Les paupières de Stiles étaient lourdes. Il était réveillé depuis un bon moment mais ressentait toujours l'épuisement de son corps. Mais ce qu'il sentait par-dessus tout, c'était cette chaleur rassurante, tout contre lui. Une chaleur qui ne lui donnait pas envie de la quitter. C'était doux, si bien qu'il se pelotonna contre la source de chaleur après avoir soupiré d'aise. L'épuisement l'empêchait pour l'instant de se rappeler ce qui l'avait conduit à se retrouver ainsi, dans cette position si agréable. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il ne voulait pas bouger. Il était bien là, parfaitement appuyé contre cette chaleur apaisante, si bien que le moindre mouvement supplémentaire de sa part casserait cette bulle si agréable. Ils étaient loin, ses soucis. La douleur de sa jambe, il ne la sentait pas. Son père et ses poings n'étaient pas là. Le regard hargneux de Scott, il ne le voyait pas. Alors oui, sa fatigue mentale et son épuisement physique l'alourdissaient. Mais, pour la première fois depuis un moment, Stiles Stilinski se sentait… Bien, en sécurité. Il était détendu, calme, les yeux fermés.
Le bras autour de sa taille, la main sur son ventre… La main sur son ventre ? Dans sa somnolence, Stiles fronça les sourcils. Il n'avait pas le souvenir d'être en couple, ni même d'être… Assez proche de quelqu'un pour dormir avec. Ou peut-être avait-il fait plus que dormir, et… Non, bien sûr que non. Stiles était une tare à lui tout seul, personne ne voudrait ne serait-ce que le toucher. Il était dégoûtant. Fade. Son physique, atrocement laid. Ses yeux, d'une banalité affligeante. Son corps, faible. Sa personnalité, on ne peut plus inexistante. Pouvait-on seulement parler de personnalité alors qu'il s'effaçait plus ou moins volontairement de la vie de la meute ?
La meute.
Quelques souvenirs lui revinrent alors. Sa solitude. Son accident. Sa jambe. Son père. Les coups. Derek.
Derek.
Derek.
Stiles ouvrit les yeux d'un coup alors même que son cœur battait un peu plus vite. La luminosité ambiante lui permit de reconnaître aisément le salon du loft. La veille se rappela à son esprit alors qu'il voyait clairement le bras musclé entourer sa taille et la main sur son ventre, comme une sorte de protection. Derek était venu le chercher chez lui et avait essayé de discuter, de lui faire prendre conscience que l'attitude qu'avait son père envers lui n'était pas normale pour un sou. Il n'avait pas hésité à le ramener ici, loin des poings de son père qui était sans doute rentré ivre, encore, rappelant douloureusement à Stiles la promesse brisée. Sa gorge se serra. Il ne voulait que le meilleur pour son père, si bien qu'il ne lui en voulait même pas. Pour autant, un soupçon de colère vint s'insinuer en lui. Comment avait-il pu lui faire ça ? Stiles ne faisait peut-être pas assez d'efforts pour le satisfaire mais au moins, il faisait ce qu'il pouvait. Noah, lui, semblait avoir cédé à la première difficulté. C'était bien beau de lui dire, le matin, que c'était la dernière fois, tout en sachant parfaitement qu'il recommencerait le soir même.
Pour la première fois depuis un moment, Stiles se demanda s'il pouvait réellement y changer quelque chose, si sa seule présence pouvait vraiment l'aider. Après tout, il n'était que son fils. Il avait beau s'occuper de la maison, faire en sorte que tous les plats soient faits et à son goût, se rendre assez invisible pour lui laisser toute la place qu'il souhaitait, s'occuper de lui quand il allait mal… Cela paraissait ne jamais lui suffire.
