Chapitre 12
A Poudlard, le bouillonnement avait atteint son apothéose. Le bal de Noël aurait lieu ce samedi soir. Tous les plus jeunes avaient rejoint leurs familles dans la journée et ceux qui n'avaient pas été en mesure de le faire seraient renvoyés dans leurs dortoirs avant le repas. Les invités étaient attendus au collège autour de dix-neuf heures.
Hermione, elle, avait été fauchée par la question que venait de lui poser Isobel : « Est-ce que tu as une nouvelle robe de soirée cette année ? »
Non. Évidemment. Elle n'avait pas de nouvelle robe de soirée. Comment aurait-elle pu y songer, bringuebalée entre son antidote, ses retenues, le Quidditch et la préparation des ASPICs ? Sans compter qu'elle n'avait percuté que le bal existait seulement une dizaine de jours avant la date fatidique. Avant de paniquer complètement en pensant n'avoir aucun vêtement pour se rendre au bal, elle fut rassurée de trouver, dans sa penderie, une longue robe couleur lie de vin, plutôt classique mais bien coupée et surtout, sobre. Elle avait piqué ses cheveux sur le sommet de son crâne en un chignon négligé et son apparence l'avait suffisamment satisfaite pour qu'elle se présente dans le hall d'entrée un peu avant dix-neuf heures, confiante. Padma avait invité Peter Londubat et Isobel allait aux côtés de Grant Page. Bien que n'étant qu'amis, ils s'étaient rendus par deux fois déjà ensemble au bal. En effet, tous deux faisaient partie des plus anciens membres de la chorale et du club de valse du professeur Flitwick, qui ne manquait aucune occasion de les faire parader. Tous les cinq patientaient donc parmi une petite foule d'élèves qui mettaient tout en œuvre pour contenir leur agitation.
La grande salle avait été réorganisée sensiblement de la même manière que pour le bal du tournoi des Trois Sorciers qu'avait connu Hermione. De petites tables rondes étaient dispersées, comme jetées à la volée. Elles occupaient la totalité de l'espace disponible. L'estrade, où était en principe perchée la table des professeurs, avait été convertie en une petite scène où patientaient plusieurs instruments à cordes et un grand piano à queue. L'éclat des étoiles qui tapissaient le ciel enchanté semblait bien plus intense qu'à l'ordinaire et de longues guirlandes touffues ornaient les trumeaux des hautes fenêtres géminées. La cime d'un immense sapin chatouillait les arcades, sous ses aisselles flottaient boules et figurines de glace, sans même besoin de fil pour les y attacher. L'atmosphère était étonnamment feutrée, l'effervescence avait laissé place à un calme inespéré. Sans doute était-ce dû à l'ambiance solennelle des lieux, aux éclairages doux et aux parfums suaves.
Les élèves furent invités à s'asseoir autour des tables réparties en périphéries de la salle, à l'opposé de l'entrée de la pièce. Hermione suivit Isobel, Padma, Londubat et Page. Balayant la petite foule du regard, elle ne vit pas Potter, mais repéra Weasley au bras de cette gourgandine de Lavande Brown. Ginny semblait être venue seule, et au loin, Malefoy accompagnait Vega Black, une cinquième année de la maison Serpentard. Les souvenirs s'amoncelaient à présent de plus en plus naturellement dans les méninges d'Hermione. Elle n'eut même pas à se dire qu'elle se rappelait que Vega était la fille de Sirius Black et Dorcas Meadowes, elle le savait, simplement. Elle vit au loin Stebbins et Faucett, Luna Lovegood et Neville Londubat.
Les professeurs de Poudlard pénétrèrent dans la Grande Salle : Rogue, Flitwick, Chourave, Burbage et Vector apparurent en un groupe vague, suivis par James et Lily Potter et enfin, Sirius et Dorcas Black. Leurs succédèrent le professeur Sinistra et un grand sorcier touareg, le professeur Bibine et une sorcière qu'Hermione n'avait jamais vue, à la chevelure rougeoyante, et enfin, Regulus Black, qui assurait les cours d'histoire de la magie et dont elle se souvenait à présent qu'il occupait le poste de directeur des Serpentard. Il avait l'air morne de celui que l'on a traîné de force hors de son fauteuil et arraché à son confort.
