Note d'Ally :

Bonjour, bonsoir tout le monde, ça faisait un bail !
Avant toute chose je tenais à remercier toutes les adorables personnes qui se sont souvenues de mon anniversaire et qui me l'ont souhaité. Coeurs sur vous, je vous aime, vous êtes précieux.
Aussi, dédicace à la petite Coulemelle (non pitchoune je ne t'ai pas oubliée).
Enjoy !


(A) Brigadexchef : Merci pour ces encouragements, ça motive toujours ! (Gody c'est le 9 mars)

(A) Brigadexloutres : on a rien laché mes loutrons, la preuve !

(A) Transat : ton nom me fume toujours pour commencer. Tu as l'air d'avoir pisté quelque chose avec Eileen mais j'en dis pas plus. Désolée pour l'attente (nous aussi on t'adore)

(A) Chaton Suprême : j'adore toujours autant lire tes reviews et tes analyses souvent juste. Et je crois que je ne suis pas la seule à les aimer. Je le redis tu as un bon flair mais je ne donnerai pas plus de détails hé hé. En espérant que ce chapitre te plaise tout autant, même si on quitte Eileen !

(A) Apple Care : ma ptite pomme ta review nous a bien fait rire. Ravie qu'Eileen vous ait autant marqué, c'est que c'est réussi ! La romance arrivera quand elle arrivera :p

(A) Soldat deter : pour quelqu'un qui ne s'entraine pas aux review la tienne était géniale. Pleine d'humour, tout ce qu'on aime ! Mine de rien tu as du flair toi aussi. Je ne dirai pas en quoi précisément mais tu as du flair. On ne s'est pas arrêté la suite est là

(A) Coulemelle : j'espère que tu es allée jusqu'au bout - sans tricher - et que tu as aimé !

(A) DernierBG : mignon petit roux, on aime aussi tes reviews et tes poèmes xD toi aussi tu as du flair, et tu as plutôt bien cerné le role d'Eileen dans cette histoire. Si je devais donner un nom à ce nouvel arc, hum... Double Face ;) en espérant que ce chap te plaise tout autant

(G) Un anneau : on est ravie de voir que tu es sortie de cette fameuse majorité silencieuse, parce que c'est vrai, ça nous fait extrêmement plaisir de voir que des lecteurs et lectrices s'intéressent à notre histoire, malgré le délai de publication catastrophique haha. L'univers se dévoile de plus en plus, mais on garde encore quelques mystères sous la main. Bonne lecture !

(G) Kawaii-sama : nous sommes désolées pour les menaces envers ta vie XD merci d'avoir pris le temps de tout lire. Voici un chapitre tout frais, histoire d'ajouter encore plus de lore à tout ça !

(G) Guest : et non, on a pas encore jeté l'éponge ! Merci pour ta review :)

(G) EileenFanboy : le hasard fait bien les choses haha. On aime beaucoup la vision que tu as d'Eileen et, à vrai dire, on la partage. Par contre, je ne peux pas te répondre pour tes théories :p

(G) Cornfleeeeeeeeex : Merci d'avoir écoute la voix de la sagesse et d'avoir laissé un commentaire. Et oui, une petite pause entre ces deux-là ne fait pas de mal (peut-être)


JOUR 182 : Nature profonde


Quelque chose ne va pas.

Erza n'est pas une personne paranoïaque. Ça, non. Après avoir vu les dommages irréversibles que cela a causés dans sa famille, elle s'est ardemment battue pour ne pas sombrer à son tour. Un combat difficile, surtout au vu de tous les sombres secrets que son entourage garde précieusement. Mais cette fois — juste cette fois —, elle aurait vraiment préféré l'être.

Elle en est sûre.

Quelqu'un la suit.

La veille déjà, cette désagréable sensation d'être observée en permanence ne l'a pas lâchée du matin jusqu'au soir. Une présence, accrochée à elle comme une sangsue, qui a fini par devenir réellement oppressante à mesure que la journée s'est écoulée. Pourtant, à aucun moment elle ne s'est sentie en danger — ce qui, au final, donne un sens absolument ridicule à cette possible filature —. C'est pour cette raison qu'Erza a décidé de mettre ça sur le compte de la fatigue. Pourquoi la suivre, si ce n'est pas pour lui nuire ? Sa folle imagination lui a simplement donné du fil à retordre, voilà tout.

Sauf que cela fait très exactement huit minutes et vingt-six secondes que la sensation parasite est déjà revenue. Et que vient-elle de faire pour ça ? Rien, à part fermer le portail de l'immeuble derrière elle. Les bénéfices de la nuit s'envolent au loin ; ses muscles se tendent, un pic de stress hérisse les poils sur ses bras, et son humeur devient subitement massacrante. Qui diable peut bien lui vouer une telle dévotion ? Erza est incapable de décider vers quelle direction chercher ; devant, derrière, à gauche ou à droite ? La manière dont elle est épiée est comme… dispersée. Tout est flou et elle déteste ça.

Le froid caresse ses joues, la tirant de ses pensées. Ses doigts replacent quelques mèches derrière son oreille, le temps qu'elle se décide sur la démarche à suivre. Après tout, ce n'est pas le moment de se déconcentrer alors qu'elle est exposée à cette personne. Un homme ? Une femme ? Son intuition penche vers un « il ».

Erza serre la sangle de son sac puis prend la route vers son arrêt de tram. Sept heures trente passées, mais les rues sont pourtant bien calmes. Étonnant. Elle ignore délibérément les regards insistants de quelques passants, et continue d'étudier les environs. Hors de question de ne pas démasquer son nouvel ami. Ses talons hauts claquent les dalles du quai. À l'approche du transport, onze personnes attendent.

Onze suspects.

Un enfant en bas âge essaie de faire des bulles avec sa salive, sous le regard amusé de sa mère. Peu probable qu'ils soient des agents secrets. Pas loin d'eux, il y a un adolescent déjà défoncé à l'herbe. L'odeur est affreuse. Elle plisse le nez.

Huit suspects.

