Lorsque Derek rentra, son odorat ne capta pas grand-chose de mauvais, juste un soupçon de tristesse. Pas énorme, mais il le flaira tout de même. Le reste était plutôt positif et c'était rassurant. Il fallait avouer qu'il était parti du loft avec une petite appréhension. Même s'il connaissait Liam et qu'il savait que celui-ci appréciait beaucoup l'hyperactif, Derek n'avait pas l'habitude de laisser son protégé hors de sa propre surveillance. Alors, forcément, il avait dû prendre sur lui pour faire en sorte de leur laisser un peu de temps ensemble, une forme de liberté. Peut-être que sans sa présence, Stiles s'ouvrirait à de nouveaux horizons, même si son absence était particulièrement courte. L'hyperactif devait comprendre qu'il pouvait avoir un ami et passer du temps avec lui.

Il entendit des rires, des gloussements. Deux voix différentes. Curieux, il s'avança et pénétra dans le salon. Son cœur se réchauffa alors que le visage de Stiles était particulièrement détendu. Pas complètement, mais tout de même bien plus que d'ordinaire. La chaleur qui se diffusa dans son thorax lui fut étrange mais la sensation fut si agréable qu'un coin de ses lèvres se releva et qu'il resta un petit moment là, sur le seuil du salon, à regarder les deux adolescents. Ils regardaient un film et s'amusaient à le commenter. Si Liam se montrait fort énergique, il n'était pas celui qui faisait le plus de remarques : l'oscar de la pipelette revenait

à Stiles. Ses phrases n'étaient pas toujours longues, parfois l'on voyait une ombre dans son regard, mais le changement était flagrant. Derek fut donc rassuré. Il avait pris la bonne décision.

Lydia était intelligente et avait un fort sens de la déduction. Elle et Stiles faisaient la paire, autrefois. Ce qui caractérisait le plus Isaac selon Derek, c'était sa gentillesse et son côté protecteur.

Mais ce qui avait fait pencher la balance en faveur de Liam, c'était tout autre chose. Outre sa gentillesse et sa compréhension – couplée à une impulsivité parfois invasive –, c'était son arrivée tardive dans la meute qui avait attiré l'attention de Derek. Il n'avait eu, avec Stiles, qu'à peine le temps de créer une amitié bancale : assez forte pour qu'ils sachent qu'ils pouvaient compter l'un sur l'autre en cas de danger, et en même temps pas assez pour qu'ils soient proches. C'était ça, l'avantage.

L'oubli général de la meute avait plus ou moins brisé ce que Stiles considérait comme de réelles amitiés. Pour repartir du bon pied, le mieux était de créer de nouveaux liens, plus forts et de manière plus saine.

Lorsqu'il avait discuté avec Liam, Derek avait vu tout ce qu'il pourrait apporter à l'hyperactif et inversement. Le louveteau n'avait pas encore totalement trouvé sa place dans la meute, alors… C'était bon pour lui aussi. Avec les autres, les liens se recréeraient en douceur. En attendant, Liam et Stiles se soutiendraient l'un et l'autre. De plus, leur entente était bien meilleure qu'il ne l'avait imaginée : le louveteau avait trouvé en l'hyperactif son pendant « calme » et plus ou moins réfléchi, et Stiles en Liam un grain de folie et une amitié sincère. Parce que le blondinet n'était pas quelqu'un d'hypocrite, ni du genre à se cacher derrière des faux-semblants pour se donner un genre. Un autre avantage à les avoir rapprochés, c'était sa présence au lycée. Même s'ils n'étaient pas dans la même classe, Liam aurait sans doute tendance à faire un peu plus attention entre les cours et à s'enquérir de nouvelles concernant l'hyperactif. Si Isaac et Lydia étaient au même niveau que Stiles, ils risquaient toutefois de faire un peu moins attention à lui parce qu'ils étaient habitués à le voir sans le voir. Ils manquaient de cette innocence et de cette vivacité d'esprit qui caractérisaient Liam et faisaient de lui la personne idéale.

