Les yeux cernés et éteints de Stiles se posèrent sur le réveil digital à côté de son lit. Il était seulement minuit et il venait à peine d'arriver à mettre son père au lit, non sans que celui-ci ne résiste. C'était même carrément l'inverse.
Seul dans son lit, Stiles ne pleura pas, pas cette fois. Au bout de deux jours et deux soirées de ce type, il avait déjà versé bien assez de larmes et il savait que se retenir lui permettait de ne pas craquer tout de suite, de ne pas abandonner. L'essentiel pour lui était de gagner du temps, de tenir jusqu'à ce que Noah arrête ses conneries. Stiles voulait croire qu'il pouvait réussir à le faire changer, à lui faire arrêter de boire. Ce n'était clairement pas gagné mais l'adolescent travaillait sur lui pour être plus agréable pour son géniteur, tout en le forçant à agir comme il le fallait. Le soir, il résistait à ses suppliques de lui fournir de l'alcool et tant pis pour les dégâts collatéraux. Oui, sa pommette pouvait être considérée comme un dégât collatéral. Tout comme son poignet droit, légèrement bleui par la forte poigne que pouvait avoir Noah.
Bien évidemment, retourner en cours n'avait pas été une option. Depuis ce fameux soir où Stiles s'était pris une gifle, il n'avait pas refait surface au lycée. Il avait dû rassurer Liam le premier jour, puis le deuxième. Qu'il était simple de mentir par message. Un smiley, quelques mots et le tour était joué.
Officiellement, Stiles avait chopé une mauvaise grippe, s'assurant ainsi quelques jours de tranquillité, le temps que ses marques disparaissent. Mais l'hyperactif avait surtout privilégié cette excuse pour passer plus de temps chez lui et faire des efforts pour que son père se sente mieux. Il faisait beaucoup plus le ménage, maintenait la maison rangée, variait les plats même si Noah n'y touchait que rarement… En sa présence, il s'effaçait un peu plus tout en essayant de le calmer, ce qui n'était clairement pas chose aisée.
Autant dire que l'effet voulu n'était pas vraiment au rendez-vous.
Et maintenant, il avait mal. Ce n'était pas grand-chose, juste deux pauvres blessures superficielles, pas de quoi en faire un drame. Outre le fait que c'était le mental de Stiles qui en souffrait, physiquement, ça allait.
Ça prendrait du temps, mais il arriverait à faire remonter son père à la surface, n'est-ce pas ? Oui, il pouvait y arriver. Il fallait simplement… Que Stiles croie en lui-même. Difficile cependant d'y arriver lorsque son propre père lui laissait clairement entendre qu'il n'était qu'un bon à rien d'hyperactif. Parfois, ça baissait un peu sa motivation mais pour le moment, il tenait. Et il tiendrait autant de temps qu'il le faudrait.
Parce que quand il était sobre, Noah était doux comme un agneau et culpabilisait au possible. D'abord, il se réveillait sur le canapé, perdu. Ensuite, venait le moment de questionner Stiles sur ce qu'il s'était passé la veille si, par malheur, il ne s'en souvenait pas. Puis, le shérif se confondait en excuse en promettant qu'il ferait des efforts, qu'il avait juste un peu abusé cette fois-là, que ce n'était pas sa faute. Après tout, c'étaient ses collègues qui l'invitaient régulièrement à boire ou des amis, ça variait. Oh, il leur disait bien qu'il ne prendrait qu'un verre ou deux mais Noah se laissait vite aller à l'euphorie du moment. En soi, Stiles comprenait que son père ait besoin de décompresser en ce moment. D'ordinaire, c'était un homme droit qui se consacrait essentiellement à son boulot et parfois à son fils. Beaucoup moins depuis quelques mois toutefois mais ça, c'était un détail.
Oui, Stiles comprenait que son père devait se détendre. Mais là, c'était trop. Non, l'hyperactif n'était pas complètement dans le déni. Il savait déjà que son comportement n'était pas normal et devait cesser le plus tôt possible. Il était conscient qu'il était anormal que son père ait levé la main sur lui, dépassant largement le stade de la gifle : ivresse ou pas, c'était purement inacceptable. Bien sûr, Stiles le lui avait déjà dit lorsqu'il était sobre parce que, même si ça faisait mal, Noah devait être au courant qu'il dépassait parfois les bornes.