Quand les enseignants furent installés, les représentants du ministère de la Magie pénétrèrent dans la salle. D'abord, Minerva McGonagall du Département de la Justice Magique et Douglas McGregor, son époux. Ensuite, Cornelius Fudge, du Département des Accidents et Catastrophes Magiques puis Amos Diggory et son épouse pour le Département de Contrôle des Creatures Magiques. Un peu en arrière, apparurent Barty Croupton et sa femme pour le Département de la Coopération Magique Internationale, Perceval et Pénélope Weasley pour les Transports Magiques, Ludo Verpey aux Jeux et Sports Magiques et enfin Eileen Prince, au Département des Mystères. Hermione avait beau savoir pertinemment que Percy Weasley était monté en flèche au ministère, elle resta, un instant, abasourdie de le voir là. Et que dire d'Eileen Prince, qu'elle avait aperçue au bal régulièrement depuis deux ans, mais qu'elle regardait ce soir avec un intérêt frôlant l'indécence ? Elle la suivit des yeux et se redressa même un peu sur sa chaise pour ne pas la perdre de vue, l'observant serpenter dans la salle comble pour passer derrière Rogue, sur les épaules duquel elle laissa traîner une main. Elle rejoignit ensuite le groupe du professeur Sinistra, et prit place à ses côtés.
L'assistance fut enfin complète quand apparurent le Ministre de la Magie, Albus Dumbledore, dans une robe bleu cyan aux liserés argentés, accompagné d'Elphias Doge. Hermione avait lu tant et tant de chose sur Dumbledore et Doge qu'elle n'aurait pas dû être surprise par ce couple si déconcertant. Et pourtant, elle l'était. Tom Jédusor ferma la marche et les portes de la grande pièce. À son côté se trouvait Ariana Dumbledore, une main glissée sous son avant-bras.
- Hermione, ça va ?
C'était Isobel.
- Quoi ? Oui ? Parfaitement, pourquoi ?
- Tu as une mine bizarre.
- Moi ? Pas du tout.
Elle tourna de nouveau le regard vers Jédusor et Ariana. Cette dernière dégageait une beauté si profonde, si tellurique, qu'Hermione en était presque perturbée. Sa robe, d'un vert empire soutenu, tombait droite jusqu'au sol. Ses avant-bras étaient nus et sur ses épaules, pendait négligemment un châle de soie aux reflets chatoyants, magiques. Sa chevelure était rassemblée en une demi-queue qui cascadait jusqu'à sa taille. Elle ne portait pas de ceinture, et aucune bague mais, à son cou, brillait un gros médaillon en or.
- Le médaillon de Serpentard, murmura Hermione, s'efforçant de ne pas écarquiller les yeux trop fort.
Personne ne l'entendit. Le médaillon de Serpentard, par Merlin... Le médaillon de Serpentard, que Voldemort avait utilisé comme Horcruxe, et qu'il avait mis en sécurité au creux d'une caverne truffée d'Inferi. Que faisait-il au cou d'Ariana Dumbledore ? Et elle-même... que faisait-elle au bras de Tom Jédusor ? Nom d'un Snargalouf, se pouvait-il que… Bien évidemment. Tout le monde le savait. C'était ainsi depuis des lustres, des dizaines d'années sûrement. Ariana Dumbledore partageait la vie et le succès du directeur de Poudlard. Ce dernier était resté debout, Hermione regarda ses lèvres se mouvoir pour prononcer un discours qu'elle n'entendit même pas tant sa cervelle bouillonnait.
