Note : Ce chapitre a un peu bretté depuis la dernière mise à jour de cette fanfic. En vérité, c'est que dans la vraie vie, je ne vais pas très bien actuellement et j'ai eu de grosses semaines chargées en émotion qui requiert le peu d'énergie que j'arrive à regénérer. Je prends donc un jour à la fois...
Tamashi no Moribito
Gardien des Âmes
Chapitre 24
Jamais oubliée
« Comment on s'annonce à ta famille ? demanda Shozen.
- Le décor ici m'est rendu familier, annonça Alika. Et on se présente normalement… ils savent que je viens à ce temps-ci de l'année. Sauf si tu veux faire une entrée remarquée. »
Ils avaient voyagé pendant cinq jours, dormant à la belle étoile. La maison de Balsa et Tanda était maintenant proche. Ce soir-là, ils devraient dormir bien au chaud avec un toit sur la tête et l'estomac bien plein.
« Qu'est-ce que tu voudrais faire comme entrée remarquée ? questionna Lany. Il n'y a pas grand-chose que l'on puisse faire pour se démarquer. Avez-vous une idée ? »
Elle dévisagea Shozen.
« Comme tu l'as proposé, tu dois sûrement avoir un plan à quelque part.
- Malheureusement, non. »
C'est alors qu'Alika eut une illumination.
« Je sais que l'an dernier, Maman m'a menacée de me retourner de bord si je ne t'emmenais pas avec moi cette année (elle regarda Shozen profondément). Ma famille attend sûrement que tu viennes et te présentes… mais j'aimerais voir leur réaction si tu n'es pas avec nous. Ils seraient sûrement déçus.
- Donc je pourrais tout simplement avoir un petit dix minutes de décalage avec votre arrivée, comme pour un effet de surprise. Qu'en pensez-vous ? s'enquit-il.
- Oui. Ce serait une idée !
- Ça a l'air de rien, mais je suis un homme qui aime beaucoup faire des surprises et des mises en scène. Si mon entrée avec ma belle-famille peut en marquer plus d'un… pourquoi pas ?
- Parfait. On fait comme ça dans ce cas. »
Alika et Lany prirent de l'avance sur la route et Shozen suivit les traces de sabots, même si elles n'étaient plus visibles dans son champ de vision. Il avait bien des tours dans son sac qu'il n'avait pas encore révélé. Il sourit de façon très niaise.
Le refuge apparut à l'horizon. Elle accéléra un peu le rythme de sa monture et Lany la suivit rapidement. Interpellée par le bruit des sabots, Balsa sortit la tête par l'entrebâillement de la porte. Son visage s'illumina en voyant sa fille aînée avec Lany. Elle sortit rapidement à l'extérieur, attirant la curiosité du reste de sa famille.
« Alika ! s'exclama Balsa. Le temps a passé si vite ! Ce sont déjà les vacances d'été, wow !
- Bonjour Maman !
- Et tu as encore Lany avec toi !
- Mais bien sûr.
- Allô Maman Balsa, s'amusa s'amusa Lany en glissant de sa monture, faisant rire Balsa qui la prit dans ses bras.
- La route s'est bien passé ? s'informa la mère de famille.
- Oh oui, très bien. »
Alika glissa de sa selle à son tour. Elle devait se faire violence pour ne pas gâcher leur petite mise en scène. Tanda sortit avec les jumeaux Karuna et Jiguro, et Motoko sauta dans les bras de Lany qui tomba à la renverse, très proche de l'étang.
« Lany ! Tu es revenue !
- Mais bien sûr que oui ! fit-elle amusée.
- Tu m'as tellement manqué ! »
Motoko pleurait de joie. Les deux amies se redressèrent sur leurs genoux, dans l'herbe. Alika retourna son attention vers Balsa.
« Hum…, fit cette dernière.
- Oui Maman ?
- … Je ne t'avais pas demandée de faire quelque chose l'an dernier pendant tes vacances ?
- … De quoi tu veux parler ? la questionna Alika, faisant mine de ne pas savoir ce que c'était.
- Tu n'étais pas en train de te faire courtiser par un certain Shozen Yonsa ?
- À moins que ça n'ait pas fonctionné ?! s'alarma Tanda à son tour.
- Oh… ça… euh… comment dire…, cafouilla-t-elle. »
Balsa soupira de mécontentement et croisa ses bras.
« Je ne pensais pas que je te le demanderai après ta longue route, mais… tu montes de nouveau en selle et tu vas aller me chercher ce prétendant immédiatement ! annonça-t-elle en pointant l'horizon en direction nord du doigt.
- Tu n'es pas sérieuse, Maman ?!
- Je le suis et tu me connais. Être têtue, c'est de famille. »
Alika se retourna pour lui faire dos. Lany ne savait pas si elle devait intervenir ou espérer que Shozen arrive le plus vite possible. L'expression d'Alika indiquait qu'elle était mal fichue. Dix minutes avaient sûrement dû s'écouler, alors pourquoi leur troisième camarade tardait autant ?
Ayant envie de se prêter au jeu, elle était le point de mettre son pied dans l'étrier quand des pas de galop se firent entendre au loin. Un petit nuage de fumée se soulevait derrière la monture en action. Balsa vit une lance se démarquer de la silhouette. Le cheval s'approcha à une vitesse phénoménale, mais fut arrêté à quatre mètres des montures d'Alika et de Lany.
« Hey ! s'annonça Shozen. Vous voilà enfin.
- Tu es en retard ! lui reprocha Lany, en parfaite comédienne. Alika a failli faire la route inverse pour aller te retrouver !
- … Err… je me suis un peu égaré en cours de route, fit-il mine d'être embarrassé. Pardon. »
Il mit pied au sol. Balsa reconnut le jeune homme qui avait invité Alika à la taverne, lors de sa première année de thérapie, mais la barbe lui donnait un coup de maturité et si ce n'était pas du fait de sa profession de garde à se souvenir du visage et de la carrure des gens, elle aurait eu beaucoup de difficulté à le reconnaître. Elle ne se souvenait pas qu'il était aussi musclé que Jiguro dans ses souvenirs, ni qu'il était aussi grand. Tanda regarda le comportement de sa femme.
« Bonjour, Balsa-San, bonjour Tanda-San, les salua Shozen en Yogoese. Je m'appelle Shozen. Alika a sûrement dû vous parlez de moi l'été dernier… et peut-être Lany aussi.
