Stiles regardait le plafond de la chambre dans laquelle il était coincé. Les mots de Liam tournaient en boucle dans sa tête et pas forcément dans le bon sens. Le louveteau n'avait pas eu l'air de se moquer de lui ou de lui mentir et pourtant, l'hyperactif ne le croyait pas. Il ne pouvait pas imaginer qu'un membre de la meute fasse attention à lui après. Tout ce temps. Derek était un cas particulier : c'était l'alpha, qui s'était senti obligé de le garder un peu chez lui après la réunion, senti obligé de lui prendre sa douleur. Plusieurs fois. Bon, ça faisait beaucoup, mais c'était sans doute un hasard. Un gros hasard. Ce que comprenait encore moins Stiles, c'était pourquoi il lui arrivait tant de choses d'un coup. Depuis des mois, sa vie était plate, stagnait au possible et lui, descendait au fur et à mesure, sombrant lentement dans une étrange dépression. Il ne pouvait pas se plaindre, ce n'était pas grand-chose, mais ça avait suffi à le décider à passer une étape : prendre des médicaments. Pour ce faire, il était allé voir un psychiatre, qui avait bien vite fait son diagnostic et lui avait conseillé certains comprimés.

Constater qu'il était tombé bien bas ne faisait plus grand-chose à Stiles il avait l'habitude d'être mal. Il avait eu des mois pour le vivre et le savoir. Fut un temps où il faisait tout pour s'en sortir, remonter à la surface et recommencer à vivre. Tous ses espoirs avaient fini par s'envoler, avec l'éloignement d'abord subtil, puis plus direct, de Scott. Son meilleur ami de toujours, son frère. Les morts accidentelles d'Allison, de Donovan, tout ça… Stiles aurait peut-être pu finir par se pardonner et, de manière utopique, tourner la page. Mais Scott ne lui avait laissé aucune chance, contrairement à ce qu'il lui avait laissé entendre peu après tout ça. Alors, Stiles avait espéré, longtemps, plusieurs mois. Cet espoir l'avait un peu aidé à faire semblant d'aller bien devant les autres, l'avait fait tenir bon. D'une certaine manière, on pouvait dire que Scott l'avait brisé, plus ou moins directement. Alors que McCall avait eu tous les soutiens du monde pour se relever, Stiles, lui, s'était retrouvé seul avec ses démons. Il avait directement pensé n'avoir pas le droit de se plaindre et que tout était effectivement de sa faute, d'où sa comédie et ses mensonges. Il le pensait toujours aujourd'hui, mais était à bout. S'il tenait encore, c'était pour son père. Hors de question de le décevoir une nouvelle fois. Car Stiles savait qu'il était capable de mettre ses menaces à exécution. Il connaissait son père par cœur et était parfaitement conscient de ses fragilités depuis la mort de Claudia des années plus tôt.

Noah Stilinski était bel et bien capable de se tirer une balle dans la tête.

Évite de l'inquiéter. C'était cette pensée qui l'avait poussé à accepter la proposition de Liam et, par conséquent, de dire à son père qu'il l'avait invité chez lui. Il ne précisa pas la durée, puisqu'il partirait dès qu'il serait capable de se tenir debout. Laisser son père seul trop longtemps ne lui plaisait pas le moins du monde puisque ça aussi, ça pourrait l'embêter. Noah avait besoin de voir son fils de temps en temps, même si ce n'était qu'un bon à rien. C'était un reste de Claudia, une partie d'elle qu'elle avait laissée en mourant. Stiles était également conscient de ce fait. C'était aussi pour cette raison qu'il essayait d'être un meilleur fils depuis son accident. Il ne fallait pas ternir l'image de sa mère, et faire tenir son père.

C'était dur, mais Stiles y arriverait sans doute encore un peu. De toute façon, il n'avait pas vraiment le choix. Ce qui menaçait de le faire définitivement sombrer et risquer de ne plus de se relever, c'était l'espoir qui pointait le bout de son nez. Il ne fallait pas espérer. Après des mois de comédie et de solitude, on ne pouvait pas s'intéresser à lui d'un seul coup, encore moins se préoccuper de son bien-être. Pourtant, c'était ce que Derek et Liam avaient semblé faire. En y repensant, même Isaac et Lydia lui avaient donné cette impression récemment. Cependant, cela ne pouvait pas être réel. Les gens ne changeaient pas du jour au lendemain. Alors, pourquoi faisaient-ils cela ? Était-ce un moyen de s'amuser, pour l'humilier ? Après tout, il n'était rien. Juste un humain parmi les loups.

