« Lloras ? »
Voilà ce que me dit cette femme.
Je me retournais pour lui faire face. Je n'avais malheureusement pas compris, et cela avait probablement dû se voir sur mon visage.
Car elle enchaina :
« Hablas espanol ? » Elle laissa quelques secondes s'écouler, puis reprit « Ingles ? »
Je pris quelques secondes avant de lui répondre. Je pouvais voir dans son regard de l'inquiétude, c'était étrange. Je suivais ses yeux du regard, elle observait ma joue. J'y déposa ma main avant de sentir qu'elle était mouillée. Je pleurais. Était-ce cela qui l'inquiétait ?
J'essayais de lui répondre, mais les mots ne sortaient pas de ma bouche. Ou peut-être que si, en réalité, je ne m'en souviens plus... Mais le regard de cette femme… ses yeux venaient de me perturber, de me transpercer.
J'ai souvenir qu'elle posa sa main sur mon avant-bras. Cela venait-il de me ramener à la réalité ?
Je réussis à me concentrer et à plonger mon regard dans le sien. Pour lui dire que j'étais française, mais que j'étais en mesure de parler anglais avec elle. Même si je l'avoue, mon anglais n'était pas fameux non plus.
Et en l'espace d'un millième de seconde, son visage rayonna. Elle avait l'air heureuse, était-ce une bonne nouvelle ?
Puis elle reprit la conversation dans un français parfait, soupoudré d'un accent, …mais quel accent ! Je n'avais jamais entendu quelque chose d'aussi doux et plaisant en même temps.
Elle avait l'air de réellement s'inquiéter pour moi, elle me posait énormément de questions. Je ne savais pas, par où commencer, d'autant plus que ma curiosité avait été touchée.
« Pourquoi pleurez-vous, serais-je utile en quoi que ce soit pour vous aider ? » Avait-elle commencé.
Dans le fond, je l'enviais beaucoup, elle parlait sans doute mieux le français que moi.
« D'où venez-vous ? » Lui demandais-je. Je me souviens encore de ce moment. J'avais l'air totalement abruti, mais peut-importe. La question m'était très importante à cet instant.
« Oh ! Et bien je suis américaine, mais je suis née à Porto Rico, tout comme ma mère. »
« Ils ne parlent pourtant pas français là-bas ?! »
« Effectivement, non, on y parle espagnol. Je parle français et cela vous étonne, n'est-ce pas ?»
« Oui je vous avoue, être très intriguée. Vos études en France ? »
« Je réponds à cette question si vous répondez à la mienne. »
Cette conversation m'avait fait oublier mon chagrin, ma présence ici, dans cet avion. Mais ses derniers mots me le rappelèrent. Qu'avais-je le plus envie, en réalité ?
De rester dans mon coin à pleurer ou continuer la conversation avec cette femme ? D'ailleurs, comment s'appelait-elle ? Vous n'êtes pas curieux ? Moi si, je l'étais.
« D'accord, mais avant tout, je tiens à me présenter. Je suis Emma. » Avais-je répondu, espérant qu'elle me donnerait ainsi le sien.
« Enchanté Emma. Je m'appelle Regina. »
« Waouh, même votre prénom est intriguant ! »
« Et le vôtre adorable. Alors pourquoi pleuriez-vous Emma ? »
« Vous êtes bien curieuse. Mais je vais vous répondre. Je rentre chez moi après avoir passé des moments forts en émotions auprès de personnes dans un centre de soin, perdu dans le Brésil. »
« Que faisiez-vous là-bas ? »
« Avez-vous étudié en France ? »
« Vous n'oubliez pas vos priorités, vous. » Dit-elle en rigolant.
Son rire était mélodieux. Envoutant peut-être, je ne sais pas. Mais cela était une petite lumière, une petite flamme réconfortante dans un moment où je me sentais seule.
Cette conversation avait donc été pour moi une bénédiction.
Vous voulez la suite peut-être ? Ça vient, ça vient !
Elle me raconta alors que oui, elle avait fait une école d'art et de théâtre à Paris pendant environ 3 ans. Avant de revenir chez elle aux Etats-Unis, et plus précisément dans l'Upper East Side, un quartier résidentiel très chic à New-York.