Tout le monde applaudit et elle se joignit au tumulte. De grands et longs plats peuplèrent alors soudainement les tables. S'y étalaient des viandes au fumet délicat, des légumes bouillis, des fromages, tous différents, des tartes, des tourtes, des purées, des bouillons, des bouchées à la reine, des saumons en croûte, et tant d'autres. Les sauces scintillaient sous les chandelles. Hermione se servit lentement, encore toute à sa réflexion. A côté d'elle, Isobel et Page étaient tout occupés à démembrer vigoureusement la loi de Gamp sur la métamorphose élémentaire, la bouche pleine de victuailles. Padma Patil, elle, dissertait sur la thématique du déluge dans la mythologie hindoue face à un Peter Londubat qui s'efforçait à grand peine de ne regarder que ses yeux. Hermione, elle, eut tout le loisir de scruter les invités, sans même vérifier le contenu de son assiette entre deux bouchées. Le professeur Chourave parlait avec animation au professeur Rogue, qui affichait une mine sceptique. Regulus Black était penché vers eux, jetant par moment des regards nerveux vers les tables voisines. Eileen Prince, assise près de son fils, paraissait réciter sur un ton monocorde à l'attention du grand sorcier touareg, qui hochait la tête. Le mouvement faisait régulièrement pencher son chèche bleu vif. Un peu plus loin, Lily Potter faisait bonne figure en prêtant l'oreille aux récits d'un Verpey déjà bien aviné, alors que James parlait à voix basse à Sirius Black, qui hochait la tête. De temps à autres, Lily semblait s'ennuyer ferme, et laissait alors son regard traîner jusqu'à la table où étaient installés Rogue et Chourave. Du côté du ministère, Elphias Doge écoutait avec enthousiasme un récit rapporté par Dougal McGregor, qui semblait mimer des gestes de football. A ses côtés, Albus Dumbledore se pencha pour étouffer un rire dans sa serviette, tandis qu'Ariana chuchotait à l'oreille de Jédusor. Ce dernier regardait droit devant lui, en pleine réflexion.
Bientôt, le directeur se leva et le bal fut annoncé. Les victuailles s'évanouirent et les tables furent repoussées en périphérie. Élèves et professeurs de Poudlard se retirèrent sur le pourtour de la salle. Tom Jédusor lança alors les danses en compagnie d'une Minerva McGonagall qui faisait tout son possible pour cacher son désaccord fondamental avec le directeur, et Albus Dumbledore dansa avec sa sœur. Hermione remarqua que le poids des conventions était encore colossal. Il n'était pas venu, le jour où Doge valserait avec Dumbledore à l'ouverture du bal de Noël de Poudlard. Leur couple avait beau frôler le siècle de longévité, on lui avait préféré la tradition, plus sage.
Peu à peu, la piste se remplit, et Hermione repéra Malefoy et Vega Black, puis Harry Potter face à Hannah Abbot. Au fil du temps, les partenaires s'échangeaient, se mêlaient. Ainsi, Rogue finit par inviter sa mère, qui n'avait pas posé un pied sur la piste. Lily Potter se retrouva dans les bras de Regulus Black qui, pour la première fois de la soirée, ne paraissait plus avoir avalé une livre de pus de bubobulb et semblait presque rasséréné. Personne n'avait encore invité Hermione et elle ne s'en portait pas plus mal, tapie dans la pénombre du grand sapin. La foule s'étiolait, beaucoup se rabattaient vers les tables pour se rafraîchir, échanger, s'assoupir. Certains élèves s'étaient déjà retirés dans les dortoirs, ou dans les recoins sombres de la salle. Hermione suivit du regard Eileen Prince, la stature digne, qui s'avança jusqu'à Lily Potter pour lui offrir la main de son fils. Ce devait être une tradition, car James ne broncha pas et il se contenta d'un signe de tête avant de se replonger dans un échange à bâtons rompus avec Sirius Black et Verpey. Ainsi donc, Rogue entama une valse légèrement plus lente que les précédentes avec Lily Potter.
La scène était si déconcertante qu'Hermione en eut légèrement mal au ventre. Elle percuta alors qu'elle serait un peu trop fort son verre d'hydromel. Ses phalanges avaient pâli. Le désespoir du Severus Rogue qu'elle avait connu lui revint à l'esprit, et ses oreilles sifflèrent. À leurs côtés tournoyaient Tom Jédusor et Ariana Dumbledore. Cette dernière tenait sa joue appuyée contre celle du directeur, comme pour lui réciter des mantras à voix basse. L'aura de puissance qui émanait de leur couple était impressionnante, stupéfiante. Le médaillon de Serpentard lança un éclat de doré et d'émeraude mêlée. Jédusor tenait sa main fermement appuyée au creux des reins de la professeure de Magie Noire et Hermione plissa les yeux, tentant d'apercevoir… mais ils tournèrent, tournèrent encore, et elle ne discerna plus rien. Elle finit par se convaincre d'avoir rêvé.
