Note de la traductrice : Bonsoir à tous ! Je suis vraiment profondément désolée pour le temps que j'ai mis à updater cette fiction. Comme d'habitude, il y a les cours, plus un voyage à organiser, et lorsque j'ai le temps de traduire, eh bien je me concentre en priorité sur "Un vide en ce monde". Mais bon, comme je me suis plus ou moins forcée à terminer cette fic avant de pouvoir me concentrer sur les autres, eh ben voilà un nouveau chapitre et un incroyablement long !

Comme d'habitude, n'hésitez pas à donner votre avis et à me signaler si vous voyez des fautes d'orthographe ou des omissions.

Bonne lecture à vous !


Chapitre 3 :

Sans mentir, l'enterrement fut probablement le meilleur moment de ce voyage. C'était une pensée assez morbide, Sherlock le savait, et John aurait sûrement levé les yeux au ciel ou bien poussé un soupir s'il l'avait entendu dire ceci à voix haute. Mais le plus jeune des frères Holmes n'y pouvait rien si c'était la vérité, n'est-ce pas ?

D'après lui, et ce malgré les nombreuses prises de tête qu'il avait eues avec elle, la femme pour laquelle ils étaient tous présents et dont ils célébraient la vie passée valait bien plus que ce que le suggérèrent les anecdotes mielleuses contées par les proches qui persistaient à salir sa mémoire.

La cérémonie en elle-même ne fut pas tenue dans un cimetière mais plutôt près d'une falaise, pas très loin du manoir. Tante Scarlet leur avait assuré que c'était un des endroits favoris de la défunte :

« Elle a écrit trois de ses livres ici, vous savez ? »

Il y eut quelques niaiseries de plus, mais c'était à prévoir. Par contre, il y eut également une poignée de discours justes et, d'une façon amusante, secs, écrits par quelques uns des cousins les plus effrontés de Sherlock (Tantine avait toujours aimé les personnes un peu culottées) ainsi même qu'une reprise de « My Way » chantée durant la dispersion des cendres (reprise s'étant terminée en une rencontre malheureuse entre deux générations aux goûts différents puisque la moitié du cortège prit une approche plus traditionnelle du type Sinatra, lorsque l'autre moitié aboya une version plus récente en ricanant).

Tantine aurait adoré ça.

En dépit de tout ceci, Mycroft, que Sherlock aurait cru très amusé par cette représentation, avait été bien plus que sur les nerfs tout du long. Le plus jeune mit ça sur le compte de la fatigue. Ceci lui apprendrait à passer toute la nuit devant la fenêtre et à y fixer le néant au lieu de dormir comme il aurait dû logiquement le faire.

Sherlock pouvait comprendre ce besoin d'éviter le repos lorsque quelque chose de stimulant occupait l'esprit. Mais ils étaient au milieu de nulle part et il n'y avait rien qui, de près ou de loin, avait l'air assez stimulant pour y concentrer son esprit durant la journée, alors en pleine nuit... Rester éveillé sans aucune raison était stupide.

Sherlock ne ressentit donc aucune compassion pour lui.

La veillée se déroula au Manoir Vernet, dans la cour où ils avaient tous déjeuné la veille.

Malheureusement, ce fut le retour en force des niaiseries.

Sherlock se retrouva à tourner en rond d'un pas hâtif, histoire de paraître sociable tout en s'abstenant de réellement tenir compagnie à qui que ce soit (Maman ne serait pas contente du tout si quelqu'un lui apprenait qu'il avait passé son temps à "errer dans l'ombre"). Tout le monde semblait avoir pris cette habitude d'entamer les conversations de la même manière. C'est-à-dire que tous murmuraient, marmonnaient, mugissaient, crissaient ou soupiraient « Ah, cette pauvre (tante) Aggie, hein ? » à quelques mots près.

Cela commençait à devenir incroyablement lassant.

Au bout d'une heure et demie, Sherlock se retrouva au milieu d'un débat intérieur, à lister quels avantages et inconvénients il y avait à se jeter par la lucarne lorsqu'il se fit acculer par son oncle Tibérius. Ce dernier s'était, il ne sait comment, dandiné jusque derrière lui sans se faire repérer, déposant avec force une de ses mains énormes sur son épaule afin d'attirer son attention, le tout en riant joyeusement de quelque chose l'ayant amusé, ce que Sherlock venait juste de comprendre, perdu dans son esprit.

« Sherlock, mon garçon ! tonna-t-il, déjà rendu très jovial par l'alcool, et ce malgré l'occasion.
Je t'ai cherché partout. Et si tu venais avec moi dire un mot à ton père ? J'dirais qu'il est grand temps que vous vous rencontriez tous les deux. »

Sherlock répondit d'un « hum » méditatif.

Ce serait mentir de dire qu'il n'était pas curieux de voir l'autre homme. Après tout, ce qu'il avait eu de son père jusqu'ici n'était qu'un visuel de la voiture de ce dernier, vue à travers la fenêtre du premier étage trente ans auparavant, ainsi qu'une lettre à moitié brûlée adressée à sa mère au sujet de son frère, qu'il avait lue. Donc le moins que l'on puisse dire était qu'ils ne se connaissaient pas tellement.

Tibérius lui souriait, et Sherlock se dit que son oncle pensait son sourire encourageant (pour sa part il pensa que cela lui donnait un air stupide, mais étant donné qu'il appréciait pas mal l'homme, plus qu'il n'en appréciait d'autres du moins, il s'abstint de le lui signaler).

À la place, il sirota son vin et demanda posément :

« Il est venu alors ?

- Bien sûr, mon garçon. Ce vieux Siger a toujours été rigoureux concernant la ponctualité. »

Sherlock ricana.

« Un trait dont Mycroft a hérité, visiblement. »

Son oncle gloussa.

« Ton frère est bien le portrait craché de cette vielle branche, mugit-il. Toi, par contre, tu es bien le fils de ta mère.

- Pour ce qui est de l'apparence sans doute, répliqua Sherlock en riant. Mais j'ai été bien informé du fait que là où elle est charmante, je ne le suis pas du tout.

- Oh, sottises, gloussa de nouveau Tibérius en claquant une fois de plus l'épaule de Sherlock. Viens, allons le voir. Il a dit qu'il avait à partir dans peu de temps. »

Sherlock prit une autre gorgée de vin.

Désirait-il rencontrer Siger Holmes ? Non, pas particulièrement. Bon, pas qu'il ne voulait pas ne pas le voir non plus. Il manquait juste de curiosité à son égard, assez pour ne pas être ennuyé, qu'il le voit ou non.

Il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il ne l'apprécierait sans doute pas tant que ça. Maman ne l'aimait pas. Mais alors pas du tout. Et de ce qu'il avait pu en conclure après toutes ces années, Mycroft ne le tenait pas vraiment en grande estime (et ne l'appréciait pas spécialement lui non plus). Il était plus que probable que Sherlock et son père ne s'entendent pas, et pour être tout à fait franc il n'avait pas besoin de se retrouver en froid avec une nouvelle personne, en plus de toutes les autres.

Ceci dit, oncle Tibérius était malheureusement très insistant, et de gagner un nouvel idiot dans sa collection n'était pas si terrible, surtout si cela lui apportait un peu de calme et de silence.

Sherlock soupira.

« Très bien. Allons-y. Toutefois, nous devrions peut-être trouver Mycroft en premier. Ça serait sympathique de nous retrouver tous les trois, tu ne penses pas ? »

Si Sherlock plongeait, ce crétin plongerait avec lui.

Tibérius (comme prévu) trouva l'idée excellente, et après avoir fait promettre à Sherlock de rester exactement à l'endroit où il se trouvait, il s'en alla chercher Mycroft avec une démarche de canard. Sherlock leva les yeux au ciel et fit appel à un cousin au second ou troisième degré (il avait perdu le compte) afin que celui-ci lui apporte plus de vin (il savait juste qu'il en aurait besoin).

« Et tu ferais mieux de ne pas cracher dans mon verre cette fois-ci, Diel, prévint-il ce dernier au moment même où Tibérius revint, après quelques minutes, l'air assez découragé.

- Tu ne l'as pas trouvé ?

- Non, soupira l'oncle. Et Siger n'est nulle part, il a disparu lui aussi.

- Quelle dommage, annonça Sherlock d'une voix traînante en prenant une gorgée de son vin. Ils sont peut-être ensemble, quelque part.

- Peut-être, répondit Tibérius. Quand même, je suis désolé bonhomme. J'aurais voulu que tu puisses enfin parler à ton père. »

Sherlock agita sa main, montrant à son oncle qu'il n'avait pas à s'inquiéter.