Est-ce que vous aussi ça vous est déjà arrivé de vous sentir, je ne dirais pas en confiance, mais peut-être à l'aise avec quelqu'un que vous ne connaissiez pas ?
Et bien moi, je vivais ce moment-là ! Je me permis alors de lui raconter ce que j'avais pu faire et voir durant ses dernières semaines. Elle avait l'air de boire mes paroles, elle était à l'écoute, ses yeux ne me jugeaient pas. Sans même m'en rendre compte, je lui parlais de mes sentiments, des émotions que j'avais pu ressentir là-bas, de la tristesse que je vivais à l'heure actuelle.
A ma grande surprise, elle avait l'air de comprendre ce que je vivais actuellement. Je veux dire qu'elle n'avait pas l'air de prendre pitié pour moi, chose dont j'ai horreur. Elle avait l'air plutôt empathique, ou peut-être compatissante. Même encore aujourd'hui je ne serais le dire.
Mais dans tous les cas, cela m'a rassuré et m'a permis de m'ouvrir à elle d'une façon que je n'aurais pas pensée possible pendant ce vol.
« J'ai suffisamment parlé de moi, à vous de me raconter votre vie. Enfin, ce que vous voulez en dire en tout cas. »
« Et bien, que voulez-vous savoir ? Je n'ai pas une vie aussi passionnante que vous. Mais je voyage aussi beaucoup, tout comme vous, Emma. »
« Que faites-vous dans la vie ? »
« Je travaille dans le domaine des arts. »
«Vraiment ?! Laissez-moi deviner ! Dans le spectacle ? Vous êtes danseuse !»
«Et bien non. Mais étant petite j'aimais beaucoup danser.»
«Plus maintenant ?»
«Je ne sais pas. Cela fait un moment que je n'ai pas dansé, je vous avoue.»
«L'art du langage, vous êtes écrivaine ?» Pensais-je.
«Non plus.»
«L'art visuel ? Vous êtes peintre ? Ou peut-être Top Model ?»
«J'ai été modèle, oui, mais cela rem…» Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase que l'avion entra dans une zone de turbulence, qui nous fîmes arrêter notre conversation sur le champ.
« Ici votre commandant de bord. Nous entrons dans une zone de turbulence. Merci de regagner votre siège, et d'attacher votre ceinture. »
Je ne faisais plus qu'un avec ce satané siège, ma ceinture était mise et pas prête à être retirée. Est-ce que vous vous moquez de moi ?
Je n'espère pas. J'aime énormément prendre l'avion, je ne saurais dire combien de fois dans ma vie, j'ai pu monter dedans. Mais je n'ai jamais été à l'aise avec les turbulences, les secousses, ou appelez ça comme vous voulez.
Et le pire, c'était quand l'avion perdait un peu de hauteur, une sensation de tomber… Vous connaissez aussi ?
Je regardais par le hublot, essayant de chercher les ailes du regard. Comme si cela allait réussir à me calmer. Idée stupide évidemment.
Pendant plus d'un quart d'heure, je n'osais pas bouger, je n'osais pas tourner la tête pour voir comment Eulalia allait. Stupide idée aussi, me diriez-vous.
Les hôtesses étaient en train de faire le tour des passagers pour voir si tout allait bien. C'est ce qui me fit prendre conscience que tout était terminé.
«Tout va bien Emma ?» M'avait-elle demandé.
Était-elle toujours aussi avenante et rassurante ?
Après lui avoir fait mon plus beau sourire, pour lui montrer que tout allait bien. Elle décida de changer de conversation, sans doute pour me faire changer les idées.
«Vos amis et votre famille doivent vous attendre avec impatience, n'est-ce pas ?»
«Non, ils ne sont pas au courant. Je n'avais pas d'accès à internet là-bas. Et je n'ai pas osé les contacter une fois à l'aéroport.»
«Je peux comprendre. Puis ce n'est pas une situation facile pour vous. J'espère que votre entourage sera présent, tout de même.»
La conversation devint par la suite plus calme, prenant une tournure plus agréable, plus légère.
Elle me raconta son voyage au Brésil, elle était venue rendre visite à une amie qui vivait la moitié de l'année ici et l'autre moitié en Floride. Regina prit le temps de me montrer quelques photos, et la maison de son amie était visiblement le paradis sur terre. Vous voyez de quoi je veux parler ? Une maison sur pilotis, proche des commerces locaux et d'une belle plage à cocotiers.