- Salut Granger.
Elle sursauta. C'était Malefoy.
- Tiens, salut Malefoy.
Il lui tendait la main. Elle fronça les sourcils.
- Tu n'es pas avec Vega Black ?
- Oh, je crois qu'elle est sortie prendre l'air…
Hermione eut un sourire satisfait, et glissa ses doigts contre ceux de Drago Malefoy, qui l'entraîna parmi le groupe des valseurs.
- Bon, c'est d'accord, minauda-t-elle.
Sa main se glissa juste au-dessus de sa taille, et ils commencèrent à tournoyer à leur tour. D'un œil, Hermione tentait de repérer à nouveau Tom Jédusor, mais le couple s'était éloigné. De toute manière, la concentration l'avait soudainement quittée, depuis que le parfum de Malefoy avait pris possession de ses narines. Il était capiteux, ensorcelant, et elle laissa tomber toute volonté d'enquête. Les souvenirs refluaient à son esprit, comme monte la marée. Elle revit des baisers tendres, puis plus profonds, joueurs, une complicité étonnante, du plaisir échangé, beaucoup de plaisir, des barrières enfoncées ensemble et la découverte des corps. Elle rougit légèrement avant de glisser son visage contre celui de Malefoy, qui ne broncha pas. Devant ses yeux passèrent le professeur Rogue et Lily Potter. Il murmurait contre ses cheveux et elle riait en silence.
- Je crois que j'ai très envie de t'embrasser juste là, maintenant, Malefoy, glissa Hermione à l'oreille du blond.
Il sourit contre sa joue.
- Il faudra te retenir, Granger. Black et moi, c'est du sérieux.
Elle recula à peine son visage, affichant une moue exagérément déçue. Puis, lentement, elle vint déposer ses lèvres au coin de sa bouche.
- Tu ne renonces jamais, toi… remarqua-t-il.
- A toi, ça m'est difficile, vraiment, s'entendit-elle rétorquer d'une petite voix.
Elle se traita intérieurement de garce et remarqua Rogue et Lily Potter quitter la salle. Perdue dans son calcul du degré de cousinage entre Malefoy et Vega Black, elle fit un écart et manqua de bousculer Ariana Dumbledore, que Jédusor plaqua un peu plus contre lui, sa main posée à plat au bas des cotes de sa cavalière. Sa main… Merlin. Cette bague ! Elle n'avait pas rêvé… c'était la même que celle que portait Dumbledore, pendant leur sixième année… Une grosse bague sombre, grossière, la… Pierre de Résurrection, la bague de Gaunt ! Un nouvel Horcruxe, celui-là même qui avait coûté la vie à Dumbledore, dans le monde d'où elle venait. Hermione sentit sa tête tourner. Le médaillon, la bague… que venaient faire ici, ensemble, tous ces objets ? Les musiciens marquèrent un temps d'arrêt et elle s'écarta de Malefoy.
- Moi aussi, je vais aller prendre l'air, s'entendit-elle lancer.
Elle se sentait étrangement mal à l'aise. Était-ce dû à l'irradiation déconcertante distillée par Ariana Dumbledore ? Aux anciens Horcruxes ? A la proximité entre Rogue et Lily Potter ? A Malefoy, et à l'attraction-répulsion avec laquelle il remuait ses entrailles ? Sûrement un peu de chacun des ingrédients de ce cocktail. Plus loin dans la salle, Isobel échangeait avec sa tante, et Grant Page paraissait parler pas de danse avec le professeur Flitwick. Padma, elle, était assise près d'un Peter aux joues écarlates et avait appuyé sa tempe sur son épaule, épuisée d'avoir trop valsé.