« Ce n'est pas grave. Je suis sûr que nous nous croiserons un jour. »

Tibérius traîna encore un peu avec lui, vérifiant toutes les deux secondes s'il n'avait pas le coeur trop brisé de voir ce moment père-fils remis à plus tard. Sherlock lui assura que non, et après une dernière vérification, il fut enfin libéré de son compagnon qui devenait de plus en plus ennuyeux.

Il retourna se mêler aux autres durant peut-être cinq ou dix minutes.

Mycroft n'était toujours pas réapparu et cela commença à soulever l'intérêt de Sherlock (et non pas à l'inquiéter).

À supposer que lui et Tibérius soient tombés juste en présumant l'identité de la personne avec qui se trouvait Mycroft (et considérant le fait qu'il n'ait ni entendu son oncle crier de joie ni poser tout un tas de questions, ce qui aurait indiqué le retour de son père ou celui de son frère, ils étaient probablement tombés juste), l'absence de ce dernier parut encore plus étrange.

Après tout, Mycroft n'était pas du genre à subir la présence de personnes qu'il n'aimait pas si cela n'était pas absolument nécessaire (à comprendre ici : si la stabilité de l'État n'était pas en jeu). Il n'était peut-être pas aussi direct que Sherlock lorsqu'il n'appréciait pas quelqu'un, toutefois, il le faisait quand même sentir. Alors pourquoi n'était-il toujours pas revenu ?

Sherlock leva les yeux du contenu de son verre pour tomber sur oncle Tobias, ainsi que sur ce qui semblait être, en plus grand et plus bruyant, le double éméché d'oncle Tibérius. Les deux se dirigeaient tout droit vers lui.

Sherlock décida sans attendre qu'il était grand temps de partir mener son enquête.

Se faufilant à la vitesse de l'éclair entre le grand nombre de proches présents, il évita soigneusement (et poliment, il s'en félicita lui-même) toute conversation, et informa rapidement tante Scarlet qu'il filait afin de voir « Où a disparu Mycroft avec ces verres que tu lui as demandé d'apporter en plus. », couvrant ainsi ses arrières et celles de son frère, et surprenant également sa tante assez longtemps pour avoir le temps de s'enfuir. Tante qui n'avait à la base demandé aucun verre.

Il chercha à l'intérieur de la maison durant cinq minutes et demie (bon, six et demie s'il comptait la minute passée caché derrière une tapisserie à retenir sa respiration lorsque Tibérius et Tobias passèrent, à la recherche de vin), puis décida rapidement d'aller jeter un oeil sur les terres du domaine.

Il repéra son frère quelques secondes après être sorti par la porte d'accès réservée aux domestiques. Mycroft était assis sur le petit mur en pierre qui entourait le manoir et qui le séparait du reste de la propriété.

Il faisait dos à Sherlock et était... Quoi ? En train d'observer les vaches ? Ils avaient une veillée funèbre à supporter et Mycroft l'abandonnait aux griffes de leurs proches afin de regarder des vaches normandes brouter de l'herbe !

Les yeux ayant pris la forme de petites fentes meurtrières et les poings serrés, Sherlock s'avança vers lui avec colère.

Il eut à moitié envie de le frapper, ou du moins de lui donner une claque à l'arrière de la tête pour s'être comporté comme un crétin inconsidéré. Finalement il se contenta de bousculer fortement ce gros tas en lui donnant un coup à l'épaule.

Mycroft, surpris, bondit du muret en haletant et se tourna vers lui.

Le confronter fut la dernière chose à laquelle Sherlock pensa lorsque son frère lui fit face.

oOoOo

Mycroft était en train de couvrir Sherlock.

Lui et Maman étaient dans la chambre d'ami, tous deux assis sur le lit à discuter de la situation, les larmes aux yeux.

Sherlock les observait à travers la serrure dans une position précaire : en équilibre sur le banc qui se trouvait à côté de la porte. De cette façon, aucun d'entre eux ne pouvait apercevoir ses pieds.

« Peut-être que père me repren– peut-être que si tu lui en parlais, il voudrait–

- Non, murmura Maman en caressant ses cheveux courts pour l'apaiser. Non, mon coeur. Il y a d'autres personnes. Je ne te renverrai pas chez lui. »

Mycroft se mordit la lèvre avant de hocher rapidement la tête. Sherlock ne put que percevoir un « merci » marmonné.

Maman s'essuya les yeux.

« Dis-moi juste où tu veux aller, mon chéri, chuchota-elle en lui traçant des cercles sur la tempe avec son pouce. Je m'occuperai de tout le reste. »

Mycroft haussa les épaules.

« Ça n'a pas– ça n'a pas d'importance, répondit-il avec un air misérable, d'une manière qui fit que la poitrine de Sherlock se serra à nouveau. Le plus simple sera le mieux. »

Maman fronça les sourcils.

Oh-oh.

« Le plus simple sera le mieux ? » répéta-t-elle, l'air suspicieuse.

Mycroft leva des yeux écarquillés.

« Mycroft. De quoi s'agit-il réellement ?

- Je– rien, je...qu'est-ce que tu veux dire ?

- Mycroft Perceval Holmes, dis-moi la vérité, ordonna sévèrement Maman. Veux-tu réellement partir ? »

Le pauvre tremblait.

Sherlock eut l'impression de couler.

Mycroft fit non de la tête.

« Alors pourquoi tout ça ? reprit-elle, toujours sérieuse.

- Je...j'ai pensé que ça serait mieux, glapit-il en réponse.

- Et qu'est-ce qui t'a poussé à penser cela ? » demanda Maman en croisant les bras.

Avec l'air d'un lapin pris dans les phares d'un 4x4 de chasse, Mycroft bredouilla :

« Je, c'est que, je...je pensais–

- Mycroft...

- J'ai juste...fini par réaliser que ma présence ici pourrait déranger un peu plus que je ne l'avais prévu.

- Déranger qui ? » gronda Maman.

Mycroft avala sa salive.

Sherlock aussi.

« Bien– il y a...euh–

- Sherlock ! »

Oh mon Dieu, elle le priverait de sortie à vie.

« Sherlock Holmes, viens ici tout de suite ! hurla de nouveau Maman.

- Ce n'est pas de sa faute ! » insista Mycroft.

Sherlock ne resta pas une seconde de plus.

En fait il sauta du banc et se mit à penser au meilleur endroit où se cacher. Pas sous son lit, trop évident. Pas la buanderie, elle sentait bizarre. Il y avait trop de poussière sous les escaliers pour pouvoir y rester. La cuisine était bien trop traversée. La salle de bain était trop petite–

« Sherlock ! »

Et mince.

Il n'avait jamais vu Maman aussi en colère auparavant.

Agrippant son poignet assez fort pour que toute idée de fuite soit oubliée, elle le traîna jusqu'à la chambre d'ami et le souleva avant de le déposer fermement sur le lit.

« Sherlock, dit-elle en ignorant les geignements qu'il émettait, frustré. As-tu quelque chose à voir avec la décision de Mycroft ?

- Non. » mentit-il en râlant.

Entourant son menton de ses doigts, elle le força à la regarder dans les yeux et lui ordonna de lui répéter sa réponse.

Sherlock ne tenta même pas de recommencer, il savait que ce n'était pas la peine.

« Sherlock ! s'exclama-t-elle en colère. Comment as-tu pu faire ça ?

- Maman, ce n'était pas son inten–

- Oh que si.

- Il voulait juste–

- Mycroft, mon chéri, souffla Maman en le regardant se tenir debout, nerveux, au pied du lit. Assieds-toi et arrête d'essayer de le défendre. Il savait exactement ce qu'il faisait. »

Mycroft se mordit la lèvre, mais plus important encore, il ne bougea pas. C'était la première fois que Sherlock le voyait désobéir...à quiconque, sans compter qu'il s'agissait là de Maman.

Aux vues de sa réaction surprise, c'était la première fois qu'elle le voyait désobéir aussi.

« Je...pas si tu... il avala sa salive. Qu'est-ce que tu vas lui faire ? »

Maman fronça les sourcils.

Sherlock également. Que pensait-il qu'il allait se passer ?

« Je vais juste lui expliquer ce qu'il a fait de mal, mon coeur. » lui répondit-elle.

Mycroft se balança nerveusement d'un pied sur l'autre.

« C'est tout ? s'assura-t-il.

- C'est tout. » confirma Maman.

Sherlock était perdu. Bien entendu qu'ils allaient discuter. Qu'est-ce qu'ils pourraient faire d'autre ? Maman savait bien que le mettre au coin ne fonctionnait plus. Lui parler durant des heures jusqu'à ce qu'il promette de ne plus jamais faire ce qu'il avait fait était sa nouvelle méthode (malheureusement efficace) pour le discipliner.

