Chapitre 8 : L'empire du septième sens
Debout devant le lit, Milo arborait son légendaire sourire sadique.
« Jusqu'à présent tu n'as eu qu'un aperçu très partiel de mon attaque renommée dans toutes les maisons closes de l'Attique et des Cyclades. Avec mon Aiguille Ecarlate, je n'ai touché qu'un seul de tes points érotiques. Or, comme la constellation du Scorpion possède quinze étoiles, mon doigt peut infliger quinze piqûres mortellement excitantes. »
L'ongle de son index s'allongea et devint rouge.
Il venait de faire l'amour avec Pyra, mais celle-ci n'avait pas montré le même enthousiasme que lors de leurs premiers ébats au Dionysos. La vélocité du Scorpion avait ses avantages, mais aussi ses inconvénients. A moins que la cause fût autre.
« La première... » déclara Milo avec pompe, en tendant son doigt.
Un rayon rouge vint toucher la courtisane assise sur le lit, dans l'intérieur du coude ; elle se pencha en avant en poussant un cri.
« La deuxième… ! » proclama Milo.
Le rayon toucha un point dans le cou. La jeune femme poussa de longs gémissements.
« La troisième ! »
« Oh, oh mon dieu, mon dieu... » murmura Pyra.
Ses cuisses se serraient ; des gouttes de sueur perlèrent à sa tempe.
« La quatrième ! »
Milo poursuivait, et sa concubine poussait déjà des soupirs d'agonie.
« Tu me tues… Tu me tues... »
« La cinquième ! »
Pyra poussa un cri, se tenant la poitrine.
« La sixième ! »
Le drap était trempé. La jeune femme était à présent totalement incapable de se contrôler.
« Continues… continues... »
Le sourire en biais du Scorpion s'étira encore davantage.
« Tes désirs sont des ordres », répondit-il. « La septième ! »
« Oh ! Oh ! »
« La huitième ! La neuvième ! »
Le Scorpion agitait son index avec détachement, tel un chef d'orchestre guidant une symphonie éthérée.
Les cheveux désordonnés, Pyra tremblait de tout son corps, un drôle de sourire sur son visage.
« La dixième... »
« Oh ! Mil… Oh ! Oh ! »
« La onzième ! »
« Comment… Comment... »
« La douzième ! »
« Encore ! Encore ! »
« La treizième ! »
La jeune femme poussa un râle guttural.
« La quatorzième ! »
« Oui ! Oui ! OUI ! »
« La Capitulation ou... la Petite Mort ! » conclut le Scorpion.
« L'amour… Je veux dire… la Mort ! »
Il exauça son souhait, lui accordant un dernier orgasme terrifiant.
« Ce n'est… Ce n'est… pas possible », balbutia-t-elle, alors qu'elle était étendue, reprenant son souffle, le regard fixe.
« Rien n'est impossible pour un Chevalier du Zodiaque », dit-il, en venant s'allonger à ses côtés.
Il s'était ensuite rapidement endormi, vidé par sa prestation. Et lorsqu'il ouvrit les yeux, une heure plus tard, il se rendit compte que la lampe à pétrole était allumée. Pyra était assise, le dos contre chevet du lit. Elle était à nouveau en train de lire.
« Tu sais, ce qu'il y a de merveilleux avec Pyra, c'est qu'on se comprend vraiment tous les deux... » déclara Milo. « On peut discuter à cœur ouvert. Je lui ai parlé des questions que je me posais… Et elle m'a écouté. »
Camus, sceptique, se demanda une nouvelle fois s'il avait bien fait de la laisser traverser la Maison de la Balance.
Son ami continua à musarder entre les rayons de la bibliothèque papale.
« Tu cherches quoi précisément ? » demanda le chevalier du Verseau.
