À présent, nous retournons en Europe pour suivre l'avancée de la mission de secours...

Katymyny : Ah non, il faut faire durer le suspense... Oui, pauvre Ron en effet ^^

Avis à la population ! J'ai une petite annonce personnelle à faire à la fin de ce chapitre. Si la curiosité vous titille, rendez-vous en bas de page ;)


Chapitre 5

État des lieux

Severus Rogue n'avait jamais été grand amateur de balais volants : il leur préférait le transplanage ou les Portoloins pour les longues distances. N'en déplaise à l'étoile défunte des attrapeurs, Mr M'as-tu-vu Potter, et son fidèle toutou tout aussi défunt, il savait néanmoins voler, bien que cet apprentissage ne se soit pas déroulé sans peine, ni sans humiliation. Acheter un balai lui avait toujours paru une dépense inutile puisqu'il pouvait en emprunter au besoin, à Poudlard ou ailleurs. Il répugnait à voyager pendant des heures sur un engin aussi inconfortable, mais il répugnait plus encore à se retourner l'estomac en prenant un Portoloin sous Polynectar. Voler sans balai n'était pas plus envisageable : ce talent restait trop rare, et trop stupidement associé à la magie noire, pour passer inaperçu ; du reste, n'étant pas le Seigneur des Ténèbres, Rogue s'épuisait après quelques centaines de mètres. Quant à remonter dans l'une de ces boîtes de conserve en suspension que les Moldus appelaient avions, il ne voulait même pas y penser : une fois mais pas deux !

Il avait quitté Budapest alors que le soleil se levait dans son dos, n'emportant que quelques affaires dans une sacoche à l'intérieur magiquement agrandi : il savait la bibliothèque de la maison Faraday riche des ouvrages de sorcellerie les plus courants, et escomptait que le laboratoire du deuxième étage contiendrait tous les ingrédients pour potions qui pourraient lui être nécessaires. Il gardait à portée de main une bouteille de Polynectar dont il absorberait une gorgée en approchant des côtes anglaises : quelque chose lui disait qu'après la guerre, l'époque bénie où l'on pouvait transporter par le ciel des bébés dragons était révolue. Si la douane magique procédait à des contrôles, il tenait à lui présenter le visage le plus innocent et insoupçonnable qui soit. Celui de Roman, en fait. Était-ce la faute de Rogue si son équipier avait semé des cheveux partout chez lui lorsqu'il était venu lui apporter son balai ?

Lors de la deuxième halte qu'il s'accorda pour se réchauffer, se dégourdir les jambes et prendre un déjeuner bien mérité, quelque part dans une forêt allemande, le sorcier admira une nouvelle fois son véhicule d'emprunt. Un cadeau de ses parents quand il était jeune, l'avait informé Roman ; une folie qu'il avait dû leur réclamer dans l'espoir d'impressionner les filles avant de s'apercevoir qu'il n'avait ni le style requis pour la monter avec panache, ni le talent d'en tirer des prouesses. À l'époque, ce devait être un bolide, racé et un peu tape-à-l'œil ; aujourd'hui, ses lignes désuètes et sa patine lui conféraient un certain cachet. Le Meteor 520 ne possédait ni l'éclat ni la puissance d'accélération d'un Éclair de Feu, mais ça n'en restait pas moins un bel engin. Étonnamment confortable, qui plus est, pour un balai de course.

Rogue avait calculé son temps de trajet pour s'assurer une arrivée de nuit, et le soleil s'était en effet couché depuis longtemps lorsque le balai de Roman survola la mer du Nord. En dépit de son épaisse cape de voyage, Rogue se sentait à demi gelé par le vent glacial de la course à haute altitude. Il se demanda si, à cette heure, le hibou express renvoyé par Stoya était déjà arrivé à Londres. Le service fonctionnait par relais : un premier oiseau portait le message jusqu'à la poste sorcière la plus proche, où le courrier était pris en charge par un nouveau messager, et ainsi de suite, ce qui permettait d'éviter tout retard dû au temps dont un seul hibou aurait eu besoin pour se nourrir et se reposer. Oui, estima-t-il, Shacklebolt devait avoir reçu confirmation de sa venue, à présent. Sans doute en aurait-il informé Crickey. Connaissant l'elfe, Rogue s'attendait à être accueilli par un bon feu de cheminée et un verre de vin cuit pour le réconforter après ce long voyage, voire une part de tarte aux pommes.