C'était certes très chiant, mais rien ne justifiait la réaction de Mycroft. Et pourquoi était-il si inquiet en premier lieu ? C'était Sherlock qui prendrait – pas lui.

Maman tendit une main vers Mycroft et lui demanda une fois de plus de s'asseoir tout en passant doucement son pouce sur ses phalanges à lui.

Sherlock fit la grimace. Bien sûr. Il comprenait désormais. C'était l'histoire du pipi au lit qui recommençait. L'autre se mettait dans des états pas possibles juste pour que Maman le réconforte des heures durant par la suite, et maintenant il se servait de Sherlock pour arriver à ses fins !

« Tu es vraiment pathétique, marmonna-t-il sombrement.

- Sherlock ! »

Mycroft soupira :

« Tu trouves ?

- Tu ne supportes pas de ne pas être au centre de l'attention plus d'une seconde, hein ? »

L'autre se mit à rire.

« C'est ce que tu penses ?

- C'est ce que je sais ! rétorqua Sherlock.

- Dans ce cas tu devrais te trouver un miroir, Sherlock. Tu y verras la personne avec qui tu me confonds. »

Sherlock grogna.

« Pourriez-vous arrêter de vous disputer ? soupira Maman en se frottant les yeux. Je ne supporte pas de vous voir faire ça. »

Mycroft s'excusa en marmonnant, mais ses excuses furent recouvertes pas le cri outragé de son frère :

« Tu vois ! Tu as contrarié Maman ! Mais ce n'est pas un problème pour toi, n'est-ce pas ? Parce que tu vas juste te mettre à chialer et elle te pardonnera de suite, espère de gros bébé stupide et pleurnichard ! siffla-t-il en lui lançant un regard mauvais.

- Sherlock Holmes ! cria Maman. J'en ai plus qu'assez !

- Tu es de son côté ? répondit Sherlock en hurlant, incrédule.

- Je ne suis du côté de personne.

- Si tu l'es ! insista Sherlock. Tu ne vois pas ? Il fait tout ça juste pour que tu viennes le câliner comme tu le fais à chaque fois qu'il fait semblant d'aller mal !

- Sherlock ! Va dans ta chambre !

- C'est toi qui m'a amené ici !

- Maintenant !

- Ah oui, puis comme ça tu pourras passer encore plus de temps avec Saint Mycroft qui est si important ! lança-t-il, méprisant. Il n'est même pas à moitié aussi brillant que tu le penses, tu sais ?

- Dans ta chambre, Sherlock !

- Il ne l'est pas ! hurla-t-il en frappant le lit avec frustration. Il gâche toujours tout ce que je fais, et il le fait exprès ! Il croit qu'il peut me donner des ordres ! Il vole des choses !

- C'est faux, je ne vole pas ! s'exclama brusquement Mycroft.

- Oh que si, menteur ! rétorqua Sherlock.

- Et qu'ai-je donc volé, je te prie ? demanda l'accusé. Et tu ferais bien de ne rien avoir planqué dans ma chambre. »

Sherlock afficha un rictus.

« Comme si j'en avais besoin. » railla-t-il avant de sauter du lit.

Il traversa la pièce et, ignorant Maman qui lui demandait encore et encore d'arrêter et d'aller dans sa chambre, il arracha le tiroir du bas de l'armoire, le jeta par terre et retira tous les vêtements s'y trouvant afin d'en révéler le contenu : une jolie petite collection de boîtes de conserve et de sachets pleins de nourriture.

« Démasqué ! » se mit-il presque à chantonner en balançant un des sachets à Mycroft.

Ce dernier grogna avant de crier :

« Tu as fouiné dans ma chambre !

- Ce n'est pas ta chambre ! C'est la chambre d'ami, pour les invités, dont certains ont plus qu'abusé de notre hospitalité.

- Sherlock !

- Mais c'est vrai ! beugla le plus jeune avant de se retourner, agressif, vers Mycroft. Et puis de toute façon, tu n'en abuseras plus de notre hospitalité. Nous n'hébergeons pas les menteurs et voleurs comme toi ! »

Mycroft se renfrogna.

« Je ne les ai pas volées.

- Ah bon ? persifla Sherlock. Comment tu les as eues alors ? Tu n'as pas d'argent. Nous n'achetons pas cette marque, donc tu ne les as pas pris dans le garde-manger. Tu dois les avoir volées au magasin. C'est la seule explication des faits.

- Je n'ai rien volé ! rugit Mycroft, avant de se forcer à retrouver son calme. »

Il lança à Maman un regard gêné, avant de siffler entre ses dents serrées :

« Tu te trompes. Ce n'est que l'explication possible d'une partie des faits.

- Non, ça ne l'est pas !

- Regarde les étiquettes ! attaqua Mycroft. Ça vient de chez Marks & Spencer's, et non pas le Sainsbury's en bas de la rue ni le Morrison's un peu plus loin. Pourquoi est-ce que je parcourrais deux villes à pied juste pour voler des conserves de cette marque-ci en particulier ? »

Les joues de Sherlock s'empourprèrent. Cela semblait... ça avait du sens. Mais il y avait toujours quelque chose d'étrange dans le fait de garder de la nourriture cachée sous ses pantalons d'école et Sherlock n'abandonnerait pas sans se battre.

« Tu pourrais les avoir volées chez quelqu'un ? » suggéra-t-il.

Mycroft ricana.

« D'abord je vole dans les magasins, et maintenant je vole chez les gens ?

- Voleur en plein jour et cambrioleur dans la nuit !

- C'est pas croyable.

- Comment tu les as eues, alors ?

- Elles sont à moi ! hurla Mycroft en empoignant ses cheveux. Je les avais en arrivant ici ! L'homme de ménage de père rangeait le garde-manger et jetait des trucs à la poubelle. Elles auraient été jetées de toute manière ! Ce n'est pas du vol !

- Techniquement–

- Oh la ferme, Sherlock ! »

Celui-ci se tourna vers Maman, espérant pour une fois la trouver en train de fixer son frère avec un regard désapprobateur, et il était près à savourer ce moment. Elle était en train de fixer Mycroft, seulement il n'y avait aucun reproche dans son regard. Pas même un seul. Ses yeux étaient écarquillés et son regard doux et...elle était inquiète ! Mycroft lui disait de la fermer et non seulement cela ne la dérangeait absolument pas, mais elle était inquiète à son sujet !

Il en resta bouche bée.

« Mycroft, mon ange. Je pense que toi et moi devons parler. »

L'interpellé se retourna, les yeux grands ouverts.

« Il allait les jeter ! Je ne les ai pas – ce n'était pas du vol !

- Non, mon coeur, reprit Maman d'un ton apaisant. Ce n'est pas ce qui m'inquiète. »

Mycroft cligna des yeux.

« Qu'est-ce que c'est alors ? demanda-t-il.

- C'est le fait que tu ressentes le besoin, que tu aies toujours ressenti le besoin de cacher de la nourriture dans ta chambre qui m'inquiète, mon chéri. »

Il se mordit de nouveau la lèvre.

« C'est parce que c'est un gros lard, marmonna Sherlock avec amertume avant de se rendre compte que cela n'était pas une bonne idée.

- Sherlock, va dans ta chambre et attends-moi là-bas, lui ordonna sèchement Maman, une lueur dangereuse dans les yeux. Toi et moi discuterons de ton comportement une fois que j'aurais terminé avec Mycroft. »

Sherlock fronça les sourcils.

« Pourquoi tu ne me parles pas en premier ?

- Sherlock, va-t-en. » lui dicta-t-elle en prenant Mycroft par la main pour le pousser à s'asseoir sur le lit.

Sherlock tenta d'être en colère et il l'était, mais cela n'était pas assez pour surpasser la peine provoquée par la demande de sa mère. C'était au-delà de la douleur physique, comme lorsque sa poitrine s'était serrée quand Mycroft s'était mis à pleurer. Sa poitrine se serrait de nouveau et il se sentait bizarre – pas comme s'il avait une migraine mais...il avait une sensation étrange dans les yeux, ses oreilles bourdonnaient et sa gorge était serrée, vraiment très serrée, et le devenait de plus en plus, comme sa poitrine et–

« Sherlock, tout de suite. »

Il se mit à courir. Il courut aussi vite que ses jambes le lui permettaient, il sortit de la chambre et descendit jusqu'au hall d'entrée. Il ne pouvait pas – il était hors de question qu'il reste là-bas à – il refusait de s'humilier en pleurant devant quelqu'un d'aussi stupide que Mycroft.