- Enchanté ! l'accueillit Tanda. Bon sang ! Pendant un moment, on a vraiment cru que ça n'avait pas fonctionné entre Alika et toi !
- Pas fonctionné ? Je l'aurais attendu toute une vie, rit-il. »
Balsa semblait hypnotisée par lui. Les petits jumeaux, Karuna et Jiguro, étaient intimidés par sa prestance et n'en menaient pas plus large que leur mère.
« Un vrai lancier de Kanbal, murmura Jiguro.
- Vrai ? questionna Shozen. Il n'y a pas de faux ou de vrai lancier à Kanbal. Si tu sais te battre et protéger des vies, tu es déjà considéré comme un guerrier. »
Alors que les enfants aidaient les nouveaux arrivants à déposer leurs bagages et prendre soin des montures, Tanda entra à l'intérieur avec Balsa.
« Balsa… est-ce que tout va bien ?
- Hein ?! Oui, bien sûr, pourquoi ?
- … Tu as l'air… intriguée par Shozen. »
Elle tourna la tête.
« Hum… disons que… Shozen répond à des goûts personnels sur la gente masculine.
- Ne me dis pas que—
- Non, ce n'est pas le coup de foudre. Il appartient à Alika, et je t'aime trop pour ça. C'est juste que son physique me rappelle sans cesse Jiguro, mon mentor, mon père. C'est peut-être pour ça que je suis aussi troublée à la fois fascinée. »
Ils tournèrent la tête quand la porte s'ouvrit plus grand et que Motoko était chargée des bras pour aider Lany à transporter ses choses au salon qui servait de chambre pour les enfants.
« Nao n'est pas là ? s'étonna Alika.
- Nao est devenu un adulte cet hiver, annonça fièrement Tanda. Il habite maintenant à Toumi avec sa fiancée.
- Pour toujours ?
- Pour le moment, mais bientôt ce sera de façon définitive, comme toi et Kanbal. Il vient parfois en visite, mais c'est devenue assez rare.
- Je ne savais pas que Nao avait eu dix-huit ans, avoua Shozen à l'entrée. Quand Alika m'en parlait, j'avais l'impression qu'il était plus jeune.
- Ici, tu deviens un adulte à partir de quinze ans, l'aida Tanda avec un sourire.
- Oh, je vois. Il n'a que quinze ans ! Il serait toujours considéré comme un mineur à Kanbal. »
Shozen s'arrêta et regarda les lieux. Il analysait surtout la hauteur du plafond et fut soulagé de voir qu'il n'avait qu'à baisser la tête à la porte d'entrée et qu'il pouvait se tenir le dos droit une fois à l'intérieur, même debout sur le palier.
« Nous ne sommes pas habitués d'avoir une personne aussi grande physiquement, s'excusa Balsa. Mais heureusement, la maison est assez haute pour toi. Tu n'auras pas à te faire mal au dos pendant ton séjour… trois mois, en fait ?
- Ça me va. Où voulez-vous que je dorme ? »
Tanda et Balsa arquèrent les sourcils et se regardèrent.
« Euh, tu es assez vieux pour choisir où tu veux dormir, s'amusa Balsa.
- Non, je veux dire : voulez-vous me placer dans une pièce à part, séparé d'Alika, ou si dormir dans la même pièce qu'elle ne vous dérange pas ?
- Oh ça… c'est comme vous le souhaitez ! »
Shozen se souvint alors qu'Alika lui avait dit qu'elle était née hors du mariage. Il décida alors de rejoindre Lany dans le salon.
« Shozen, tu vas dormir là ! déclara Motoko en pointant le futon d'Alika.
- … Tu m'as déjà placé ? s'étonna-t-il.
- Oui. Je t'emmène bientôt un nouveau futon. Et regarde ce que j'ai fait ! »
Toute fière, Motoko tira sur un rideau qui séparait la pièce en deux.
« Je l'ai installé, en supposant que toi et ma sœur voudriez un peu d'intimité !
- Oh… c'est gentil. Même si en tant que tel, Alika et moi se gardons pour le mariage.
- Mariage ?! C'est vrai ?! s'exclama-t-elle alors qu'elle tirait vivement le rideau pour réunifier la pièce.
- Si ça en vient là, oui. »
Motoko n'ayant pas du tout été discrète, l'attention des parents fut tournée vers Shozen, puis Alika, qui apportait ses choses à son futon.
« L'an passé on te demandait quand tu nous ramènerais ton prétendant, et maintenant, il y a déjà un autre mariage en vue dans notre famille ? remarqua Tanda.
- On va espérer que ça se rende-là, sortit Alika. Pour l'instant, Shozen et moi avons trop d'obligations en tant que lanciers du roi… et de la reine.
- De la reine ? se surprit Balsa.
- Je t'explique le tout plus tard. Laissez-nous juste le temps d'arriver. »
Sans que sa famille ne la voie, Alika roula les yeux en regardant Shozen. Pour toutes réponses, il sourit.
« J'aime bien ta famille.
- Ce n'est que le début. Tu n'as pas passé une journée entière avec eux encore. »
Il devait être le milieu de l'après-midi et Tanda était déjà afféré à préparer son ragoût sauvage maison qui mijotait tranquillement. Lany se mit à saliver.
« Ce plat m'a tellement manqué à Kanbal, avoua-t-elle.
- Pour vrai ? s'étonna Tanda, flatté.
- Oui !
- J'aurais pu t'en cuisiner si j'avais su, admit Alika. Même sans les ingrédients Yogoese, il existe différentes variantes que l'on peut modifier pour l'adapter à nos besoins ou même le pays où on est.
- Je n'y ai pas pensé.
- Y a-t-il des choses ou des aliments que tu n'aimes pas Shozen ?
- Euh… je n'aime pas les champignons, l'informa-t-il. »
Motoko arrêta son geste et fit de gros yeux : elle venait de déposer les champignons dans le ragoût. Paniquée, elle chercha la louche pour s'empresser de les retirer. Shozen l'arrêta.
« Tu peux les laisser.
- Mais tu n'aimes pas ça !
- Je peux les trier moi-même.
- Et le goût que ça va laisser ?
- Ça peut passer, vraiment. Si j'avais le choix, ce serait sans champignon, mais je ne suis pas pour faire recommencer toute une recette à quelqu'un. C'est la texture que je n'aime pas.
- Au moins, tu ne prends pas de champignons magiques.
