Stiles était assis, le dos contre la tête du lit et Derek avait placé des coussins derrière lui, de sorte à ce qu'il ne se fasse pas mal en restant trop longtemps dans cette position. Il avait fait en sorte qu'il se redresse, histoire de retarder le moment où il se rendormirait. Si Stiles n'était toujours pas en forme à cause de tous les médicaments qu'il s'était enfilés, il fallait bien qu'ils aient cette discussion rapidement, quitte à la réitérer plus tard. Mais pour Derek, il était important qu'elle ait lieu vite. Il ne devait pas laisser l'hyperactif se refermer sur lui-même, comme il devait l'empêcher de continuer de couler en silence.

- Stiles, fit Derek en s'asseyant au bord du lit. Il faut qu'on parle et tu le sais.

L'hyperactif hocha la tête en guise de réponse, mais son mouvement était si faible et lent qu'il était difficile de se rappeler correctement de sa vivacité d'antan tant il était… Changé. Les médicaments avaient encore un grand effet sur lui, même plusieurs heures après cette sieste qu'il s'était accordée dans les bras de Derek, au sein de ce même lit qu'il occupait toujours. L'odeur médicamenteuse planait toujours dans la pièce, irritant le nez si sensible du loup. S'il ne supportait pas cette fragrance si fade qu'elle en devenait métallique, il ne disait rien. Le but n'était pas de mettre son protégé mal à l'aise, encore moins de lui faire des reproches. L'idée, c'était plutôt d'essayer de comprendre. Sa stratégie, trouver le problème pour mieux l'attaquer à la source. En le poussant tout doucement à lui confier la raison de son geste irraisonné, Derek comptait bien régler le souci par tous les moyens et peut-être qu'ainsi, il arriverait finalement à aider le jeune homme à remonter cette pente glissante qu'était devenue sa vie.

- Tu veux parler de quoi ? Demanda Stiles d'une voix pâteuse et d'un air pas vraiment concerné.

Comme si la discussion qui s'apprêtait à avoir lieu ne l'intéressait pas, comme s'il était étranger à cette situation. Ce fait serra le cœur de Derek qui ne se démonta pas pour autant. Il fallait que cette conversation ait lieu ou bien rien n'avancerait et il était hors de question que Stiles reste dans cet état. S'il avait fait cette bêtise-là, il était capable d'en faire d'autres.

- Pourquoi tu t'es shooté ? Demanda plutôt Derek.

Le regard de Stiles ne changea pas vraiment, continua de fixer le vide. A vrai dire, c'était à se demander s'il avait entendu la question qui venait de lui être posée ou non. Derek faillit la lui reposer mais se ravisa lorsque l'hyperactif ouvrit lentement la bouche pour lâcher :

- J'voulais juste aller mieux.

- Stiles, c'est pas en te bourrant de médicaments que tu vas aller mieux, rétorqua Derek.

- C'était soit ça, soit j'm'ouvrais les veines.

Stiles avait lâché ça sans filtre et surtout, sans aucune hésitation, sans battement de cœur raté et tout ceci vint montrer à Derek qu'il était affreusement sincère. Par cela, l'hyperactif lui faisait comprendre que l'issue aurait pu être toute autre s'il n'avait pas eu ses médicaments sous la main. Et pour Derek, c'était terrifiant. Pourtant, son état avait semblé s'améliorer et ce fait augmenta son envie ou plutôt son besoin de connaître la raison de cette rechute. Doucement, il se rapprocha de Stiles et finit par se retrouver assis à côté de lui et ses chaussures, au pied du lit. Son loup était là, aux aguets, intervenait en filigrane, ressentant le besoin d'être auprès de Stiles, au sens propre. C'était tel qu'il ne put s'empêcher de prendre sa main entre les siennes et de la presser doucement. Un je suis là tout juste murmuré n'aurait pas pu être plus clair.

- Dis-moi ce qu'il s'est passé, Stiles.

Loin d'être une simple demande, c'était une supplique. La situation tendait Derek qui se rendait peu à peu compte de ce qui aurait pu arriver. Stiles aurait pu s'éteindre ici, sous son toit, parce qu'une trop grande souffrance intérieure l'aurait achevé. Parce que ces mots explosifs que Stiles lui avait sortis n'étaient pas des paroles en l'air. L'hyperactif était capable de bien plus de choses qu'il ne le laissait imaginer… N'avait-il pas fait comme si tout allait bien durant des mois ? S'il n'avait pas eu cet accident, que se serait-il passé ? Derek – ou un autre membre de la meute – aurait-il fini par découvrir l'étendue de son mensonge ? Il n'en avait strictement aucune idée.

