Derek avait ramené Stiles peu avant l'heure du repas du soir et lorsque son ami le grand méchant loup fut reparti, l'hyperactif se mit à la cuisine. En faisant cuire les spaghettis et la viande, il se mit à chantonner doucement. Pas qu'il était vraiment d'humeur, mais Derek lui avait remonté le moral, assez pour qu'il oublie un peu le regard de Scott, qu'il ne soit plus aussi lourd et obsédant. Il y pensait toujours, mais moins. De toute manière, Stiles était conscient du fait que cela prendrait du temps c'était comme tout dans la vie. Scott n'était plus son ami ? Soit. C'était terriblement douloureux mais il fallait avancer. Cette fois, Stiles n'était plus si seul. Il aimait se dire qu'il avait Derek et Liam, peut-être Isaac et Lydia, aussi. À cette pensée, il se demanda comment il réagirait s'ils se décidaient soudainement à le laisser tomber et la perspective sombre de se retrouver à nouveau seul le poussa à penser à autre chose. Il secoua la tête. Non, ils ne l'abandonneraient pas, pas encore. Autrement, il risquerait cette fois de ne réellement pas s'en remettre et c'était hors de question. Il devait vivre, pour lui, pour son père, pour ses amis, leur prouver à tous qu'ils pouvaient être fiers de lui malgré son statut de simple humain. Après tout, il avait encore quelques qualités et se rendait quelques fois utiles pour son entourage. Par exemple, grâce à lui, son père n'était pas encore mort, que ce soit du diabète ou bien du cholestérol. La plupart du temps, ses plans permettaient à la meute de revenir en vie de leurs missions et de, petit à petit, souder ses membres entre eux. Il les voyait souvent se rapprocher les uns des autres, créant des liens qu'il enviait vraiment. Et même s'il ne sentait que trop bien le fossé entre eux et lui, il avait eu l'impression de faire partie de la meute, lors du repas de midi avec Liam et les autres. Autant dire que c'était diablement agréable et qu'il n'avait qu'une envie, réitérer l'expérience.
En attendant que la nourriture cuise, Stiles prit son téléphone et alla dans sa conversation avec Liam, tapant un cours message. Alors qu'il allait appuyer sur « envoyer », son pouce resta bloqué au-dessus de l'écran. Et si le louveteau refusait ? Stiles pourrait comprendre, certes, mais il avait peur parce qu'il était actuellement capable d'interpréter chaque refus comme un abandon potentiel. C'était dire à quel point il était devenu fragile émotionnellement. Une fois de plus, il se refusa à penser au négatif et appuya sur l'icône bleue. Lorsque son téléphone émit un petit bruit signifiant l'envoi, l'hyperactif relâcha son souffle qu'il n'avait pas conscience d'avoir retenu. La boule au ventre, Stiles regarda son message.
« Je pourrai remanger avec vous un de ces jours ? »
Bon, outre que le fait que ça faisait un peu pitié selon l'hyperactif qui s'en voulait maintenant d'avoir envoyé ce SMS pathétique, il avait réellement peur que le louveteau le rembarre. Au moins si ça arrivait, il le ferait avec douceur et pas avec cette impulsivité qui le caractérisait pourtant beaucoup. Parce que Stiles avait vécu chez lui quelques jours et que cette douceur lui avait sauté aux yeux. Il ne pouvait pas changer comme ça du jour au lendemain, n'est-ce pas ? À nouveau, le doute le prit. Son message était une erreur, il n'aurait pas dû l'envoyer. Liam était un gars bien et Stiles ne voulait pas que ça se passe comme avec Scott. Il ne désirait pas lui faire de mal ni l'embêter d'une quelconque manière et il avait peur que la moindre demande le fasse s'éloigner. Sous le coup de la panique, il tapa un autre message qu'il envoya aussitôt :
« Oublie, ne tiens pas compte de mon message, c'était pas très poli de ma part de demander ça. »
Parce qu'il ne voulait pas s'imposer et qu'il avait peur d'être pris en pitié, qu'on ne l'accepte que parce qu'il avait l'air désespéré. Alors autant laisser le louveteau choisir librement. Pour éviter à son cerveau d'hyperactif d'un peu trop réfléchir à ce à quoi il devait s'éviter de songer. Les pensées négatives et les doutes, il se devait de les éloigner. Alors, il se reconcentra sur la nourriture et tâcha d'innover un peu. Il ajouta des épices en essayant de doser, un peu au feeling. Stiles était, quand il le voulait, un fin cuisinier : il le fallait bien. Autrement, son père n'aurait plus aucune motivation pour accepter que son fils le fasse manger sainement. Pour autant, l'hyperactif n'avait pas encore fait la démonstration de ses talents culinaires à la meute. Un jour, peut-être ? S'il osait. Son téléphone vibra dans sa poche mais il l'ignora superbement. Il fallait qu'il reste concentré sur sa tâche et qu'il ne dérive pas. Son côté hyperactif pouvait s'avérer particulièrement fourbe voire dangereux s'il ne se concentrait pas lorsqu'il cuisinait. Fut une fois où il avait failli faire brûler la cuisine en faisant trop de choses à la fois. Et son père l'avait engueulé comme il se doit, lors d'un de ses seuls jours de congés.
