CHAPITRE 25 : Un cri qui s'élève
- Chopper ! Elle va s'évanouir !
Dans ses bras, Nami était pâle comme un linge. Toute couleur avait été drainée de ses joues ainsi que de ses lèvres, et des cernes noirs creusaient le dessous de ses yeux. Sa peau était brulante, et Robin craignait qu'elle n'ait de la fièvre. Elle trempa le tissu dans la petite bassine d'eau à sa disposition et lui essuya le front, pendant que Chopper l'appelait. Il ne fallait surtout pas qu'elle s'évanouisse, ou le bébé risquait d'y passer.
- Une autre contraction arrive ! Tu dois pousser, Nami ! Ton bébé est presque là !
Robin l'aida à se redresser, et elle eut l'impression de tenir une poupée de chiffon. Elle douta que sa cadette puisse être capable de continuer, mais celle-ci la surprit quand elle se crispa soudainement. Avec fierté et admiration, elle l'observa lutter une dernière fois de toutes ses forces, et l'archéologue s'en voulut d'avoir douté de sa nakama. Nami était bien plus forte que ce qu'il n'y paraissait, et elle se battait toujours jusqu'au bout pour ceux qu'elle aimait. C'était donc logique qu'il en aille de même pour cet enfant. Soudain, elle vit Chopper émerger avec un tout petit être de couleur grisâtre entre les mains, couvert de sang et tout humide.
- Bravo Nami ! Tu as réussi ! déclara Robin tout émue.
Aussitôt, elle fit jaillir des bras pour tendre un lange au petit renne qui déposa l'enfant dedans pour l'essuyer. Un petit cri, le tout premier, résonna dans la pièce.
- C'est une petite fille ! annonça Chopper avec une voix pincée par l'émotion.
Les yeux bleus de l'archéologue s'humidifièrent. Ce fut plus fort qu'elle, en cette instant, ses pensées allèrent pour sa mère. Qu'avait-elle ressenti la première fois qu'elle l'avait vue ? Toutefois, sa joie de voir la vie éclore sous ses yeux fut vite interrompue lorsqu'elle sentit le corps de la jeune femme se relâcher dans ses bras.
- Nami ! Chopper ! Nami s'est évanouie !
Une lueur de panique flasha dans les mirettes du renne.
- Prends-la !
Il n'attendit pas son accord et lui donna le petit paquet emmitouflé. Elle était d'une incroyable légèreté, beaucoup trop pour que ce ne soit pas inquiétant. En même temps, rien d'anormal pour une petite prématurée. Pendant leur retour au navire, Chopper l'avait briefé sur ce qu'il faudrait faire au moment où le bébé serait né. Alors Robin se dépêcha de la peser puis elle la plaça dans la couveuse que Franky avait spécialement conçu pour un cas de figure comme celui-ci. Le médecin avait été prévoyant, car comme rien n'était jamais assuré, il avait tenu à envisager toutes les possibilités, et le fait que l'enfant arrive plus tôt, en était une. Voilà pourquoi, une couveuse se trouvait à l'infirmerie. La brune prit soin de mettre une couche à la petite avant de la placer dans le compartiment chauffé. Ce qui l'inquiéta, c'était qu'elle gardait sa couleur grise au lieu d'être rose. Chopper lui avait dit qu'il risquerait d'avoir besoin de l'intuber car ses poumons ne seraient pas encore totalement fonctionnels, mais c'était hors de ses compétences.
- C'est ce que je craignais…
La remarque du jeune docteur, attira l'attention de Robin qui tourna la tête pour comprendre ce qui n'allait pas. Les yeux de l'historienne s'écarquillèrent lorsqu'elle vit l'immense flaque rouge qui s'étalait par terre, tachait la blouse et les mains de Chopper. Il n'y avait pas autant de sang tout à l'heure. Sur le lit, Nami était toujours aussi blême et inconsciente, qu'on aurait pu douter qu'elle soit en vie.
- Je n'arrive pas à arrêter l'hémorragie ! s'alarma Chopper. Robin, appelle Ussop de toute urgence, il faut lui faire une transfusion sanguine !