Je l'enviais. Mais pas seulement, je me rendais compte qu'on était visiblement très différente elle et moi. Nous avions des vies opposées, une histoire différente, et notre présence dans le pays touché aussi aux extrêmes. Pour elle des vacances paisibles au bord de la mer, et pour moi, observatrice de la misère de ce pays.
Mais pourtant, nous étions là, ensemble à échanger sur nos vies, et nos expériences. La vie peut réellement s'amuser avec nos destins.
L'atterrissage me sortit du sommeil dans lequel je m'étais plongée quelques petites heures plus tôt. J'ouvris le hublot, et vérifia que la ceinture était bien bouclée, puis redressa mon siège, à la demande de l'hôtesse de l'air qui passait dans les rangs pour vérifier que tout soit aux normes pour les dernières minutes que nous passerons ici, dans cet avion, ensemble.
Je restais calme et silencieuse sur mon siège, en attendant de pouvoir quitter l'avion.
J'avais la chance de ne pas attendre mon bagage, car il serait transféré directement dans le deuxième et dernier vol que je devais prendre pour revenir chez moi.
Quelques minutes plus tard, nous étions presque tous dans le bus qui reliait le tarmac et l'aéroport. Je cherchais Regina, mais je ne la voyais pas. J'espérais de tout cœur la recroiser une dernière fois pour la remercier de l'attention qu'elle avait pu m'apporter ses dernières heures.
Une fois dans l'aéroport, je suivais l'attroupement, tout le monde allait au même endroit.
Je prenais mon temps malgré tout, j'avais environ 11 heures à tenir.
Je m'étais dit que je pourrais peut-être rester un peu à l'extérieur de l'aéroport pour prendre un peu l'air, avant de repasser les douanes et de suivre mon protocole habituel. C'est à dire de faire les magasins, et de regarder toutes les gammes de chocolats qu'ils puissent exister dans les aéroports.
Avez-vous déjà vu cela ?
Des sachets de M&M's quatre fois plus gros que la normale. Des kinders jamais vu en France et des goûts tout aussi inhabituels.
La foule de passagers s'arrêta au niveau des tapis, là où l'on pouvait récupérer ses valises. Je m'étais dit que peut-être je trouverais ma compagne de voyage ici. Mais ça ne fut pas le cas, elle avait déjà dû quitter l'aéroport, et filer chez elle retrouver son petit copain. Attendez, avait-elle un petit copain ?
Je ne lui avais même pas demandé. C'est peut-être très stéréotypé, mais je voyais bien Regina avec un boy-friend classe et amoureux. Un homme qui ressemble aux comédies romantiques des films hollywoodiens. Qu'ils avaient un grand loft et avaient des animaux.
Je ne sais pas pourquoi c'est la vie que je lui donnais. Je me rendis compte alors que je n'avais même pas pu finir notre première conversation. Que faisait-elle alors dans la vie ? Elle avait été modèle par le passé, mais que faisait-elle maintenant ?!
Je me sentais idiote de ne pas avoir redemandé.
Ne la voyant pas, je me dirigeais vers l'extérieur. Respirer me ferait le plus grand bien. Je sortis mon téléphone et le déverrouilla. Un film était mis sur pause. Je m'étais effectivement endormi dans l'avion en regardant un film, et puis j'avais fini par oublier mon téléphone et il finit ranger dans mon sac.
J'alluma le wifi, espérant pourvoir me connecter gratuitement à internet. Cela me ferait passer le temps. J'avais 63% de batterie, je rajoutai à mon planning bien stocké dans ma tête, le fait de chercher une prise pour pouvoir recharger mon téléphone.
Une fois les portes battantes passées qui me séparaient de l'extérieur, j'observai les nouvelles personnes ainsi que cette nouvelle ville qui s'offrait à moi. J'étais du genre, je pourrais même parler au présent. Je suis quelqu'un qui peut m'asseoir des heures et regarder les passants continuer leurs chemins, tout en m'imaginant quelle pourrait être leur vie.
C'est ce que je faisais, je prenais l'air, j'observais les gens qui fumaient, d'autres qui se disaient au revoir, une petite dame pleurait près d'un taxi, cela me fit beaucoup de peine.