Une fois qu'il eut terminé de préparer le repas, Stiles rangea toute la cuisine en ignorant royalement la fatigue de sa jambe valide. Il voulait que son père rentre et trouve tout en ordre, qu'il soit content. Pas fier de son fils, juste content. C'était tout ce que Stiles demandait. Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu sourire ? Avec un soin tout particulier, l'hyperactif mit la part de son père sous film plastique puis au frigo. Noah rentrerait tard, comme toujours et ne pourrait d'être heureux de constater qu'il n'avait pas à se faire à manger. Et même s'il se plaignait parfois de ne pas pouvoir manger aussi gras qu'il le voudrait, le shérif appréciait ce genre d'attentions de la part de son fils.
C'était déjà ça.
Stiles, de son côté, picora vite fait dans sa propre assiette avant de terminer de ranger la cuisine puis d'aller se reposer sur le canapé, une fois qu'il fut sûr et certain que rien ne traînait. S'allonger à moitié le fit soupirer de bien-être tant sa jambe valide avait besoin de repos. L'autre le tiraillait un peu, mais sans plus. L'intervention pratiquée par le docteur Dunbar portait ses fruits.
Stiles alluma la télévision pour avoir un fond sonore et dégaina finalement son téléphone portable. Il tressaillit en remarquant qu'il avait un message de Liam. Il se mordit la lèvre, l'appréhension le gagnant à grands pas. Que devait-il faire ? Ouvrir le message, l'ignorer ? Quelle décision était la meilleure ? Liam n'apprécierait sans doute pas d'être ignoré et à vrai dire, Stiles n'aimait pas cette option-là. Il ne voulait pas que le louveteau se sente comme lui s'était senti durant de longs mois. Et c'est sans doute ce fait qui poussa Stiles à ouvrir le message. Parce qu'il était trop gentil et ne voulait pas faire aux autres ce qu'on lui avait fait.
« On remange ensemble quand tu veux, y a même pas besoin de demander. »
Stiles remarqua que Liam n'avait pas répondu à son deuxième message, sans doute avait-il trouvé ça inutile. En soi, ça l'était. Malgré tout, une onde de chaleur naquit en lui et se dispersa dans tout son corps. Avait-il déjà dit que Liam était adorable ? Pour autant, Stiles n'abuserait pas : il n'imposerait pas sa présence de manière régulière. De temps en temps, ça suffisait. Il ne devait absolument pas devenir un poids mort. « Ne pas faire comme avec Scott » : telle était sa devise, désormais.
Alors qu'il allait répondre à Liam, un autre message lui parvint. Cette fois, Stiles eut la surprise de constater qu'il s'agissait de Derek, qui prenait de ses nouvelles. C'était assez étonnant de sa part mais Stiles n'allait pas dire non à un peu d'attention, surtout de la part de l'alpha grincheux qui se montrait de plus en plus gentil avec lui. Autant dire qu'il n'allait pas cracher dessus. Surtout qu'il appréciait beaucoup sa sollicitude, sans doute autant que celle de Liam alors qu'il lui parlait beaucoup moins. Peut-être était-ce parce qu'il avait été le premier à voir clair dans son jeu, celui qui avait été là pour lui lorsqu'il avait eu son accident. Peut-être également parce qu'il dégageait quelque chose de fort, une aura qui le rassurait plus qu'elle ne lui faisait peur autrefois. Alors, Stiles eut moins de mal à lui répondre que tout allait bien et qu'il le remerciait d'avoir demandé. Il ne s'épancha pas, ne posa pas de question au loup comme il l'aurait fait autrefois. Le Derek actuel lui faisait du bien dans sa manière d'être alors Stiles ne voulait pas perdre ça. Pas maintenant, pas tant qu'il avait besoin d'aide pour se stabiliser émotionnellement. Le chemin serait lent et difficile mais il finirait par y arriver. Après tout, il ne pouvait pas lui arriver pire que ce qu'il avait déjà vécu, n'est-ce pas ?
Stiles sursauta lorsqu'il entendit la porte d'entrée s'ouvrir brusquement. Sans doute son père qui rentrait, fatigué de sa journée de travail. Être shérif, ce n'était pas facile. Il avait dû s'occuper d'affaire particulièrement complexes au vu de son mécontentement pour le moins… Audible. Stiles souffla un coup puis s'arma d'une béquille et s'en alla retrouver son cher père.
- Hey, papa, je t'ai préparé un bon p'tit…
L'entrée empestait l'alcool et le regard de que Noah releva sur lui était complètement vitreux.
- … Plat… Souffla l'hyperactif, sous le choc.
Comme la veille, Noah ne marchait pas du tout droit, titubait. C'était à se demander comment il avait pu rentrer en un seul morceau.
- Rien à foutre, maugréa le shérif. Rends-toi utile.
Le ton sec et la voix pâteuse empêchèrent Stiles de dire quoi que ce soit tant le choc l'étreignait. Il avait dit que ça ne se reproduirait plus, il avait promis de ne pas non plus recommencer… C'était juste un hasard, n'est-ce pas ? Une coïncidence. La troisième serait une constante. Mais il n'y aurait pas de troisième, hein ?