Ensuite, la violence vint s'inviter dans sa réflexion alors qu'il se pelotonnait toujours plus contre le loup par réflexe. Parce qu'il dégageait toujours ce quelque chose qui le rassurait, qui lui permettait de voir les choses telles quelles étaient. Si Stiles préférait tout d'abord rester dans le déni, la présence de Derek le poussait à réfléchir autrement, à ouvrir la porte de pensées nouvelles dans lesquelles Stiles n'était pas forcément fautif. En fait, Derek lui donnait l'impression d'avoir le droit d'exister. Liam aussi, mais Derek, c'était… Différent. Était-ce parce qu'il était l'alpha de leur meute si hétéroclite ? Stiles aurait tendance à dire que c'était son statut qui lui donnait cette idée saugrenue. Derek n'était pas censé être quelqu'un de rassurant, et pourtant… N'était-ce pas lui qui le tenait contre lui, dans ce canapé ? Stiles sentait son souffle régulier dans son cou, ce souffle qui lui donna quelques frissons. Il n'avait pas peur, non, c'était… Agréable ? Qui à part lui pouvait se vanter d'avoir dormi dans les bras d'un Derek Hale pour le moins… Gentil ? C'était ce qu'il était, effectivement. Derrière ses airs de froideur et d'indifférence se cachait un homme qui avait le bien-être des autres à cœur. Même celui de Stiles. En fait, s'il y réfléchissait bien, l'alpha était le premier à avoir manifesté un intérêt pour sa personne depuis son éloignement de la meute. Liam avait suivi, mais ce n'était pas la même chose. Liam était tendre, insouciant et innocent. Un petit ange qui méritait le bonheur mais à qui l'on devait toutefois montrer les choses. Comment aurait-il réagi s'il avait vu l'état actuel de Stiles ? Ses blessures et traces de coups évidentes.
Oh, il n'y en avait pas beaucoup, juste assez pour… Pour quoi ? Pour qu'il puisse dire qu'il était frappé, malmené par son propre père ? Ce n'était pas beaucoup, simplement quelques traces d'un énervement passager, de… Non. Stiles savait parfaitement que ces bleus et ecchymoses, bien que peu nombreux, étaient bien plus que ça. Il en avait conscience mais était partagé, tiraillé entre son amour pour son père et son désir d'enfin essayer d'aller mieux. Les deux n'étaient pas compatibles, il le savait. Dans la mesure où il en était venu à prendre des médicaments, il était certain que des coups, même en petite quantité, n'allaient pas l'aider.
Stiles se mordit la lèvre inférieure et referma les yeux. Réfléchir ne lui donnait qu'une envie : prendre ses médicaments, juste assez pour le rendre apathique. Il n'avait pas la force de se torturer lui-même de cette manière. Sa vie était trop compliquée. Elle avait beau ne pas être remplie à outrance, Stiles n'avait plus les épaules pour en supporter le poids. Autrefois, peut-être. Aujourd'hui, tel n'était plus le cas.
Sur son ventre, la main bougea légèrement. Stiles ne savait pas si Derek était en train de se réveiller ou non, mais il resta dans cette position. Il espérait pouvoir rester ainsi contre lui, sans bouger, dans cette configuration si confortable… Il n'y avait pas à dire, l'étreinte était agréable. Bénéfique. Elle donnait l'impression à l'hyperactif d'être… Aimé ? Apprécié ? Ou, en tout cas, pas rejeté. Lui pour qui les contacts physiques étaient carrément un besoin se voyait ravi. Un peu de bien de ce type ne faisait pas de mal… Bien au contraire. Stiles en profitait pour essayer de se ressourcer un minimum, à tel point qu'il en oubliait son envie de prendre ses médicaments. Pour l'instant, cette étreinte et ce souffle dans son cou lui suffisaient. Dans les bras de Derek, Stiles se sentait clairement apaisé.
- Bien dormi ? Entendit-il.
La voix de Derek était étouffée, un peu rauque et grave : c'était sa voix du matin et malgré cela, elle était… Toujours aussi agréable à entendre. Ne s'attendant toutefois pas à cela, Stiles sursauta légèrement et, sachant qu'il ne pouvait pas feindre le sommeil à cause de ses fichus battements de cœur révélateurs, l'hyperactif répondit que oui d'une voix qui se fit la plus petite possible. Pour lui, sa petite bulle était rompue. Le retour à la réalité était là, un peu brutal, sous ses yeux qu'il se força à ouvrir.