- Heureusement, non, rit-il. »
Balsa prit place, toujours avec ses plus jeunes garçons autour d'elle. Alika fit le compte et se rendit compte qu'ils allaient avoir neuf ans ! Son cœur de grande sœur en prit un certain coup. Elle nota aussi qu'ils se sentaient très intimidés par Shozen, même s'ils n'étaient pas dans les énergies.
« Au fait, Shozen, es-tu bilingue ? le questionna Balsa. Ta façon de parler est très fluide, on en oublie que le Kanbalese est ta langue d'origine.
- Je suis trilingue, la corrigea-t-il.
- Quelle langue dans ce cas ?
- Kanbalese, évidemment, Yogoese, bien sûr, et Rotan, par pur caprice.
- Voyages-tu souvent en hiver pour travailler hors du pays ? questionna Balsa en Rotan, surprenant son futur gendre.
- Pas si souvent que ça, répondit-il en suivant sa fluidité de langue. Je voyage surtout par missions diplomatiques.
- Je vois. Et comment c'est être en couple avec ma fille ? J'ai entendu dire qu'il y avait peut-être un mariage en vue ? »
Alika n'était pas aussi fluide qu'eux en Rotan, mais elle parvenait à comprendre quelques mots et questions si elle se concentrait assez. Elle sentit que sa mère parlait d'elle.
« Ce n'est pas parce que je ne suis pas fluide en Rotan que je ne comprends pas, hein ? rappela-t-elle en Kanbalese.
- Être avec Alika est un vrai rafraîchissement, fit Shozen en changeant de langue pour le Kanbalese complètement avant d'ébouriffer ses cheveux. Je compte devenir le danseur pour la Cérémonie des Remises qui aura lieu dans trois ans. Si jamais on se marie avant cette échéance, j'utiliserai l'argent rapporté par les luisha pour payer notre future maison au complet plutôt que faire de petits paiements. Mais le mariage n'aura pas lieu avant deux ou trois ans.
- Je comprends, acquiesça Balsa avec un sourire. En tant que telle, la danse n'est pas si difficile que ça. Tant que ton âme est capable d'être à découvert et de danser avec le ou les hyohlu, les luishas ont toujours été offerts.
- Ah oui, c'est vrai. Tu as été le danseur il y a quelques années.
- Il me fera plaisir de te donner des conseils, comme je n'ai pas d'engagement à tenir le silence concernant ce qui se passe dans les profondeurs des grottes.
- J'ai été apprenti et ai participé à la dernière cérémonie en tant que participant. Mais pas en tant que danseur. Alors je sais de quoi il en retourne, légèrement. Mais savoir que l'on peut être danseur sans être exceptionnel me rassure un peu. Au fait, qui va se marier en premier ici ? demanda-t-il en Yogoese cette fois.
- Mon fils Nao va se marier l'an prochain, quand sa fiancée Maho, sera officiellement adulte, l'informa Tanda.
- Ohh, je vois… est-ce qu'Alika sera invitée, même si ça ne se passe pas en été ?
- La date n'a pas encore été choisie, mais peu importe le temps de l'année, vous allez être invités et mis au courant. »
Alika tourna la tête et joua avec ses doigts.
« Êtes-vous sûrs que je ne me ferai pas mettre de côté ? demanda-t-elle.
- Pourquoi dis-tu ça, Alika ? s'étonna Balsa. Ce n'est pas parce que tu habites à Kanbal maintenant, que tu ne fais plus partie de la famille.
- Euh… j'ai juste eu des flash-back concernant l'an passé…
- Si tu viens à te marier, est-ce que tu inviterais Nao à ton union avec Shozen à Kanbal ou tu ferais exprès de ne pas l'inviter pour te venger ?
- Je l'inviterai quand même…
- Alors c'est la même chose pour lui. L'an dernier, toi et Lany vous êtes rendus à Toumi et avez passé un bon deux semaines là-bas. Nao m'a souvent fait part qu'il était très content que vous soyez venues à Toumi. Il resplendissait. Ne t'inquiète pas pour ces détails. »
Les jumeaux finirent par se dégêner et commencèrent à parler avec Shozen. Ils lui montrèrent même leurs lances avec fierté. Étant originaire d'un pays où les garçons et les enfants étaient entraînés dès leur plus jeune âge, Shozen n'en était même pas surprit ni étonné. Il prit même la peine d'examiner leur arme avec curiosité. Lentement, Karuna et Jiguro l'attirèrent à l'extérieur et commencèrent à jouer avec lui. Lany et Motoko profitaient de leurs retrouvailles et avaient été jouer dans le petit sanctuaire sacré souterrain, dans la forêt.
Alors que Shozen avait tout l'attention de ses petits frères, Alika jetait un œil de temps en temps à travers l'ouverture de la porte, terrée dans l'ombre. C'est à peine si on pouvait l'apercevoir.
« C'est juste la première journée, mais ton futur mari est super, complimenta Tanda alors qu'il remuait le ragoût.
- Mon futur mari ? se surprit Alika.
- Tu préfères encore dire qu'il est ton petit-ami ?
- Oui. Je ne me sens pas encore prête à l'appeler "mon époux" ou "mon mari".
- Je comprends. Je ne veux pas te brusquer. Il faut un début à tout. Je le ressens dans son énergie : il est heureux et bien avec toi. As-tu peur que la vie vous arrache encore un à l'autre, comme avec Amaya et toi ?
- … C'est une peur qui est très justifiée, si je ne me trompe pas.
- Je n'ai jamais dit qu'elle n'avait pas lieu d'être. Elle est même très compréhensive. »
Alika soupira et tourna son regard vers son père. Balsa était silencieuse, dans son coin.
« Papa.
- Oui ?
- Au niveau spirituel, il faut que je te dise quelque chose, avoua-t-elle avec un ton de voix qui l'inquiéta légèrement. »
Il leva la tête. Même Balsa démontra un léger intérêt pour cette branche qu'elle ne connaissait pas trop.
« … J'ai retrouvé Amaya de l'autre côté. Sous forme spirituelle. »
L'attention de ses parents fut captée au complet cette fois-ci.
« Maman sait qu'Amaya était devenue étrange après sa mort. Elle était distante et, pour être franche, vraiment très différente que dans son vivant.
- Donc tu as trouvé des réponses quant à sa froideur spirituelle ? questionna Balsa.
- Oui. J'ai fini par tout comprendre. »
En des thèmes simples, Alika leur raconta grossomodo l'histoire de supercherie d'Amaya, ses doubles maléfiques qui lui avaient fait beaucoup – trop – de tort et qu'elle était maintenant de retour parmi eux, à tourner autour de son ancienne petite-amie.