La situation était catastrophique. D'un côté, la survie du bébé n'était pas encore assurée, et celle de la maman déclinait progressivement. Avec cela, elle entendait les tirs de canons qui provenaient de l'extérieur. Où était passé la chance qui les caractérisaient ?! Sans plus attendre, Robin usa de son pouvoir pour contacter le sniper.
- Il arrive ! lui informa-t-elle. Mais je m'inquiète pour le bébé. J'ai l'impression qu'elle a du mal à respirer.
- Merde…, jura le médecin. Tu n'as pas le choix Robin, tu vas devoir l'intuber à ma place. Je vais te dire comment faire.
La porte s'ouvrit brusquement, emportée par une bourrasque qui déferla à l'intérieur de l'infirmerie, et leur apporta un échantillon de ce qu'il se passait dehors. Ussop resta tétanisé dans l'entrée, les yeux rivés sur la vision cauchemardesque du sang qui recouvrait le sol. Pris dans l'action, il n'avait pas dû réaliser la gravité de la situation, et celle-ci c'était brutalement imposée à lui.
- Ussop, ferme cette porte ! ordonna Robin.
Il reprit conscience et s'exécuta rapidement, avant de s'avancer vers Chopper.
- Est-ce… est-ce que, balbutia-t-il en regardant à tour de rôle Robin et Nami.
- Le bébé a besoin de soin et Nami aussi, mais je ne peux pas m'occuper des deux en même temps, expliqua le petit renne. Fais-toi un garrot et désinfecte l'intérieur de ton coude.
Le temps que le sniper s'installe, Chopper expliqua à l'archéologue comment elle devait procéder. Après quoi, il posa la perfusion à Nami puis à Ussop.
- Est-ce qu'elle va s'en sortir ? demanda ce dernier en prenant la main de son amie.
- Je vais tout faire pour ! assura le docteur.
La voir ainsi l'affectait énormément, cela se voyait, et Robin n'osa imaginer la réaction de Zoro à sa place. Voilà pourquoi elle devait s'appliquer à la tâche qui lui avait été confiée, la vie de leur fille en dépendait.
Finalement, Chopper réussit à endiguer l'hémorragie, mais l'état de Nami restait critique. Elle avait perdu beaucoup de sang et elle s'était vidée de ses forces. Il était encore trop tôt pour crier victoire, mais ils avaient bon espoir qu'avec la contribution d'Ussop, elle ait une chance de s'en sortir. Après un examen complet, sa fièvre était quelque peu redescendue mais son taux de glycémie était très bas. Chopper la perfusa sur son autre bras et accrocha une poche d'un liquide transparent en haut d'une potence. Par la suite, il vint examiner la petite. Il complimenta au passage, Robin pour son travail puis il inséra une sonde dans la minuscule bouche de l'enfant pour l'alimenter. Il plaça également des patchs sur son torse pour surveiller son rythme cardiaque. A mesure que les tuyaux et les fils se multipliaient sur son tout petit corps, le cœur de Robin se serra. En un sens, heureusement que Nami ne voyait pas cela.
Maintenant, il ne restait plus qu'à surveiller l'état de santé de Nami ainsi que celui de l'enfant et attendre de voir s'ils s'amélioraient.
…
Le tonnerre rugit dans le ciel. Furieux. Déchirant. A l'image de ce qu'il se passait sur le navire de l'armée Mondiale. De là où ils étaient, les membres de l'équipage au Chapeau de paille pouvaient entendre, même à travers la tempête, les hurlements d'agonie des soldats de la Marine. Les tirs de canons s'étaient faits moins nombreux, car l'enfer s'était abattu sur eux, et Luffy et ses compagnons assistaient au loin, le visage sombre, à leur déchéance. Un des trois vaisseaux, s'enfonçait dans les eaux noires, tranché en deux, pendant que certains survivants, chaviraient par-dessus bord pour se faire engloutir par la mer vorace.