Les yeux rendus larmoyants par le froid qui lui piquait le nez, il jugea que l'heure était venue de boire un peu de Polynectar. Dévisser le bouchon sans lâcher complètement le manche de son balai s'avéra plus difficile qu'il l'aurait cru, mais il finit par y arriver et avala rapidement une lampée de potion. Il s'aperçut alors que boire du Polynectar en plein vol était, pour le coup, beaucoup plus dangereux qu'il l'aurait cru : les violentes crampes qui le saisirent faillirent le désarçonner et, pendant quelques secondes, il se retrouva tête en bas, le Meteor filant à toute allure vers la surface noire et scintillante de la mer, pendant que ses entrailles se tortillaient tel un nid de serpents. Heureusement, il domina son malaise juste à temps pour se rétablir et redresser le manche ; quelques instants plus tard, il avait retrouvé son altitude de croisière et laissé ses crampes derrière lui.

« Pas besoin d'être une star du quidditch pour faire de la voltige », grommela-t-il entre ses dents.

Et pas besoin de scruter les étoiles pour se diriger quand on avait une boussole, se félicita-t-il. Loin au-dessus de lui, la lune poursuivait son voyage serein à travers le ciel semé de diamants, peignant la mer de traînées blanches. La fatigue et le froid commençaient à l'engourdir ; il secoua vivement la tête et s'ébroua, fit quelques prudents loopings pour se réveiller à défaut de se réchauffer. Il lui restait encore une bonne heure de vol avant d'atteindre sa destination et il ne comptait pas se poser d'ici là, bien qu'une noirceur encore plus noire que le ciel, loin devant lui, annonçât que la terre n'était plus très loin. Il pensa avec envie à la baignoire, dans la salle de bains attenante à la chambre qui avait été la sienne dans la maison Faraday : remplie d'eau brûlante, avec une tasse de thé à portée de main, ce serait parfait.

Il les aperçut soudain qui fonçaient sur lui, l'une à droite, l'autre à gauche : deux silhouettes sombres filant à travers l'espace, des bandes lumineuses sur leur robe et le manche de leur balai reflétant l'éclat de la lune.

« Halte ! cria une voix d'homme tandis que le rayon lumineux d'une baguette se braquait comme un projecteur sur le visage de Rogue. Douane aérienne magique ! Veuillez passer en vol stationnaire pour vous soumettre au contrôle. »

Rogue obtempéra. Les douaniers se portèrent à sa hauteur. Dans la lueur de leurs baguettes, il vit qu'ils portaient la même robe d'uniforme bleu horizon que leurs confrères chargés du contrôle des voyageurs internationaux dans les agences de Portoloin.

« Rien à déclarer ? lui demanda le douanier qui lui avait crié de s'arrêter.

– Pas que je sache, répliqua Rogue, étirant les lèvres de Roman en un sourire innocent.

– On va voir ça », dit l'autre douanier.

Il tenait à la main une longue antenne télescopique qu'il déplia pour la passer tout autour du voyageur, y compris le long de sa sacoche et jusqu'à la queue de son balai. Ce dispositif rudimentaire quoique efficace avait pour but de s'assurer qu'il ne cherchait à introduire sur le territoire britannique nul objet, substance ou créature prohibés. Le résultat de l'examen dut satisfaire l'agent car il hocha la tête.

« C'est bon, vous pouvez passer. Volez à distance des agglomérations.

– Et bienvenue en Grande-Bretagne, ajouta son collègue.

– Merci bien, messieurs. Bonne nuit à vous », les salua Rogue, toujours dans son personnage.

Il reprit sa route sans attendre, laissant les douaniers derrière lui. Après les récents événements, il se doutait que les contrôles les plus stricts pesaient, non sur les entrées, mais sur les sorties du territoire : qui savait si un touriste à la mine candide ne cachait pas dans sa malle une Moldue disparue ? Absurde, et néanmoins il fallait s'en assurer.

La nuit était plus profonde que jamais quand Rogue survola l'immense toile d'araignée de la capitale. Il était presque deux heures du matin mais des voitures circulaient encore, de-ci de-là : la ville ne dormait jamais. Planant tel un aigle au-dessus de sa proie, le sorcier descendit lentement en cercles concentriques vers le quartier, la rue, la maison qu'il visait. Sur le toit, le jardin invisible aux Moldus était plongé dans l'obscurité. Rogue se posa silencieusement sur la pelouse et mit pied à terre. Autour de lui, les silhouettes dénudées de trois arbres dressaient leurs branches vers le ciel.