« Est-ce qu'elle est jalouse de votre relation, à toi et Shozen ? s'informa Tanda.
- Non. Elle comprend que la vie continue pour moi… et elle a ses propres trucs à gérer de "l'autre côté". Elle est aussi en relation avec un homme qu'elle considère comme son amant, donc… nous sommes un peu sur la même longueur d'ondes elle et moi.
- Alors si sa présence ne te nuit pas, je crois que c'est une bonne chose.
- Ça ne t'est pas difficile de devoir gérer et Shozen et Amaya ? demanda Balsa.
- Non. On a beaucoup discuté à ce niveau. Amaya ne cherche pas à s'interposer. Depuis son retour, je me sens mieux. Je me sens plus légère et moins confuse. Je vous en ai fait part car… comme je suis dans les énergies, ça fait aussi partie de ma réalité et mon environnement qui peut énormément m'influencer.
- Nous comprenons, conclut Tanda. Je suis heureux de voir que tu nous fais assez confiance pour nous le partager. »
Les jumeaux entrèrent de nouveau au refuge avec Shozen, vite suivit de Motoko et Lany. Ils mangèrent le repas avec appétit et Shozen donna même ses champignons à Karuna et Jiguro.
« Maman, l'interpella Alika. Quand nous étions en route pour venir ici, nous avons aidé des paysans contre des bandits.
- Ah oui ? s'étonna la mère de famille.
- C'était trop facile ! se moqua Lany. Mais… ces paysans ne semblent pas croiser beaucoup d'étrangers, car ils nous ont demandé si nous venions vraiment de Kanbal. Shozen n'a pas aimé ça. »
Shozen roula les yeux.
« Mais c'est évident non ?! s'écria-t-il. Nous avions tous les trois des lances, et Alika a dit que mon physique n'était clairement pas Yogoese. »
Lany poussa un petit son pour montrer qu'elle s'amusait de la réaction offensée de son camarade d'arts martiaux.
« Hé bien, je comprends un peu l'irritation de Shozen, déclara Balsa en déposant son bol vide.
- C'est vrai ? se surprit-il.
- Oui. Malgré que je parle Yogoese sans accent – enfin, je pense – depuis plus de quarante ans maintenant, on me pose très souvent la question si je suis d'origine Kanbalese en voyant ma lance, lors de mon travail en tant que garde.
- Mais pourquoi ? »
Balsa haussa les épaules.
« Les gens sont ignorants de base. Sois, je suis trop sympathique à leurs égards, sois, mes origines sont étampées dans mon visage, mais je n'en ai pas d'autres pour mettre à la place.
- Qu'est-ce que tu réponds ?
- C'est une question à laquelle je suis rendue habituée maintenant, même si parfois, elle m'irrite. Je leur dis poliment que je viens de Kanbal, mais que j'ai grandi ici. Mais, une fois, juste pour m'amuser, j'ai dit que je venais de Sangal…, rit-elle. Et ils ont complètement été confus avant de me croire !
- Oh, je vois.
- Ne pas avoir le physique des Yogoese ou des Yakue ce n'est pas une honte. Il n'y a rien de mal à être gêné de ses origines. C'est sûr que la répétition peut taper sur les nerfs à la longue, mais… en dehors du fait de devoir accepter ce qui est, on ne peut pas contrôler ce que les gens pensent ou disent. »
Shozen réfléchit à la question, jusqu'à ce que Motoko tombe sur un nouveau sujet et que tous entrent dans la conversation. Comme les invités étaient épuisés de leur route, ils ne veillèrent pas très tard. Motoko, comme l'an dernier, annonça qu'elle ferait une liste des places à visiter pour les trois prochains mois.
Le soleil commençait déjà à se pointer à l'horizon. La maisonnée était encore silencieuse. Shozen se souvenait qu'il dormait chez les parents d'Alika. Alors il n'était pas aussi déboussolé qu'il l'imaginait quand il se réveillait au milieu de la nuit. Il se retourna sur le futon et regarda le corps d'Alika sous les couvertures, qui dormait sur le ventre, écoutant sa respiration. Il se rapprocha d'elle et caressa son dos tendrement. Elle bougea doucement dans son sommeil en gémissant.
« Bon matin, beauté, murmura-t-il.
- Hum… bien dormi ? questionna-t-elle avec de petits yeux.
- Oui, toi ?
- Je prendrai un autre petit cinq minutes. »
Elle referma les yeux. Shozen fut alors pris d'un élan et il l'attira contre lui.
« Qu'est-ce que— ?!
- On est mieux collés, chuchota-t-il en l'embrassant.
- Hmpf ! Je n'aime pas embrasser le matin… bon sang, je pourrai tuer une chèvre avec mon haleine.
- Détail. Tant que je n'ai pas mon baiser, tu ne partiras pas des couvertures ni de mon emprise. »
Avec une petite moue, elle l'embrassa sur la bouche et retourna dans le sommeil pour un autre petit moment. Shozen écouta tous les petits bruits qui l'entouraient. Il identifia les jumeaux identiques qui se faisaient la course pour plier leur futon, alors que du côté de Lany et Motoko, les deux amies devaient sûrement encore faire la grasse matinée. Ce qui était normal vu leur poussée de croissance qui demandait à leurs corps plus d'énergie. Une odeur sucrée flottait dans l'air et il en conclut que Tanda ou Balsa était sûrement en train de préparer le petit-déjeuner.
Le rideau finit par être agité et la petite tête de Lany apparut.
« Oh, murmura-t-elle en voyant Shozen tenir Alika dans ses bras. C'est mignon…
- Merci, fit-il. Bien dormi ?
- Oui, ça fait du bien ! »
Alika ouvrit les yeux et souhaita bon matin à sa disciple. Ils finirent tous par se lever pour enfin commencer la première journée des vacances estivales. Alors qu'ils déjeunaient, Motoko établissait une liste d'endroits à visiter et d'activités à faire en groupe ou individuellement.
« Cette fois-ci, on pourrait aller visiter Rota ! annonça Motoko fièrement. J'ai demandé quelques semaines de congé pendant mon travail !
- Rota ? demanda Lany, surprise.
- Oui ! Il y a de belles choses à voir là-bas, mais je proposerai d'y aller vers le milieu des vacances, car, il y a le festival Hanma.