J'avais toujours le secret espoir de retrouver Regina quelque part. Quand j'y repense, c'est une des seules personnes qui connaissait mon état actuel, ainsi que mon trajet.
Était-ce si important ?
Après avoir traîné un petit moment sur la grande place se trouvant devant l'aéroport, j'avais décidé de rentrer dans l'aéroport. Téléphone en main, j'avais réussi à trouver un wifi gratuit et accessible. Après quelques secondes, toutes les notifications mises de côté durant des mois, arrivèrent, beaucoup de notifications. Mes yeux se posèrent sur la date, nous étions le 18 janvier.
Je pris rapidement conscience alors, que j'avais raté Noël, le nouvel an et quelques anniversaires. Pendant les deux mois et demi environ que j'avais passé là-bas je ne m'étais pas rendu compte de tout cela. Tous les jours se ressemblaient et tout était tellement difficile, que la misère nous faisait rapidement oublier les bons repas de famille, les cadeaux, le sapin et les fêtes.
Je me disais alors que ma famille m'en voudrait peut-être un peu plus que prévu, de ne pas leur avoir souhaité ou bien même donné signe de vie.
Je cherchais un endroit isolé, pour pouvoir m'installer et regarder les messages que j'avais reçus.
Alors, alors… J'avais reçu quelques messages de ma mère me donnant presque toutes les semaines des nouvelles d'elle et de mon petit frère, de 5ans mon cadet. Visiblement tout allait bien de leur côté. Elle m'avait envoyé aussi des photos du repas de Noël, elle avait dû inviter ma tante, et mon oncle ainsi que leurs enfants, des jumeaux de 4ans, qui sont adorables ! Je supposais que mes grands-parents maternels étaient présents aussi, mais ils ne raffolaient pas des photos.
Vous vous demandez, où est mon père dans tout cela ?
Et bien, c'est amusant, car je n'en sais absolument rien. A la naissance de mon frère, mon père a disparu 3 jours après. Aucune nouvelle depuis 18ans. Mais nous étions une famille aimante et c'est tout ce qui fallait, à mon frère et moi pour grandir, sans ressentir un vide. Ma mère était une femme qui avait donné beaucoup, pour nous éduquer. Elle était sévère, mais juste et nous aimait profondément.
J'avais aussi reçu quelques messages de mes amis de promotion, ainsi que mes meilleurs amis. Ça me faisait chaud au cœur de pouvoir lire, qu'ils pensaient à moi. Certains m'envoyaient des photos qu'ils avaient dû prendre durant les fêtes. J'avais hâte de les revoir.
J'avais l'impression que le temps était ralenti, qu'une minute en faisait le triple… J'avais lu tous les messages de ses deux derniers mois, ainsi que fait un tour sur les réseaux sociaux. Mon téléphone avoisinait les 45% de batterie, mais il me restait encore beaucoup de temps devant moi.
Je récupérai mes affaires et erra dans l'aéroport. Je partis m'acheter un sandwich et une bouteille d'eau gazeuse. Je faisais les magasins comme prévu. Je me demandais s'il était nécessaire que j'achète des souvenirs dans les boutiques, pour montrer mon passage au Brésil à mes proches.
Je n'avais rien acheté et je me retrouvais assisse à même le sol un peu plus loin, pour brancher mon téléphone. Le temps ne passait pas, je ne faisais que déverrouiller mon téléphone afin de pouvoir voir l'heure qu'il était. J'hésitais un long moment à répondre à quelques messages, peut-être à ma mère ou à mes amis. Mais je ne le fis pas.
Je me sentais moins triste qu'à mon départ du village, mais plus le temps avançait et plus j'étais anxieuse de retourner en France. Moi qui d'ordinaire étais quelqu'un d'organisé, je n'avais encore rien prévu pour mes premières heures à la maison.
Qu'avais-je en tête pendant toutes ces heures qui me séparaient du décollage ?
Je m'imaginais m'asseoir une fois de plus au côté de Regina ou de quelqu'un lui ressemblant. Elle pourrait sans doute me lancer une autre conversation, qui me ferait passer le temps plus vite que prévu. Mais je savais pertinemment que cela n'était que pure illusion.
Malheureusement, il n'y avait personne de passionnant à mes côtés. Je passais donc mon temps dans cet avion, à regarder par la fenêtre essayant de savoir quelle personne j'aimerais voir en premier, une fois en France.