Un humain parmi les loups…

C'était ça. Une proie parmi une meute de prédateurs. Facile de l'humilier, de se jouer de lui il était faible. Était-ce ça, leur plan ? L'amadouer, le tromper, pour mieux le détruire ? Qu'ils ne se donnent pas cette peine, c'était déjà fait Stiles n'était plus que l'ombre de lui-même et il espérait, tout au fond de lui, ne pas succomber à l'espoir qui pointait déjà le bout de son nez. Il ne pouvait pas s'empêcher de ressentir ça, cette petite boule chaude au creux de sa poitrine. Pourtant, il essayait de l'amenuiser, voire de l'annihiler, en vain. Elle restait là, tapie au fin fond de lui. À cause d'eux : Liam et Derek. Pourquoi faisaient-ils tout ça pour lui, si ce n'était pour le détruire par la suite ? Stiles ne voyait pas quel autre intérêt l'alpha et le louveteau auraient à faire attention à lui. Il ne pouvait pas croire que c'était simplement par amitié ou quelque chose s'y apparentant. Pourtant, ils commençaient sérieusement à le faire espérer.

Stiles fut dérangé dans ses réflexions par un bruit à l'entrée de la chambre. Il tourna la tête. Liam venait d'ouvrir la porte, un plateau à la main. De son autre main, il se gratta l'arrière du crâne, légèrement gêné par le regard inquisiteur de son invité.

- Il est vingt-heures et… C'est à cette heure-là qu'on mange, ici. Mon père, qui a cuisiné, a pensé qu'il valait mieux que tu manges tranquillement ici, que ce n'était pas une très bonne idée de te faire déplacer pour ce soir.

Pour accompagner ses dires, Liam posa le plateau sur la table de nuit et Stiles se redressa un peu, puis tourna lentement son regard noisette vers l'objet. Il contenait une assiette avec du riz et des œufs brouillés, des couverts, un vert d'eau et une petite serviette en papier avec, pour finir, une pomme. Stiles n'arrivait même pas à trouver appétissant ce qu'on lui proposait. Il n'avait plus le goût à rien de toute façon. Cependant, il ne fallait pas décevoir qui que ce soit. Son père ne voudrait sans doute pas qu'il se prive de manger. Claudia n'était pas du genre à déprimer, alors il ne fallait pas que Stiles se relâche. Pas question non plus de cracher sur la cuisine du père de Liam qui avait accepté de l'opérer en urgence et sans rien lui faire payer. Il lui devait bien ça. Stiles souffla alors un petit merci, sans regarder Liam, qui sortit de la pièce. Le fils du shérif soupira en voyant qu'il s'en était allé sans fermer entièrement la porte. Il n'aimait pas ça. Qu'importe l'endroit où il pouvait être, Stiles était toujours plus rassuré lorsque la porte était fermée. Une porte entrouverte lui rappelait de trop mauvais souvenirs. Sa gorge se fit sèche rapidement tandis que son esprit se remplissait d'images sombres.

Quand est-ce qu'une porte n'est pas une porte ?

Quand elle est entrouverte.

Il le revit, sur le seuil. Ses bandages sales et anciens le narguaient. Il savait qu'il n'était pas réel et pourtant, la peur le prit aux entrailles. Le regret, les remords, la culpabilité. Tout ce petit monde s'ajouta et l'intérieur de son esprit fut encore plus parsemé d'idées noires. Ses mains se mirent à serrer les draps.

- Stiles ?

Le susnommé sursauta et ne fit même pas attention au rythme de son propre cœur. C'était Liam, face à lui, pas le Nogitsune. Liam qui venait de revenir… Avec un second plateau repas ? Comme à son habitude, Stiles s'en voulut de s'être perdu dans ses pensées et ses illusions.

- Euh… Pardon, je… J'étais ailleurs.

Sa voix blanche, couplée à son rythme cardiaque trop rapide inquiéta vite Liam, qui ne mit pas beaucoup de temps à comprendre que Stiles avait… Peur. Son émotion se ressentait également dans son odeur. Liam se mordit la lèvre inférieure et déposa le second plateau sur l'autre table de nuit, puisqu'il y en avait une de chaque côté du lit et s'assit à son bord, doucement.

- Arrête de t'excuser, t'as rien à te reprocher, lui assura Liam.

Sa voix était volontairement basse et douce, comme pour le rassurer, même s'il n'était pas très doué pour ça. Il voulait que ses battements de cœur se calment, ralentissent. Ce n'était pas bon d'avoir le cœur qui battait trop vite.

Pour sa plus grande surprise, Stiles tourna la tête vers le second plateau et changea directement de sujet, tout en gardant cette voix faible et peu assurée :

- Pourquoi t'en as pris un deuxième ?