Hermione passa sa cape de voyage sur ses épaules et sortit dans le parc. La neige protesta sous ses pas. Des lanternes renversaient leur lueur douce sur un espace restreint face à la porte. Il y faisait tiède. S'éloignant le long de la muraille est, Hermione surprit des gloussements qu'elle ne parvint pas à localiser et le froid tomba sur sa nuque. Ludo Verpey était un peu plus loin, adossé à la base maçonnée d'un topiaire en forme de centaure, et devisait avec animation de la prochaine coupe du monde de Quidditch face à un Percy Weasley congelé. Peu à peu, les présences se firent plus rares, jusqu'à ce qu'elle soit seule. Le vent, qui sifflait dans les branches nues des saules, était un peu effrayant. De temps à autre, un tas de neige aggloméré tombait au sol dans un bruissement mât, et l'accord de tous ces petits chocs ressemblaient à s'y méprendre à des bruits de pas dans la poudreuse. Hermione frissonna et resserra sa cape autour de ses épaules. Soudain, elle s'arrêta net. Un peu plus loin, derrière une petite haie de buis isolée, s'élevaient deux voix, basses. Elle fit un pas de côté pour se faufiler derrière un gros buisson d'aubépine et tendit le cou, dressée sur la pointe des pieds. Deux silhouettes se dessinaient sur un banc, face à l'étang noir dont le pourtour étincelait d'une couronne de glace.
- Si cela venait à se savoir, nous perdrions tous les deux nos places ! s'alarma une femme.
- Tu plaisantes, j'espère ?
- James est si influent au ministère, il l'est aussi ici…
- Contente-toi de cantonner l'angoisse où elle est légitime, veux-tu, tança un homme.
C'était le professeur Rogue. A ses côtés, forcément, se tenait Lily Potter.
- Si j'avais su que ma vie serait si compliquée, je ne t'aurais jamais quitté…
Elle secoua la tête en riant doucement.
- Merci enfin, pour ces regrets, ironisa-t-il en levant les mains ouvertes. Ça me fait une belle jambe de le savoir vingt ans plus tard.
- Oh Sev, ne me juge pas…
Hermione arrondit les yeux au son de ce surnom improbable et Rogue eut un rire froid, silencieux.
- N'en dis pas trop, prévint-il en tournant légèrement les épaules vers le château. Tu sais bien que ton rejeton peut surgir à tout moment de sous sa fichue cape.
- Oh… s'il te plaît, ne sois pas si dur avec lui.
Rogue soupira, indigné.
- Je crois qu'il doit être occupé à négocier son prochain poste auprès de Minerva McGonagall, le rassura Lily. C'est un brave garçon, tu sais…
À nouveau, le maître des potions fit claquer sa langue, pas vraiment convaincu.
- Quel modèle je serais, pour lui, s'il se rendait compte que je suis restée avec son père ces dix dernières années alors que je n'en avais plus du tout envie…
- Enfin, c'est puéril. Plus tu maintiens cette situation, plus c'est nocif, et pour chacun d'entre vous. Il suffirait de sortir de l'ombre, une bonne fois pour toutes. Je pourrais prendre les devants pour toi.
- Non ! Tu ne me trahirais pas, tout de même ?
- Tu sais bien que même si je le voulais, je ne le pourrais pas.
- C'est difficile, c'est tellement difficile… se lamenta-t-elle. Tu ne peux pas comprendre, tu n'es pas… tu es…
Hermione pinça les lèvres.
- Seul ? compléta Rogue, amer, mais pas blessé pour autant. Merci de mettre en évidence avec une efficacité si déconcertante la pauvreté de ma vie relationnelle.
Hermione retint son souffle, Lily Potter sembla faire de même. Finalement, Rogue pouffa.
- Tu es bête, le tança-t-elle en le poussant doucement.
Sans qu'Hermione ne s'y soit attendue, le maître des potions tendit son bras pour l'enrouler autour des épaules de Lily, qu'il attira à lui. Elle ne put discerner où se posèrent ses lèvres, sur sa bouche, ou sa joue. Toujours est-il que son estomac se serra si fort qu'elle fut heureuse de ne pas avoir abusé du banquet. Tout à coup, les branches du buisson situé à la droite du banc occupé par Rogue et Lily Potter frémirent, et tous deux sursautèrent. Concluant à un animal, ils se levèrent et se dirigèrent ensemble vers le château, chacun rajustant sa cape, venant tout droit vers Hermione.
- Desillusio, murmura-t-elle.