Une veille dame, très âgée, manque de s'écrouler à chaque pas qui la rapproche du wagon. Elle atteint péniblement la porte. À une seconde près, un jeune homme dans la vingtaine a manqué de trébucher et de renverser toutes ses courses à ses pieds.

Six suspects.

La patience est une vertu qu'elle possède pour certains sujets ; oh oui, Erza compte bien être la dernière à rentrer dans le tram. Même si elle est sûre qu'il ne s'agit pas d'un amateur, elle veut voir s'il fera l'erreur de rester à ses côtés sur le quai.

Une jeune femme en mini-jupe et perchée sur ses talons aiguille trottine. Elle l'observe maudire son téléphone portable puis retirer de la saleté invisible de ses habits. Ce n'est définitivement pas une tenue de filature, mais qui sait, il est important de s'attendre à tout. Un quarantenaire avec un journal sous le bras la contourne pour entrer à son tour. Le béret vissé sur sa tête descend jusqu'à ses sourcils. Les autres inconnus qui le suivent n'attirent pas son attention. Il ne dégage pas la même aura. La rouquine bat des cils, accrochant son regard sur son dos. Elle le voit s'installer entre deux étudiants.

Suivre son instinct est la priorité. Et là, il lui susurre qu'elle est sur la bonne voie avec ce type. Pourtant, Erza décide de laisser une chance aux derniers arrivants ; un homme d'affaires avec son imposante mallette. Une femme dans la trentaine, pestant contre quelqu'un dans le haut-parleur de son portable dernier cri. Une autre demoiselle, cachée dans son sweat oversize dont la capuche mange la moitié de son visage. L'énorme manuel sur la physique quantique lui indique qu'elle est étudiante. Ça lui fait un point en commun avec l'énergumène en train de se trémousser au rythme d'une musique qu'elle peut entendre. Son casque fluo rendra bientôt l'âme, tout comme ses tympans.

Très bien.

La rouquine aurait pu attendre sur le quai, laisser passer ce tram et étudier les réactions de ses cibles. Cependant, elle a promis de faire un effort sur sa ponctualité et Mirajane l'attend pour réviser. Ce serait une erreur de sa part d'agir de la sorte.

Alors ça fait un point pour le morpion pour l'instant.

La Saint-Valentin est passée depuis plus d'une dizaine de jours et, malgré ça, il y a encore un tas d'affiches qui traîne un peu partout sur le campus et dans ses alentours. Il y a en une, juste sous ses yeux, collée négligemment contre le panneau de prévention à l'intérieur du tram. Erza la dévisage longuement, le regard perdu. Elle se souvient de cette journée, même si elle n'accorde pas un intérêt particulier à cette fête. Gerald l'a invitée, l'air de rien, avec son sourire. Pas n'importe lequel. Le sincère, celui où toutes ses dents apparaissent, accompagnées par sa fossette. Elle n'a pas été capable de refuser sa proposition de passer du temps avec lui, bien que troublée par cette demande spontanée. Le souvenir provoque une vague de chaleur dans toute sa poitrine et, contrairement à toutes les autres fois, Erza décide de l'accepter. La sensation est temporaire, si courte que c'en est presque frustrant.

Aussi frustrant que cet homme qui la suit.

Elle en est presque sûre. Celui qui se planque derrière son journal de la veille, avec ce couvre-chef et ce fichu tricot de grand-père, est celui qui la surveille. Ce n'est pas un civil ordinaire et, en prime, elle ne ressent aucune menace émaner de lui. Il a l'air inoffensif. Et puis, s'il ne cherche pas à lui nuire, cela signifie que quelqu'un de sa famille a décidé de lui coller un chien de garde aux fesses. Pourquoi ? Est-ce que c'est à cause de son comportement qui a été problématique ? C'est la première fois qu'un telle situation se produit. Ou… alors, son identité a été compromise ? Impossible. Erza n'en a parlé à personne, même sous l'emprise de l'alcool et de la fatigue. Tous ses papiers sont au nom de Scarlett, elle a fait profil bas, elle est restée loin des affaires familiales comme convenu…

Peut-être qu'elle vise à côté. Sans doute. Qui sait ?

Erza plisse les yeux, mémorisant les traits durs du visage masculin, puis s'avance vers les portes du tram. Elle arrive enfin au campus. L'occasion parfaite pour confirmer ses soupçons sur l'inconnu. La musique dans ses oreilles ne la détend plus depuis un moment. Sa concentration l'empêche de s'évader. À peine dehors qu'elle est entourée par une foule d'étudiants en train de cavaler dans tous les sens. L'envie de faire demi-tour la ronge, mais c'est impossible. Elle doit absolument réviser et, en plus, elle a fait venir Mirajane spécialement pour l'occasion.

La bibliothèque est à environ cinq cent mètres. Lorsqu'il ne lui reste que quelques pas, cet étrange énergumène passe devant elle, tête baissée, le journal sous son bras. Ses foulées sont rapides et il finit par bifurquer vers un autre chemin, se faufilant entre deux groupes. Est-ce qu'elle se serait faite un film depuis tout ce temps ? Sourcils froncés, Erza poursuit sa route. Sa méfiance ne tombe pas encore ; il peut s'agir d'une tentative de diversion, afin d'apaiser ses craintes. Si c'est bel et bien un nouvel employé de sa famille, il doit être capable d'un minimum de bon sens.

Perplexe mais aussi apaisée de ne plus sentir ce regard dans son dos, Erza gravit les marches la menant à l'étage du bâtiment. Elle croise deux ou trois personnes de sa promotion perchées sur un tas de bouquins dont ils ne se souviendront probablement pas la semaine suivante. À l'inverse, Mirajane est élégamment posée dans son fauteuil, son regard bleu perdu avec ses pensées. Elle est installée dans un coin calme, près d'une des immenses fenêtres. Baignée dans la lumière bien que grisâtre, elle occupe la pièce d'une manière particulière. Elle semble rayonner.

