

Elle s'écarta de lui et inspecta son visage sous toutes les coutures alors que deux hommes arrivaient à leur niveau. Ils étaient bruns et patibulaires. Au milieu du bourg, leur assemblage faisait tache au milieu des moldus.

Mirro palleska ! (Mon neveu) C'est le fils de mon frère. Il est revenu !

Les autres hochèrent la tête d'un même mouvement avant de rejoindre l'allégresse générale autour d'Eddy. Bellatrix et Narcissa étaient derrière en regardant l'amas de gens se formant autour de l'adolescent. Il ne reconnaissait aucun autre visage que celui de Zelda, certains lui semblaient être une pâle version d'image de ses souvenirs. C'était une sensation bizarre alors que tous essayaient de lui parler en même temps en le congratulant dans tous les sens.

—Tu les a retrouvé, fit Cissy d'une petite voix émue.

—Tu as ramené des raclis, chavo ? demanda sa tante. Venez, venez ! Avella ! Ne restons pas ici. Les amis d'Edward sont nos amis.

Un grand homme énorme le prit littéralement sur l'épaule sous les ricanements de autres et les yeux curieux des moldus alentours. L'un deux posa sa main sur l'épaule de Bellatrix et l'entraina à sa suite avec Narcissa qui sautait autour des gitans d'un air enjoué.

—On ne va pas s'imposer, fit la brune hésitante et inquiète.

—Tu ne t'imposes pas chavi, viens, viens ! dit un des gitans de sa voix grave.

Eddy sur l'épaule du gitan se retourna pour voir que Zelda avait arrêté de sourire et le regardait avec ses profonds yeux noirs.

.

.

Le camp se trouvait au nord dans les environs les plus pauvres de la commune, non loin d'un petit ruisseau. Cachés au milieu des collines, c'était cinq petites caravanes, une dizaine de chevaux et une poignée de personnes encore plus réduite qui levèrent la tête à leur approche. Un des gitans était parti chercher Berry et ne devrait plus tarder. Zelda les avait présenté avec Bellatrix et Narcissa. Il y avait trois femmes, un homme en plus des deux autres qui les accompagnaient mais aucun n'était de sa famille selon Zelda. Outre une parenté lointaine avec une cousine Ximena que Zelda lui présentait, ils avaient justes choisis de marcher ensembles pour le moment.

—Mes fils sont à la ville à travailler, lui confia Zelda. Ils font les chantiers du Bull Ring, ce sont des sédentaires maintenant.

Elle ne semblait pas approuver ce mode de vie, mais ne faisait plus beaucoup de commentaire depuis qu'elle l'avait retrouvé. Après la chaleur de cette étreinte venait un certain malaise que ne parvenait pas à combler le clan autour qui fêtait avec joie son arrivée même s'il ne le connaissait pas.

Eddy passait de main en main, recevait des étreintes et des tapes dans le dos et des dizaines de petits gâteaux ou fruits secs pour le nourrir. Deux hommes s'étaient mis à jouer du violon, Eddy se souvenait du nom de l'un d'eux, Pachko, et il entamait un air en les enjoignant à danser.

—Viens Bella ! Andy peut attendre ! supplia Narcissa en tirant le bras de son ainée.

Bellatrix regardait les romanis dansant avec envie et jeta un regard soupçonneux à Eddy qui ne participait pas à l'allégresse générale. Elle finit par rejoindre sa sœur à danser alors que le soleil se couchait. La caravane de Berry arriva alors avec à son bord le vieil homme et le gitan. Le vieil homme insistait pour être installé à l'écart à en voir ses gesticulations tandis qu'ils approchaient.

Chavo jalpollal, murmura sa tante à Berry. Paks. Paks. (Le garçon est de retour, merci, merci)

Elle embrassa ses mains plusieurs fois et le vieil homme mal à l'aise s'en dégagea. Le gros chien blanc du campement essaya de lui lécher la jambe et là aussi Berry se dégagea en lui offrant des caresses. Le vieux rom échangea un long regard avec Eddy qui le rejoignit.

—Tu les as retrouvés chavo. Tu as commencé latcho drom, la bonne route.