La première larme tomba une fois qu'il eut passé la porte à toute pompe. Une autre suivit rapidement tandis qu'il attrapait son drap préféré pour l'enrouler fermement autour de lui. Une fois avoir plongé sous son lit, tout au fond, et s'y être une fois de plus recroquevillé, plus rien ne put empêcher ses larmes de couler et bien que le poing qu'il enfonça dans sa bouche aida à étouffer ses sanglots, cela ne les arrêta pas complètement.

Au moins il savait à quoi s'en tenir désormais. Maman avait Mycroft maintenant. Il était son favori et lui...elle ne l'aimait plus à présent. Elle n'avait plus besoin de lui.

N'était-ce que le début ? Est-ce qu'elle n'irait dehors qu'avec Mycroft à partir de maintenant ? Est-ce qu'ils partiraient en vacances, juste tous les deux ? Est-ce qu'elle ne parlerait qu'à son frère et ne lui dirait plus un mot à lui ? Est-ce qu'elle ne verrait plus que Mycroft...et ne voudrait que lui, et non plus Sherlock ? Est-ce qu'elle se débarrasserait de Sherlock comme père s'était débarrassé de Mycroft ?

C'était une possibilité. C'était ce que les gens faisaient à l'école, n'est-ce pas ? Vous pouviez être le meilleur ami de quelqu'un pendant des années, puis arrivait une nouvelle personne, une personne bien mieux, qui n'était pas un taré et pouf ! Plus de meilleur ami.
Sherlock replia ses genoux contre son torse et les entoura de ses bras.

Il était réellement seul désormais.

oOoOo

Il y avait des entailles sur le visage de Mycroft et il saignait abondamment du nez. Sa lèvre inférieure était fendue, saignant elle aussi. Il avait également une main cramponnée à ses côtes. Somme toute, il avait proprement l'air de s'être fait roué de coups, et vu son air on ne peut plus secoué, c'était ce qui avait dû arriver.

Mais cela n'était pas possible. C'était de Mycroft qu'il s'agissait ! Qui oserait – qui pourrait...il lui fallait plus d'éléments.

Cependant, avant qu'il ne puisse davantage sonder la situation, Mycroft l'en empêcha. Ce fut comme si d'énormes murs de pierre avaient été mis autour de lui, et Sherlock ne pouvait les franchir.

Mycroft sourit.

« Je me demandais quand est-ce que tu viendrais me chercher, dit-il en riant. Désolé de t'avoir laissé, cher frère. J'avais juste besoin de prendre un peu l'air. J'ai passé une heure à écouter notre grand-oncle Edgar faire une envolée lyrique au sujet de la Deuxième Guerre mondiale et il me fallait une pause. »

Sherlock fronça les sourcils.

« Tu t'es fait agresser ? »

Son frère éclata de rire.

« Grands Dieux, non, répondit-il. Rien de si excitant j'en ai peur. Je suis juste tombé, c'est tout. Très maladroit de ma part et très embarrassant. »

- Tu es recouvert de sang.

- Tu sais combien saignent les blessures à la tête, répliqua Mycroft en haussant les épaules. Donne-moi quelques minutes ainsi qu'une nouvelle chemise et je serai en pleine forme. »

Il enjamba le muret et Sherlock remarqua à quel point ses jambes tremblaient, même si la plupart des gens ne le remarqueraient pas.

« Allez viens, allons-y, soupira l'aîné des Holmes. Nous ne voulons pas faire attendre le public. »

Sherlock s'approcha en secouant la tête, murmurant :

« Laisse-moi t'aider alors. »

Il tendit la main afin de saisir le bras de Mycroft mais celui-ci se dégagea brusquement en titubant, s'éloignant de nouveau de Sherlock et ce de manière frappante.

« Sherlock, je vais bien, insista-t-il.

- Non, tu ne vas pas bien, aboya sèchement le plus jeune.

- Je vais bien, vraiment, répéta Mycroft. Je savourais ma promenade et j'ai juste trébuché. C'est entièrement superficiel, promis. »

Sherlock fronça les sourcils.

« Tes blessures ne correspondent pas à celles que l'on se fait en tombant, défendit-il. Les paumes de tes mains n'ont rien, alors qu'elles auraient dû au minimum avoir autant de coupures que ton visage, si ce n'est plus. »

Mycroft soupira et baissa les yeux, embarrassé, avant de répondre à contrecoeur :

« Mes mains étaient dans mes poches. Je – mon régime n'avance pas et mes pantalons ne me vont plus vraiment, si on peut dire. Je n'ai pas pu les sortir à temps pour me rattraper. Et puis j'avais l'esprit ailleurs, ce qui n'a pas aidé à agir plus rapidement. »

Les sourcils de Sherlock se froncèrent davantage. Mycroft ne semblait pas plus à l'étroit dans son pantalon que lui-même ne l'était dans le sien, et pourquoi diable son frère lui avouerait-il avoir à la fois eu l'esprit ailleurs et gagné du poids, à lui, Sherlock, de toutes les personnes existantes ?

Bien que l'image de Mycroft trébuchant sur son propre pied avec les mains coincées dans ses poches était extrêmement drôle, Sherlock sentait que c'était un mensonge, et pour être tout à fait franc, il n'était pas vraiment convainquant (ce qui, compte tenu de sa source, en disait long).

Mais il n'arriverait pas à extorquer d'autres informations à son frère si celui-ci restait sur ses gardes tout l'après-midi. Alors plutôt que de dire tout haut ce qu'il pensait, il se moqua du poids de son frère, comme d'habitude, puis se dirigea en premier vers l'intérieur. Il aida ensuite Mycroft à s'arranger, lui fit part du bobard qu'il avait raconté pour les couvrir, et ils s'en allèrent tous les deux rejoindre les autres dans la cour, que ce soit la meilleure chose à faire ou non.

Tante Scarlet, évidemment, avait été très alarmée par l'apparence de Mycroft, qui, même sans avoir de sang dégoulinant le long de son visage et de sa chemise, ressemblait à un fantôme. Des bleus commençaient déjà à détonner avec la peau pâle de son visage.

Sherlock se tint là, à regarder un Mycroft souriant expliquer à leur tante comment il avait simplement trébuché tandis qu'il se dirigeait vers l'étable, à la recherche d'une échelle.

« On m'a dit que je trouverais plus de verres dans le grenier.

- Mais qui diable t'a dit ça ?

- J'ai bien peur de ne pas m'en souvenir.

- Oh, grand nigaud, réprimanda Tante Scarlet. Personne n'avait besoin de verre en plus, pour commencer.

- Mais j'aurais juré t'avoir entendu dire...peut-être était-ce quelqu'un d'autre. Je n'arrive pas à m'en souvenir avec tout ce qui s'est passé.

- Peut-être que ce pauvre Cyril a mal compris lorsque je lui ai demandé d'aller me trouver le jeune Vère, suggéra Tante Scarlet. »

Mycroft rit chaudement.

« Oui, c'est probablement ce qui s'est passé. Je trouvais cette histoire de verres étrange... Enfin, ce n'est pas grave.

- Ça l'est pour toi, mon pauvre chéri, piailla tante Scarlet en passant une main sur les bleus les plus sombres de Mycroft (Sherlock vit son frère sursauter avant même de se faire toucher ce n'était donc pas dû à la douleur causée par ses blessures, comme le pensa leur tante).

- Est-ce très douloureux ? » s'enquit-elle, très inquiète.

Mycroft lui sourit et pour la rassurer, lui dit :

« J'ai déjà récolté bien pire au bureau, tantine. Il n'y a vraiment pas de quoi t'inquiéter. Oh, je vois que messieurs Tobias et Tibérius nous font signe de les rejoindre. Nous ferions mieux de ne pas les faire attendre. Viens, Sherlock. »

Ils passèrent le reste de la journée ainsi que leur dernière soirée au Manoir Vernet de la même façon Mycroft se balada avec air plus que jamais affecté, s'excusant de son apparence en laissant tout le monde ignorer ce qui s'était réellement passé.

Tout le monde, excepté Sherlock qui ne le décolla pas d'une semelle de tout l'après-midi, et qui, par conséquent, nota toutes les petites incohérences de son histoire certes bien ficelée, mais pas autant qu'elle ne devrait l'être. En effet, dans une version il trébuchait sur un caillou, dans une autre sur une branche, et après sur un lacet défait. Cette dernière version fut d'ailleurs tournée avec génie de sorte à gentiment rappeler à leurs plus jeunes cousins de toujours faire un double noeud à leurs lacets. C'étaient de petites incohérences certes, mais assez nombreuses pour éveiller les soupçons de Sherlock.