Très vite, un craquement lugubre retentit à nouveau et un second navire se sépara en plusieurs morceaux. Le capitaine de l'équipage tenait fermement son chapeau, vissé sur la tête, dont la lisière cachait la partie haute de son visage. Aucun sourire radieux. Ses lèvres étaient pincées et tiraient vers le bas.
Les cris dans l'infirmerie avaient cessé depuis de longues minutes. Ussop n'était toujours pas ressorti, pas plus que Chopper ou Robin. Le silence s'était emparé de l'équipage. Personne n'osait aller voir, de toute façon, il fallait encore rester vigilant, mais les plus pessimistes craignaient le pire. Pas Luffy. Il avait pleinement confiance en ses camarades, et Nami était une battante. Ce qui le souciait le plus, c'était Zoro. Il avait toujours été celui qui faisait preuve de discernement dans les moments critiques, il était le roc sur lequel Luffy pouvait s'accrocher. Mais jamais il ne l'avait vu aussi démuni. Il avait accepté de le laisser s'occuper de leurs poursuivants, car il avait jugé que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. Il avait ressenti sa détresse et sa frustration ainsi que le besoin d'agir. L'obliger à rester à bord pendant que lui et Sanji s'occupaient des Marines, n'auraient conduit qu'à émailler la confiance qu'il avait en son capitaine. Le cuisinier désapprouvait grandement son choix et lui avait bien fait comprendre, d'ailleurs pour Luffy aussi c'était difficile de se contenter d'observer, mais il ne regrettait rien. Cependant, le jeune capitaine se demandait juste dans quel état psychologique Zoro allait ressortir. Quelle serait sa réaction lorsque Chopper sortirait de l'infirmerie pour leur expliquer ce qu'il s'est passé.
Des explosions et des détonations retentirent sur le dernier navire restant, puis encore des cris qui se perdirent dans l'immensité de l'océan.
…
- Pi-pitié ! S'il vous plait !
La lame chanta brièvement en fendant l'air alors que le pommeau venait s'encastrer dans la tempe du malheureux. Le Marine tomba le sol dans un bruit sourd, mais encore vivant. Zoro avait beau être un monstre, tuer un homme désarmé qui vous supplie de l'épargner, n'avait rien d'honorable.
La pluie battante qui fouettait son torse nu, lava au fur et à mesure le sang qui avait giclé sur lui ainsi que sur ses sabres. Le silence s'installa sur le navire, troublé uniquement par le vent et la pluie. Zoro rengaina les katanas qu'il tenait dans ses mains, puis celui coincé entre ses dents, pour enfin dénouer le bandana de derrière son crâne. Ses cheveux verdoyants détonnèrent dans ce tableau monochrome. L'eau les aplatissaient sur sa tête, tout comme elle trempait le moindre de ses vêtements, mais il n'en n'avait que faire. Une fois son bandana étroitement serré à sa place sur son biceps, l'épéiste se retourna et contempla son œuvre.
Des dizaines et des dizaines de corps vêtus de blanc et de bleu, gisaient un peu partout sur le pont. La pluie se mélangeait au sang des blessés et ruisselait sur le plancher avant de se déverser dans la mer démontée. Un carnage. Purement et simplement. Dont Zoro n'éprouva aucune honte. Il n'éprouvait plus rien. Ses émotions, il les avait refoulées profondément en lui, pour se concentrer sur ses combats, mais à présent il ne se sentait guère mieux que lorsqu'il avait attaqué. Certes, il s'était bien défoulé, mais il aurait aimé continuer à se battre jusqu'à en tomber d'épuisement. Au lieu de quoi, il se sentait vide, comme si tout ceci n'avait servi à rien.
Il traversa le champ de bataille d'un pas lent, enjambant les cadavres de ses victimes. Le Sunny apparaissait un peu plus loin et la sensation d'oppression le reprit de plus bel. Qu'est-ce qui l'attendait une fois arrivé là-bas ? cette question hanta son esprit jusqu'à ce que Jinbe rapproche suffisamment le navire pour qu'il puisse sauter à bord.