—Paks, murmura l'adolescent reconnaissant tandis qu'il gratifiait le chien joueur d'une caresse à son tour. Merci pour tout. Vous ne voulez pas vous joindre à nous ?

— Non. Pas ce soir, chavo, répondit le vieil homme bourru avant de fermer la porte.

Eddy s'apprêta à frapper à la porter et raisonner Berry, mais Bellatrix lui tira le bras si violemment pour l'attirer vers le feu de joie qu'il sentit son omoplate craquer.

—C'est pour toi qu'ils font la fête, je te signale !

—Aïe ! On ferait la fête dans tous les cas, rétorqua-t-il alors que Bellatrix essayait de le faire danser.

Mais force était de constater qu'il ne se sentait pas très à l'aise et un peu maladroit comme ça, et Bellatrix gloussait d'un air moqueur. Il était maigre et fatigué donnant à ses mouvements des allures un peu trop éthérées.

—Alors on ne sait pas danser, Lee ? Fais attention, je pourrais le raconter à certains à Poudlard.

—J'ai bien plus compromettant sur toi, couverte de boue, rétorqua Eddy d'un ton égal. On verra qui y perdra le plus.

Il se dégagea de la poigne tandis que Narcissa s'était assise près du feu où chantait Ximena. Bellatrix rejoignit alors sa cadette avec un haussement d'épaule vexé s'éloignant d'Eddy qui s'écartait pour s'asseoir sur un talus d'herbe un peu à distance. Il y était arrivé. Il avait trouvé Zelda et une petite partie de ses origines. Pour autant, sa tante restait distante vis à vis de lui. Elle non plus ne participait pas à l'allégresse et se trouvait devant sa caravane. Quand leurs regards se croisèrent, elle lui fit un geste de la main pour le faire venir. Elle était troublée, il savait quelque part pourquoi et il s'exécuta.

—Nous devons parler, chavo.

Elle monta la petite margelle de sa caravane dont elle alluma la lampe à pétrole. L'habitacle fut si familier à Eddy qu'il en frissonna. Rien n'avait changé malgré les années, et il sentait l'odeur de l'alchémille comme dans ses souvenirs. Il se souvint alors de la prédiction que lui avaient fait ses camarades en cours de divination.

—On… on m'a prédit que je ferai un voyage avec deux filles. Je n'y ai pas cru, mais ça s'est avéré vrai, murmura l'adolescent finalement tandis que Zelda s'asseyait sur un petit tabouret de chintz.

—C'était une possibilité en effet. Voir le futur est une chose complexe, chavo. Une des gadji est ta fiancée ?

—Non, se récria l'adolescent mortifié. Bellatrix et Narcissa m'ont suivi c'est tout !

Sa tante eut un gloussement un peu sinistre mais Eddy comprit qu'elle se moquait de lui. Elle s'arrêta, puis le regarda soucieusement :

Bishano jessa. (Tu nous as oublié.)

Kekkana bishano toti. (Jamais je ne vous oublierai), fit l'adolescent. Je ne vous avais pas oublié, j'ai enfouis les souvenirs en moi. Je me suis souvenu de toi au moment où je t'ai vue, bibi.

—J'ai cru voir Danny, murmura-t-elle à voix basse. Tu es son portrait caché… Tu sais ce qu'il était, t'en es-tu souvenu ?

—Oui. En partie.

—Il y avait un feu qui brûlait en lui, comme il y a un feu qui brûle en toi.

—Je sais ce que tu as dit à ma mère. Est-ce que tu sais où elle est ? Est-ce qu'elle est en vie ?

Maeve nash avri. (Maeve est partie). Avant de reprendre la route vers elle, pourras-tu me laisser parler ? Je sais que tu n'as pas trouvé ce que tu cherchais ici, tu vas repartir, chavo.

—Tu l'as vu dans le futur ? demanda-t-il d'une voix froide.

—Voir le futur ne veut rien dire. Futur ou destin, ce que nous sommes à même de percevoir n'est qu'une possibilité. Un chemin à prendre sur des centaines de voies. Quel sera le chemin le plus sûr ou le plus sage ? Le futur n'existe pas sans ces choix là. Je ne lis plus que l'avenir aux gadjos, j'ai arrêté de le faire pour le sang de mon sang. Depuis toi.