- Le festival Hanma ? répéta Shozen. »
Des étoiles dans les yeux, la petite sœur d'Alika commença à expliquer en quoi consistait ce festival d'origine Rotan.
« C'est un festival dédié à la déesse Hanma, dans la province de Rakul. Des hommes et des femmes de différents clans se rencontrent, se courtisent et se mêlent au courant de la journée. S'ils s'aiment, ils peuvent décider de se marier le soir même. Romantique, n'est-ce pas ? »
Le regard de Shozen semblait confus. Sois, il cachait son étonnement ou il ne semblait pas trop enthousiaste à l'idée, trouvant cette pratique quelque peu dévergondée. Qui marierait une personne qu'elle ne connaissait pas le jour même de leur rencontre ? Il avait pris un an pour courtiser Alika avant qu'elle ne se sente prête à sortir avec lui et il avait pris presqu'une demi-année pour lui demander de dormir à son appartement, dans des chambres séparées.
Lany s'autorisa un instant à savourer sa confusion.
« Ça se passe pendant le dernier mois de la saison chaude, plutôt qu'après la fonte des neiges, continua d'expliquer Motoko. La raison est que le phénomène des "perséides" dans le ciel correspond beaucoup plus aux attraits de la déesse et comme il fait beau et chaud à cette période de l'année, bah… les gens sont plus portés à se coller ensemble… alors ? Vous êtes partant ?
- Oui, mais il n'y aura pas de mariage d'un soir entre Alika et moi, dit Shozen. Ce sera au moins une petite sortie en amoureux.
- Oh, je sais que vous ne vous marierez pas avant un moment. Mais c'est toujours drôle de se permettre de rêvasser sur le couple des personnes. Comme Maître Shuga et Tomoe, par exemple.
- On aurait dit Hototo, murmura Shozen qui se souvenait aussi que ce Berger avait fait un commentaire semblable.
- Ah, oui, confirma Alika, bien sûr. Elle va bien, d'ailleurs ?
- Oui, s'écria Motoko. Ma petite Nhiva va avoir quatre ans cet automne ! Elle grandit trop vite. »
Motoko était certes heureuse d'avoir la visite de Lany, mais cette dernière ne pouvait pas l'accompagner quand elle travaillait. Mais elle savait que son amie sera toujours-là après une longue journée de travail.
Le plan des vacances ayant été élaboré de long en large, les invités savaient maintenant ce qu'ils voulaient visiter en premier.
« J'ai une envie de sucre à la crème, avoua Lany avec une grimace. Pourquoi il a fallu que ça me prenne pendant mes premiers jours de vacances ?!
- Y a-t-il de la crème ici ? s'informa Shozen à Tanda.
- Nous avons des produits laitiers qui proviennent des vaches laitières, mais pas des chèvres. Vous trouverez de la crème au Bas Ougi.
- Et du sucre ? Blanc et brun.
- Il y a différentes sortes de sucre, mais oui, nous en avons aussi. »
Shozen regarda Alika.
« On va faire un petit tour au Bas Ougi ?
- Bien sûre, confirma Alika. »
Lany sautilla sur place et invita son mentor à se pencher légèrement pour qu'elle lui murmure quelque chose à l'oreille.
« On pourrait aller jeter un œil à l'ancienne maison d'Amaya ? Elle me pousse dans le dos pour qu'on y aille.
- J'avais presqu'oublié, mais bien sûr. Or, il se peut qu'elle soit de nouveau habitée et qu'on ne puisse pas y entrer, ou qu'elle ait disparu à jamais avec l'inondation.
- Dans tous les cas, on va vérifier ça en temps et lieu, allons-y ! »
Armés de leurs lances, ils quittèrent tous les trois le refuge et se rendirent au Bas Ougi, en suivant Alika qui servait de guide dans les montagnes. Alika voyait qu'Amaya influençait grandement sa disciple pour aller jeter un œil à son ancienne maison avant les commissions. Sans poser de questions, Shozen ne faisait que suivre ses deux amies à travers les rues ici et là. Proche d'une rivière, il remarqua une petite maison où des draps et des linges reposaient sur une corde tendue.
« Elle a tenu bon, murmura Alika, sous le choc.
- Et elle semble habitée, observa Lany.
- Avant, il y avait une garderie et une friperie aux côtés.
- De quoi parlez-vous, Mes Dames ? sortit Shozen qui ne suivait plus le cours de leur conversation. »
Il vit alors un petit voile de tristesse passer sur le visage de sa bien-aimée.
« C'était l'ancienne maison d'Amaya Muga, avoua Alika. Avec l'inondation que Kosenkyo a été victime pendant qu'il était envahi par les Talsh, je n'ai jamais su si la maison avait tenu bon ou avait été emportée par les flots… maintenant je sais. Je n'ai jamais voulu revenir ici après la fin de la guerre, car c'était encore trop douloureux pour moi, avec les souvenirs que j'ai eu à cette place.
- Je comprends. Est-ce que les parents d'Amaya habitent aussi dans le coin ? demanda Shozen, empathique.
- Ils habitent plus en campagne, loin des grosses rivières… il faudrait voir s'ils n'ont pas déménagé. Et encore… j'hésite à aller les voir.
- Pourquoi ? Tu as partagé la vie de leur fille. Tu ne t'es pas séparée d'elle. »
Les paroles de Shozen lui rappelèrent alors les paroles que les parents d'Amaya avaient dit à Alika, le jour où elle avait fait la messagère d'entre deux mondes. Meiko, son ex-belle-mère, lui avait clairement dit ceci :
« Alika, tu as fait partie de notre famille. Ne disparais pas et tu es la bienvenue ici à tout moment du jour comme de la nuit. »
De plus, Amaya avait eu un petit frère après son décès.
« Ça ne fera pas étrange de revoir une ex belle-fille dans le décor ? Je n'y suis pas retournée après la mort d'Amaya, parce que j'ai été en thérapie d'urgence à Kanbal et que j'y habite.
- Je suis certain qu'ils ne t'ont jamais oublié, Alika. Tu es trop "tape-à-l'œil". Ont-ils d'autres enfants ? se renseigna Shozen.
- Non… enfin, ils ont perdu deux bébés avant d'avoir Amaya, et quand elle est décédée, Meiko était enceinte de nouveau. C'est un petit garçon… mais j'ignore s'il a survécu à la petite enfance.
- La seule façon de le savoir, c'est d'y aller. »
Alika afficha une expression d'incertitude.