« Tu sais papa… C'est toi qui m'as fait ça. Je t'en veux pas, vraiment, c'est pas grave, mais… Il faut que ça s'arrête, tu comprends ? »
Stiles était parfois trop doux mais en sachant à quel point son géniteur pouvait être instable depuis l'accident, il faisait attention. Il ne voulait pas que son père se sente trop coupable mais il devait toutefois lui faire comprendre pour que ça change. Il ne voulait pas avoir peur de son propre père, ce qui commençait déjà à être le cas.
Lorsqu'il lui avait dit ça, Noah s'était confondu en excuses avant de fondre en larmes.
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Stiles se leva sans aucune envie aux alentours de sept heures du matin. Armé de son unique béquille, il descendit doucement et difficilement les escaliers en faisant très attention à ne pas tomber. Il ne prenait plus la deuxième, la jugeant inutile : il se devait d'avancer, au sens propre comme au figuré. S'il ne faisait pas un petit effort, ce n'était pas demain la veille qu'il remarcherait normalement.
Le petit déjeuner fut simple et rapide, Stiles ne s'embarrassait plus avec ce qu'il jugeait comme un détail. Son père s'en était allé travailler une demi-heure plus tôt et au vu de son état de la veille, l'hyperactif se demandait comment son géniteur avait pu se réveiller seul. Après avoir grignoté un petit quelque chose, Stiles s'attela à sa tâche de la matinée : nettoyer puis faire briller le sol. Avec une jambe valide et une béquille c'était compliqué, mais l'adolescent s'en fichait. Il n'accordait pas plus d'importance à la douleur grandissante de sa jambe fatiguée qui s'épuisait au fur et à mesure sans se reposer. Il gardait à l'esprit cet espoir que ses efforts finiraient par payer, et que son père en serait heureux.
Il reçut assez tôt un message de Liam mais ne prit ni la peine de le regarder, ni d'y répondre. Il avait du pain sur la planche et ce n'était pas le moment de chômer.
Ce n'est qu'en fin de journée que Stiles s'autorisa un moment de repos durant lequel il fut obligé de monter à l'étage. Son but, c'était de s'occuper un peu de lui non pas parce qu'il en avait besoin, plutôt parce qu'il avait à cœur de faire rapidement disparaître ses marques. Voir que Stiles guérissait enlèverait sans doute un peu de sa culpabilité à Noah. Alors, une fois à la salle de bain, Stiles sortit tout le nécessaire et appliqua en premier lieu une petite poche de glace contre sa pommette toujours bleuie. La couleur s'était atténuée mais pas de beaucoup. Il fallait dire que jusqu'à maintenant, l'adolescent ne s'en était pas trop occupé, ce qui était une erreur. Stiles ne devait pas se négliger, pas autant. Ainsi, il fit de même sur son poignet et appliqua une crème là où le bleu était le plus dominant. Il y allait doucement parce que, l'air de rien, c'était encore un peu douloureux.
Une fois sa besogne faite, Stiles descendit – dieu qu'il détestait les escaliers en ce moment – et alla ouvrir le frigo. Pas besoin de refaire à manger, il y avait beaucoup de restes. Généralement, Noah ne mangeait pas beaucoup en rentrant comme il le faisait ces derniers jours. Stiles devait parfois l'obliger à manger au beau milieu de la nuit, quand il commençait à bien dessaouler. Stiles décida de se mettre à table aux alentours de dix-neuf heures. Son corps tremblait un peu, il avait besoin de manger. La faim n'était pas présente pour autant. Pour tout dire, Stiles prenait un peu trop de médicaments. Entre son traitement pour son hyperactivité et ses antidépresseurs, il était un peu déréglé. Lui qui avait auparavant un sommeil de plomb grâce à ses médicaments ne dormait désormais quasiment plus : l'angoisse prévalait. Et même si la journée, l'adolescent gardait un visage neutre, son esprit n'en était pas moins perturbé.