Lorsqu'elle s'assoit devant son amie de longue date, c'est après l'avoir chaleureusement saluée. Ses affaires sont très vite étalées sur l'immense bureau mis à leur disposition, et elle ne perd pas un instant pour se mettre au travail ; elle a besoin de cette présence qui lui insuffle de la motivation. De temps en temps, ses yeux s'égarent vers son téléphone portable. La seule notification affichée sur l'écran est un message venant de Gerald. Ses lèvres s'entrouvrent et elle remonte son regard vers son amie qui la fixe déjà.

« Quelque chose te tracasse ? Demande-t-elle sans hésiter.
— Et bien… »

Par où commencer ? Par le fait que sa perception de la relation qu'elle entretient avec lui a brutalement changé ? Ou qu'elle a une peur bleue des sentiments qui l'étouffent quand elle est en face de lui ? Ou alors, juste sur un sujet : son invitation pour rencontrer son père ? Ce dernier point lui paraît être le meilleur — elle préfère éviter les autres pour le moment, car elle sait qu'elle est incapable de gérer une Mirajane extatique —.

« … plus tôt, ce matin, Gerald m'a proposé de passer chez lui après les cours.
— Ah oui ? Une occasion… particulière ? Se renseigne-t-elle avec un sourire en coin.
— Son père est de passage alors… alors il pensait que ce serait une bonne idée que je le rencontre. Sans aucune arrière-pensée, s'empresse d'ajouter Erza - presqu'en panique - quand elle voit l'éclat de malice briller dans ses prunelles. Il présente tous ses amis proches à son paternel. C'est un truc normal pour lui. Vraiment. »

Un peu déçue, les épaules de la demoiselle s'affaissent. Elle replace une mèche blanche derrière son oreille avant de poser les mains à plat devant elle.

« Je trouve ça quand même intéressant.
— Moi aussi. Il parait que son père est… un très grand homme d'affaires. Il a réussi à construire tout un empire et-
— Non chérie, pas pour ça.
— Pour quoi alors ? Bougonne la rouquine. Je ne vois pas une autre raison. »

Qu'est-ce qu'il y aurait de plus pétillant que d'enfin rencontrer le fameux Acnologia ? Rien ! Certes, Mirajane ne peut pas comprendre à quel point il est une figure qu'elle doit rencontrer pour mesurer le danger, mais quand même. Par contre, il y a un gros risque que sa mère ne soit pas contente d'apprendre cette nouvelle. Elle n'a pas la moindre idée d'une excuse pour justifier de s'être retrouvée nez à nez devant lui. La garantie de repartir saine et sauve n'est même pas assurée, même si Gerald est là. En plus, ce dernier n'a pas du tout l'air au courant des liens indirects qu'elle a avec son père. Quoique… qu'est-ce qu'elle en sait ? Peut-être qu'il cache son jeu ? Et si tout depuis le début est une simple comédie pour la garder sous la main, au cas où ? Non, impossible. Elle l'aurait vu venir. Luxus aussi.

Ce sont juste des pensées parasites, rien de plus.

Pas vrai ?

Avant même qu'Erra ne puisse se ressaisir, son amie reprend la parole. Son souffle se bloque lorsque ses mots atteignent ses oreilles.

« Tout le monde est au courant du béguin que Gerald a pour toi. »

Silence.

Elle la dévisage longuement, sans reprendre une seule respiration. Elle n'a pas la moindre idée du temps qui s'écoule jusqu'à ce que, finalement, ses mains se plaquent contre sa bouche pour retenir ses éclats de rire. Bon sang, ne pas faire de bruit dans une bibliothèque est compliqué quand Mirajane sort des bêtises pareilles ! Son ventre lui fait mal et des larmes montent à ses yeux. La rouquine appuie son front contre le bureau pour reprendre son calme. La surface froide l'aide et elle renifle. Quand elle relève le visage, ses joues sont roses en plus d'avoir le nez bouché. Absolument génial.

« Je ne blague pas, ajoute son amie une fois qu'elle s'est complètement calmée.
— Bien sûr que si. Je serai la première au courant sinon.
— Et comment tu aurais fait ? Tu ne savais même pas que Simon était intéressé par toi jusqu'à ce que je te le fasse remarquer. »

Son index joue avec le bout des pages abîmées de son cahier. Nerveusement.

« Un béguin, ce n'est pas grand-chose. »

Ça peut changer. Ça peut changer, comme ce qui est en train de naître dans sa poitrine. C'est éphémère. Stupide. Inutile. Dangereux, aussi. Pour lui. Pour elle.

« C'est surtout un bel euphémisme. Ça crève les yeux que c'est plus que ça.
— Tu te fais des films, marmonne-t-elle en réponse.
— Et toi, tu regardes en boucle celui du déni. »

Sa bouche est sèche. Elle a du mal à déglutir. Voyant à quel point elle est incapable de répliquer, Mirajane semble avoir pitié d'elle. Pourtant, même si elle s'apprête à balayer ce sujet d'un revers de la main, Erza sait que ce n'est pas terminé.

« Un grand homme d'affaires, donc ? Depuis quand tu t'intéresses à tout ça ? »


Gerald n'est pas surpris lorsqu'elle arrive avec une heure de retard — elle l'a prévenu, mais sans lui expliquer la raison. Il n'a pas besoin de savoir qu'elle est suivie par un bougre et qu'elle a fait quelques détours pour le semer —. Il ne lui fait aucune remarque et il l'accueille même avec un sourire chaleureux, le genre qui a le pouvoir de transformer ses membres en une sorte de gelée. C'est apaisant.

« Mon père est en train de passer un appel, lui explique-t-il en l'aidant à retirer son manteau. Il ne devrait pas tarder.
— Le boulot ?
— Humhm.
— Je vois, souffle-t-elle en rangeant ses chaussures.
— Oh, avant que je n'oublie. Tes vêtements sont sur le lit. J'ai fait une machine hier. »

Il le dit d'une manière si décontractée que la rouquine se fige. À quel point s'est-elle installée chez lui ? Les fragments de son passage sont éparpillés un peu partout ici, allant de sa marque de café préférée aux plaids extrêmement doux recouvrant le cuir du canapé. Et ses habits. Elle est au courant qu'elle a une place qui lui est réservée dans son armoire. Mais c'est Gerald. Il est gentil. Accueillant. Et elle continue de se convaincre que tous ses signaux ne sont juste que le fruit de son imagination, parce qu'elle n'est pas prête à faire face à plus que cette chaleur dévorante dans sa poitrine lorsqu'elle le regarde.