« Pyra a fini son livre, et elle m'a dit qu'elle venait souvent ici pour se changer les idées quand elle servait l'ancien pope… Enfin, Saga. Il lui avait donné la permission d'en emprunter. »
« Il n'était donc pas tout le temps maléfique effectivement... »
« Alors elle m'a demandé si je pouvais lui en prendre un… Mais sans me donner plus d'indications. »
« Quel est le livre qu'elle vient de terminer ? »
« Un livre sur le Péloponnèse. »
« Géographie ? Histoire ? Sociologie ? Folklore ? »
« Histoire je crois… Avec une guerre... »
« Ce ne serait pas Thucydide ? »
« Sans doute... »
« Et elle l'avait apprécié ? »
« Beaucoup. »
« Alors… Prends-lui ça. »
« Tite-Live », lut Milo.
« Ça devrait lui plaire. Celui-ci à la rigueur peut-être, mais sans doute moins. »
« Polybe », lut le Scorpion. « J'ai affronté un type qui s'appelait comme ça un jour… Heureusement que je t'ai, tu es vraiment une encyclopédie sur pattes ! »
Lorsqu'il revint dans son temple, sa concubine l'accueillit avec une voix qu'elle poussait volontairement dans les aigus.
« Oh mon amour, te revoilà ! »
« Et je t'ai apporté ce que tu m'avais demandé chérie... »
Il lui tendit les livres, et elle les prit comme s'il s'agissait de trésors.
« Celui de Tite-Live est le meilleur », récita-t-il.
Shun et Hyôga ne manquaient pas une miette du spectacle qui s'offrait à eux : Shaka en pyjama, les yeux à demi ouverts, devant un plateau de petit-déjeuner, saisissant sa tartine le poignet plié, accomplissant chaque geste de manière très élégante.
« Je lui ai préparé un petit-déjeuner occidental », expliqua Tatsumi, « comme je ne savais pas si il aimerait la soupe miso. Et puis, il doit être végétarien... »
« Non, je ne le suis plus », déclara Shaka.
« Et ces matchs de sumo, hier soir ? » demanda Hyôga.
« C'était très intéressant. Mais Ikki n'avait pas l'air d'aller très bien. Je crois qu'il est malade. »
« Je ne suis pas malade », répondit Ikki, les bras croisés, le visage rouge.
« Où allez-vous aujourd'hui ? » demanda Shun.
« Au Meiji-Jingu. Puis nous irons voir un tournoi de kendo. »
« Tu en as de la chance Shaka », dit Hyôga. « Pour nous, c'est impossible de faire quelque chose avec lui. »
« Je vous ai déjà dit que je n'aimais pas la vie en groupe », expliqua Ikki.
La télékinésie et la téléportation étaient des pouvoirs des plus pratiques : elles vous permettaient d'assister à un spectacle sans avoir acheté votre billet, et de suivre des gens à la trace sans qu'ils s'en aperçoivent.
Kiki avait ainsi suivi Ikki et Shaka au Meiji-Jingu. Juché dans les hauts arbres, il vit les deux chevaliers entrer et sortir des temples, déambuler dans le parc. Ikki était toujours crispé, mais parfois il souriait. Shaka regardait tout ce qui se trouvait autour de lui avec intérêt. Parfois, l'autre l'arrêtait pour lui montrer quelque chose. Au début, l'auréole du chevalier de la Vierge réapparaissait ponctuellement, et ce dernier devait penser à l'éteindre.
Lors du tournoi de kendo, Ikki et Shaka étaient assis côte à côte. Shaka se tenait très droit, ses cheveux blonds tombant élégamment devant ses yeux. Il y avait dans son attitude une alliance de hauteur, de certitude de son pouvoir et de son bon droit, mais aussi de calme imperturbable, presque anglaise. Mais à d'autres moments, sa tête s'abaissait, et il semblait triste, d'une tristesse insondable et infinie. Parfois aussi, il glissait quelques mots dans l'oreille d'Ikki (dont on aurait presque pu dire qu'elle rosissait), pour commenter les combats. Ikki répondait, l'air sérieux. De temps à autre, le Japonais se tournait légèrement vers son compagnon, comme pour le regarder à la dérobée.
Lorsqu'ils sortirent du gymnase, Kiki vit le Phénix montrer des pages d'un guide touristique à l'ancien moine, qui hochait la tête.
Mû ferma les yeux, coupant la communication avec Kiki.