En seulement quelques pauvres jours, l'addiction de Noah avait détruit beaucoup de choses chez lui et autant dire que Stiles avait du mal à maintenir le bateau à flot. Sa motivation ? L'espoir que ça change. L'espoir qu'en ayant un meilleur fils, Noah arrête ses conneries. Parce qu'un meilleur fils, c'était bien ce qu'il voulait. Un enfant normal, pas perturbateur, sans problème, serviable, gentil. Plus ou moins tout ce que Stiles n'était pas de prime abord.
Jamais il n'oublierait les paroles de Noah lorsqu'il le pensait endormi à l'hôpital.
Jamais.
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Selon toute logique, le père de Stiles devrait rentrer aux alentours de vingt-deux heures. La veille, lorsque Noah avait dessaoulé, ils avaient discuté et, compte-tenu du fait qu'il finissait à vingt-et-une heures trente, il devait éviter la moindre invitation par ses collègues et rentrer tout de suite. Noah avait été d'accord, Stiles espérait donc qu'il tiendrait parole. En soi, il ne pouvait pas contrôler puisqu'il n'était pas encore apte à conduire. Aucun doute que lorsqu'il en serait capable, il le ferait. En attendant, il accordait sa confiance à son père. Le mieux était de repartir sur de bonnes bases et Stiles considérait que la confiance en était une.
Il était vingt-et-une heures et Stiles était affalé sur le canapé, sa jambe blessée légèrement surélevée grâce à un coussin posé sur la table basse et sur lequel reposait sa cheville. Il avait pris ses médicaments il y a peu de temps alors il somnolait un peu, ses yeux menaçaient de se fermer. C'était plus tard que l'angoisse viendrait, quand son père rentrerait. Elle le tiendrait éveillé jusqu'au milieu de la nuit, jusqu'à ce que son corps cède à l'épuisement. Mais là, à moitié allongé sur ce canapé… Stiles ferma les yeux et s'autorisa un peu de repos. Personne ne pouvait savoir à quel point il en avait besoin. Il n'y avait pas que son corps qui était fatigué au possible : son esprit le concurrençait aisément.
La solitude le minait également mais ça, c'était autre chose. Fatigué comme il l'était, Stiles avait complètement oublié d'ouvrir le message de Liam mais aussi ceux de Lydia et Isaac, qu'il ne savait même pas avoir reçu. À vrai dire, il avait à peine touché à son portable, juste pour regarder l'heure de temps à autres.
Son corps se détendit alors qu'il commençait à s'endormir, doucement. Cette immersion vers le monde des rêves aurait pu être particulièrement agréable si des bruits de pas ne s'étaient pas faits entendre aussi soudainement. Stiels ouvrit brusquement les yeux et son rythme cardiaque s'accéléra à cause de ce réveil impromptu alors qu'il était à deux doigts de sombrer dans les limbes du sommeil. Ce genre de sensations, cette impression de tomber d'un coup avant de reprendre connaissance sans aucune transition… Stiles détestait ça. C'était limite s'il n'avait pas besoin de reprendre son souffle. Une main sur son cœur, il se redressa péniblement sur le canapé, l'esprit embrumé. Puisque Noah n'était pas rentré – il se serait signalé d'une manière ou d'une autre dès son arrivée, Stiles en déduit finalement qu'il avait affaire à quelqu'un d'autre. C'était fou comme son cerveau tournait lentement tant il se bourrait de médicaments. Tout ralentissait, tout s'atténuait et parfois, Stiles dormait sur place ou se perdait dans ses pensées, dans le sens où il se perdait, littéralement. Il devenait confus et devait se concentrer pour retrouver le fil de ses réflexions.
Ce soir était un des moments où Stiles aurait aimé être un loup, juste pour savoir s'il s'agissait d'un membre de la meute ou non. Cela lui permettrait de savoir s'il devait commencer à s'inquiéter ou s'il était déjà trop tard. Dans le doute et parce qu'il était fatigué mais aussi car il avait du mal à prendre réellement conscience de la teneur des choses, il resta sur le canapé, silencieux. Il ne put cependant pas empêcher un soupir de franchir la barrière de ses lèvres. Il avait tant besoin de dormir… Et autant dire que ses médicaments ne l'aidaient pas à être en forme. Ses pensées s'en retrouvaient grandement perturbées, comme précisé un peu plus tôt. Concrètement, il avait perdu tout instinct de survie.