Tout en continuant leur discussion, ils s'avancent vers le salon. Il lui montre la nouvelle saga qu'il a dénichée. Son regard d'ambre se balade sur la mâchoire finement dessinée puis vers la glotte qu'elle voit monter et descendre lorsqu'il déglutit. Hum. C'est juste assez pour dépoussiérer le coffre d'une vieille soirée, celui qu'elle a enfoui quelque part dans les tréfonds de son esprit. C'est mal. Elle le sait, elle ne devrait pas.

« Ah ! S'exclame une voix plus suave. Ne serait-ce pas la fameuse Erza Scarlett ? »

Une fois sa surprise ravalée, la concernée se retourne lentement, découvrant enfin l'illustre figure paternelle de son ami. Grand, distingué, Acnologia s'approche avec désinvolture. Son costume, très certainement taillé sur mesure, épouse sa silhouette élancée. Ses doigts remettent en place un bouton doré, décoré d'une gravure. Peut-être cache-t-il une arme derrière ce veston ? Ce ne serait pas étonnant. Même en étant chez lui, il doit être un minimum équipé par mesure de sécurité. Tout peut déraper si vite. Maintenant, si elle souhaite confirmer cette théorie, il ne lui reste qu'une simple solution ; s'approcher pour mieux l'étudier. Le doute n'est pas permis. Elle doit être sûre d'elle.

« Oh, tu as déjà terminé ? S'étonne Gerald.
— Le client avait un rendez-vous à honorer. Ça aurait été malpoli de ma part de le retenir.
— C'est vrai, oui. »

Un pas les sépare. Son teint, bien plus foncé que celui de son fils, fait ressortir l'intensité de ses yeux rouges. Erza se sent transpercée. Scrutée. Il tend une main vers elle. Aucune bague sur ses doigts de pianiste.

« Acnologia, se présente-t-il. C'est un plaisir d'enfin vous rencontrer. »

Du vouvoiement. Amusant.

Elle pose son sac sur le fauteuil à côté d'elle.

« Le plaisir est partagé, réplique-t-elle en glissant ses doigts sur sa paume. J'ai beaucoup entendu parler de vous.
— Ah oui ? Je serai curieux de connaître les détails de ces discussions. »

Elle esquisse un sourire poli. Sa poigne est ferme, mais détendue. Si tension il y a, rien ne transparait.

« J'ose espérer que vous resterez pour le dîner.
— Erza a sans doute d'autre chose à f-
— Avec plaisir, le coupe-t-elle rapidement.
— Tu es sûre ? Demande Gerald en fronçant les sourcils. Ne te sens pas obligée.
— Certaine. Et puis, ça fait longtemps. »

Et elle n'aura pas l'occasion de se retrouver avec son paternel une autre fois avant un bon moment. Hors de question de tout gâcher. Ce dernier semble d'ailleurs parfaitement voir ce qu'elle manigance, vu le rictus qui étire le coin de ses lèvres. Ça ne dure pas longtemps, juste assez pour qu'elle soit la seule à le remarquer. Gerald est bien trop occupé à la sonder, recherchant le moindre signe d'hésitation ou d'inconfort de sa part. Alors, pour l'apaiser, elle lève la main pour serrer délicatement son biceps, un sourire doux accompagnant son geste.

« D'accord, finit-il par dire. Je dois aller acheter quelques boissons en plus dans ce cas. Tu veux rester ici ou m'accompagner ?
— Je t'attends sagement.
— Je la surveille fiston. Elle ne s'enfuira pas. »

Son ton léger ne la met pas en confiance. Pour la première fois depuis qu'elle vient chez eux, elle ne se sent pas en sécurité. En même temps, elle s'est jetée dans la gueule du loup. Ça ne veut pas dire qu'Erza est sans défense ; là, juste à coté d'elle, dans son petit sac à main, il y a un couteau. L'atteindre serait rapide. Il ne la regarde même pas, trop préoccupé par les actions de son enfant. Gerald quitte l'appartement après leur avoir dit de se mettre à l'aise le temps qu'il revienne.

Acnologia la contourne pour s'installer sur l'immense canapé. Son bras s'appuie nonchalamment sur le dossier et il croise les jambes. Il ne la craint pas. Pourtant, elle peut très bien voir le froid qui se dégage de ses yeux. Il est méfiant.

« Quel joli nom, finit-il par dire. Erza… Scarlett. »

La façon peu naturelle d'accentuer son nom fait picoter sa chair. Elle empêche ses doigts de se contracter, conserve ses traits apaisés. Pourtant, la rouquine a l'impression qu'il peut voir au-delà de cette façade. Il sait. Il sait que ce n'est pas sa vraie identité mais elle a envie de croire le contraire. Elle doit feindre jusqu'au bout, prétendre qu'elle est juste une fille ordinaire.

Cette fille simple, sans histoire, qu'elle a toujours souhaité être.

« Je ne manquerai pas de le dire à mes parents. »

Son index tapote sa cuisse, lentement, tandis qu'il mémorise son visage.

« Pas besoin. Votre mère sait qu'elle a fait un travail absolument parfait. »

Une vague de froid s'écrase sur son corps. Son instinct lui hurle de saisir son arme. Elle pourrait l'abattre, là, tout de suite. Peut-être que ça rendrait service à Eileen. Ou peut-être le contraire. La jeune femme ne détient pas assez d'information pour déterminer s'il s'agit d'un allié ou d'un ennemi. Ce qui est certain, désormais, c'est qu'il l'a déjà vue de ses propres yeux et qu'il n'en est pas mort. Il est trop tôt pour supposer de quel côté il est...