Derek profita de ce moment sans un bruit. Dans son coin, il observa avec plaisir le duo s'amuser de pas grand-chose, commenter le moindre détail qui leur paraissait important à relever. Ils tournaient les personnages en dérision, imaginaient des scènes et situations qu'ils trouvaient plus crédibles que celles qui passaient devant leurs yeux et qui faisaient, pour certaines, pitié. L'humeur plutôt légère des jeunes gens gonfla le cœur de Derek d'une émotion pure, de celles qu'il ne ressentait que rarement. Un petit quelque chose, une énergie minuscule sortie des tréfonds de son être le poussa soudainement à les rejoindre. Si sa raison lui souffla qu'il serait mieux de continuer à les laisser seuls, profiter ensemble de ce moment entre amis, son cœur ne fut pas de cet avis. Il avait besoin… Oui, il avait besoin d'aller partager ce moment avec eux, de sentir l'hyperactif près de lui, de profiter de ses rires et sourires autrement que de loin. Sa bonne humeur, même si elle était relative, était si rare que le loup en lui se roulait en boule, juste parce qu'il avait envie de goûter à cela de plus près.

Au bout d'un temps particulièrement court, Derek fit un premier pas, hésitant d'abord, avant d'enchaîner et de venir rejoindre les deux lycéens sur le canapé. Stiles se retrouva entre les deux loups-garous et ni lui ni Liam n'eut l'air surpris ou dérangé de la venue de Derek. L'hyperactif se détendit même un peu plus lorsque l'alpha passa un bras autour de ses épaules.

Et bien vite, Derek fut intégré malgré lui dans les débats et remarques des deux membres de sa meute qui lui parlaient et agissaient avec lui comme si aucune différence hiérarchique ne venait entraver leurs relations respectives. Si le moment eut sur lui l'effet d'un vent d'air frais, Stiles ressentit une boule de chaleur grandir en lui. C'était… Quelque chose d'agréable que de pouvoir discuter tranquillement, de pouvoir prendre part dans des débats, à trois, d'avoir la possibilité de donner son avis et que celui-ci soit écouté, pas répudié. Il en vint même à sourire, un peu, avec une timidité qui commençait réellement à lui coller à la peau. Mais au moins, c'était léger et doucement, il avançait. Après sa rechute aussi lente que difficile, cette douceur et cette attention lui faisaient du bien. Il n'était pas guéri pour autant, n'était pas le moins du monde sorti d'affaire et ladite rechute ferait ressentir à nouveau ses effets plus tard. Pour l'instant, il profitait de ce moment d'accalmie dont il avait affreusement besoin. Par instinct, il se laissa un peu plus couler contre Derek. Si Liam était adorable et qu'il ne ressentait pas de gêne à son contact, Derek le rassurait de par sa simple présence. Se rapprocher de son corps lui faisait un peu l'effet d'un baume, quelque chose d'apaisant, qui lui faisait beaucoup de bien. Son geste était si instinctif et naturel qu'il ne réfléchit même pas à son sens, tout comme il ne se retint pas, par la suite, de poser la tête sur son épaule. L'odeur sauvage de Derek, un mélange de fragrance boisée et de frais, le berçait, pénétrait en lui avec délice. Ce qui était drôle, c'est qu'il ne mettait pas de parfum, ce qui rendait son odeur naturelle d'autant plus agréable. Le loup n'avait besoin de rien à ce niveau-là et Stiles appréciait beaucoup le geste même s'il ne lui était pas destiné. Il était plutôt inhérent au comportement habituel de Derek, qui ne faisait jamais dans le superflu.

Lorsque Liam dut s'en aller en fin de journée, Stiles poussa un petit soupir de bien-être et se cala dans le canapé en faisant bien attention à ne pas malmener sa jambe. Dans un coin de son esprit, continuait de se répéter son crédo habituel : plus vite il guérirait, plus vite il pourrait retourner chez lui. Il ne le disait pas, mais sa maison lui manquait et son père aussi. Même si Noah était injuste avec lui, tout comme la majorité des évènements qui s'étaient passés ces derniers temps, Stiles ne pouvait nier qu'il lui tardait tout de même de le retrouver.