Par chance, ni l'un, ni l'autre, ne perçurent sa présence et elle put se hâter à leur suite. Elle jugea en avoir assez vu pour ce soir. Lily Potter… songea-t-elle. Bien sûr, elle n'avait pas vraiment pensé que Rogue puisse être seul. Elle n'avait pas réellement songé à sa vie privée, en fait, car son fantasme lui suffisait… Mais lui suffisait-il vraiment ? Savoir que la place à ses côtés était prise par Lily Potter l'avait rendue morne, et cela le rendait totalement hors de portée, même par la voie des rêves. Rien ne pouvait rivaliser avec l'idéal que représentait Lily Potter.
La grande porte s'ouvrit devant elle, comme la bouche d'un gros chat qui baillerait, et la lumière vive du hall se déversa sur les marches en une longue langue orangée. Les yeux sur ses bottes, elle les tapota légèrement sur le seuil et renifla.
Dans la Grande Salle, les convives avaient relancé le bal pour quelques dernières danses, puisque la grande horloge indiquait minuit. Hermione jeta un œil à la piste. Harry Potter, l'air gauche et gêné, était occupé à valser avec Minerva McGonagall, tandis que le professeur Flitwick était au bas d'Isobel, Grant Page face à Ariana Dumbledore. Peter Londubat avait été alpagué par Lavande Brown. Un peu plus loin dans le hall se tenaient Rogue, Lily Potter et James qui les avaient rejoint, occupé à enfiler un long manteau. Hermione se pressa les tempes. Ce grand n'importe quoi pesait sur ses méninges. Elle avait hâte de se coucher et de ne plus penser à rien.
- Tiens. Granger !
"Oh pitié…", songea-t-elle. C'était Ronald Weasley. Vêtu de sa robe de soirée à franges, l'œil légèrement voilé, il s'avançait vers elle.
- Allez. Danse avec moi, s'il te plaît.
Hermione me put s'empêcher de froncer le nez de dégoût.
- Non, dégage, siffla-t-elle.
- Allez, Granger… mendia-t-il.
- Si tu me touches, tu le regretteras.
Le regard désespéré duquel il la couvrit alors lui donna la nausée. Elle revit Ron, celui qu'elle connaissait, et revécut en quelques secondes les aspects les plus navrants de leur relation. Ses oreilles sifflèrent et tout devint flou.
- Par Merlin, Weasley, tenez-vous, tonna une voix.
Hermione sursauta. Rogue venait d'entrer dans son champ de vision et avait écarté Ron d'un mouvement si ample qu'il avait manqué de le faire chuter.
- James, siffla-t-il. Tenez vos élèves, bon sang.
Il semblait bouillir de fureur.
- Granger ?
Alors que James Potter emportait Ronald Weasley loin de la scène, Hermione leva les yeux vers Rogue. Elle ne put s'empêcher de laisser défiler en elle les images du médaillon de Serpentard, de la bague des Gaunt, de Malefoy, du baiser surpris dans le parc, du regard de chien battu de Ron. Le maître des potions fronça légèrement les sourcils, l'air soudainement inquiet. Sans la quitter du regard, il lança :
- Je vais vous raccompagner.
- Non, non, c'est inutile, rétorqua-t-elle mollement.
- J'insiste.
Il avait détaché chacune des syllabes, scrutant son visage comme s'il s'attendait à ce qu'elle ne se transforme soudainement en Veracrasse ou pire, ne s'évanouisse au beau milieu du hall. Hermione céda, et lui emboîta le pas. Bientôt, le brouhaha de la grande salle s'atténua. Elle se passa les mains sur le visage, balayant une sueur glacée de sur son front.
- Je n'en peux plus, laissa-t-elle échapper.
- Miss Granger…
- Je suis fatiguée.
Une fois parvenus devant la porte de la salle commune des serdaigles, ils marquèrent une halte.
- J'ai 2 pieds, 6 jambes, 8 bras, 2 têtes et un œil : qui suis-je ? lança joyeusement le heurtoir.
- Vous pouvez me faire confiance, Miss Granger, rappela Rogue, couvrant presque la voix de l'aigle de métal.
- Menteur, rétorqua Hermione, sans hésiter.
Alors que le maître des potions s'apprêtait à s'indigner, le heurtoir lança, de sa voie flûtée :
- Le Maître apprend à l'élève, jusqu'au jour où l'élève surpasse le maître.
Hermione se faufila par la porte entrebâillée.
- Bonne nuit, professeur.