« Surprise ? S'enquiert-il en remarquant l'éclat dans ses prunelles. Moi aussi, je dois l'avouer. Rencontrer la fille de Belserion dans ces conditions… et bien, je ne pensais pas voir un tel jour arriver.
— Je suis surtout étonnée que vous n'avez pas cherché à partir loin d'ici. »

Il rit. Tout comme Gerald, c'est bref et contrôlé. Garder une façade semble être un talent présent dans cette famille. Nul doute qu'il est un bon enseignant.

« Votre tempérament est tout aussi fougueux que celui de votre mère. »

Analyser la situation. Elle doit analyser la situation, là, maintenant, tout de suite, comme sa mère le lui a appris. L'adrénaline commence à monter. Vu la carrure d'Acnologia, elle devra être plus rapide pour compenser leur écart de force. Elle s'est entrainée pour ça, elle connait ses points forts. Le côté gauche de l'homme en face d'elle possède une faiblesse. La dilatation à peine asymétrique de ses côtes, signe d'une gêne pour respirer. Sa posture légèrement inclinée sur la droite, comme pour le soulager. Erza pourrait l'attaquer à son point faible. Mais l'exploiter serait trop prévisible, alors une feinte sera nécessaire pour le planter sur sa droite. Très bien.

« Vous trouvez ? »

Et après, une fois que son couteau sera imbibé du sang d'Acnologia, qu'est-ce qu'elle fera ?

« Je serais idiot de ne pas le remarquer, dit-il avec un demi-sourire. Gerald n'est pas au courant ? »

La panique monte d'un cran. Elle se retient de passer sa langue sur ses lèvres pour en chasser la sécheresse. À la place, Erza s'installe dans le fauteuil placé à sa gauche. Il la suit du regard. L'idée de l'abattre continue de lui tourner dans la tête. Elle se remémore enfin la marche à suivre ; appeler Makarov ou Luxus pour leur expliquer la situation. Nettoyer la scène sera inutile. Après ça, elle devra se séparer de Gerald. Mirajane devra aussi quitter sa vie. Effacer les preuves, brouiller les pistes, disparaitre de la surface du globe, et recommencer sous une nouvelle identité. Ce sera primordial. Eileen veillera à ce qu'elle change de pays.

« Non. »

Sa gorge est nouée lorsqu'elle prononce ce mot. Elle aurait aimé être rassurée qu'il ne sache rien. Mais maintenant, elle redoute la possibilité qu'Acnologia dévoile ce secret. C'est son arme à lui, en quelque sorte. Mais… mais peut-être qu'il l'a déjà utilisée. Peut-être que Gerald est au courant. Et si c'est le cas, dans quel but ?

« Ah… intéressant. La confiance entre vous n'est pas au beau fixe ? »

Il est loin d'être idiot. Il sait pourquoi son fils ne connait pas la vérité sur elle. Donc elle lui offre un sourire en coin, sans saveur. Parce que là, juste avec cette phrase, elle se rend compte qu'elle ressemble réellement à sa mère ; parfaite actrice, égoïste et prête au meurtre pour s'en sortir. C'est facile de prétendre que cette sombre nature ne fait pas partie d'elle. Et pourtant… elle ne devrait plus se voiler la face et descendre d'un étage. Elle est tout ce qu'elle fuit. Erza n'a jamais été différente. Peut-être avant, oui. Avant que son enfance ne soit plus qu'un tas de pièces à recoller. Il n'en faut pas plus pour que les sombres souvenirs refassent surface, revenant la ronger alors qu'elle lutte pour garder la tête haute.

Cette nuit-là, Erza ne dormait pas. Il était tard. Elle ne pouvait pas dire l'heure exacte, tout ce qu'elle savait, c'était que dehors il n'y avait plus de bruit. La lueur de la lune perçait les rideaux. Dans le salon, ses parents se criaient dessus. Encore. Mais cette fois… cette fois, c'était différent. Elle s'en rendait compte, parce que la voix de sa mère semblait plus forte. Plus dure. Quelque chose allait changer.

La fraîcheur du sol avait accueilli ses petits pieds. Sa peluche préférée, abîmée, était pressée contre son cœur. L'épaisseur de la porte l'empêchait de distinguer la plupart des mots. Elle n'entendait que des fragments. Des « putain de famille » ou des « après tout ce que j'ai fait » sortir de la bouche de son père. Il lui paraissait désespéré. Perdu. Ça ne lui ressemblait pas.

La curiosité avait fini par remporter la bataille ; Erza tourna doucement la poignée, juste assez pour entrebâiller la porte et apercevoir l'énième dispute qui allait déchirer son entourage. Elle avait retenu un hoquet de choc, plaquant une main contre sa bouche meurtrie de sa dernière punition.

Son père était agenouillé devant sa mère. Son visage, brouillé par des larmes et des contusions, déformé par cette puissante émotion qu'était la peur. La peur, et une autre chose qu'elle n'arrivait pas à identifier. En se décalant un peu, Erza avait compris.

Eileen, sa mère si aimante et douce avec elle, tenait un pistolet braqué sur le front de son mari. Il implorait sa pitié. Ses paumes se frottaient l'une contre l'autre. Les mots sortant de sa bouche étaient incompréhensibles. La panique le submergeait. Et puis, une détonation avait coupé sa tirade. Son corps s'était écroulé par terre, là où le sang commençait déjà à se répandre.

Il était mort.

Mort.

Parce que sa mère avait pressé la détente. Elle l'avait tué. Là.

Sa vision s'était troublée. Brûlantes, les larmes glissaient sur ses joues rebondies. À son tour, voilà qu'elle était terrifiée. Pourquoi avoir fait ça ?

« Maman ? »

Eileen avait sursauté et s'était brusquement retournée, manquant de lâcher son arme. Le pistolet qui avait ôté la vie de son père. Elle l'avait posé sur un meuble, presque jeté, avant de courir pour la prendre dans ses bras. Elle la serra contre elle, avec tout l'amour qu'elle possédait à son égard.