En plus de cela, quelques unes des vieilles habitudes disparues de Mycroft commencèrent à refaire surface. Son aversion des contacts humains (à l'instant même il s'était retenu de se dérober lorsque l'oncle Tobias s'était glissé derrière lui afin de lui tapoter l'épaule, mais seul Sherlock l'avait remarqué), son dégoût soudain de l'alcool (alors que quelques heures plus tôt il sirotait tranquillement un verre de vin), le fait qu'il trouve réconfort dans la nourriture (le temps que tout soit rangé, il s'était enfilé cinq parts de gâteau, une chose que le Mycroft que Sherlock connaissait n'aurait jamais fait, encore moins face à lui, mais que le jeune Mycroft, celui qu'il venait de rencontrer à l'époque, faisait après un mauvais jour passé à l'école ou alors à minuit après un cauchemar), ou le fait qu'il se perde si loin dans ses pensées qu'il faille le secouer pour l'en sortir, ce qui à chaque fois faisait resurgir son aversion des contacts.

Il y avait aussi le fait que Sherlock ne se soit pas moqué de lui une seule fois depuis qu'ils avaient rejoint les autres, ce dont il commençait à avoir honte étant donné que c'était inhabituel (ce que leur vielle grand-mère loufoque avait commenté en disant combien il était agréable de le voir « être gentil avec ton frère, pour changer »). Mycroft, pourtant, n'avait rien répondu, ni même remarqué.

Sherlock n'était pas encore sûr de ce qu'il lui était arrivé, et il avait appris à ne pas dresser de théories à partir de faits amassés au hasard, mais il était certain d'une chose : les blessures de son frère provenaient de quelque chose bien plus traumatisant qu'une simple chute, et Sherlock avait cette impression grandissante que ce n'était pas la première fois que cela arrivait.

oOoOo

Maman ne vint voir Sherlock que trois heures après la dispute entre Mycroft et lui, et même après trois heures, elle était toujours en colère contre lui. Elle lui dit qu'il l'avait déçue, qu'elle n'arrivait pas à croire qu'il ait pu agir de manière si horrible et cruelle, et qu'elle s'était attendu à bien mieux venant de lui.

Sherlock en eut le coeur brisé.

Elle lui ordonna d'aller au lit plus tôt, et le priva de sortie jusqu'à la fin du mois, mais ce qui fit le plus mal à Sherlock fut le fait qu'elle oublie de lui faire son câlin du soir. Cette nuit-là et pour la première fois depuis le temps où il était bébé, Sherlock s'endormit en pleurant.

Mycroft n'avait omis aucun détail. Il s'avéra qu'il avait vu les brochures et remarqué le couvert manquant sur la table ainsi que les affaires laissées sur la corde à linge.

Malheureusement, cela signifiait que Maman surveillait les faits et gestes de Sherlock, s'assurant qu'il ne fasse plus rien qui puisse pousser Mycroft à se sentir rejeté. Face à cette situation, Sherlock était impuissant.

De ce fait, cela devint officiel : Mycroft restait.

Sherlock le détestait plus que jamais.

Heureusement, après cette nuit-là, Mycroft avait commencé à passer tout son temps dehors se réveillant et partant très tôt le matin pour revenir aussi tard qu'on le lui autorisait.

Et bien qu'il préférait de loin cette alternative à celle de rester coincé dans la même maison que cet abruti, c'était plus fort que lui, Sherlock détestait cette situation. Il était persuadé que Mycroft faisait cela uniquement pour le narguer, car lui pouvait sortir alors que Sherlock n'en avait pas le droit. C'était bas et incroyablement puérile...mais bon sang, cela l'énervait tout autant !

Pour se venger, Sherlock s'assura de rendre chacune des secondes qu'il passait dans son domaine (à comprendre ici : dans la maison) absolument insupportable. Cela ne plaisait pas à Maman, bien sûr, mais qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire ? Elle ne l'aimait plus de toute manière, non ? Il pouvait bien faire ce qu'il voulait, cela ne ferait aucune différence. Le côté libérateur de la chose aurait pu être merveilleux s'il n'était pas aussi douloureux.

Cependant, quelques semaines plus tard, l'incarcération de Sherlock toucha à sa fin et contrairement à ce que Sherlock avait cru, les sorties quotidiennes de Mycroft continuèrent.

Sherlock fut intrigué.

Peut-être avait-il une petite-amie secrète qu'il rejoignait tous les jours afin d'avoir des relations sexuelles ? C'était ce que les adolescents étaient supposés faire (ou du moins vouloir faire) durant leur temps libre, n'est-ce pas ? Est-ce Maman le mettrait dehors s'il avait des relations sexuelles avant d'être majeur ? Et si la fille tombait enceinte ? Il devrait peut-être fouiller dans ses affaires en quête de préservatifs. Attends, non, saboter les moyens de contraception c'était mal. C'était ce que Maman lui avait dit durant sa période « je-donne-des-leçons-de-vie-tandis-que-je-regarde-des-feuilletons-américains » (certaines choses étaient trop étranges pour être oubliées).

En outre, il était peu probable que ce soit ce que Mycroft faisait, de toute façon.

Quelle fille voudrait coucher avec Mycroft ? Les filles de seconde avaient assurément trouvé l'idée très drôle (même si, il en avait bien peur, ce qu'elles avaient trouvé drôle était davantage le fait qu'il pose la question plutôt que la question en elle-même).

Quoi qu'il en soit, quelques jours après avoir retrouvé sa liberté, Sherlock se réveilla tôt et le suivit hors de la maison jusqu'au bout de la rue, puis jusqu'au parc. Mycroft, égal à lui-même, ne fit rien d'intéressant et au lieu de retrouver la voisine, il préféra grimper à l'arbre le plus éloigné afin d'y lire, d'y observer les gens ou bien de dormir sur les branches les plus basses.

Naturellement, Sherlock continua à l'observer durant les deux jours qui suivirent, histoire d'être sûr, mais il n'y eut aucun changement.

Sherlock ne comprenait tout simplement pas comment il était possible pour quelqu'un d'être aussi ennuyeux.

Mais cela n'avait pas d'importance. Ennuyeux ou non, ce nouvel arrangement avait au moins le mérite de garder Mycroft hors de la maison, hors de son chemin et loin de Maman. Du coup, Sherlock put passer beaucoup plus de temps avec elle, comme avant. Elle avait même recommencé à l'aimer.

Seulement, Mycroft commença à tomber malade.

Au début, sa toux irrita Sherlock, mais resta très simple à ignorer. Puis elle se fit plus fréquente, et par conséquent, bien plus agaçante. Vers la fin de la semaine, Sherlock fut persuadé que son frère toussait uniquement pour l'énerver. Il n'allait pas lui donner satisfaction.
Mais même par la suite, sa toux persista. Elle empira, même. En fait, vu le bruit, on aurait dit que cela était vraiment douloureux.

Mycroft n'était pas encore allé en parler à Maman.

Sherlock ne comprenait pas pourquoi.

Ce petit manège dura un peu plus d'une semaine, puis la situation atteint un point critique.

Ils étaient en train de dîner, et Mycroft n'avait cessé de tousser par intermittence tout au long du repas, incapable de se réprimer complètement bien qu'il persista à tenter d'étouffer le bruit en utilisant la manche de son pull-over.

Maman le remarqua quand même.

« Cela a l'air d'être grave, mon coeur, commenta-t-elle. Depuis combien de temps cela dure-t-il ?

- Pas longtemps, répondit Mycroft avec sourire rassurant. Tout va bien. Ce n'est pas aussi grave que ça en a l'air, vraiment. »

Sherlock fronça les sourcils.

Il mentait. Pourquoi mentait-il ? Il toussait depuis bien plus d'une semaine et c'était douloureux Sherlock l'avait vu se tenir la poitrine un peu plus tôt et il l'avait entendu gémir et grogner parfois, après une quinte de toux bien vicieuse.

Mais Maman avait été occupée au travail, alors elle le crut tout simplement.

« Je peux te prendre rendez-vous chez le médecin si tu veux, proposa-t-elle.

- Non, vraiment, tout va bien, insista Mycroft. Je suppose que j'ai dû attraper cette maladie qui traîne en ce moment. Piers en a passé tout la semaine chez lui, tu sais ? Johnstone et Collins aussi. »

Maman assura qu'elle comprenait, annonçant que Merill avait également attrapé ladite maladie. Sherlock rumina tout du long.

Mycroft ne souffrait pas d'un petit rhume de rien du tout. Il était gravement malade, et non seulement il refusait d'admettre à quel point c'était grave, mais en plus il refusait d'aller chez le médecin. Comment se sentirait-il mieux s'il n'allait pas chez le médecin ? Et s'il y avait une chose que Sherlock ne supportait pas, c'était la stupidité.