Avoir passé un moment tranquille avec Liam puis Derek avait permis à Stiles de faire une petite pause dans sa vie. Une pause bienvenue, un temps mort agréable. Si certaines choses avaient doucement commencé à changer en lui, il ne les sentait pas encore. C'était un travail de longue haleine qu'avait entrepris son esprit en secret, quelque chose dont il mettrait du temps à se rendre compte. Déjà, il voyait Liam un tantinet différemment. Le louveteau était réellement un garçon adorable avec qui il se découvrait de nombreux points communs en dépit de leurs différences respectives. Lui qui l'avait pris au départ pour un simple gamin régi par son impulsivité s'était bien trompé à son sujet. La surprise n'en était que plus agréable.

Un peu plus détendu qu'à son réveil, Stiles laissa sa tête retrouver sa place sur l'oreiller qui lui était attribué et ferma les yeux. Il était rare qui se sente aussi léger sans rien faire, mais c'était le cas cette fois-ci alors autant en profiter. Ce n'était pas tous les jours que le calme régnait dans son esprit en perpétuel mouvement. Là, ses pensées paraissaient ordonnées. Elles allaient et venaient tranquillement, sans se bousculer ni se percuter, ne s'enchaînaient pas toujours, laissant quelques petits moments de flottement, un répit bien mérité pour l'hyperactif.

Les pensées noires reviendraient, bien sûr, et sans doute en grand nombre. Stiles s'y attendait. Il était d'avis que l'explosion de sa noirceur n'était que partie remise. Avec son idée brillante de simplicité, Derek lui avait permis de la mettre de côté, mais pas de la supprimer. Si l'hyperactif était conscient que cela prendrait du temps, la partie pessimiste de son esprit persistait à penser que la solitude le guettait et que ladite noirceur ne le quitterait pas. Il avait atteint un tel stade que remonter hors des abysses de son être lui paraissait impossible. Pourtant, l'autre partie, celle qui se raccrochait à l'espoir de la survie, se disait que, puisqu'il connaissait quelques moments d'accalmie et arrivait à les prendre comme ils venaient, c'était bon signe. Il faudrait simplement être patient.

Et en même temps, le rassemblement de ces deux côtés était d'accord sur une chose : sa santé mentale ne tenait qu'à un fil, que les mots de Scott, tels des petites souris, avaient commencé à grignoter.

De son côté, il ne savait plus trop quoi penser. D'où venait cette haine que son ancien meilleur ami semblait lui porter ? Pourquoi était-il ainsi ? Était-ce seulement à cause de ses actes, de la mort d'Allison ? Dans ce genre de moments, Stiles aimerait plus que tout avoir la capacité de lire dans les pensées. Ainsi, sans doute les motivations de Scott lui paraîtraient plus claires. Cette haine envers lui, Stiles pouvait éventuellement la comprendre. Mais pourquoi s'acharner sur lui de la sorte ? Il pouvait vouloir l'ignorer, le jeter de sa vie. Le maltraiter, le faire tomber en sachant parfaitement que sa jambe n'était pas dans le meilleur état qui soit… C'était autre chose. Lui envoyer ces mots aussi tranchants qu'une lame de rasoir relevait d'un niveau encore plus élevé, de quelque chose de bien plus sombre qu'une simple détestation de son être.

- Tu ne devrais pas t'endormir, on va bientôt manger.

Sans sursauter, comme s'il s'y attendait, Stiles ouvrit doucement les yeux et croisa le regard clair de Derek. Un regard qu'il eut bien du mal à déchiffrer mais s'il y avait bien une chose dont il était sûr, c'est qu'il était vide de toute animosité. De manière générale, cela faisait un moment qu'il n'arrivait plus vraiment à imaginer l'alpha agressif envers lui. Stiles se redressa jusqu'à se retrouver assis et hocha simplement la tête. Histoire de ne pas se retrouver envahi par ses mauvaises pensées alors qu'il était encore d'humeur légère, l'hyperactif se remémora l'après-midi qu'il avait passé. Une douce chaleur l'envahit et il détourna le regard.