- Putain, aide-moi au lieu de me fixer comme un idiot avec… Avec tes yeux d'merlan frit ! S'emporta Noah.
Stiles ne sut pas s'il avait agi parce que son père le lui avait si gentiment demandé ou s'il s'était simplement déconnecté de son corps, s'activant comme par automatisme. Il passa un bras autour de son géniteur et supporta son poids comme il put en s'aidant de son unique béquille, jusqu'à ce qu'il eut réussi à plus ou moins assoir Stilinski senior sur le canapé. Tout du long, il passa outre la fatigue musculaire de sa jambe valide. Hors de question de commencer à prendre le risque d'utiliser l'autre alors que l'opération était si récente.
- Sers-moi à boire, quémanda directement Noah d'une voix tellement pâteuse que c'en était écœurant.
Stiles sembla retrouver vie seulement après cette demande quelque peu particulière. Complètement crispé, il regarda son père d'un air éberlué.
- Mais papa, t'es complètement…
- Ferme-la et sers-moi du whisky, le coupa brusquement Noah. Dépêche-toi !
Stiles recula instinctivement d'un pas. Les yeux du shérif semblaient capables d'envoyer des éclairs qui le paralysèrent d'un coup d'un seul. Un frisson plus que désagréable parcourut l'intégralité de son corps crispé. Ses poils se hérissèrent comme ceux d'un chat en présence d'un danger. Ses mains se mirent à trembler, un peu. Il n'aimait pas ce qu'il avait devant lui, il n'aimait pas voir ce visage déformé par l'ivresse. Le pire était que son père paraissait plus alcoolisé que la veille et ce n'était pas forcément bon signe.
- Écoute, papa, je… Tenta tout de même Stiles, peu sûr de lui.
- Approche-toi, lui ordonna Noah en se redressant sur le canapé.
Son ton n'autorisait aucune discussion. Stiles se devait d'obéir. Bien que cela faisait très longtemps qu'il n'avait pas vu son père dans cet état, il savait qu'il valait mieux éviter de le contrarier… Même s'il ne voulait pas satisfaire sa demande. Noah avait bien assez bu. Alors, l'hyperactif s'avança d'un pas très peu assuré jusqu'à se retrouver devant le shérif, à portée de ses mains calleuses.
Et une première gifle partit.
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Stiles hoqueta et écrasa ses mains sur sa bouche. Il ne devait pas faire de bruit. Noah s'était enfin endormi et même si l'hyperactif s'était difficilement traîné jusqu'à l'étage, il se devait de rester discret. De plus, monter avec une béquille et une jambe valide n'avait pas été une tâche aisée.
Le voilà recroquevillé sur lui-même dans son lit, sanglotant le plus silencieusement possible. L'air de rien, la maison Stilinski n'avait pas de murs épais et l'on pouvait entendre beaucoup de choses dans le silence le plus complet. Et la peur de Stiles augmentait cette terrifiante impression que son père pourrait tout entendre. Il ne voulait pas qu'il se réveille. Il fallait qu'il dorme sans accroc et qu'il parte tôt le lendemain matin. Stiles ne voulait pas le voir, pas après ce qu'il lui avait fait.
Ce n'était qu'une gifle mais pour Stiles, c'était plus que ça. C'était la preuve que son père était réellement tombé dans les limbes de l'alcool, dans cette addiction dont il avait eu du mal à se sortir. Même si la gifle l'avait profondément choqué, c'était les mots qui faisaient le plus mal à l'adolescent : il avait toujours été du genre à être davantage sensible aux paroles. Et son père lui avait parlé comme un chien. Après l'avoir frappé pour qu'il aille lui chercher à boire, il avait laissé sortir un nom d'oiseau qui résumait ce que Stiles semblait être à ses yeux.
Petite merde.
Stiles ferma les yeux, les mains toujours sur sa bouche. Il pleurait, non pas parce que son père avait levé la main sur lui ou l'avait insulté. Il pleurait parce que son père souffrait. Pour être retombé si bas, Noah avait dû en avoir bien bavé. Il fallait avouer que Stiles ne l'aidait pas à avoir une vie facile et l'adolescent en était conscient. Pourtant, il faisait des efforts pour alléger son quotidien, surtout depuis l'accident… Qu'est-ce qui avait fait basculer Noah, dans ce cas ?
Naturellement, Stiles se dit que ce n'était pas assez. Il devait redoubler d'efforts. Être plus vivable. Plus calme. Meilleur en cuisine. Moins bavard. Plus docile. Plus présent, aussi.
Un garçon normal, pas une déception ambulante.
Et accessoirement, se débarrasser de l'alcool que son père cachait lorsqu'il partirait au travail le lendemain. En allant lui chercher le whisky qu'il avait demandé en rentrant, Stiles était tombé sur une bonne dizaine de bouteilles récemment achetées. Et ça, c'était mauvais.
Tellement mauvais que Stiles n'alla pas en cours le lendemain, ni le surlendemain et se bourra de médicaments pour être supportable.