L'herbe humide absorba son atterrissage et aussitôt, l'ambiance pesante qui régnait sur le Thousand Sunny le submergea. La tempête s'était finalement calmée, et ne restait plus que la pluie. Luffy l'attendait, planté au milieu du pont, le visage fermé et à moitié caché par l'ombre de son chapeau. Le reste de l'équipage était absent, ce qui renforça son malaise. Silencieusement, ce qui était plutôt rare pour lui, le capitaine l'incita à le suivre et l'entraina vers la cuisine, lieu de ralliement.
Presque tout les membres de l'équipage étaient là. Seuls absents de cette réunion improvisée : Robin, Sanji, et… Nami. Cependant, Zoro ne s'attarda pas trop sur ce détail, car les mines austères qui l'accueillirent, alourdirent un peu plus le poids qui pesait dans son estomac. Tous évitèrent soigneusement son regard, pour se concentrer sur leur capitaine qui se dirigeait vers l'autre bout de la table, à l'opposé de l'épéiste. N'aimant guère les suspens, en particulier en cet instant, Zoro braqua directement son attention sur le petit renne. Chopper paraissait nerveux, mais dès qu'il le vit, il bondit de sa chaise et se précipita vers lui, comme ravi de voir une distraction qui s'offrait à lui.
- Zoro ! Tu es blessé ! Laisse-moi te soigner…
- Je peux savoir ce qu'il se passe, ici ? le coupa sèchement l'épéiste.
Le docteur s'arrêta net et baissa la tête. Ussop sursauta avant de se tasser un peu plus sur lui-même, comme si la culpabilité l'oppressait. La question s'était formée difficilement dans sa bouche. Sa voix était rêche, sans compassion, et sa langue lourde comme du plomb. La réponse, il la redoutait autant qu'il se tardait de l'entendre, pour qu'enfin ce supplice se termine et qu'un autre prenne forme. Car il le savait, les nouvelles ne seraient pas réjouissantes. Le corps rigide du médecin s'anima enfin.
- Nami…
Chopper hésita, avant de se reprendre. Petit à petit, l'étau dans sa poitrine se resserra.
- L'accouchement a été difficile pour elle. Les attaques qu'elle a subies l'ont beaucoup affaibli et ont causés des dommages à son corps. Nami s'est battue jusqu'au bout…
Une main invisible broya son cœur et l'empêcha de respirer.
- Pour donner naissance à votre fille.
Une bouffée d'air s'insinua dans ses poumons et l'étau se desserra quelque peu. Alors comme ça, ils avaient une fille… Il était papa d'une petite fille ! Zoro peinait encore à le croire. Le fantôme d'un sourire ému flotta sur ses lèvres, le temps d'une fraction de seconde, pour s'effacer par la suite. C'était une merveilleuse nouvelle, malheureusement ternie par une autre plus sombre qui était sur le point de la faire voler en éclat.
- Cependant, elle a fait une hémorragie. J'ai pu la transfuser grâce à Ussop, mais elle a perdu énormément de sang avant que je ne puisse la stopper. Son état est stable pour le moment, mais elle est très faible. Je ne sais pas quand est-ce qu'elle va se réveiller, voilà pourquoi Robin et Sanji veillent sur elle.
Zoro accusa le coup sans broncher, bien qu'intérieurement, il n'en menait pas large. En revanche, savoir ce maudit cuisto près de Nami, le mis en rogne. La présence de Robin devait être largement suffisante, pourquoi fallait-il qu'il soit toujours collé à Nami en permanence ?! Maintenant qu'il était revenu et que la menace de la Marine avait disparu, il pouvait se rendre à son chevet et enfin rencontrer sa fille.
- D'accord. Dans ce cas, je vais aller la voir.
Il tourna les talons afin de regagner l'infirmerie mais la voix de Chopper l'interrompit :
- Zoro, ce n'est pas tout…
La gravité avec laquelle il avait prononcé cette phrase le figea sur place, et il sentit la chappe de plomb retomber sur ses épaules. Comment ça, ce n'était pas tout ?
- Je…
La voix aigüe du petit renne vacilla et Zoro eut la sensation qu'un trou béant venait de s'ouvrir sous ses pieds pour l'aspirer dans le néant.