- Merci, souffla-t-il.

- Pour ? Entendit-il.

- Liam.

Par ce simple prénom, il sous-entendait beaucoup de choses. Merci de l'avoir fait venir. Merci de l'accepter sous son toit alors qu'il avait déjà Stiles à gérer. Merci de lui avoir parlé. Merci de l'avoir choisi, lui, pour connaître son histoire. Parce que même si Stiles ne l'aurait mis dans la confidence aussi facilement, il s'était rendu compte qu'au final, Liam était le mieux placé pour recevoir ces informations. Puis… Oui, ils s'étaient trouvé des tas de points communs et découvraient peu à peu qu'il s'entendaient bien mieux qu'ils ne le pensaient. Mais ce qui transparaissait le plus dans cet acte qui avait conduit à la suite logique de ce rapprochement, c'était le dévouement de Derek à son égard. Il restait retenu, comme mû par une certaine pudeur, et en même temps pas toujours. Combien de fois Derek l'avait-il pris dans ses bras, depuis qu'il avait découvert sa vie, l'envers du décor et sa dépression ? Avec lui, le loup était… Une autre personne, qui ne laissait certains pans de sa personnalité apparaître que lorsqu'il le jugeait nécessaire.

Gardant les yeux irrémédiablement détournés à cause d'une certaine gêne qu'il ne pouvait s'empêcher d'éprouver, Stiles sentit plus qu'il ne vit Derek s'installer à côté de lui. Dans un sens, l'hyperactif continuait de penser, en arrière-plan, ne pas mériter tous ces efforts, tout cet égard de la part du loup-garou. C'était une conséquence de sa solitude prolongée, de l'indifférence, de la dégradation aussi brutale que violente de sa relation avec son père : toute une accumulation d'éléments dans sa vie dont il n'était, au final, qu'un pauvre spectateur.

- Stiles, regarde-moi.

L'hyperactif déglutit, mais ne ressentit aucune peur. Disons que dans sa gêne, il était devenu adepte du détournement de regards. Parfois, il arrivait à relever les yeux vers celui qui était devenu, par la force des choses, à la fois son hôte, son sauveur, et sans doute son plus grand soutien, juste avant Liam. Là, il se fit violence pour ne pas garder les yeux rivés au sol et relever ses iris ambrés vers Derek, par respect pour lui. Si son visage paraissait inexpressif, Stiles fut frappé par la douceur qu'il arrivait étonnamment bien à déceler dans ses orbes d'une clarté stupéfiante. Derek avait un regard qui lui avait toujours plu et il s'était souvent demandé comment il était possible d'avoir des yeux aussi clairs et colorés à la fois. Mais cette tendresse… Qui était certainement autre chose, ne put que le surprendre, au point de faire rater un battement à son cœur. Cette fois, il vit tout autant qu'il sentit le loup prendre sa main, coller sa peau calleuse à la sienne, si douce en comparaison. Et malgré la gêne, la honte, l'insidieuse peur de l'abandon, Stiles s'efforça de ne pas détourner le regard.

Il se passa un instant, une seconde, peut-être une minute, puis Derek la bouche et sa voix fit naître une étrange chaleur à l'intérieur de Stiles :

- Tu ne replongeras plus.

C'était dit et affirmé avec un tel aplomb que Stiles le crut, sur le moment, et n'eut pas le courage d'envisager le contraire, même pour se protéger. Il arrivait à un stade où la fatigue mentale prenait le pas sur tout le reste. Il avait besoin de temps. D'affection. De soutien. D'une fraîcheur. De renouveau. Un stade où, finalement, tout était encore possible. Et même si une part de lui persistait à lui répéter qu'il était perdu, que plus rien n'aurait jamais de saveur, l'autre partie choisit de croire Derek, d'accepter ces mots, cet espoir si beau auquel il avait longtemps arrêté de croire.

Un sourire aussi faible que frêle apparut sur son visage et même si l'incertitude persistait dans son regard, ses doigts serrèrent ceux de Derek, dans une acceptation silencieuse, celle qui, peut-être, réussirait enfin à changer le cours des choses.