De ce fait, il élabora un plan pour dévoiler l'état de son frère (ce qui ne prit pas de temps), et l'appliqua sans attendre.

Ainsi, alors que Mycroft et Maman papotaient, Sherlock s'empara de la salière et de la poivrière et se mit à en verser les contenus sur la table à manger.

Maman finit par le remarquer lorsqu'il eut formé deux beaux et grands tas.

« Sherlock, qu'est-ce que tu fabriques ? demanda-t-elle en soupirant.

- Je voulais voir lequel contenait du sel avant d'en mettre dans mon assiette, expliqua Sherlock avec de grands yeux innocents. Puis je les ai mélangés, du coup il a fallu que je recommence.

- C'est écrit en grosses lettres sur le côté. » remarqua Mycroft.

Sherlock se renfrogna.

« Cela ne fait qu'indiquer ce que le récipient est supposé contenir. »

Mycroft leva les yeux au ciel, mais ne dit rien d'autre.

Maman soupira.

« Eh bien, maintenant tu le sais, donc peux-tu s'il-te-plaît me nettoyer ce bazar, mon chéri ? »

Sherlock sourit.

« Pas de problème. » annonça-t-il joyeusement avant de prendre une profonde inspiration et de souffler sur les tas qui traversèrent la table, allant droit sur le visage de Mycroft.

Il ne s'attendait pas à ce qu'il tousse autant, ou si violemment. Il ne s'attendait pas à ce qu'il ne soit pas capable de s'arrêter, à ce qu'il ne soit plus capable de respirer. Il ne s'attendait pas du tout à ce que Maman se mette dans un tel état d'affolement et de peur. Il ne s'attendait – comment aurait-il pu savoir que – il n'avait pas voulu que cela arrive.

Il fallut cinq minutes à Mycroft pour se remettre à respirer normalement, temps au bout duquel il se retrouva flageolant (Maman et Sherlock aussi, bien que pour différentes raisons).

Maman décida de l'emmener à l'hôpital (l'ignorant soigneusement tandis qu'il affirmait aller parfaitement bien et ne pas en avoir besoin).

Sherlock était tellement sous le choc de qu'il s'était passé qu'il n'émit aucune plainte lorsqu'il fut forcé à rester chez la voisine, Mademoiselle Bailey, alors qu'ils y allaient sans lui.

Maman ne revint pas de toute la nuit, et ne revint pas le lendemain matin non plus. En fait, ce ne fut que tard dans la soirée du jour suivant celui durant lequel Sherlock eut presque assassiné son frère (non, ce n'était pas un meurtre mais un homicide involontaire. Il ne l'avait pas voulu, on ne pouvait pas l'accuser de meurtre) qu'elle rentra finalement à la maison, épuisée et bien trop affectueuse (et ce n'était pas dans le bon sens du terme).

Mycroft n'était pas avec elle.

oOoOo

Sur la pointe des pieds, Sherlock sortit de la chambre qu'il partageait avec Mycroft à l'instant même où l'horloge sonna minuit à l'étage d'en-dessous. Son frère s'était déjà endormi. Ils devaient partir tôt dans la matinée, et bien qu'il ait longtemps affirmé le contraire, Mycroft était complètement épuisé.

Se faufilant, Sherlock traversa le hall et descendit furtivement les escaliers en évitant les parties du plancher et les marches qui, il l'avait découvert étant enfant, grinçaient assez fort pour que des indésirables soient alertés de ses méfaits nocturnes.

Guettant avec attention des bruits qui indiqueraient du mouvement à l'étage, Sherlock enfila ses chaussures, son manteau, et enroula confortablement son écharpe autour de son cou avant de se glisser par la porte et de longer l'allée.

Il marcha pendant près de cinq minutes, jusqu'à atteindre le haut d'une colline toute proche d'où il pourrait voir quiconque approcherait.

Ce ne fut qu'à ce moment-là qu'il fit ce pour quoi il était venu jusqu'ici.

« Va te faire, Sherlock, grogna un John endormi dans le combiné de son téléphone.

- Côté conversation, tu ne respectes pas vraiment les règles de bienséance, John, répondit Sherlock avec un rictus.

- Je me fiche de la bienséance, tu m'appelles à deux heures du–

- Une heure trente-huit, en fait.

- –matin, putain. Ça a intérêt à valoir le coup.

- John, ne sois pas dramatique, soupira Sherlock. De plus, j'ai besoin de toi. »

John poussa un fort grognement.

« Que s'est-il passé ? Je refuse de prendre un putain d'avion pour la France à deux heures–

- Une heure trente-neuf.

- – du matin !

- Aucun avion, John. Je devrais être rentré demain vers midi.

- Ça ne peut pas attendre jusque là ?

- Certainement pas. Je suis sur une enquête.

- Donc, naturellement, je ne suis plus autorisé à dormir à compter de maintenant.

- Tu pourras dormir dès que j'en aurai fini avec toi. » répondit Sherlock.

Il était à peu près certain que John pouvait discerner son rictus car un grognement sourd se fit entendre dans le haut-parleur, ce qui aurait sans doute pu paraître intimidant si la Manche ne les séparait pas.

« Très bien, grommela un John de mauvaise humeur et Sherlock l'entendit repousser ses couvertures en soufflant. Mais ça a intérêt à valoir le coup et je vais faire du thé.

- Avec deux sucres, merci, railla Sherlock.

- Très bien, râla John une fois s'être installé dans son fauteuil et enroulé dans une couverture (Sherlock craignait que ce ne soit la couverture de survie, John semblait s'y être attaché plus que de raison) après avoir préparé le breuvage de son choix.
Maintenant, dis-moi ce qui t'arrive.

- Mycroft s'est fait tabasser, aujourd'hui. » annonça Sherlock de but en blanc.

Le bruit perceptible d'un liquide renversé se fit entendre ainsi qu'un juron marmonné par une bouche pleine de thé (d'après Sherlock), puis enfin, la gorgée fut déglutie et la tasse reposée en un fracas.

« Qu– notre Mycroft ?

- Ou– attends, depuis quand est-il notre Mycroft ? demanda Sherlock.

- Tu te souviens du soir où on a découvert que Rachel me trompait ? Tu as été un vrai connard à me répéter encore et encore "je te l'avais bien dit"–

- Mais je te l'avais bien dit–

- Justement, tu n'es pas censé le faire savoir. Oui, eh bien il m'a laissé rester chez lui pour la nuit. Histoire d'avoir une épaule sur laquelle pleurer et tout ça, pas que j'ai pleuré bien sûr. Il me fallait surtout quelqu'un à qui me plaindre, et qui m'écouterait lui casser du sucre sur le dos. C'est plus que ce qu'Harry n'a fait ou ne ferait pour moi. »

Sherlock cligna des yeux.

« ...Ah, euh. C'est une image très perturbante. Pour répondre à ta question, oui, notre Mycroft.

- Merde. Comment va-t-il ?

- C'est là le problème. Il agit comme si rien ne s'était passé. Il prétend être tombé.

- Tu es sûr qu'il n'est pas juste tombé ?

- Il n'a aucune égratignure sur les mains. Son explication : il a pris tellement de poids qu'il a été incapable de les sortir à temps pour se rattraper.

- Sherlock...

- John, je suis sérieux.

- ...Il a vraiment dit ça ?

- À peu de mots près, confirma-t-il et John souffla, incrédule. Non, vraiment. J'ai eu l'impression qu'il tentait de détourner mon attention.

- On dirait bien, oui. II n'avouerait jamais ce genre de chose en temps normal, et certainement pas à toi.

- Ce qui signifie que quelqu'un l'a attaqué et que pour une raison ou une autre, il le protège.

- Une idée sur la personne ?

- Rien de concret. Il n'a pas été attaqué où je l'ai trouvé, j'en suis sûr, et il est trop tard pour tenter de remonter jusqu'au lieu en question.

- D'accord, donc on va commencer par le début, comme on le fait d'habitude. Qui était présent aux funérailles ?

- Uniquement de la famille. Et ils adorent tous Mycroft. Je n'imagine pas l'un d'entre eux lui faire ça.

- Donc pas d'employés ou de main-d'oeuvre s'affairant dans le coin.

- Le manoir est tenu par ma tante et mes oncles, ils n'ont pas de domestiques à domicile. Et peu importe la main-d'oeuvre à qui ils ont fait appel, il n'y avait personne aujourd'hui. Quand les traiteurs sont arrivés, tout le monde n'était pas encore levé ; Mycroft et moi étions chargés d'aider pour l'organisation. Nous n'étions qu'en famille, John.