Pour la première fois, derrière le trouble de sa tante, Eddy y décela une douleur longtemps tapie dans ses traits tordus. Elle avait l'air plus vieille que son âge.

—Il y avait beaucoup de mauvais présages autour de toi quand tu es né, et Danny n'a fait que les renforcer. Tu es né un 24 décembre, la nuit de Moldivus. Un enfant né un jour où l'on célèbre sans être célébré porte en lui beaucoup de tourments. Durant cette nuit les démons cherchent à nous atteindre pour nous engloutir, et peut-être que Daniel a été touché par l'un d'eux. Tu es un sorcier, un peu comme moi chavo, n'est-ce pas ? Je l'ai senti rapidement. Ton père avait des dons aussi, c'est ça qui l'a détruit.

—Ah bon ? releva Eddy. C'était un sorcier ?

Il avait jusque là pensé que son père était un moldu, sinon pourquoi aurait-il rejeté aussi violemment ses pouvoirs ?

—Il n'avait qu'un seul don. C'était un médium, chavo. Un pont entre mort et vivant, pour aider les autres à continuer leur voyage. Il n'a jamais accepté ce pont, il a préféré le fuir. Comme toutes ces âmes qu'il devait accompagner. Une âme qui ne veut pas avancer est contre nature, sa fuite aussi. J'ai vu beaucoup de choses chez mes frères, pour ce que ça a apporté.

—J'ai des oncles ?

—En plus de ton père, tu avais Arthur et Dinhan. Eux aussi sont morts. Tu as sans doute quelques cousins dans le sud, nous ne nous parlons plus.

Eddy réalisa soudain que tous les membres de sa famille avaient quitté Zelda ou s'en étaient éloignés. Elle se retrouvait seule après toutes ces années au milieu de cette famille éloignée.

—On n'échappe pas à son don, comme on n'échappe pas à son destin, chavo. À partir du moment où on prend un chemin, il en mène à d'autres qui nous détournent progressivement du plan initial dans notre tête. Ton père s'est noyé dans l'alcool, tes oncles dans les soucis. C'est notre malédiction à nous les romanis, une fois que nous avons pris une route, nous continuons sur ce chemin car nous sommes entêtés comme des mules.

Zelda eut l'air hésitante, cherchant à voir dans son regard s'il comprenait où elle voulait en venir.

—Tu sais, chavo, cela fait mille ans que nous marchons, apportant nos talents, nos dons et notre joie sur notre passage. Nous avons adopté des enfants abandonnés, sorciers ou non et tout ceux qui ne voyaient pas comment avancer. Cette chose que l'on a en nous nous fait rester en mouvement. On raconte que nous continuons à marcher pour que la terre puisse continuer à tourner. Je n'y crois plus. À avancer sur une île, on finit toujours par tourner en rond. Si notre voyage nous ramène à un même point, il faut comprendre pourquoi. Je voulais ne plus rester sur place et les voir tourner en rond. Je voulais aider mes petits frères. J'ai vu beaucoup de choses chez ton père et tes oncles, chavo. J'ai vu le mal qu'il vous faisait mais il ne m'écoutait plus. Daniel avait perdu sa voie depuis trop longtemps. Nous sommes partis pour qu'il comprenne son égarement… cela n'a pas marché. Maeve est partie me retrouver et quand nous sommes arrivées à la caravane, elle avait brûlé, et tu semblais mort avec lui.

—Tu savais que ce n'était pas le cas ?

—Oui. J'ai laissé Maeve croire que tu étais mort. C'était plus simple pour elle.

—Pourquoi ? Pourquoi tu l'as laissée partir ? Pourquoi tu n'as pas essayé de me retrouver ? Je vous ai cherché pendant des années !

—J'ai vu que tu reviendrais, c'était à cette possibilité que je me raccrochais, mais Maeve ne l'aurai pas compris. Ce n'est pas un romni, elle ne comprenait pas ce monde là.

Shom poshrats ? (Je suis de sang mêlé ?)

Avva. (Oui) Maeve n'aimait pas cette vie, c'est pour toi qu'elle est restée. Sans toi, elle pouvait partir.