- Scott me hait.

Derek haussa un sourcil. Stiles ne lui apprenait rien de nouveau et il était déjà au courant. Ils en avaient déjà discuté l'autre jour, à la fin de la réunion. Il était cependant possible qu'il ait du mal à accepter : à vrai dire, il comprenait, simplement… Cela ne pouvait pas l'avoir fait si brutalement rechuter, Derek en était certain. A moins que sa rechute n'ait été progressive ? Dans tous les cas, il mourrait d'envie de le savoir parce que s'il y avait bien une chose qui lui manquait depuis un moment, c'était bien le sourire de Stiles. Alors, il lui enjoignit de l'expliciter sa pensée et de lui dire. De tout lui dire.

Et Stiles s'exécuta sans aucune résistance. Il lui raconta les bousculades, nombreuses, les coups fourrés de Scott, ses stratégies pour se retrouver seul avec Stiles dans l'idée de ne pas être incriminé par les autres. Puis, il termina par son message…

- Il m'a dit que j'aurais dû crever dans cet accident.

… Avec un détachement incroyable.

Et Derek sut désormais contre qui diriger ses envies de meurtre.

xxx

La discussion avait été longue, très longue et même si Stiles avait plusieurs fois lâché à Derek qu'il voulait juste couper court et dormir, celui-ci n'en avait pas démordu et l'avait gardé éveillé jusqu'à la fin. Pour lui, l'urgence était là, bien trop grande pour être prise à la légère. Après une bonne heure à converser, le loup avait obtenu une promesse de Stiles – celle de tout faire pour ne plus recommencer et de lui parler de tout – et ses confidences complètes. Suite à l'énonciation des actes de Scott, Stiles avait fini par détailler, parler de la récurrence de ses bousculades et de ce message qui l'avait littéralement fait exploser.

Derek avait fait preuve d'une patience infinie pour lui expliquer l'absence totale de bien fondé dudit message et même si Stiles avait eu du mal à comprendre et qu'il revenait sans cesse au fait que sa survie n'avait rien occasionné de bien, il avait finalement capitulé. Sur le coup, Derek s'était montré plus têtu que lui, à raison.

Toutefois, le loup n'était pas prêt à le lâcher comme ça sans assurance que tout allait bien se passer. Alors, il avait trouvé une nouvelle cachette pour les médicaments et allait le réguler à nouveau. Les laisser à portée n'était pas une bonne idée tant que Stiles était si bas et tant qu'il n'avait pas la garantie qu'il ne recommencerait pas.

Sitôt la conversation terminée, Derek repoussa à nouveau le repos de Stiles, pour une bonne raison : sa jambe. S'en suivit une bonne session de traitement durant laquelle le loup retira pansements et bandages pour observer la plaie et à part quelques bleus autour – l'envie d'étriper Scott le chevillait au corps – tout allait bien. Ainsi il lui passa ses crèmes habituelles avant de lui refaire ses bandages et de l'aider à renfiler son pantalon de jogging. Sa jambe commençait enfin à guérir, ce n'était pas le moment de ralentir sa progression. Derek garda les bleus en tête et à vrai dire, s'il n'avait pas à s'occuper de Stiles, sans doute qu'il se serait déjà planté à la maison des McCall pour obliger le latino à lui rendre des comptes de ce qui était arrivé.

Puis, enfin, il aida Stiles à se recoucher et le laissa se reposer quelques heures.

xxx

- Non, je ne suis pas d'accord.

Les yeux ambrés de Stiles avaient retrouvé un semblant de vie, oui, preuve que les effets de son cocktail de médicaments s'amenuisaient peu à peu. Il était assis sur le canapé, sa jambe blessée surélevée comme à son habitude. Derek y tenait. Question de circulation du sang, qu'il disait.

Face à lui, Derek marchait et si Stiles avait été dans son état normal, il aurait pu en être jaloux. Ce que ça lui manquait, de marcher sur ses deux jambes…

Derek s'arrêta, croisa les bras sur son torse et le regarda en haussant un sourcil.

- Eh bien dans ce cas, tu ne retourneras pas en cours. Réfléchis bien, Stiles : ou tu acceptes que j'en parle à Liam, Lydia et Isaac, ou tu restes ici.

Le dilemme était pour lui, fort simple mais il savait que Stiles le prendrait un peu mal. Néanmoins, Derek ne comptait pas le laisser retourner au lycée sans aucune garantie que tout irait bien. Scott ne répondait pas et d'après sa mère, il était parti elle ne savait où. Tant que Derek ne lui aurait pas parlé, il était hors de question qu'il laisse Stiles retourner dans un environnement où il n'était pas vraiment en sécurité. La journée, Hale avait des choses à faire et doutait fortement qu'on le laisse se balader à sa guise à l'intérieur du lycée.