« Tout va bien ma puce. Tout va bien. On va partir d'ici, d'accord ? Loin d'ici. Ton père ne te fera plus jamais de mal. Je vais te mettre en sécurité.
— Je… je comprends pas, maman… où… où est-ce qu'on va ?
— Tu vas à Fiore. Tu te souviens de papi Makarov, pas vrai ? Il a un petit fils, à peine plus âgé que toi. Tu seras bien là-bas. »

Le ton de sa mère ne semblait pas joyeux pour une si bonne nouvelle. C'était un nouveau départ, non ? Et puis, après une longue minute, elle avait réalisé ; ce n'était pas « on » mais « tu ». Sa voix faible et vacillante avait résonné dans le salon.

« Mais… et toi, maman ? »

Son visage était caché contre son cou. Elle ne pouvait pas voir le sien. Mais elle tremblait. Elle tremblait beaucoup et elle savait qu'elle pleurait aussi.

« J'ai encore des choses à faire à Alvarez, Erza. Je viendrai te voir dès que je peux. Je te le promets, je ne t'abandonne pas. Je t'aime ma chérie. N'en doute jamais. D'accord ? »

Elle aurait pu hurler. Elle aurait pu supplier sa mère de rester avec elle. Elle aurait pu être en colère, ou se sentir trahie, ou refuser de la croire. Mais, malgré son jeune âge, elle comprenait tout. Cette nuit-là, Erza Belserion était elle aussi morte. Elle était partie avec l'innocence d'une petite fille qui avait tout à reconstruire.

Tant d'années. Tant de sacrifices. Erza refuse d'abandonner tous ses efforts maintenant.

« Vous connaissez ma mère depuis longtemps ?
— Quelques années, dit-il en chassant une poussière invisible sur le cuir du canapé. Je me souviens de notre première rencontre comme si c'était hier.
— Elle semble vous avoir marqué.
— Et bien, ce doit être une qualité dans votre famille. »

L'homme d'affaire fixe ses cheveux relâchés. Longs, soyeux, brillants. D'un rouge si violent, saturé comme le sang. Le genre qui hante une personne, tant cette couleur est unique.

« Est-ce que c'est vous qui avez suggéré l'invitation à Gerald ?
— Je n'en ai pas eu besoin. Pour une raison qui m'échappe, il estime mon avis important lorsque cela concerne ses relations. »

Soudainement, il se redresse et se penche en avant - toujours avec son inclinaison sur la droite - les coudes solidement ancrés contre ses cuisses. Il incline la tête vers elle. Ses doigts s'entrelacent et l'ombre d'un pli apparaît entre ses sourcils. Son langage corporel traduit enfin quelque chose ; de l'inconfort, malgré un besoin de contrôle. Elle voit aisément la façon dont ses muscles sont contractés sous ses vêtements. Acnologia ressemble à une bête prête à bondir sur elle au moindre faux pas.

« Je pense qu'il est inutile que je prenne des pincettes. Tout comme votre mère, j'aime protéger mes intérêts. Ma position n'a pas été facile à atteindre. Les sacrifices, eux, nombreux. Mais je ne vous apprends rien, n'est-ce pas ?
— Où est-ce que vous voulez en venir ? Demande Erza en plissant les yeux. »

Il lui suffit de deux secondes. Deux secondes et elle peut lui trancher la gorge, uniquement parce qu'avec cette position, il le lui permet.

« Mon travail représente ma vie entière. Mais je suis prêt à la ruiner pour mon fils. Ce que je veux dire par-là c'est que je refuse qu'il soit une pièce dans l'échiquier de votre famille. Laissez-le en dehors de ça. »

Le nœud de l'anxiété se resserre. Pense-t-il qu'elle se sert de lui depuis le début ? À quel point reflète-t-elle l'imagine d'une manipulatrice ? Est-ce que Gerald voit aussi cette facette lorsqu'il pose les yeux sur elle ?

« Je ne l'ai jamais considéré comme tel. »

Comment aurait-elle pu ?

« Vous êtes pourtant au courant de toute notre histoire. De tout ce que nous représentons. Je sais que vous avez fait vos recherches.
— J'aime assurer mes arrières.
— Alors vous me comprenez. »

Elle prend une lente inspiration. La tension dans ses épaules refuse de partir.

« Je souhaite simplement avoir la garantie que vous n'allez jamais vous servir de lui.
— Quand bien même je vous donnerai ma parole… qu'est-ce qui me prouve que vous n'essayez pas de me cacher quelque chose ?
— Comme quoi ? Se hasarde-t-il à demander.
— Est-ce que… »

Les mots refusent de rouler sur sa langue. Le muscle dans sa poitrine palpite violemment. Erza a peur d'affronter cette possibilité.

« … est-ce que vous lui avez dit qui j'étais ? »

Il esquisse un sourire et son regard glisse par-dessus son épaule. La porte s'ouvre et elle peut parfaitement imaginer Gerald passer sa tête pour voir si tout se passe bien. Elle entend les sachets plastiques frotter les uns contre les autres, elle entend ses pas feutrés, elle entend sa voix chaude, mais elle n'arrive pas à détacher ses yeux du visage d'Acnologia.

« Quelque chose ne va pas ? »

Oui, évidemment, il a senti l'atmosphère tendue et pesante de la pièce. Cet homme fait attention à tout. Chaque détail, chaque mot. Elle a tendance à l'oublier, mais derrière la façade de chiot qu'il arbore se cache un véritable loup guettant la moindre faiblesse.

« Non. Je venais juste de lui dire que j'étais un ami de sa mère. »

Le ton qu'il a employé semble faire passer cette révélation comme une interaction sur la pluie et le beau temps. Erza arrête enfin de dévisager l'homme d'affaires, braquant désormais son regard sur le visage inquiet de son ami.

« J'étais juste surprise, ajoute-t-elle d'une voix doucereuse. »

Elle lui sourit d'une façon qu'elle sait apaisante, tout en glissant sa main loin de son arme. Elle la pose sur l'accoudoir. Gerald incline la tête, ses sourcils toujours froncés, les observant avec une intensité désarmante. Il essaie de découvrir la supercherie. Son père le fixe aussi, attendant sa réaction. Le jeune homme finit par soupirer, se gratter l'arrière de la tête, puis il part vers la cuisine en marmonnant dans sa barbe. Erza capte le rictus satisfait d'Acnologia qui lui est destiné.