- Le bébé… il est né prématurément, tu le sais. On a dû le mettre dans une couveuse avec une assistance respiratoire ainsi qu'alimentaire.
S'il te plait… n'en dit pas plus, implora-t-il mentalement. Dans sa tête il revit les mines graves de ses nakamas. Non… ce n'était pas que pour Nami qu'ils affichaient cet air morne. Non. Pas ça…
- Mais… mais… ses constantes n'arrêtent pas de chuter… C'est comme si elle se laissait dépérir… je… j'ai fait tout ce que j'ai pu…
L'étau remonta jusqu'au niveau de sa gorge et l'étreignit douloureusement. Le goût de bile lui chatouilla les papilles alors qu'il entendait la voix du médecin se briser. Le monde vacillait autour de lui. Non. C'était impossible. Ses amis lui faisaient une très mauvaise blague. Il ne pouvait en être autrement, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? Zoro se retourna lentement, le visage vide d'expression, pour croiser les regards désolés de ses nakamas. Le seul qui comptait en cet instant c'était celui de Chopper, qui continuait de fixer le sol. Il était le seul à pouvoir lui apporter un peu d'espoir, le seul à pouvoir démentir toute cette histoire de dingue…
Le docteur ferma étroitement les yeux, avant de relever la tête et de l'affronter directement avec une détermination factice.
- Elle ne passera pas la nuit. Je suis désolé, Zoro.
En apparence, Zoro ne parut pas affecté par la nouvelle. En apparence seulement. Intérieurement, son âme sombrait dans un puit sans fond. Il devait faire erreur… Mais les larmes qui affluaient aux coins des yeux du petit renne, lui firent comprendre que non, il n'y avait pas d'erreur possible. Les autres étaient là pour lui apporter leur soutien, il le comprenait maintenant. Ils attendaient de voir quelle serait sa réaction, de voir si oui ou non il allait s'effondrer. Son bébé, sa fille qui venait juste de naître… ne verrait jamais le jour se lever. Impossible. Son esprit refusait de l'admettre. Même s'il leur faisait confiance, il devait le constater par lui-même. Ussop fut le premier à tenter une approche :
- Zoro, mon pote…,
Cependant, il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que le bretteur venait déjà de quitter les lieux, sans un mot. Le rideau de pluie s'abattit de nouveau sur lui, mais il n'y preta aucune attention, pas plus qu'à la petite voix de Chopper qui l'appelait, en trottinant derrière lui.
Il traversa le pont à grandes enjambées, vers l'infirmerie et ouvrit la porte sans ménagement. Robin sursauta légèrement alors que le cuisto se levait de sa chaise avec un air mauvais.
- Zoro ! s'exclama l'archéologue surprise.
- Non mais tu ne pourrais pas faire preuve d'un peu de délicatesse pour une fois dans ta vie ! Ou si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour Nami-chérie ! C'est le moins que tu puisses faire, non ?
Aucune répartie ne fusa. Sa colère était bien là pourtant. Elle bouillonnait en lui tel du magma en fusion, mais sa gorge était serrée et ses lèvres comme cousues l'une à l'autre. Ce qui l'empêcha d'éclater en pleine face du blond, ce fut le corps inanimé de Nami. Son visage livide, ses cernes creusés sous ses yeux clos, ses lèvres blafardes, les traces violacées qui serpentaient dans son cou, les bleus sur ses bras et ses jambes, le bandage blanc qui formait une culotte, les divers tuyaux qui étaient reliés à son nez et son bras.
- En plus tu mets de l'eau et du sang partout, continua de ronchonner Sanji.
Il s'avança vers lui, les mains dans les poches, mais la jambe prête à décoller à tout instant. Chez lui aussi, la colère était vibrante. Il se plaça entre Nami et lui, comme s'il cherchait à la protéger d'une menace, à la protéger de lui.
- Alors dégage de là, gronda le blond en montrant les dents et en le fixant droit dans les yeux.
- Sanji ! s'indigna Robin.