J'avais pris aussi le temps de regarder quelques films, cela faisait un moment que je n'en avais pas vu. Le choix dans cet avion n'était pas fameux.
L'avion commença alors sa descente, comme à chaque fois, nous étions priés de redresser les tablettes, le siège et d'ouvrir le hublot. Je vérifiais ma ceinture, qui avait été attachée durant la quasi-totalité de ce vol.
L'homme assis à côté de moi, avait passé son temps à dormir et à me tomber sur l'épaule. Chose très désagréable, quand on se rend compte qu'il n'avait sûrement pas approché une douche depuis au moins quelques jours.
Après un long moment dans la queue pour sortir de l'avion, mais aussi pour passer la douane, et je ne vous parle pas même pas les longues minutes durant lesquels j'angoissais, ne sachant que faire une fois sortie de ce maudit aéroport, je me trouvais enfin en France.
Alors je suppose que maintenant vous me trouvez bien bête, et vous avez hâte de savoir la suite !? Si ce n'est pas le cas, j'en suis désolé. Vous pouvez à tout moment fermer ce livre évidemment, mais ce serait moins amusant. Pour vous évidemment, moi je connais la suite.
Et bien, ma première réaction va sûrement vous amuser, tout autant que moi au moment où je vous l'écris.
Je me suis dirigé vers la sortie, valise à la main. Et une fois sortie et ayant sans nul doute respiré le bon air parisien, je me dirigeai vers un homme qui était seul pour lui demander une cigarette. Il accepta et me l'alluma avant de continuer son chemin, me laissant une nouvelle fois seule dans mes pensées.
Je n'avais jamais fumé avant aujourd'hui. Alors pourquoi ce réflexe ? Je n'ai pas la réponse. J'avais probablement vu énormément de gens dans ma vie, sortir une cigarette à chaque moment de doute. Attendais-je une réponse d'une cigarette ? C'est totalement absurde, mais à l'époque cela avait sûrement du sens.
Après l'avoir fini, je pris un taxi et lui donna mon adresse. Et moins de 20 minutes après, me voilà devant mon immeuble. Je pris l'ascenseur, j'en avais presque oublié l'étage, comme un réflexe mon doigt se posa sur le chiffre 9. Je me retrouvais bloquée devant la porte de mon petit logement d'étudiant, ne sachant où j'avais pu ranger mes clés.
Au bout d'un quart d'heure, et une fois mes affaires renversées dans le couloir, j'ouvrais avec impatience mon appartement. Je pris le temps de faire un petit tour, histoire de m'imprégner de ce logement dans lequel je me sentais bien, je me sentais chez moi.
Je pris le temps de ranger mes affaires, de lancer quelques machines et de prendre une douche. Avant de m'avachir sur mon lit et d'allumer mon ordinateur portable.
Il me prit l'envie soudaine d'appeler ma meilleure amie en webcam, elle s'appelait et s'appelle toujours Ruby. Un petit morceau de femme très active, pleine de joie et d'envie. Elle avait été pour moi, plus d'une fois, un pilier important.
Cela fait maintenant 15ans qu'elle est ma meilleure amie. Et je ne la remercierai jamais assez pour tout ce qu'elle a pu faire pour moi. On ne se parlait pas tous les jours, mais je savais qu'au moindre problème, elle serait là. Nous avions passé une grosse partie de notre scolarité ensemble. Et après le lycée nous avions pris des chemins différents. J'avais commencé une fac de droit, puis après cette licence, j'avais commencé ce fameux Master qui me plongeait tout droit dans le monde humanitaire. Tandis qu'elle avait opté pour des études de sport, elle voulait être coach. Mais après une histoire douloureuse avec un mec rencontré sur un tournage de pub pour des vêtements sportifs, elle décida de faire autre chose et pendant que je partais en stage, elle avait accepté un nouveau travail dans un café. Elle devenait donc barista.
Je voyais sa photo s'afficher sur mon écran d'ordinateur, j'attendais avec impatience qu'elle décroche.
«Mon canard !» S'écria-t-elle.
«Comment tu vas ma Ruby ?»