« Avant, allons chercher les ingrédients pour le sucre à la crème ! s'impatienta Lany. Tu pourras alors prendre ta décision entretemps.
- J'approuve le plan de Lany, l'appuya le guerrier.
- C'est quoi cette conspiration entre vous deux ?! fit mine de se vexer Alika.
- C'est parce que nous sommes tous les deux négatifs forts et que toi, tu es archange, la taquina sa disciple en utilisant leur jargon spirituel.
- Haha, très drôle. »
Elle les mena au marché du Bas Ougi, où ils trouvèrent tous les ingrédients. En voyant le kiosque de patates, Shozen se souvint alors d'une sucrerie Kanbalese qu'Alika n'avait peut-être jamais goûté. Il en acheta trois sous les regards intrigués des deux jeunes femmes.
« En plus du sucre à la crème, je voudrais vous faire découvrir un autre dessert, les informa-t-il. Alors en plus du sucre blanc normal, je vais acheter du sucre en poudre. Est-ce que vous avez de la confiture maison ?
- Tu me demandes vraiment ça, Shozen ? s'ironisa Alika.
- Bah, oui ?
- Mon père est le cuisinier, le pâtissier, le guérisseur, le Papa au foyer et le père de famille. Tout est fait maison chez moi quand il s'agit de la nourriture. Les confitures aussi. Je crois que le temps des fraises et des framboises est très proche, donc il y en a sûrement en réserve.
- Parfait. Le goût acidulé des petits fruits va compenser avec la pâte sucrée de mon second dessert.
- Suis-je sensée le connaître aussi ? demanda Lany en fronçant les sourcils.
- Tu l'as probablement déjà mangé avec de la crème de noisette.
- … Des bonbons aux patates ?! »
Shozen fit un pouce dans les airs.
« En plein ça ! Et il ne faut qu'une seule patate, avec beaucoup, beaucoup de sucre en poudre.
- Je me souviens en avoir mangé deux fois… et j'ai eu un mal de tête qui a suivi à tous les coups parce que c'était trop sucré. »
Alika les regarda discuter d'un dessert qu'elle ne connaissait pas encore. Puis, Lany la prit par la main et la força à prendre le chemin en direction de la maison de ses anciens beaux-parents.
« Bon sang… je n'ai jamais avancé à reculons comme ça de toute ma vie…, murmura Alika, aux prises avec une crise d'anxiété.
- Ça ira bien, lui répéta constamment sa disciple. On est avec toi, tu n'es pas seule.
- Ce sera même amusant, ajouta Shozen en la poussant dans le dos. Je suis sûr qu'ils seront ravis de te revoir.
- Ça fait cinq ans, Shozen.
- Et alors ? Tu pourrais passer quinze ans de ta vie sans voir une personne et dès le jour ou la minute que tu recroises cette personne, c'est comme si rien n'avait changé à votre lien.
- Tu sembles en connaître quelque chose.
- En partie. Aller, tout ira bien. »
Comme Alika ne pouvait faire marche arrière, elle prit le chemin qui la mènerait vers les parents d'Amaya. Cette dernière, sous forme spirite, gambadait joyeusement et répondait à toutes ses questions précédentes.
« Mes parents ne sont jamais partis du Nouvel Empire de Yogo et mon petit frère va avoir cinq ans… ou quatre ans, je ne sais plus… être esprit m'a fait perdre le compte, haha… »
Alika fit comme si elle ne voyait pas sa défunte petite-amie, et continua sa route. La maison apparut dans sa vision. Elle arrêta sec et Shozen faillit lui rentrer dans le dos.
« Woohh Alika ! s'écria-t-il.
- Désolée…
- J'ignorais que c'était dangereux de marcher derrière toi… tu es imprévisible !
- C'est donc ici ? demanda Lany en regardant la petite maison proche des rizières. »
Il y avait deux petites balançoires accrochées à une structure de bois et un peu plus loin, il y avait un petit puit dont l'ouverture était recouverte d'un couvercle et d'un cadenas. Du bois était empilé proche de la maison qui avait un toit recouvert de chaume et de foin.
« Il semble, répondit enfin Alika à la question de sa disciple, encore aussi immobile qu'une statue. Je veux rebrousser chemin ! »
Elle se retourna et chercha à fuir. Mais Shozen lui bloqua le passage, facilement, en mettant un bras ferme devant elle.
« Oh ho ! On arrête, jeune dame, intervint-il.
- Shozen, je ne me sens vraiment pas bien ! paniqua Alika.
- Pourquoi, bella ? »
Il l'emmena hors du sentier, à l'orée du petit boisée et proche du petit muret de pierre, avant de s'asseoir contre la façade pour la calmer. Il prit une de ses mains et lui caressa le dessus avec son pouce.
« Qu'est-ce qui te fait autant paniquer à l'idée de revoir tes ex beaux-parents ? continua-t-il d'une voix douce. Tu as peur qu'ils t'aient oubliée ?
- N-non…
- Qu'ils te tiennent responsable du décès de leur fille, alors ? »
Alika mordit ses lèvres.
« Je ne fais plus vraiment partie de leur famille…
- Mais c'est faux, embarqua Lany. Amaya vient de me dire que tu es toujours la bienvenue chez ses parents. Tu as fait partie de leur famille… »
Encore une fois, les paroles de Meiko revinrent dans son esprit. Et Alika lutta contre elles.
« Quel est le pire scénario qui pourrait arriver ? enchaîna Shozen. Qu'est-ce qui pourrait arriver s'ils te revoient de nouveau ?
- Ne pas me reconnaître ?
- Et ? Qu'est-ce que tu vas faire si c'est le cas ? Vas-tu nier que tu as passé un moment de ta vie avec eux ?
- Je le voudrais bien…
- Or, ce serait te faire mal, bella. Au mieux, on tournera les talons et on retournera chez tes parents pour faire nos desserts. Au meilleur des cas, ils vont insister pour se rappeler qui tu es.
- À Kanbal, sortit Lany, les Bergers ont 4 accords Kanbalese : que notre parole soit impeccable; ne rien prendre personnel; ne pas faire de suppositions et faire toujours de notre mieux.
- Ne pas faire de suppositions…, murmura Alika.
- Exactement.
- Mais… je fais de l'anxiété, Lany.
- Je sais. Mais Shozen et moi sommes là. Je pourrai même cogner pour toi, si tu veux. Tout ira bien. »
Lany lui fit un gros câlin et prit sa main de libre.