Les déclarations de sa tante lui firent l'effet d'un coup de massue. Eddy avait l'impression que son monde s'effondrait une fois de plus. Zelda posa une main sur la sienne pour le faire émerger de ses sombres réflexions.

—Si elle était restée, tu n'aurais pas survécu. Personne n'aurait survécu, il te fallait partir. C'était cette possibilité que je voyais dans le futur et dont il fallait t'éloigner. Aujourd'hui, tu es là, malgré le feu qui te ronge. Tu as été adopté par des sorciers à baguette, n'est-ce pas ?

Avva. Ils ont pris soin de moi, murmura Eddy en songeant qu'il n'avait apporté que des ennuis à ses tuteurs. Mais c'était vous dont j'avais besoin… tu t'es raccrochée à des superstitions et j'ai perdu des années de ma vie ! J'avais besoin de mirro kinshna, bibi (des miens, tata)

—Mes actions t'ont causé autant de tort que les coups de Danny, chavo. Peut-être était-ce la meilleure voie pour toi.

—Qu'est-ce que tu en sais, hein ?

—Notre sang a voyagé avec des sorciers pendant des siècles, ce sont nos frères oubliés car dès qu'ils se sont fait un gouvernement ils n'ont plus eut besoin de nous. Nous avons partagé avec eux notre savoir, notre magie et nos superstitions. Où commence la magie et où s'arrête la superstition ? C'est cette question là qui nous a causé ensuite beaucoup de tort à nous les romanis. Aujourd'hui, toi tu as côtoyé nos frères et notre sang, tu sais que cette frontière est trouble, Eddy. Je ne peux pas réparer ce qui a été fait. J'y ai pensé chaque jour, tu sais. À ce que mes mots t'ont fait subir.

« Cela fait presqu'un demi siècle que j'arpente le monde. J'ai traversé la mer vers le continent une fois, j'ai vu le mal et j'ai vu le bien chez les nôtres comme chez les gadje. J'ai même rencontré des tziganes heureux et je voulais qu'une telle chose t'arrive. Quoi qu'il en coûte. Si ta vie doit être plus courte que les autres, elle doit être belle.

Zelda ne s'excusait pas, ni ne paraissait attristée par le sort que ses paroles lui avaient fait vivre. Peut-être avait-elle raison, ou peut-être avait-elle tort, mais Eddy ne voulait rien laisser paraître devant sa tante qui lui inspirait une certaine méfiance. Il se leva un peu pantelant avec des fourmis dans les jambes.

—Tu es heureux, chavo ?

—Parle moi de ma mère et je m'en vais, bibi. C'est ce que tu veux, non ?

—Kek. (Non) Je ne veux pas que tu partes. Mais je sais que tu t'en iras. Ta mère s'appelle Maeve Burgess. C'était une orpheline. Elle a perdu ses parents pendant la guerre et elle a tout lâché pour ton père quand elle est tombée enceinte. Quand tu as disparu, elle a vécu quelques mois auprès de moi avant de partir pour Paris. Je n'ai plus de nouvelle d'elle depuis plus de cinq ans.

Sa mère était à Paris. Si Eddy avait eut un portoloin ou un sombral, il serait parti sur le champ, à la minute même pour rejoindre le continent. Il repensa à sa décision de rester en Grande Bretagne lorsque Tina lui avait proposé de partir vers la France. S'il l'avait écouté, il serait en France, dans le même pays que sa mère !

Komma tot, murmura sa tante tandis qu'il prenait la porte de la caravane. (Je t'aime)

Jannav. (Je sais)

Cette preuve d'amour lui sembla si inopportune sur le moment qu'il rejoignit l'extérieur où Bellatrix et Narcissa étaient face au feu en face de Ximena qui chantonnait un refrain mélancolique. Sa cousine éloignée avait une trentaine d'année et deux dents en or qui luisaient à la lumière des flammes tandis qu'elle chantait en improvisant sur les notes du violon.

Bellatrix lui jeta un coup d'œil suspicieux pendant qu'il s'asseyait sur l'herbe alors que Narcissa était passionnée par le chant. La voix de Ximena lui rappelait quelque chose de lointain et triste qui après sa conversation douloureuse avec sa tante lui remua les trippes.