«Mais on s'en fou ! Comment tu vas toi ? Où tu es ? Attends mais ce sont tes draps que je reconnais. Tu es rentrée, et tu ne me préviens pas. Ne bouge pas j'arrive.»
Et un écran noir apparut. Voilà Ruby.
Même pas 30 minutes plus tard, on toqua à ma porte. Évidemment, ce n'était pas le livreur de pizza, même si j'avais une envie folle d'en manger.
«Ruby ! Tu n'étais pas obligé de venir tu sais.»
«Tais-toi !» Et rentra en trombe dans mon appartement, m'embrassa la joue, avant de venir s'allonger, que dis-je, s'étaler de tout son long sur mon canapé. Puis elle reprit «Je t'écoute !»
«Tu m'as manqué, ça s'est sûr.» Je m'approchai d'elle et une fois assise à ses côtés, je me mis à pleurer.
«Ma belle, qu'est-ce que tu as ? Raconte-moi. C'était si dur que ça ?»
C'était une amie en or. Elle me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même. Ruby pouvait savoir quand j'allais mal avant que j'ouvre la bouche. Et devinez d'ailleurs beaucoup de choses avant que je ne le lui dise. Des qualités que je lui enviais beaucoup.
«Je suis rentrée il y a moins de deux heures. Et je ne sais même pas pourquoi je suis là.»
«Moi je sais ma belle. Parce que tu te sentais mal, sûrement très triste. Je te connais et si tu es rentrée, ce n'est pas pour rien. Si tu es rentrée alors que je connais ta dévotion pour les autres, c'est que tu es très mal. Et c'est une bonne chose que tu sois là. Je vais m'occuper de toi. Je vais rester avec toi.»
«Merci Rub'.»
Elle resta avec moi, toute la soirée. On commanda des pizzas, j'en avais profité pour lui raconter en détail mon voyage au Brésil. Lui racontant ainsi mes premiers jours au sein de l'organisation, lui parler des décès, des enfants, de mes peurs. Une fois de plus, elle me comprenait. Mon envie, et mon besoin de retrouver mes proches. Aucun jugement, aucune peur de lui avouer ce que je ressentais.
«Tu n'as vu encore personne alors. Ta famille est au courant ?»
«Non, je n'ai pas osé prévenir ma mère. Je verrais dans les jours prochains. Je vais commencer par me reposer avant d'attaquer la partie sociabilisation.»
Je pouvais voir que mon amie avait une question en attente. Vous savez, elle avait l'air rêveuse et avait un sourire en coin.
«Oh toi ! Il y a quelque chose qui te tracasse.» Lui avais-je demandé.
«Tu as rencontré un brésilien, des brésiliennes ?»
«Oui beaucoup, c'est le principe même d'être dans le pays.» Lui répondais-je sur un ton ironique.
«Idiote, je ne parle pas de ça. Mais après ta dernière rupture, j'aurais pensé que tu aurais pu rencontrer quelqu'un.»
«Non, je ne partais pas pour ça.»
«Je sais, mais bon… L'un n'empêche pas l'autre. Donc ton œil ne s'est arrêté sur personne ?»
Je répondis que non, mais je pense qu'elle remarqua quelque chose dans mon regard. Mais elle n'en dit pas plus. Ruby me raconta ensuite ses aventures à elle, l'aménagement avec son copain, et le regret qu'elle ressentait d'avoir fait ça.
Après avoir englouti les pizzas, on se posa devant la télévision pour regarder un de nos films préférés 'Love Actually'. Je savourais ce moment de détente, ce moment si paisible. Nous étions dans notre bulle, il n'y avait pas d'angoisse, pas de pression. J'avais pendant ces dernières semaines presque oublié à quel point mon amie pouvait m'apaiser.
Cette nuit-là fut difficile, j'étais seule dans ma chambre, tandis que Ruby dormait sur mon canapé. J'avais énormément de mal à m'endormir, je ne me sentais pas sereine, et l'angoisse me faisait suffoquer. Elle me rejoignit dans mon lit et me fit la promesse de rester à mes côtés tout le temps que j'en avais besoin. Je pense que cela était aussi nécessaire pour elle que pour moi. Après avoir entendu les problèmes qu'elle rencontrait avec son petit ami, je me disais que l'éloignement avec lui ne pouvait être que bénéfique pour elle, pour son bien-être. Elle devait prendre du recul, c'était certain.