- Bah pour manger avec toi, répondit tout naturellement le louveteau, ses yeux bleus grands ouverts, comme un enfant.

Stiles avait toujours trouvé qu'une certaine innocence se dégageait de Liam. Il l'avait toujours vu comme un garçon simple et doux malgré son problème de colère et de ses airs de dur. Cependant, il se méfiait toujours, car les apparences étaient parfois trompeuses. Il fronça légèrement les sourcils, tandis que la confusion naquit dans son regard.

- Pourquoi tu mangerais avec moi ? Demanda-t-il doucement.

Liam ne cacha pas sa surprise.

- Pourquoi je ne le ferais pas ? Rétorqua-t-il.

Stiles avait envie de le croire et d'accepter le fait qu'il puait la sincérité, car Liam était comme ça : sans filtre, il ne se compliquait pas la vie et disait les choses telles qu'il les pensait. Mais Stiles avait peur. Peur de se tromper sur le louveteau et de tomber des nues. Il avait déjà trop chuté, ce n'était pas la peine de voir s'il pouvait tomber encore plus bas. Le pire était qu'il savait que Liam sentait sa peur, de par sa nature lupine. S'il le désirait, il pouvait l'utiliser à sa guise pour le détruire. Stiles ferma les yeux un instant. Non. Il voulait croire que Liam n'était pas méchant, qu'il ne cherchait pas à l'amadouer pour ensuite lui nuire. Vraiment, il le voulait. Il était épuisé, tellement fatigué… Était-ce grave s'il baissait sa garde, juste pour quelques minutes ? Se méfier et trop réfléchir à la conduite à adopter était quelque chose de beaucoup trop éreintant pour un jeune homme brisé.

Lorsqu'il rouvrit les yeux, Liam s'était assis en tailleur à la place à côté de lui et avait mis son propre plateau sur ses genoux. D'un regard, il l'invita à manger également. Tout de même encore hésitant, Stiles se redressa un peu plus et mit son plateau de manière à ce qu'il ne touche pas sa jambe blessée.

On ne pouvait pas dire que le repas se fut déroulé dans une très bonne ambiance. Le silence était omniprésent et toutes les tentatives de Liam pour discuter avec Stiles étaient avortées par celui-ci, qui ne répondait quasiment que par des réponses fermées. Liam ne lui en voulait pas, mais il fallait avouer qu'il ne lui rendait pas la tâche facile. Dans le fond, il le comprenait. Néanmoins, le louveteau ne désespérait pas Stiles resterait encore quelques jours chez lui, ce qui devrait le dérider un peu et leur permettre de se rapprocher. Étant de nature optimiste, Liam se disait que ça irait. Ce qui lui fit un peu mal au cœur fut de voir que Stiles n'avait pas mangé grand-chose, mais c'était normal, son père l'avait prévenu : après une anesthésie générale, il était normal d'avoir moins d'appétit.

Le moment qui avait suivi fut très gênant pour les deux jeunes hommes. Stiles avait essayé de se lever pour aller palier un besoin pressant. Problème : il n'avait pas encore assez de force pour marcher seul avec ses béquilles. Avec un malaise palpable, il avait fini par se résoudre à demander à Liam de l'accompagner aux toilettes, toujours avec cette impression qu'il pouvait le trahir à tout moment. Le louveteau, l'air toujours aussi innocent malgré sa gêne, avait accepté.

- T'appuies pas sur ta jambe, lui conseilla-t-il en passant un bras autour de ses épaules.

Stiles hocha la tête mais le trajet jusqu'aux toilettes ne fut pas une mince affaire pour autant. S'appuyer seulement sur sa jambe valide ne l'aidait pas non plus. L'aide de Liam s'avéra très précieuse, le louveteau supportant très bien le poids de Stiles sur lui. L'hyperactif oubliait parfois que le joueur de crosse près de lui avait une musculature particulièrement développée pour son âge. Heureusement, une fois arrivé à l'endroit voulu, Stiles put se débrouiller seul et n'eut besoin de Liam que pour revenir dans la chambre. Il le remercia rapidement, gêné, avant de se concentrer sur autre chose.

- Quand est-ce qu'on pourra m'enlever ça ? Demanda Stiles en grimaçant, une fois confortablement réinstallé sur le lit.

Le catheter sur sa main lui faisait un peu mal, parfois. Liam eut un sourire contrit.

- Demain matin. Mon père va venir te brancher une autre poche d'antidouleur pour que tu puisses dormir sans avoir trop mal.