Et Stiles ne put s'empêcher de fermer à nouveau les yeux. Il était si fatigué…
- Stiles… Souffla une voix qu'il aurait aisément reconnue s'il avait été plus en forme.
Bien vite, l'hyperactif sentit une main se poser sur sa joue, celle qui n'avait rien, et sentit également que l'on tournait légèrement sa tête à droite, puis à gauche. On l'examinait. Attends… Quoi ? Cette fois seulement, Stiles sembla reprendre pied. Il rouvrit les yeux d'un seul coup et eut la surprise de se perdre dans les orbes bleu-verts… De Derek. L'hyperactif sursauta et se recula prestement dans le canapé malgré la faiblesse qui engourdissait ses membres. Dieu qu'il lui avait fait peur ! En témoignaient son rythme cardiaque qui s'était grandement accéléré d'un coup et ses yeux écarquillés. Son odeur devait également parler pour lui.
- Que… Que… Balbutia Stiles.
- Putain… Souffla une nouvelle fois l'alpha en le regardant.
En cet instant précis, il était difficile de dire qui était le plus surpris. Stiles, qui ne s'attendait absolument pas à tomber nez à nez avec Derek ou bien ce dernier, stupéfait de voir du bleu sur le visage de l'hyperactif ? Un hyperactif à l'air épuisé, qui plus est. Sa main sur sa joue du côté de sa pommette bleuie, il regardait Stiles, plus inquiet que jamais.
- Qui t'a fait ça ? Lui demanda-t-il tout de suite.
Les yeux de Stiles se refermèrent brièvement avant de se rouvrir à moitié. Il était épuisé et cette odeur… Oui, l'odeur de Stiles était extrêmement chimique, plus que d'ordinaire et Derek en comprit bien vite la raison en voyant trois boîtes sur la table basse : de l'Adderall, des antidouleurs et les antidépresseurs qu'il connaissait. Un frisson désagréable parcourut le corps de Derek. Mauvais. C'était pire que ce qu'il pensait : Stiles se shootait, littéralement, et il ne fallait absolument pas que ça continue.
D'un geste lent et imprécis, l'hyperactif posa sa main sur le poignet de Derek, l'air de vouloir le rassurer et souffla :
- Ça va, t'inquiète pas…
Mais la manche de son sweat laissait entrevoir son poignet bleui. Le sang de Derek ne fit qu'un tour.
- Non Stiles, ça va pas, rétorqua Derek, plus sérieux que jamais – comme si c'était possible.
Pour accompagner ses paroles, le loup passa un bras dans le dos de Stiles et derrière ses genoux avant de le soulever d'un coup d'un seul comme s'il ne pesait absolument rien. Bien évidemment, il fit attention à sa jambe blessée et fit tout pour ne pas lui faire mal. L'hyperactif ne se débattit pas mais le regarda, soudainement paniqué.
- Derek, tu fais quoi là ? Demanda-t-il faiblement.
Malgré son angoisse, l'envie de dormir ne partait pas. Ses yeux menaçaient toujours autant de se fermer.
- J't'emmène en sécurité, répondit simplement le loup.
- Non, je… Mon père va rentrer, il faut que je… Je dois… Je…
- Et puis pourquoi ça pue autant l'alcool dans cette baraque, se demanda Derek à haute voix en marchant en direction de l'entrée de la maison.
Stiles se tendit. Il est vrai que Derek était toujours un loup et que son odorat était donc particulièrement développé. Il avait remarqué le changement de fragrance dans la maison et ce n'était pas forcément une bonne chose. Alors, il ne répondit pas. Et puis bon, parler le fatiguait, de toute façon. Néanmoins, il fallait que Derek comprenne qu'il ne pouvait pas partir. Pour autant, était-il réellement en mesure de s'opposer à l'alpha, dans son état ? Pas vraiment. Il le voulait, ça, c'était sûr. Cependant, ni son corps ni sa bouche ne suivirent. Prendre ce cocktail de médicaments lui réussissait de moins en moins. Enfin, pas que ça lui ait déjà réussi un jour.
Derek l'emmena donc avec lui, poussa la porte d'un coup de pied bien placé et la suite, Stiles ne s'en souvint pas vraiment puisqu'il flotta de longues minutes entre la conscience et l'inconscience.