Un duel de regard s'engagea, où l'un comme l'autre, affichait clairement l'animosité qu'ils éprouvaient de façon réciproque. Cependant, un bip très faible et régulier au fond de la pièce, attira l'attention de Zoro. Il boula le cuisinier d'un coup d'épaule et passa en force pour se diriger vers le petit caisson transparent. Robin le suivit du regard avec une expression peinée, qu'il ignora royalement. Tout ce qui comptait, tout ce qu'il voyait, c'était cette petite et minuscule chose rose, cet être humain miniature et fragile, qui reposait dans ce sas. Lui aussi était relié à toute sorte de tuyaux. Un ventilateur ronflait à côté de lui au rythme de sa respiration.
- Tss ! siffla Sanji qui retourna s'assoir auprès de la jolie rousse.
Dans son dos, Chopper arriva, tout trempé également, et s'empressa de prendre des nouvelles de ses patients. Tout à coup, Zoro sentit une présence à côté de lui, et le parfum floral qui la précéda le renseigna sur son identité. Robin leva une main pour la poser sur son épaule, en guise de soutient amical, avant de se raviser au dernier moment.
- Je suis désolée, souffla-t-elle.
Ses excuses lui passèrent au-dessus. Il n'arrivait pas à détacher son regard de la petite créature qui sommeillait dans ce caisson, emprisonnée. Un fin duvet vert recouvrait sa tête. Un vert plus clair que les siens, mais elle avait les cheveux verts. Sa poitrine se comprima un peu plus. Chopper passa à côté de lui et alla vérifier les instruments auxquels elle était reliée, avant de se tourner vers Robin et lui pour faire un signe négatif de la tête.
- Est-ce que tu veux qu'on te laisse seul avec ta fille, pour lui dire quelques mots avant qu'elle ne…
Quelle ne meurt. Il entendait la tristesse de Robin, il savait que cela la peinait, comme tous les autres, mais il n'en n'avait rien à foutre. Il ne pouvait pas accepter ça. Rester dans cette pièce, ce bruit de respiration artificiel, le bip régulier des machines, l'odeur de désinfectant, les regards désolés… Nami aussi pâle qu'un cadavre… la vue de sa fille en train de mourir à petit feu… « C'est comme si elle se laissait dépérir », la phrase de Chopper résonna dans sa tête. C'était trop. Même pour lui. Sans qu'il ne s'en rende compte, le médecin avait commencé à s'attaquer à sa blessure, mais il ne lui laissait pas le temps de finir, car soudain, il sut.
Brusquement, il fit demi-tour et fila vers la porte.
- Alors c'est tout ?! Tu te barres sans dire un mot ! Sans un regard pour la femme qui a toujours été là pour toi quand tu étais blessé ! S'énerva Sanji derrière lui.
Zoro l'ignora et continua d'avancer, en serrant les poings.
…
La silhouette de l'épéiste disparut dans l'épais crachin, sous le regard furieux de Sanji. Il retomba lourdement sur sa chaise, luttant contre l'envie d'aller se griller un paquet de clope entier. Cependant, il ne pouvait pas se le permettre, Nami avait besoin de lui ! Il lui avait promis de rester avec elle quoiqu'il arrive. Délicatement, il prit sa main froide entre les siennes et massa ses phalanges de ses pouces.
Ce stupide Marimo ne la méritait pas ! Cette pensée revenait sans cesse dans son esprit, et ce qu'il venait de se produire ne faisait que confirmer cela. Tout ceci était de sa faute ! Il était le seul responsable de l'état de Nami. Au début, quand ils leurs avaient annoncé leur relation, cela avait été un coup dur pour Sanji. S'il chérissait toutes les femmes du monde, Nami avait toujours eu une place particulière dans son cœur, et le temps passant, il avait eu espoir qu'un jour, son amitié avec la jeune femme se transformerait en quelque chose de plus fort. Qu'elle finirait par tomber amoureuse de lui. Mais évidemment, il avait fallu que l'immonde tête verte vienne gâcher le tableau parfait qu'il s'était imaginé.