- Quelqu'un pourrait s'être introduit sur le terrain et l'avoir attaqué avant de repartir.

- Mais pourquoi Mycroft ne dirait rien ? La sécurité de tout le monde aurait été menacée si ça avait été le cas, de plus, je l'ai déjà vu plusieurs fois après qu'on ait tenté de l'assassiner et il n'a jamais été autant sur les nerfs que lorsque je l'ai trouvé.

- Donc tu penses qu'il connaît son agresseur, murmura John. Il pourrait avoir un lien avec son travail.

- J'en doute fortement. Ses sous-fifres surveillent sa situation–

- Tu estimes qu'ils le font correctement, c'est un acte de foi, venant de toi.

- John, si ça avait été une tentative de meurtre, ou bien il y aurait le corps d'un assassin gisant quelque part sur le terrain et j'aurais été prévenu puis me serais rapidement rendu sur les lieux, ou bien mon frère serait mort.

- OK, très bien. On s'en tient à la famille.

- Pour l'instant ça semble être le plus probable...mais en même temps le moins probable.

- Content de voir qu'on avance.

- Qui voudrait s'en prendre à Mycroft ?

- Mis à part toi.

- J'ai déjà envisagé la chose.

- ...tu as déjà– ?

- Je n'ai aucun souvenir de l'incident et ne peux penser à aucun trou de mémoire. On peut attester de mes allées et venues durant le temps où Mycroft n'était pas là et en le cherchant je suis passé devant pas moins d'une quinzaine des membres de ma famille, je me souviens clairement de chacun d'entre eux, donc encore une fois, pas de trou de mémoire.

- Désolé, j'essaye toujours de me remettre du fait que tu te sois considéré comme suspect–

- Eh bien, il aurait été stupide de ne pas le faire, soupira Sherlock. Que t'ai-je dis à propos d'observer tous les faits, y compris les moins probables ? »

Il pouvait presque entendre John lever les yeux au ciel.

« Donc, étant donné que je viens d'établir mon innocence, ce qui est d'une importance capitale, pouvons-nous, s'il-te-plaît, continuer ?

- Oui, bien.

- Merci.

- Très bien, donc à part toi, est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre dans la famille qui n'est pas en bons termes avec ton frère ?

- Non, je te l'ai déjà dit. Aussi irritant que ce soit, ils l'adorent tous. J'en suis absolument certain.

- Ça n'est pas le cas de tout le monde apparemment. »

Réticent, Sherlock approuva d'un grognement. Bien que cela ne fasse pas de grande différence pour lui, Sherlock n'aimait pas l'idée de voir l'illusion qu'affectionnait son frère, celle d'une famille unie, brisée à cause d'un proche se retournant contre lui. Cette pensée, plus que le reste, le rendit d'autant plus déterminé à découvrir l'identité de l'agresseur.

« Avec qui était-il ? demanda John. Avec qui est-il resté tout seul dans la journée ?

- Tout le monde, marmonna Sherlock en se triturant les méninges. Tante Scarlet, surtout, pour la soutenir moralement. Bentin et Garett bien sûr, de loin nos cousins les plus farceurs. »

Il décida de ne pas commenter le ricanement de John.

« Le grand-oncle Edgar. Il est aussi allé voir tante May et oncle Don–

- Des prénoms étonnement communs–

- Tante May est ma tante par alliance, et Don est le diminutif de Donatello Melchiorre Auditore-Vernet.

- ...ah.

- Grand-maman a vécu une grande partie de la guerre.

- Je vois. Donc, il est allé voir May et Don–

- Ils viennent d'avoir un enfant.

- Seigneur.

- Ils ont appelé William.

- Évidemment.

- Il m'a collé comme une mauvaise odeur lorsque nous évitions tous deux oncle Tiberius et oncle Tobias–

- Vous ne vous entendez pas ?

- Bien au contraire. Ils sont affectueux à l'excès. Encore plus étouffants que maman et eux ont le courage de se montrer câlins avec nous.

- Je vois. Donc...?

- Donc je ne vois personne qui aurait voulu l'attaquer...

- Autre que–

- Oui mais on m'a déjà rayé de la liste, tu te souviens ?

- OK, très bien. Eh bien, je ne sais pas, Sherlock. Y avait-il quelque chose de différent à cette réunion familiale, une chose qu'il n'y avait pas aux autres.

- Eh bien, cette fois il y avait des funérailles.

- Oui, enfin à part ça.

- Hm, grand-papa n'était pas là, naturellement, il est mort l'année dernière. Tout comme Braelyn et Jaquette–

- Qui ?

- Des cousines, la première morte d'un cancer et l'autre d'un accident de voiture.

- Je suis désolé...

- Ne le sois pas. Nous n'étions que des cousins éloignés, et pas particulièrement proches. Néanmoins, elles étaient assez présentes pour que leur absence soit remarquée. De nouvelles personnes sont entrées dans la famille – naissances et mariages – mais Mycroft ne garderait pas le silence pour les protéger.

- Rien d'autre ?

- Je ne sais pas, John ! Quelque chose nous échappe.

- Visiblement, cette approche ne donne rien.

- C'est évident.

- Tentons autre chose. Essayons de remonter depuis le moment de l'incident. »

Sherlock soupira, plus que frustré, mais généralement John parvenait à aider pour ce genre de choses, lorsque lui était perdu. John avait une connaissance de la société qui allait de pair avec la logique de Sherlock, "comme un programme de conversion" avait un jour décrit Lestrade "La logique Sherlockienne de la vraie vie".

« D'accord, grogna-t-il en fermant très fort les yeux.

- Donc tu as trouvé Mycroft, répéta John.

- Dehors, derrière le manoir, après avoir passé cinq minutes à le chercher dans le manoir. Avant cela j'étais dehors, dans la cour, à me mêler aux autres pour tenter de remonter jusqu'à lui.

- Pourquoi ?

- Il avait disparu. Parti avec notre père dix ou vingt minutes plus tôt, et il n'était pas revenu.

- Pourquoi votre père était-il là ? Je pensais qu'il serait resté à la maison avec votre mère. Ou alors elle l'a envoyé là-bas avec vous ? »

Sherlock resta figé pendant un moment, avant de se mettre à rire.

« Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Désolé. C'est juste que mes parents ont divorcé avant ma naissance. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il faisait là et de ce qu'il voulait, peut-être qu'il essaye de retrouver maman ; ils se sont séparés en mauvais termes et il en a autant souffert qu'elle. En même temps, si moi aussi j'avais dû me coltiner Mycroft pendant sept ans je serais sûrement un peu dégoût–

- Qu'est-ce que tu veux dire par "se coltiner Mycroft" ?

- Exactement ce que ça sous-entend. Mycroft a vécu avec notre père durant sept merveilleuses années durant lesquelles j'ai été élevé par maman, juste elle et moi.

- Et après ces sept années ?

- Oh, il a abandonné Mycroft sur notre perron avec l'ordonnance de garde et un mot. Mycroft avait fait quelque chose qui l'a énervé. Je n'ai jamais su quoi, cependant.

- Ton père vient-il à ces rassemblements familiaux d'habitude ?

- Non, ce qui était surprenant en fait, répondit Sherlock les sourcils légèrement froncés en revoyant la réaction de son frère à cet instant-là. Mycroft n'a pas semblé très content, maintenant que j'y repense.

- Et tu ne penses pas que...

- Non.

- Sherlock.

- Non, John. Ce n'est pas ce qui s'est passé.

- Comment peux-tu en être si sûr ?

- Ce n'est pas logique. Écoute... Je veux dire, c'est ridicule.

- Sherlock, il arrive que des pères battent leurs enfants.

- John, vraiment... Non.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu as dis que pendant sept ans ils n'ont été que tous les deux–

- Oui, mais sérieusement ?

- Tu le connais bien ton père ? »

Sherlock rit.

« C'est ridicule.

- Sherlock.

- Je ne le connais pas du tout, d'accord ! Nous ne nous sommes jamais parlé. »

John émit un son de gorge satisfait.

« Mais je connais Mycroft, et toi aussi vu qu'apparemment il est notre Mycroft maintenant. Tu penses sérieusement qu'il...que notre père...que c'était un enfant battu, pour l'amour du ciel ! »

John réfléchit un instant.

« Je n'aimerais pas que ce soit le cas, dit-il. Mais je ne peux exclure ça de la liste des possibilités. Il présente des signes–

- Quels signes ?

- Eh bien, le fait qu'il soit hyper-protecteur envers toi pour commencer, répondit John. En soi, ça ne prouve pas qu'il ait été battu, mais ça couplé à cette obsession qu'il a de vouloir contenter votre mère.