« Allons-y. Tous ensembles. »
Elle continua de serrer très fort la main de son mentor. Ils arrivèrent devant la porte d'entrée. Lany leva le bras, mais s'arrêta.
« Pourquoi est-ce qu'on lève toujours le bras pour cogner ? Je peux simplement le laisser baisser et toquer. »
Elle baissa son bras et cogna. Du mouvement se fit entendre à l'intérieur. Shozen sentit Alika s'agiter et appréhenda qu'elle tournerait les talons d'un instant à l'autre. Il posa alors ses mains sur ses épaules en exerçant une pression ferme. La porte coulissante s'ouvrit sur un homme à la barbe bien trimée, aux cheveux bruns et avec de grands yeux foncés. Lany remarqua alors qu'Amaya avait le même sourire que lui, pour le peu de fois où elle l'avait vue en rêve.
Eh merde…, se maudit Alika intérieurement.
« Euh—, allait-elle commencer.
- Alika ? C'est bien toi ? s'étonna le père d'Amaya.
- … Vous-vous souvenez de moi après toutes ces années ? s'étonna-t-elle.
- Mais bien sûr que si, pardi ! s'exclama-t-il en l'attirant dans ses bras. Meiko ! Chérie ! Il y a de la visite spéciale pour nous ! »
Il se tourna ensuite vers Lany et Shozen, et remarqua leurs lances.
« Hum, Juro, dit Alika, voici ma disciple Lany, la plus petite et le plus grand, c'est Shozen… mon partenaire de vie actuel.
- Oh, bienvenu ! Entrez, entrez ! »
C'est ainsi que les trois guerriers se retrouvèrent assit à la table des parents d'Amaya, devant un bon thé et des douceurs cuites qui rappelaient celles de Kanbal. Étant tous des Kanbalese d'origines – ou ayant des origines -, ils discutaient dans leur langue native. Alika n'avait pas beaucoup parlé, ne répondant qu'aux simples questions que Juro et Meiko lui avaient posé entretemps.
« Nous ne t'avons plus revu depuis la mise en terre d'Amaya, raconta son ex-belle-mère. Mais j'ai pensé à toi à tous les jours.
- C'est vrai ? murmura-t-elle, comme si elle avait du mal à savoir comment sa présence pouvait marquer des vies.
- Oh oui. Également, j'étais enceinte, donc je suis devenue plus épuisée avec ma grossesse et à force de m'occuper de notre fils, le temps a filé comme à la vitesse de l'éclair. Tu avais raison quant au sexe du bébé à venir. Tu ne t'es pas trompée.
- Où est votre fils ? Et comment s'appelle-t-il ?
- C'est Laïuni Yonsa. Il va avoir cinq ans cet hiver. Pour l'instant, il fait une sieste. Mais je pense que son temps achève bientôt. Que s'est-il passé depuis notre dernière rencontre ?
- Beaucoup de choses. »
Elle tourna alors ses pouces, signe de nervosité.
« En fait, je suis partie à Kanbal peu de temps après. J'avais… besoin de changer d'air.
- Je comprends.
- Et j'ai rencontré de nouvelles personnes et me suis faite un nouveau cercle d'amis. Je peux officiellement dire que j'habite là-bas, maintenant, même s'il me faut encore recevoir ma citoyenneté Kanbalese. Je reviens à chaque été au Nouvel Empire de Yogo pour les vacances estivales et revoir ma famille et des amis de longues dates. C'est ma petite entente avec mes parents si je prenais la décision d'habiter de façon permanente à Kanbal.
- Shozen et Lany suivent ta tradition également ? demanda Juro.
- C'est mon deuxième été ici ! annonça Lany fièrement. Alors que c'est une première que Shozen nous accompagne cette année. Bien sûr, parce qu'avant, Alika et lui n'avaient pas mis carte sur table et rendu leur relation officielle comme ils se courtisaient. »
De fil en aiguille, Meiko s'emballa dans ses sujets de conversation. Tantôt philosophique, tantôt sentimentale. Alika se souvenait enfin pourquoi elle s'entendait aussi bien avec son ex-belle-mère : leurs conversations s'éternisaient toujours et elles se comprenaient sans pouvoir l'expliquer. Naturellement, Meiko tomba sur le sujet de son cheminement concernant le deuil d'Amaya.
« Au départ, j'ai eu beaucoup de difficulté à accepter que la vie ait repris Amaya, raconta-t-elle. Mais je ne t'en ai jamais voulu, Alika. Tu n'as pas jeté un sort à notre fille en disant qu'elle attraperait une pneumonie.
- Mais… je n'ai pas été capable de trouver un médecin ni une place sûre pour la soigner à temps.
- Amaya ne pouvait pas quitter cette vie d'une meilleure façon. Elle n'est pas morte seule; elle est décédée dans tes bras, avec toi à ses côtés. »
Lany jeta un coup d'œil à son mentor, inquiète. Les yeux d'Alika se remplirent de larmes silencieuses.
« Pardon, s'excusa-t-elle en essuyant ses larmes rapidement.
- Mais non, ma belle, la rassura Meiko, c'est normal que les émotions sortent. Elles sont légitimes et doivent être exprimées.
- J'ai eu tellement peur… de la réaction de tout le monde. J'étais tellement désespérée. Je voulais disparaître dans un trou, et ne plus jamais avoir à me montrer le visage.
- Tu n'as pas à avoir peur de nous, Alika, ajouta Juro. Tu étais en détresse et ne savais pas comment aller mieux et gérer ta vie du moment, c'est tout.
– Avez-vous … avez-vous été mélancoliques, vous aussi ?
- Beaucoup, confirma Meiko. Mais je pense que ma fille a mis sur ma route des anges qui m'ont guidé dans mon cheminement vers la guérison. J'ai rencontré une guérisseuse au Bas Ougi. Elle m'a donné un remède naturel à base de plante qui aide à la tristesse et mélancolie après ma grossesse.
- Un remède naturel ? questionna Shozen.
- Oui. Le nom de la plante est l'hypericum perforatum. Elle peut être parfois mélangée avec l'achillea millefolium, ou utilisée séparément. »
Alika se mit à réfléchir aux noms des plantes. Yuka l'avait aidée avec beaucoup de psychothérapie, et parfois, quelques remèdes à base de plantes, mais Alika n'avait jamais demandé le nom des plantes utilisées dans ses remèdes. N'ayant pas la même géographie que le Nouvel Empire de Yogo, Kanbal avait sûrement des plantes aux propriétés similaires que celles énoncées par Meiko.