« Qui est là ? » couina tout-à-coup une voix aiguë.

Rogue alluma sa baguette, révélant l'elfe de maison vêtue d'une moelleuse serviette-éponge vert pomme qui se tenait près du mûrier.

« Bonsoir, Crickey, dit-il à voix basse. Je ne pensais pas que tu m'attendrais dehors par ce froid.

– Les elfes de maison sont peu sensibles à la température, Monsieur, répondit-elle.

– Heureuses créatures », marmonna le sorcier en tapant des pieds pour réveiller ses jambes engourdies par le froid et l'immobilité du voyage.

Crickey s'était rapprochée ; à la lueur de sa baguette, il vit qu'elle le dévisageait avec curiosité.

« Crickey ne savait pas que vous vous étiez laissé pousser la barbe ! »

Le Polynectar n'avait donc pas totalement cessé de faire effet : Rogue était en avance sur son horaire.

« Bientôt, il n'y paraîtra plus, assura-t-il. Mais si tu veux une preuve que je suis bien moi… »

Il fouilla un instant dans la sacoche attachée à son balai avant d'en tirer un objet noir que les douaniers n'avaient pas détecté car il n'avait rien d'illégal. Le sorcier lui donna un petit coup de baguette : aussitôt, l'objet se déploya et s'envola à tire-d'aile dans un terrible croassement.

« Corbac ! s'écria Crickey.

– J'en ai profité pour le ramener, expliqua Rogue d'un ton nonchalant. Je n'allais pas lui laisser refaire tout ce chemin par lui-même, pauvre bête… »

De la branche sur laquelle elle s'était réfugiée, la corneille craillait furieusement ce qui devait être des insultes à l'encontre du sorcier. Juste avant son départ, Rogue l'avait stupéfixée pour la fourrer dans sa sacoche. Brinquebalé entre les livres et les paires de chaussettes, Corbac n'avait pu que subir l'inconfort de ce long voyage pendant lequel on ne lui avait même pas donné à manger.

« Il n'a pas l'air ravi, constata Rogue qui, lui, ricanait dans la barbe de Roman. Il aurait peut-être préféré rester avec Jinx… »

Jinx aussi aurait préféré, surtout à partir du moment où l'oiseau s'était trouvé privé de toute possibilité de s'enfuir.

« Les corvidés se souviennent des affronts, Monsieur, l'avertit Crickey. Un jour, Corbac risque de se venger.

– Mais j'espère bien : je pourrai ensuite me venger de sa vengeance », susurra Rogue, doucereux, en caressant sa baguette.

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Après avoir observé avec attention les pseudo-insectes, Alifair décida qu'elle pouvait se risquer à absorber un peu de l'eau stockée dans les creux de la compression la plus proche, puisque les bestioles la traversaient sans dommage. Ce qui ne voulait pas dire qu'elles-mêmes la buvaient, mais bon, il fallait bien tenter le coup. Elle tenta. Ses lèvres, sa bouche et son gosier desséchés lui dirent merci, et son estomac ne s'en porta pas plus mal : elle en conclut donc que l'eau des pseudo-rochers était potable, à petite dose en tout cas. Bon.

« Est-ce que ça se mange, ça ? » se demanda-t-elle tout haut en observant une procession de pseudo-insectes.

Ils ne la mettaient guère en appétit avec les tentacules filandreux qui leur servaient de pattes et le duvet brun rêche qui recouvrait leur corps. En fait, sauf pour la taille, ils n'avaient pas grand-chose à voir avec des insectes. De l'avis d'Alifair, ils ressemblaient plutôt au résultat d'une expérience d'ingénierie génétique qui aurait mal tourné.

« Et en plus, ils sont cannibales, constata-t-elle en voyant deux des pseudo-insectes sauter sur un troisième pour le dévorer. Beurk. »

Ils devaient avoir un moyen de communiquer entre eux, ou peut-être leur instinct de meute était-il particulièrement développé, car ils collaborèrent pour s'emparer de leur proie. Chacun la saisit par une extrémité et tira jusqu'à ce que le corps de la pauvre bestiole se déchire en deux ; les chasseurs se tapirent alors chacun sur sa moitié de cadavre et entreprirent de la pré-digérer en bavant dessus pour en faire de la bouillie, dans l'indifférence générale de leurs congénères.