Et elle comprend.

Elle comprend l'intérêt de tout ce cirque. Un fichu test, pour lui prouver que Gerald ne sait rien d'elle. Son absence de réaction, si ce n'est de l'incompréhension, confirme qu'il l'a tenu le plus éloigné possible de ses propres relations professionnelles. Tout comme sa mère, Acnologia n'a pas l'air d'éprouver le désir de voir sa progéniture se salir les mains.

Tout va bien.

Ce soir, sa vie ne changera pas.

Ce soir, elle sera encore Erza Scarlett.


La tension autrefois présente durant leur rencontre s'est évaporée, laissant place à une atmosphère étonnement chaleureuse. Erza a mangé silencieusement durant une partie du repas. Voir Gerald discuter avec son père a été relaxant, d'une étrange manière. Peut-être parce que ça lui a rappelé ses propres repas de famille ? Alors, lorsque vient le moment de rentrer, elle est déçue. Le temps est passé bien trop vite et elle n'a aucune envie de retourner chez elle. La solitude, celle qu'elle a tant prisé durant son début d'année, est désormais sa pire ennemie. C'est donc lentement — très lentement — qu'elle attache ses talons. Gerald, qui tient son manteau, ne s'en formalise pas. À la place, il étudie chacun de ses gestes, cherchant sans doute la cause de son trouble.

Il est trop attentionné.

Bien trop, alors qu'elle lui offre si peu en retour.

« Tu m'envoies un message lorsque tu es rentrée ?
— Comme d'habitude, lui sourit-elle en passant un bras dans la manche.
— Tu es sûre que tu ne veux pas que je te dépose ?
— Ça ira. Il n'est pas si tard, les trams circulent encore. »

Il fronce un peu les sourcils, mais ne réplique pas.

« Ne sois pas si inquiet. Ton ami est déjà retourné en prison.
— Ce n'était pas mon ami, bougonne-t-il. »

Erza lui tapote l'épaule en gloussant avant d'attraper son sac à main. Il soupire et s'approche d'elle, envahissant son espace personnel. Sans un mot, le voilà en train de sortir sa chevelure de son manteau. Souple et soyeuse, elle doit désormais ressembler à une cascade de feu s'écoulant dans son dos.

« C'est mieux. »

La façon dont ses mains s'attardent sur sa nuque lui arrache un frisson. Elle bat des cils et lève le menton pour capter son regard. Ses yeux lui feraient presqu'oublier ceux d'Acnologia, braqués sur eux.

« Sois quand même prudente en rentrant. Il y a des tarés partout.
— Toujours. »

Il renifle avant de reculer, la privant subitement de sa chaleur. Sa peau picote encore. Après un dernier signe en direction de la figure paternelle, la rouquine ouvre la porte et s'avance dans le couloir. Ses talons claquent le carrelage scintillant alors qu'elle s'approche de l'ascenseur. Ce n'est qu'une fois qu'elle est dedans que son ami décide de refermer.

Le reste de la soirée aurait pu continuer à être aussi agréable. Malheureusement, elle n'est pas née sous une bonne étoile. Une minute et trente-deux secondes depuis qu'elle a quitté la résidence et c'est tout ce qu'il faut pour que cette maudite présence soit de nouveau là. Est-ce qu'il a campé pendant tout ce temps dans les alentours ?

Les timides rayons de la lune accompagnent les lumières des lampadaires, éclairant sa route. Tout est calme. Passé une certaine heure, peu de voitures circulent par ici. Erza peut entendre le léger claquement de ses talons sur le goudron pratiquement impeccable. Aucun autre bruit de pas. Celui qui la piste est définitivement un professionnel. Elle soupire, sort son téléphone puis met son appareil photo en marche. La caméra frontal désormais activée, Erza décale légèrement son portable sur le côté pour observer derrière elle. Personne. Où est-ce qu'il peut bien se cacher ? Elle n'a aucun doute sur le fait qu'il est bel et bien dans les parages.

Un peu plus loin, un des luminaires est éteint. La rouquine sait que si elle bifurque sur la gauche, juste après, il y a une petite rue étroite menant à une impasse. Parfait. Erza décide d'accélérer le pas et de se cacher là-bas. Son dos entre en contact avec la pierre froide alors qu'elle se colle au mur. Sa respiration devient inaudible à mesure des secondes. Elle attend là, trois minutes et cinq secondes, quand enfin, il apparait, sans un bruit, comme si ses pieds ne touchaient pas le sol. Un vrai fantôme prêt à la hanter.

Son costume bleu nuit et ses cheveux blonds ne lui rappellent aucun des passagers du tram de ce matin. Un déguisement ? Vraiment ? Ce bougre a vraiment le sens du détail. Le reste se passe rapidement — et moins brutalement que prévu —. Son regard croise le sien durant un bref instant, à peine suffisant pour qu'il puisse réaliser l'erreur commise. Erza plie violemment ses genoux d'un coup de tibia, causant la perte de son équilibre. Elle l'entend jurer alors qu'elle attrape ses bras, les lui retournant dans le dos, appuyant tout son poids de corps pour le maintenir plaqué au sol.

Étrangement, il ne riposte pas. Soit parce que sa théorie de garde du corps est juste, soit pour maintenir sa couverture. Ou les deux. Une voie enrouée la sort de ses pensées :

« Vous pouvez me lâcher. Je ne vous ferai aucun mal. »

Le calme froid venant de son ton confirme ses théories : c'est un professionnel. Il n'a pas peur pour sa vie, parce qu'il est capable d'agir s'il le voulait. En prime, il n'est pas ici pour lui nuire. Il est donc un simple surveillant.

« Qui êtes-vous ?
— Jacob, répond-il simplement.
— Qui vous a engagé ? »

C'est évidemment à cette question qu'il se terre dans son silence. Ce n'est pas grave. Erza se doute bien de la réponse. Le retenir captif plus longtemps ne sert à rien ; elle le relâche et s'écarte, son corps tendu sous l'agacement et l'adrénaline.