De son côté, Stiles était contrarié et c'était compréhensible. Lui qui avait pris la mauvaise habitude de tout garder pour lui se voyait imposer ultimatum dont l'une des deux propositions était de tout raconter à ses trois amis. Leur dire pour Scott, ses agissements, sa haine. Ce n'était pas rien : en fait, c'était un peu lui demander de se mettre en avant au détriment de Scott, l'inverse de ce qu'il avait toujours fait. A ses propres yeux, Stiles ne valait rien et trouvait injuste de bâcher son meilleur ami juste parce qu'il s'était mal comporté avec lui. Et pourtant, il avait conscience que cela ne pouvait pas durer et que ce que faisait Scott n'était pas gentil. C'était…

- Du harcèlement. Stiles, c'est du harcèlement qu'il te fait subir.

Oui, c'était bien cela, malgré le fait que cela ne soit pas à un stade très avancé. Néanmoins, Stiles savait en son for intérieur que Scott était capable d'aller plus loin. Il ne voulait juste pas se rendre à l'évidence. Et le message se rappela à lui, encore et encore. La vague de tristesse qui déferla en lui le tendit déjà. La discussion qu'il avait eue avec Derek quelques heures plus tôt était encore fraîche dans son esprit, même si les effets de son cocktail de médicaments étaient forts présents et qu'il avait eu bien du mal à réfléchir. Honnêtement, il ne se souvenait pas de tout, seulement de l'essentiel.

Derek ne voulait pas qu'il recommence. Derek ne voulait pas qu'il se laisse à nouveau happer par sa dépression. Derek ne voulait pas le laisser tomber.

Derek ne voulait pas le laisser tout court.

- Mais même si c'est ça, je… C'est pas la peine d'en parler aux autres, finit-il par lâcher en détournant le regard.

Autrement dit, il n'avait aucun argument, mais la honte le poussait également à, juste, garder ça pour lui. Pardon, pour eux. Parfois, il oubliait que Derek était au courant par « accident »… A cause de son accident. Puis de son endormissement au loft. De la suite s'en étaient découlée beaucoup de choses… Dont le harcèlement de Scott. Très honnêtement, il ne voyait pas bien pourquoi il faisait ça, à vrai dire, il n'en avait aucune idée… Il savait qu'il le haïssait, qu'il lui en voulait toujours pour Allison – et Stiles le comprenait –, qu'il le pensait toujours aussi responsable de la mort de Donovan… Scott le voyait comme il se voyait régulièrement lui-même : monstrueux. Et le latino détestait les monstres, il faisait tout pour les faire payer. Était-ce ce qu'il voulait faire avec lui ? Le détruire parce qu'il était un monstre ?

- Bien sûr que si, Stiles. Ainsi, tu resteras avec eux, ils te protègeront.

- J'ai pas besoin d'être protégé, mentit l'hyperactif.

Il ne voulait pas être si faible, pas être un fardeau. Bien sûr qu'il savait être un poids pour Derek, mais concernant cela, il ne pouvait rien y faire, le loup ayant une volonté de fer. Pour autant, il ne voulait pas en rajouter. Emmerder Derek était bien suffisant, pas la peine de rajouter du leste sur les épaules de Liam, Lydia ou Isaac. Et en même temps, il avait cours et son retard commençait à être conséquent malgré tout ce qu'il avait pu rattraper.

Derek vint s'assoit près de lui et le regarda les sourcils froncés, plus sérieux que jamais.

- Stiles, il profite des moments où tu es seul pour ne pas s'attirer les foudres des autres, pour qu'ils ne soient au courant de rien. Et il est hors de question que je te laisse retourner en cours tant que je ne suis pas assuré que tu sois en sécurité, avec les autres.

Oui, Stiles le savait, mais… Il ne méritait pas qu'on prenne soin de lui de cette façon. La discussion avait eu lieu, oui. Elle lui avait fait de l'effet, oui. Pour autant, sa manière de pensée, assombrie depuis plusieurs jours, n'allait pas changer en si peu de temps.

S'il combattait ses propres pensées pour faire plaisir à Derek, la plupart de ses idées restaient particulièrement sombres.

Le loup passa un bras autour de lui sans même y faire attention et regarda son visage déconfit, ses yeux perdus, sentit son odeur où régnaient honte, souffrance et tristesse avec un soupçon de peur. Il avait du boulot pour aider Stiles, mais il y arriverait.

Et il faudrait à Scott de longues heures pour se remettre des blessures qu'il comptait bien lui infliger.