Fascinée autant qu'écœurée, Alifair se demanda quel goût pouvait bien avoir une telle mixture, et si elle oserait s'allonger près des pseudo-insectes pour piquer un roupillon. L'éternel crépuscule et le fait d'avoir sauté plusieurs repas avaient sûrement déréglé son horloge biologique, n'empêche que le besoin de sommeil se faisait sentir autant que la faim. Cependant, allez dormir le ventre vide dans une nature hostile, et en plein air, en plus ! Il faisait moins froid qu'à Godric's Hollow en novembre, certes, ce qui n'empêchait pas Alifair de frissonner par moments malgré son manteau.

« C'est la fatigue, s'expliqua-t-elle stoïquement à elle-même. Mon organisme pompe dans ses réserves pour tenir le coup. Je me cannibalise moi-même, dit-elle aux pseudo-insectes qui s'en fichaient pas mal. Autant que vous n'aurez pas. »

Il fallait qu'elle mange. Mais elle n'avait aucun moyen de savoir si les pseudo-fruits qui pendaient des pseudo-arbres étaient comestibles – aucun pseudo-oiseau n'était encore venu les picorer. Et les pseudo-insectes chasseurs de choc ne la tentaient vraiment pas. Si elle s'aventurait dans les marécages, elle trouverait peut-être des pseudo-poissons ?

« Ou des pseudo-sangsues, grimaça-t-elle. Mais bon, peut-être que ça, ça se mange ? »

Quel dommage, tout de même, qu'elle n'ait pas emporté son briquet ! Une bonne grosse sangsue bien juteuse grillée à la flamme : l'idée lui mettait presque l'eau à la bouche.

« C'est fou à quelle vitesse on se dénutrit, quand même », observa-t-elle en reprenant sa route.

C'était décidé, elle allait essayer les marais. Si elle n'y trouvait rien à se mettre sous la dent, peut-être un pseudo-crocodile la trouverait-il, elle ? Cette perspective la fit glousser.

« Tu commences à salement débloquer, ma vieille, s'avertit-elle. Le manque d'oxygène te fait tourner la tête. Presque comme si t'avais picolé, dis donc. »

Eh bien, si c'était le cas, elle mourrait le cœur léger – et les jambes flageolantes. Elle ignorait si c'était l'épuisement ou la faim qui affectait ainsi son système moteur, mais elle avait du mal à marcher droit. Une ou deux haltes s'imposeraient sur le chemin des marécages ; elle pourrait en profiter pour faire une sieste réparatrice.

« Qui dort dîne, professa-t-elle en n'en croyant pas un mot. À condition de ne pas servir de repas aux pseudo-insectes. »

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La première chose qu'il vit lorsqu'il se réveilla, ce fut la lampe de chevet avec son cordon électrique et son abat-jour en tissu : le même objet indubitablement moldu qui lui avait sauté aux yeux quand il les avait ouverts dans cette chambre pour la première fois – ou la deuxième peut-être, il ne se souvenait plus très bien. Le papier peint bleu n'avait pas changé, non plus que les meubles de bois clair : dès qu'il aurait rangé ses affaires, ce qu'il n'avait pas pris le temps de faire avant de se coucher, ce serait comme s'il n'était jamais parti. Son rasoir et sa brosse à dents retrouvèrent leur place sur la tablette de la salle de bains. Même son reflet dans le miroir paraissait identique à ce qu'il était un an plus tôt, ou peu s'en fallait : son teint était plus clair que blafard maintenant qu'il ne vivait plus enfermé, ses longs cheveux un peu mieux coupés et coiffés différemment avaient perdu leur aspect négligé. Mais, pour le reste, lui non plus n'avait pas changé.

Il trouva Crickey qui l'attendait au pied de l'escalier. La veille, il n'y avait pas eu de tasse de thé ni de tarte aux pommes : les cernes de la petite elfe trahissaient un haut degré de fatigue. Sans doute ne dormait-elle guère depuis Godric's Hollow. Rogue n'avait pas voulu la priver de repos plus longtemps ; en outre, à peine avait-il posé sa sacoche sur son lit qu'il avait pris conscience de son propre épuisement. Il avait perdu l'habitude de voler si loin et si longtemps, s'il l'avait jamais eue. Et puis, peut-être en avait-il passé l'âge : il allait bientôt avoir quarante ans. Un cap important, comme ne cessait de le souligner Roman à son grand déplaisir. Pourquoi, aussi, Rogue avait-il été assez imprudent pour lui confier sa date d'anniversaire ? Cela s'était produit un soir de pálinka, à n'en pas douter.