- Je n'appellerais pas ça une obsession–

- J'étais là, au dîner de Noël, tu te souviens ? interrompit John. Il a passé tout notre séjour à tenter de lui faire plaisir.

- Il est toujours comme ça. C'est juste Mycroft qui essaye d'être meilleur que tout le monde et d'être le préféré de maman.

- Sherlock, j'ai vu des gens tenter d'être meilleurs que tout le monde, et c'était du haut-niveau.

- L'armée ?

- L'internat de médecine. »

Sherlock ricana.

« Tu serais surpris de voir combien de bottes certains internes sont prêts à lécher pour avoir une chance d'obtenir une recommandation à la fin.

- Je veux bien te croire.

- Néanmoins, il n'essayait pas tant de surpasser qui que ce soit, c'était plus...je ne sais pas, la peur de la contrarier, et ça je l'ai vu dans l'armée.

- Et c'est la raison pour laquelle on ne tire pas de conclusion sans connaître tous les faits. Tu déformes tout pour coller à cette idée ridicule.

- Sherlock, tout comme toi je serais ravi s'il avait réellement trébuché parce ce qu'il rêvassait durant sa promenade. Mais toi et moi connaissons Mycroft, tu l'as dit toi-même, et tu es celui qui pense que quelqu'un l'a agressé. Que ça te plaise ou non, la seule personne qui assiste rarement aux événements familiaux, abandonne son fils sur le perron de son ex-femme avec l'ordonnance de garde sans être sûr qu'elle le recueillera–

- C'était maman. Il aurait été un parfait inconnu qu'elle l'aurait recueilli.

- Être plus ou moins sûr qu'il n'a pas été abandonné à son propre sort n'est pas pareil que de s'assurer qu'il ne l'a pas été, et de ce que tu m'as dit, il ne s'est pas attardé pour s'en assurer, n'est-ce pas ?

- Non, grommela Sherlock.

- Je dois bien le dire, ce n'est pas la représentation d'un homme sympathique.

- Je n'ai jamais dit que c'était un homme sympathique, mais il y a une différence entre être un parfait connard et avoir des tendances violentes.

- En effet, mais bien que l'un ne signifie pas forcement l'autre, ça n'exclue pas automatiquement la possibilité pour autant. »

Sherlock soupira.

« Très bien, concéda-t-il à contre coeur. Je dois bien avouer que...c'est une possibilité que je garderai à l'esprit.

- C'est tout ce que je te demande.

- Mais je ne suis pas très optimiste.

- Prends juste en compte toutes les possibilités, Sherlock. »

Ce dernier grogna un peu.

« Souviens-toi que Mycroft n'a pas toujours été le Gouvernement Britannique, Sherlock. À un moment donné, ce n'était qu'un petit garçon, comme toi et moi. »

La conversation ne s'éternisa pas longtemps après cela. Sherlock n'avait plus grand chose à tirer des informations en sa possession, et John n'avait plus grand chose à soutirer du palais mental de son ami non plus. À trois heures de matin, John était déjà retourné se pelotonner dans son lit et Sherlock avait entamé sa longue marche afin de retourner au manoir.

Seulement, une fois qu'il fut retourné dans sa chambre, il se retrouva face à un spectacle assez inquiétant.

Son frère dormait toujours, seulement, plus à poings fermés. En effet, il se débattait presque, luttant contre les draps dans lesquels il était complètement enchevêtré des gémissements paniqués recouvraient de façon sporadique une litanie constante de murmures affolés.

Sherlock était déchiré. Il voulait réveiller et sortir son frère d'un rêve qui, cela était plus qu'évident, lui était pénible mais il jurerait avoir entendu quelque part que ce n'était pas la bonne à faire de ce genre de situation.

Cela causerait-il plus de mal que de bien ?

Serait-ce nocif, bénéfique ? Peut-être devrait-il appeler John ?

Mais les murmures de Mycroft se firent de plus en plus forts et il se mit à s'agiter deux fois plus.

« Mycroft, appela Sherlock d'un ton brusque, et saisissant les bras agités de son frère avant qu'il ne se blesse, il le secoua légèrement. Grand frère, réveille-toi.

- Je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé, je suis désolé, répéta un Mycroft en larmes, s'affolant de plus en plus.

- Mycroft, réveille-toi, supplia Sherlock en le secouant un peu plus longuement. »

Tout cela commençait réellement à l'inquiéter, bien plus qu'il ne voudrait l'admettre.

« S'il-vous-plaît, non– » haleta Mycroft avant de se recroqueviller.

Sherlock ne put en supporter davantage.

« Mycroft ! »

Enfin, l'interpellé fit ce qu'on lui avait demandé et se réveilla en un mouvement si brusque qu'il aurait probablement donné un coup de tête à Sherlock par inadvertance si ce dernier n'avait pas sauté en arrière, trébuchant ainsi sans grâce sur son propre pied et tombant sur la moquette en un bruit sourd.

Mycroft haletait et il lui fallut un moment avant de réaliser qu'il était dans son lit, en sécurité, et non au milieu de son cauchemar.

Il ne remarqua Sherlock que lorsque celui-ci se redressa en s'aidant de son coude pour s'asseoir, au lieu de resté étalé sur le sol.

« Tu faisais un cauchemar. » chuchota Sherlock.

Ils avaient de la chance de n'avoir réveillé personne jusqu'à maintenant, ils ne pouvaient risquer d'être découverts pour avoir parlé trop fort. Ce serait d'un amateurisme.

Recouvrant enfin sa respiration, Mycroft hocha la tête en tremblotant et murmura à son tour :

« Visiblement.

- Ça va mieux, maintenant ? » demanda Sherlock.

Mycroft hocha de nouveau la tête, tremblant.

« Évidemment.

- Bien, grommela le plus jeune avant de se relever et de s'écrouler dans le lit, sur le flanc. Essaye de dormir encore un peu. Nous partons tôt dans la matinée.

- Je sais, marmonna Mycroft en se rallongeant lentement sur le lit. Toi aussi. Tu es plutôt d'humeur grincheuse quand tu n'as pas fait ta sieste. »

Sherlock laissa échapper un rire narquois.

« Merci de m'avoir réveillé. » chuchota Mycroft.

Sherlock soupira.

« Je suppose que tu ne voudras pas me parler de ton cauchemar ?

- Tu ne m'écouterais pas.

- Je pourrais bien.

- Vraiment ? demanda Mycroft.

- Vraiment, affirma Sherlock en chuchotant.

- Aussi touchant que ce soit, continua Mycroft en ayant l'air réellement touché. Je crains bien que tu n'aies raison. Je n'ai pas vraiment envie d'en parler.

- C'est toi qui vois, offrit Sherlock en bâillant. Tu sais où me trouver si jamais tu en as envie.

- Bien sûr. »

Il n'y eut plus aucun bruit pendant un moment. Sherlock pensa que son frère s'était rendormi, mais l'illusion fut brisée lorsqu'un peu plus d'une minute plus tard Mycroft souffla « Merci » avant de rouler jusqu'à être dos à Sherlock.

Le jeune Holmes fit semblant de dormir. Cette conversation le mettait bien trop mal à l'aise.

Cela trompa Mycroft mais en même temps, Sherlock ne voyait pas pourquoi cela n'aurait pas marché. Réussir à feindre le sommeil lui avait demandé beaucoup d'efforts. Lorsqu'il était enfant, il était allé jusqu'à s'enregistrer durant toute une nuit dans le but de se perfectionner.

Il fit semblant de dormir durant une heure en espérant que Mycroft s'endormirait bientôt lui aussi, lui permettant d'arrêter son numéro certes convainquant mais pénible.

Ce fut donc une surprise totale lorsqu'à côté de lui, le lit se mit à trembler. Sherlock parvint tout juste à se retenir de se retourner pour jeter un oeil. Il se dit que Mycroft ne pouvait pas être en train d'avoir une crise car il y avait d'autres signes précurseurs, n'est-ce pas ? Et il aurait remarqué les symptômes bien avant, de toute façon.

Les reniflements et les hoquets étouffés qui suivirent auraient dû le réconforter dans l'idée que non, son frère n'était pas en train de faire une crise, que ce n'était pas aussi grave. Et pourtant il ne fut pas rassuré, car il était aussi perdu face à un frère pleurant que face à un frère faisant une crise d'épilepsie.

Alors Sherlock fit la seule chose dont il était capable il ferma les yeux très fort et fit tout, tout ce qu'il put pour s'endormir car son frère avait soit besoin de réconfort, soit besoin d'un moment de solitude, et lui, Sherlock, ne pouvait lui donner que ce dernier.

À suivre...