Et c'est exactement ce que fit le paternel de Liam quelques minutes plus tard. Il vint vérifier si tout allait bien, posa quelques questions à Stiles et le perfusa lorsqu'il se fut assuré que tout était en ordre. Il s'assura que son patient n'ait besoin de rien et lui souhaita bonne nuit par avance, avant de le laisser. Stiles n'osa même pas lui demander s'il pouvait prendre ses médicaments habituels, puisqu'il ne les avait pas sur lui. De plus, le père de Liam n'avait pas besoin de savoir qu'il faisait une dépression.

Stiles resta sur son téléphone jusqu'aux alentours de minuit, seul. Liam avait dû aller se coucher tôt dans la chambre d'à côté, la sienne, car il devrait aller en cours demain. Stiles espérait être assez en forme pour s'en aller lorsque le louveteau serait parti au lycée. Auquel cas il risquerait de le retenir pour le pousser à rester un peu plus chez lui, ce que Stiles ne voulait pas. Il ne devait pas laisser son père seul trop longtemps et imposer sa présence à Liam et son père ne l'enchantait pas du tout. Il se méfiait toujours du jeune Dunbar, mais c'était différent. Qu'il joue avec lui ou pas, Stiles ne voulait pas déranger. C'était son côté trop gentil qui ressortait.

Stiles n'arrivait pas à dormir malgré sa fatigue. Il ruminait, ses pensées sombres tournaient en boucle dans sa tête. Liam avait beau lui avoir certifié qu'il n'était plus seul, Stiles n'arrivait toujours pas à y croire complètement. Il lui fallait une preuve, quelque chose de tangible, pour qu'il accepte de se reposer sur quelqu'un. En soi, il avait déjà quelques preuves sous les yeux, mais il n'était pas encore prêt à voir la vérité en face. C'était ça d'avoir été lâché au moment où il en avait le plus besoin. Il en venait à douter de tout et tout le monde.

Une heure du matin et Stiles n'arrivait pas à fermer l'œil malgré son épuisement qui devenait palpable. Il avait vraiment envie de prendre ses médicaments, au moins pour dormir et ne pas ressentir la douleur qui commençait à poindre. Du coin de l'œil, il vit la poche de perfusion vide, grâce aux rayons lunaires qui parvenaient à s'infiltrer dans la chambre. Il n'y avait plus rien pour le soulager et sa jambe le lançait petit à petit. Il aurait dû profiter de ces longues heures où il était shooté et n'avait pas mal. Maintenant, il regrettait. Ses mains serrèrent les draps. Pourquoi était-il aussi nul ? Et puis pourquoi avait-il accepté la proposition de Liam ? Pourquoi avait-il pris ces foutus médicaments chez Derek ? S'il ne l'avait pas fait, il n'en serait pas là à ne pas savoir quoi faire. Deaton ne l'aurait pas ausculté, le père de Liam ne l'aurait pas opéré et il serait chez lui, à s'occuper de son père. Mais, comme toujours, Stiles prenait les mauvaises décisions. Incapable. Comme souvent dans ce genre de situation, l'adolescent pensa qu'il aurait dû mourir à la place de sa mère. Elle, elle ne créait jamais de problèmes et rendait toujours son entourage heureux c'était une femme forte, joyeuse, lumineuse, tout le contraire de son fils, la bête noire de la famille, le vilain petit canard. Un sanglot lui échappa. Il n'avait même pas remarqué qu'il pleurait et ce, depuis une bonne dizaine de minutes. Son corps fut secoué par ses pleurs et il se recroquevilla sur lui-même, dans ses draps. Il voulait mourir mais ne le pouvait pas et pourtant, dieu seul savait à quel point il aimerait que tout s'arrête. Comme toujours, il devait tenir le coup pour son père, qu'il ne pouvait pas laisser tomber. Mais c'était dur, si dur…

Et durant une bonne partie de la nuit, Stiles s'évertua à rester discret, à ne pas éveiller les sens lupins de Liam, dans la pièce d'à côté. Son corps céda finalement à l'appel du sommeil aux alentours de trois heures du matin, trop fatigué d'avoir tant pleuré. Son épuisement mental et physique était tel qu'il n'entendit même pas les pas légers sur la moquette, encore moins le froissement des draps. Il ne sentit pas non plus le corps qui se pressa contre le sien et les bras qui l'entourèrent dans un timide cocon protecteur. Inconsciemment, cette proximité et cette chaleur l'aidèrent à dormir un peu. L'on vit à peine les veines de Liam se colorer de noir le temps qu'il lui prenne un peu de douleur, avant que celui-ci ne se rendorme à son tour.