Juro se leva. Il était temps pour lui d'aller réveiller son fils. Alika vit Amaya devenir toute enjouée et elle suivit son père sur les talons. Ils entendirent quelques pleurnichements venant de la chambre, puis des rires. Des pas résonnèrent dans le couloir et bientôt, Juro revint avec une petite silhouette dans ses bras. La lumière du jour, découvrit le visage de l'enfant.
Alika tomba sous le choc en voyant Laïuni. Le petit frère de sa défunte petite-amie avait exactement les mêmes traits de visage qu'Amaya. Juro déposa son fils sur ses grandes cuisses. Remarquant l'expression de son ancienne belle-fille, Meiko sourit.
« Tu vois également Amaya sur sa petite bette, n'est-ce pas ? rit-elle.
- Je… euh… oui. »
Meiko caressa la petite tête de Laïuni.
« Si tu ne nous avais jamais dit qu'Amaya ne se réincarnerait plus, nous l'aurions pris pour elle.
- Vous… vous savez concernant Alika et son don ? hésita Lany, surprise.
- Oui. Nous le savons, car c'est elle qui a fait la messagère pour nous dire qu'Amaya était décédée. Mais nous ne voulons pas savoir maintenant ce que pense notre fille de l'autre côté de ce monde. C'est mieux que ça reste ainsi. Alika reste une personne vivante et elle doit vivre sa vie en tant que telle. Elle n'est pas un outil.
- Merci de votre compréhension. Amaya vous a sûrement influencé pour le prénom, continua Alika. Elle a toujours dit que si elle venait à tomber enceinte, ou à avoir un bébé un jour, si c'était un garçon, elle l'aurait appelé Laïuni…
- Étrange, rit Juro. Amaya a failli s'appeler comme ça, si elle était née garçon. »
Alika se leva et alla prendre un petit cheval de bois pour jouer avec Laïuni.
« On fait un petit combat ? questionna-t-elle. Ou on peut jouer aux animaux de la forêt !
- Animaux de la forêt ! fit Laïuni, content d'avoir une amie avec qui jouer.
- Tu peux m'appeler MaTante Ali, même si, à priori, je suis ton ex belle-sœur. »
Ils allèrent au salon, alors que Lany venait les rejoindre. Shozen resta à discuter avec Meiko et Juro, se sentant comme à la maison et comme s'il avait de nouveau ses repères. Il sut que leurs hôtes comprenaient que la vie continuait malgré la mort de leur fille aînée et qu'Alika devait avancer malgré le deuil qui durait toute une vie. Meiko et Juro étaient contents de voir que Shozen pouvait rendre Alika, leur ex-belle-fille heureuse à nouveau.
Laïuni leva ses grands yeux bruns vers Amaya et lui tendit un jouet. Cette interaction mit Alika sur ses gardes. Non. Plutôt, elle était encore sous le choc. Comme si elle voulait le tester, elle ordonna à Yugao et Jiguro d'interagir avec le bambin.
« Hey petit, ton jouet a l'air super, fit Jiguro. »
Le garçonnet lui tendit alors une sphère polit. Yugao lui caressa alors la tête. Il réagit à son toucher, sourit et continua de s'amuser avec ses figurines.
« Il voit les esprits…, murmura Lany. Il les voit tous, comme toi. Pour combien de temps, je l'ignore… mais il est peut-être aussi fort que toi…
- Les enfants sont très ouverts concernant les plans spirituels et les dimensions invisibles, chuchota Alika pour ne pas se faire entendre. Certains perdent la faculté en grandissant, sois par peur ou par incompréhension, mais d'autres la conservent sans en parler à quiconque. »
Alika jeta un regard à Amaya et s'adressa par télépathie.
« Amaya… tu ne m'as jamais dit que ton petit frère pourrait être un médium comme moi. Est-ce que tu l'as toujours su ?
- Euh… je voulais que tu le découvres par toi-même. Mais oui. Mon petit frère est destiné à être un médium dans cette vie-ci.
- Il te ressemble tellement… et il a mes facultés spirituelles. Bon sang ! Il aurait pu être notre fils !
- Même si, techniquement, deux femmes ne peuvent avoir d'enfants ensembles, il est vrai qu'il pourrait l'être. Et je sais que s'il veut se perfectionner dans cette branche, tu seras là. Mes parents sont également ouverts à cette possibilité et ils pourront sans doute référer Laïuni à un mentor spirituel, un magic-weaver, comme maître Torogaï.
- Il te ressemble tellement…
- Je sais. Je peux y voir des traits de mon visage en lui. Nous partageons la même bouche, les mêmes yeux… c'est vraiment drôle. Ce n'est pas mon frère jumeau, mais, lui et moi se ressemblons beaucoup. Je pense que quand j'avais son âge, j'étais identique ou presque, mais j'avais les cheveux longs. »
Alika sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Amaya continua de parler à propos des probabilités – impossibles – si elles avaient pu porter leurs enfants à tour de rôle. Alika portant les enfants d'Amaya dans son ventre, et vice-versa.
« Pardon Amaya, mais j'aimerais changer de sujet, s'excusa la médium. Je recommence à très mal aller…
- Ah, oui. Pardon, je me suis laissée emporter. »
Lany continua de garder un œil sur son mentor. Même si elle tentait de ne pas montrer d'émotions, la jeune disciple voyait très bien que dans les yeux d'Alika, la petite étincelle de joie s'était soudain éteinte et que la tristesse l'avait envahi. Elle prit alors les devants en prenant Laïuni dans ses bras et le faisant tournoyer.
« Dommage que je sois la plus jeune de ma famille, commenta Lany. Je n'ai jamais pu être une grande sœur ou une tante trop cool et exceptionnelle. »
Le petit de mit à rire, puis fut déposée sur les cuisses de Meiko qui le serra dans ses bras.
« La visite et les conversations étaient supers ! Dommage que nous devions y mettre fin, mais il nous faut absolument retourner à la maison… enfin, chez Papa Tanda et Maman Balsa, car nous avons de la cuisine sur les bras, annonça Lany.
- On comprend. Allez-y, dit Juro avec un sourire.
- Nous reviendrons vous faire coucou avant la fin de notre voyage.
- Et notre porte vous sera toujours ouvertes, les informa Meiko. »
La visite se termina sur des accolades et une bonne poignée de main pour les hommes. Ils quittèrent la place. Alika se sentait soudainement soulagée, et bien moins terrifiée.