Derek était toujours derrière lui et le seul changement notable, c'était sa main qui était remontée de son ventre sur sa hanche. Si la position actuelle donnait une impression d'intimité folle, ce n'était pourtant plus vraiment le cas. Avec le réveil de Derek, Stiles ne ressentait plus autant cette atmosphère agréable. Parce que le loup allait s'éloigner et… Et ensuite ? Derek continuerait sa vie, mais Stiles ? Que ferait-il ? Ce que Derek voulait, assurément. L'hyperactif ne se sentirait pas de lui refuser quoi que ce soit. Il s'était déjà montré bien gentil avec lui alors le lycéen trouverait tout à fait normal le fait qu'il puisse en avoir assez. Stiles était loin d'être un cadeau et il le savait.
Ainsi, Derek se décolla de lui et se leva comme si de rien n'était. Stiles, lui, se redressa et se mit simplement en position assise. De toute manière, il ne pouvait pas faire grand-chose d'autre, ayant toujours besoin d'au moins une béquille pour avancer. Le problème était qu'il n'en voyait aucune. Derek en avait-il seulement pris une lorsqu'il était allé le chercher chez lui ? Stiles baissa la tête. Il était encore habillé avec ses vêtements de la veille. Puis, son regard dériva sur sa jambe. Peut-être pourrait-il essayer de marcher, de faire quelques pas ? Si ça marchait, il pourrait rentrer chez lui, essayer de mettre les choses au clair avec son père et laisser Derek tranquille. L'idée lui parut tout de suite farfelue voire irréalisable mais la partie brisée de sa psyché se dit qu'il ne perdait rien à essayer.
Alors, sans faire attention à Derek qui venait de se retourner, Stiles prit son courage à deux mains et se leva. Se mit uniquement sur sa jambe saine, attendant d'être plus ou moins stable pour essayer d'appuyer sur l'autre, blessée. Non seulement la fatigue ne le faisait pas voir les choses nettement mais en plus, son équilibre était tout relatif.
- Stiles, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, le prévint Derek en se rapprochant.
- Si, t'inquiète, ça va, rétorqua Stiles d'un ton absolument pas assuré.
Sans laisser le temps à Derek de répliquer quoi que ce soit, Stiles, têtu comme il était, appuya finalement sur sa jambe blessée pour faire un pas. La douleur le submergea et il perdit le peu de stabilité qu'il avait acquis, si bien qu'il vit le sol se rapprocher alors qu'il gémissait. Sentir les bras de Derek autour de lui n'était pas une surprise. En fait, il s'y attendait. Et en même temps… Il sentit une sorte de tristesse mêlée à de la colère lui tordre les tripes alors que le loup le redressait en le gardant contre lui.
- Bordel, Stiles, je t'avais dit que c'était une mauvaise idée, maugréa Derek en le ramenant sur le canapé.
Stiles le laissa tout bonnement faire alors que la douleur qu'il avait lui-même ravivée réveillait une partie de ses sombres pensées. Il avait envie de prendre ses médicaments, encore. Son ressentiment était tel qu'il réagit à peine lorsque Derek tendit sa jambe blessée et fit reposer son pied sur un coussin moelleux posé sur la table basse. Stiles soupira bruyamment. Ne pas pouvoir marcher normalement le frustrait.
- Tu es censé te reposer, tu es blessé, lui rappela le loup en ajustant le coussin.
- Je fais que ça, rétorqua Stiles. Je fais que ça et… Et rien ne change.
L'aveu aurait pu ne pas être fait, mais la frustration de l'hyperactif était si grande qu'il n'avait pas pu s'en empêcher. Regrettait-il que la bulle de ce matin se soit brisée ? Stiles regrettait de ne pas en avoir plus profité. Avoir un Derek endormi qui l'enserrait doucement dans ses bras était une chose bien trop apaisante pour son bien. Il avait tout oublié l'espace de quelques minutes et même lorsqu'il s'était rappelé de sa vie, il avait réussi à y songer sans que ça ne lui pourrisse ses pensées.