« Combien de temps je vais vous avoir collé aux fesses ? »

Jacob se permet un bref rictus tout en dépoussiérant ses vêtements. Il remet en place sa perruque blonde puis hausse les épaules.

« Jusqu'à ce qu'on m'ordonne d'arrêter. »

Bien sûr. Elle n'a même pas assez d'argent pour le soudoyer, histoire qu'il cesse ce petit jeu qui risque de la rendre folle avant l'heure. La rouquine s'en sent presque honteuse, mais elle ravale sa frustration.

« Depuis combien de temps vous me suivez ?
— Vous êtes suffisamment douée pour le savoir. »

L'art et la manière de ne pas répondre. Elle devrait être habituée à ce genre de comportement depuis le temps. Se pinçant le pont du nez, elle pousse un profond soupir. Il faut qu'elle se calme. Erza comprend qu'elle va se coltiner cet énergumène pour une durée encore indéterminée. Les raisons sont inconnues. Et elle ne peut rien faire pour changer ça. Merveilleux.

Cela dit… un dernier détail est à souligner :

« Vous auriez pu riposter facilement. Pourquoi avoir choisi de vous laisser faire ?
— J'ai pour ordre de ne jamais vous toucher, sauf en situation de vie ou de mort. »

Ses lèvres forment une ligne. L'amertume remplit sa bouche. Elle aurait pu rire de cette situation dans d'autres circonstances. Mais pas là. Parce qu'elle sait que tout ça cache quelque chose qui ne va pas lui plaire. Et la cause de toute cette situation n'est pas dans les parages.

« Je vois, murmure-t-elle. Passez une bonne soirée, Jacob. »

Sans perdre plus de temps, elle s'éloigne à grands pas vers son appartement. Elle a un appel à passer.

Et urgemment.


Un garde du corps.

Erza se mord durement la lèvre. Elle longe à nouveau la pièce principale de son appartement, passe les mains dans ses cheveux, retient un rire presque maniaque.

Un putain de garde du corps sélectionné avec soin pour s'accrocher à elle comme une foutue tique. C'en est presque insultant. Maudit Luxus. Lui, renier à ce point ses capacités ? Alors qu'ils se connaissent depuis des années ? Il n'y a vraiment qu'un Draer pour lui faire un tel coup ! Et bon sang, où est-ce qu'il a choppé ce mec ? Combien de dossiers a-t-il passé en revue ? Combien d'heures ?

Elle prend brutalement son téléphone. Son numéro est enregistré dans ses contacts favoris. Impatiente après la deuxième tonalité, son pied droit tape furieusement le sol. Juste avant la quatrième, il décroche et la rouquine ne lui laisse pas le temps de parler :

« Tu sais pourquoi je t'appelle. »

Pas de question — pas de détour —. Son ton est polaire. Cassant. Elle n'a pas envie de jouer. Un silence de quelques secondes s'en suit, confirmant de plus en plus la lourde accusation qui pèse sur lui. Lorsque Luxus répond enfin, sa voix est un peu trop haut perchée de sa part pour être honnête. Ridicule.

« Hum… non ?… »

Et en plus, il a le culot de faire l'innocent ! Oh, comme elle va se faire un plaisir de le tuer la prochaine fois qu'elle le voit. Serrant un peu plus son portable, elle se retient de le broyer. Sa mâchoire se crispe.

« Je vais t'aider. Tu m'as envoyé un assassin comme garde du corps. Et maintenant, tu peux m'expliquer cette brillante idée ?
— Comment tu sais que c'est un assassin ?! »

Sa façade de l'homme qui n'a rien à voir avec cette histoire vole en éclats. Vraiment, cette technique de bluff est bien trop efficace.

« Je ne le savais pas. »

Un charabia incompréhensible lui est transmis, suivi de quelques insultes sur son signe du zodiaque parce qu'il a bon dos, puis à nouveau un silence. Erza attend qu'il se soit entièrement calmé. Luxus est doué dans beaucoup de domaines — elle l'admet à contrecœur — mais certainement pas dans les interrogatoires surprises, et encore moins lorsqu'il est pris sur le fait.

Un homme, en toute somme.

« L'idée vient de ta mère. Moi, j'applique les ordres. »

Pardon ?

Sa pensée est si forte qu'elle se demande si elle ne l'a pas dite à voix haute.

« Je suis désolé, continue Luxus, c'est tout ce que je peux te dire. Tu connais les règles. »

Jamais. Au grand jamais, une telle mesure a été prise. Si sa mère la pense en danger, c'est qu'elle s'apprête à faire quelque chose d'important, dont elle-même n'est pas sûre de l'issue. Et que des conséquences pourraient lui retomber dessus.

« Luxus. »

Sa voix se brise presque, parce qu'elle ne sait pas comment réagir. Pourquoi cette maudite soirée doit être aussi intense ?

« Qu'est-ce qu'il se passe au juste ? Qu'est-ce que ma mère va faire ? Est-ce qu'elle va revenir ? Pourquoi c'est si secret soudainement ? Tu craches toujours le morceau d'habitude. Qu'est-ce qui a changé ? »

Elle se sent à nouveau comme une petite fille, incertaine de la vie qu'elle va devoir mener. Et l'absence de réponse de Luxus la paralyse de peur. Erza lève une main, la passe sur son front, puis dans ses cheveux qu'elle serre. Respirer devient laborieux.

« Luxus, s'il te plaît…
— Je ne sais pas, avoue-t-il. Je ne peux vraiment pas t'en dire plus. Je… je suis désolé, répète-t-il. »

Il raccroche.

Et la voilà seule avec ses démons.

Sa main tremble tandis qu'elle cherche le numéro de sa mère dans ses contacts. Elle n'hésite pas et l'appelle dès qu'elle l'a trouvé. Pas l'ombre d'une sonnerie, juste son répondeur. De grosses larmes chaudes dévalent le long de ses joues.

Sa mère n'est pas joignable. Sa mère est partie en secret, sans lui dire au revoir, ne laissant derrière elle qu'un inconnu pour assurer sa sécurité. Sa mère s'est préparée à l'éventualité de ne pas revenir.

Sa mère va peut-être mourir