—Qu'est-ce qu'elle chante ? demanda Narcissa d'une toute petite voix, craignant de perturber la tessiture grave de Ximena. C'est tellement triste…

—C'est l'histoire d'un gitan au cœur lointain.

Il essaya de se concentrer sur les paroles que prononçait Ximena qui terminait son refrain pour recommencer son couplet. De là, il essaya de les traduire à voix basse pour les deux sorcières.

—« Il y avait longtemps, un rom pour ne plus souffrir décida de s'enlever le cœur de sa poitrine pour l'enfermer dans une boite.

« Cette boite, il l'accrocha au dos d'un cheval et l'élança pour qu'il fasse le tour de la terre.

« Les années passèrent et le rom devint riche et puissant, mais il n'était pas heureux. Il voulut faire comme tous les autres roms de son âge et trouver une épouse, une belle princesse gitane aux yeux sombres.

« Il en trouva une sur son chemin, c'était la plus belle et la plus courtisée des romnis, mais pour elle il ne ressentait rien. Pour la séduire, il lui offrit douze juments blanches, mais la romni ne pouvait les voir, il lui promit une corne d'abondance mais elle ne pouvait y goûter, puis il lui chanta des chansons d'amour mais la romni n'arrivait pas à l'entendre.

« Les mots du gitan sortaient de sa bouche sans passer par son cœur. La romni ne voudrait de lui que lorsqu'elle pourrait enfin l'entendre. Le gitan se mit à la recherche de son cœur, et parcourut le monde à la recherche du cheval possédant son cœur.

« Il fit mille fois le tour de la terre sans retrouver le gardien de son cœur. Il fit mille fois le tour du monde sans parvenir à trouver le bonheur. On raconte qu'il le poursuit encore à cette heure. »

Ximena termina sur le refrain :

« Pourquoi chanter sans cœur ?

Et pourquoi avancer ?

Jusqu'où veux-tu aller ?

Si tu as si peur de la douleur ? »

—Ça vous a plu ? demanda Ximena un peu émue. Ma mère et la mère de ma mère chantaient cette chanson après les enterrements. C'est une chanson pour vider le cœur.

—Cela ressemble à l'histoire du sorcier au cœur velu. C'est un conte, murmura Narcissa conquise par la voix de la jeune femme. C'était très joli, paks.

Ximena sourit davantage à la blonde puis se leva en laissant les trois adolescents pelotonnés devant les flammes pour retourner dans sa caravane auprès de son mari Pachko.

Kushti rati (Bonne nuit) ! leur lança-t-elle comme salut.

Ils restèrent silencieux un moment, appréciant la douceur de la nuit. Eddy aurait aimé que Berry se joigne à eux pour partager cette quiétude mais il n'avait pas quitté sa caravane. L'adolescent se demanda s'il devait aller le voir, au moins pour lui proposer de manger quelque chose.

—Peut-être que Beedle le Barde s'est inspiré d'un conte gitan pour cette histoire ou bien est-ce l'inverse, marmonna Bellatrix au bout d'un moment. Qui sait ? Et toi, tu es heureux, Lee ?

Sa situation était un marasme complet depuis bien des années, pourtant, aussi étrange que cela puisse paraître, avec son collier maléfique et en compagnie des jeunes filles, la réponse s'avérait positive.

—En quelques sortes, ce soir, je suis content.

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Vassavi chib : réfère plutôt à une personne à la langue acérée, j'ai pris la liberté de le traduire comme langue de serpent, pour coïncider avec le cadeau reçu par Bellatrix.

J'ai même rencontré des Tziganes heureux est un film yougoslave du réalisateur Serbe Aleksandar Petrovic sorti en 1967 c'est le premier film répertorié dans lequel les protagonistes parlent le romani. Il a été nominé la même année au festival de Cannes pour la Palme d'Or. La musique principale du film Djelem Djelem, (J'ai avancé, j'ai avancé) fut par la suite adoptée comme hymne de la communauté romani au premier Congrès International Rom à Londres en 1971. Cet hymne est aussi connu sous le titre d'Opre Roma de nos jours, (Lève-toi Rom).