- Les choses prennent du temps, lui expliqua Derek en lui faisant face, la main sur sa cheville qu'il avait légèrement déplacée pour que le pied soit un peu mieux installé.
- Ouais et en attendant, je le perds, ce temps et je déçois tout le monde, grommela Stiles d'une voix légèrement tremblante.
Si la bulle était effectivement bel et bien brisée, Stiles ne pouvait contenir toutes ces choses qu'il gardait en lui. Jusqu'où allait cet effet que Derek lui faisait ? Oubliant l'état de son visage, Stiles se crispa et lâcha :
- Je… Je voulais juste marcher et te laisser tranquille, je… J'en ai marre de décevoir tout le monde. Chaque pas que je fais est mauvais. Et cette jambe, cette putain de jambe, elle…
Il haussait le ton, énervé mais sans aucune violence. Sans même réellement le vouloir, il parlait avec son cœur et lâchait ces quelques mots qu'il mourait d'envie de prononcer, juste pour pouvoir enfin les sortir.
- … Elle guérit si lentement ! Je sais que je ne suis qu'un humain de merde, mais je… Je pourrais pas avoir un truc bien dans ma vie ? Guérir plus vite, juste guérir plus vite ! Le reste, c'est accessoire, je peux me débrouiller, faire en sorte de… De ne plus causer de tort à qui que ce soit. Je veux juste marcher, bordel…
- C'est pas râler qui va accélérer le processus, grogna Derek en prenant sa douleur.
L'hyperactif ne s'en rendait même pas compte trop concentré qu'il était sur ses états-d'âme qui ne demandaient qu'à être exprimés, eux qui avaient été tus depuis si longtemps que la barrière qu'il essayait toutefois de maintenir ne faisait que filtrer les informations au lieu de les stopper.
- Et tu veux que je fasse quoi ? Râler est la seule chose que je sais faire, même raisonner mon propre père, je ne peux pas le faire ! S'écria-t-il, la voix tremblante.
Parce que c'était dur et qu'il le savait. Parce qu'il n'avait jamais demandé à être frappé. Parce qu'il désirait simplement que son père tienne ses promesses. Parce qu'il n'avait rien demandé, qu'il ne voulait pas de cette solitude qui s'était imposée à lui comme si c'était tout ce qu'il méritait. Parce que marcher et se débrouiller seul lui manquait. Parce qu'il voulait s'en sortir et avancer. Parce qu'il espérait, sans trop y croire.
- Tu vas te reposer, lui dit simplement Derek en s'asseyant à côté de lui.
Il était beau avec ses cheveux décoiffés et son air un tantinet débraillé tout juste sorti des bras de Morphée. Il avait des cernes, mais elles étaient peu poussées, contrairement à celles de l'hyperactif qui manquait encore cruellement de sommeil.
- Je m'occupe de toi, continua-t-il, et Peter gèrera ton père.
Stiles ouvrit grand les yeux après que les mots eurent cheminé dans son esprit, si bien qu'il n'entendit pas le bruyant « quoi ?! » de Peter provenant de l'étage. La surprise atténuait son ressentiment, du moins temporairement, occupant provisoirement toute la place.
- Mais je…
- Tu rentreras pas chez toi tant qu'il est pas capable de rentrer sobre le soir, le coupa tout de suite Derek en passant un bras autour de lui. Tu dois prendre soin de toi, Stiles. Prendre du temps pour toi. Guérir. Pas faire passer sans arrêt les autres avant toi. Alors maintenant tu vas me faire le plaisir d'arrêter de faire n'importe quoi et de te reposer.
Ce faisant, Derek lui caressa brièvement le dos avant de se lever et de commencer à aller vers la cuisine. Il s'arrêta toutefois quelques pas plus tard, se retourna vers l'hyperactif et lui lança :
- Je vais te chercher de quoi petit-déjeuner et t'as pas intérêt de bouger.
Sans attendre la réponse du lycéen hébété, Derek s'en alla dans la cuisine.