Avec le temps, et surtout pour faire plaisir à Nami-chérie (et aussi à Luffy), il avait fini par accepter leur relation, avec l'idée que de toute façon, cet abrutit finirait par la dégouter. Oui, Sanji avait été convaincu que leur histoire ne durerait pas, ce crétin ne pouvait pas l'aimer comme il l'aimait lui. Cela rendait la situation plus supportable pour le cuisinier. Et puis il avait fallu que son géniteur se souvienne de son existence. Quitter l'équipage avait été difficile, un vrai déchirement, mais ensuite il avait rencontré sa promise, et Sanji y avait vu une lueur d'espoir. L'espoir d'être aimé, l'espoir d'apaiser sa douleur, l'espoir de vivre un avenir pas aussi terne que ce que son paternel envisageait pour lui. Il s'était raccroché à l'idée que la vie au côté de la douce Pudding ne serait pas aussi terrible que ça. Cela avait été plus simple de faire face à Nami-chérie pour lui dire qu'il ne reviendrait pas. Ça avait été plus simple de supporter sa gifle ainsi que son regard blessé.
Encore une fois, il avait eu tort… encore une fois, on le rejetait, on le jugeait indigne d'être aimé.
Heureusement, Luffy avait cru en lui, et Nami-chérie lui avait pardonné. Depuis, il s'était fait la promesse de ne plus les abandonner, de l'abandonner elle.
Jusqu'à ce qu'elle annonce qu'elle était enceinte. Ça avait été un énième coup de massue. Quoi qu'il fasse, Zoro le devançait toujours, et Sanji était contraint de rester en arrière à admirer leur bonheur. Bien sûr, il leur souhaitait d'être heureux, il n'était pas égoïste à ce point, mais ce qui le mettait en rage, ce n'était qu'aucun des deux ne voyaient que cette décision de garder cet enfant, était une mauvaise idée. Il en voulait à Zoro pour son manque de jugeote. Il était le vice capitaine, il aurait dû mieux y réfléchir ! Dès l'instant où elle avait dit qu'elle attendait un enfant, Sanji avait su que c'était une erreur. Ça la mettait en danger. Ils étaient des pirates ! Le danger était leur quotidien, surtout avec un capitaine aussi imprudent que Luffy. Pourquoi Zoro ne le voyait-il pas aussi ?!
Là encore, Sanji avait été contraint de se taire et d'accepter la situation, pour faire plaisir à Nami-chérie, pour l'équipage. Alors qu'au fond de lui, il hurlait.
Et voilà où ils en étaient…
Elle était entre la vie et la mort. A cause de Zoro et de son insouciance, ou excès de confiance, Nami allait peut-être être privée de son rêve. Et ça, il ne lui pardonnerait jamais. Mais surtout, celui à qui il en voulait le plus, c'était cet enfant. Pas une seule fois, Sanji n'avait posé les yeux sur lui. Sa présence, à quelques pas de là, était un supplice. Il faisait souffrir la jeune femme, et il continuerait car lorsqu'elle se réveillerait, il ne serait plus de ce monde. Nami serait anéantie, et cette idée lui était intolérable. Et si les deux ne survivaient pas ?
Un souvenir d'enfance remonta à la surface. Sanji revit sa mère sur son lit, faible et maladive, mais qui tentait de garder le sourire coûte que coûte. Il repensa à la façon dont son visage s'illuminait lorsqu'elle le voyait, ou quand il lui apportait un plat de sa confection. Puis à sa disparition, qui avait éteint le peu de lumière qu'il y avait dans la vie du jeune garçon qu'il était. Tout cela, c'était la faute de son père et de ses ambitions ! Il lui en voulait tellement, il en voulait à ses frères d'être nés, il s'en voulait à lui-même pour avoir été l'une des causes de sa mort.
Aujourd'hui, il était contraint d'être témoin de cela encore une fois. De subir cette douleur, d'être impuissant.
Non, jamais il ne pardonnerait à Zoro. Jamais il n'accepterait cet enfant.
A suivre...
On est loin du ton humoristique du début, j'en conviens, et les prochains chapitres ne seront guère plus joyeux. Vous allez le découvrir, Sanji aura également une part plus importante dans l'histoire. Merci à toutes celles et ceux qui suivent cette fiction!