« Bonjour, Monsieur », le salua Crickey.

Tout en lui rendant son salut, Rogue la scruta. L'elfe, elle, avait changé : d'une manière qu'il n'aurait su définir précisément, il lui sembla qu'elle avait vieilli. Ses grands yeux mordorés étaient les mêmes, avec leurs longs cils et leurs paillettes d'or, mais des cernes violets les bordaient et de fines pattes d'oie en plissaient le coin. L'inquiétude, l'usure de sa charge, l'âge aussi, peut-être ? Quel âge Crickey pouvait-elle avoir ? Impossible à dire.

« Crickey propose de servir le petit déjeuner dans le salon, dit-elle. Les autres sont impatients de commencer la discussion, Monsieur.

– Les autres ? » releva Rogue, aussitôt soupçonneux.

Viesnaya, son agent de liaison, était-elle déjà là ? S'était-elle permis de venir accompagnée ? Crickey hocha la tête.

« Les portraits, Monsieur, précisa-t-elle. Ils ont passé ces derniers jours à élaborer des hypothèses sur ce qui a pu se passer et Crickey pense qu'ils ont très envie de vous les soumettre. »

Évidemment… Les portraits de générations d'inventeurs, de découvreurs, d'explorateurs et de spéculateurs de haut vol qui formaient la longue lignée des maîtres de la maison Faraday : comment avait-il pu les oublier ?

« Autant nous y mettre tout de suite, en effet, approuva-t-il. Va pour le salon. Je prends du café, à présent, l'informa-t-il. Très noir.

– Crickey va vous le préparer, Monsieur. Monsieur… »

L'elfe paraissait soudain hésitante, embarrassée ; elle détournait le regard, ses doigts tortillant l'ourler de sa chasuble en serviette-éponge.

« Qu'y a-t-il, Crickey ? demanda Rogue, inquiet à présent : l'elfe n'était pas de celles qu'on intimidait facilement.

– Eh bien, commença-t-elle avec lenteur, Crickey ne veut pas paraître grossière… Elle n'aimerait surtout pas commettre un impair, Monsieur, ni vous mettre mal à l'aise… mais…

– Mais quoi ? » s'impatienta Rogue.

Du coin de l'œil, l'elfe lui lança un regard gêné.

« Crickey ne sait pas comment elle doit s'adresser à vous, Monsieur », avoua-t-elle à mi-voix, honteuse de sa propre ignorance.

Cela aussi, il l'avait oublié, ou du moins n'était-ce plus présent à son esprit. Très soucieuse de ses devoirs, Crickey se montrait toujours d'une parfaite correction ; elle devait considérer comme une faute le fait de ne pas savoir comment nommer quelqu'un qui pour elle n'était pas un inconnu. Son interrogation n'avait pourtant rien d'idiot. Le sorcier prit le temps de réfléchir. Autrefois, du temps de son premier séjour entre ces murs, l'elfe l'appelait « Mr Rogue », et sans doute avait-elle continué lors de ses conversations avec sa maîtresse. C'était un nom que lui-même n'utilisait plus, et qui pour autant n'était plus un secret pour Shacklebolt et Viesnaya, les seuls êtres avec lesquels il serait amené à interagir en plus de Crickey, sans compter les portraits qui, tous, le connaissaient comme Severus Rogue…

« Hind, lâcha-t-il finalement. Mieux vaut avoir ce nom-là à l'esprit, au cas où les questions concernant l'aide extérieure reçue par le ministère deviendraient trop pressantes… C'est aussi valable pour le Ministre et mon intermédiaire auprès des Aurors.

– Oui, Monsieur, approuva docilement Crickey, soulagée que cet épineux problème d'étiquette soit éclairci. Crickey a déjà mis la table dans le salon. Est-ce que Mr Hind prendra des œufs avec son café ? »

Il apparut que Crickey et les portraits avaient déjà bien débroussaillé le sujet de la disparition de Godric's Hollow. Assis dans le fauteuil qui était déjà le sien du temps de son premier séjour, Rogue les écouta faire le point en dégustant un œuf à la coque arrosé d'un excellent café ainsi qu'une pile de crêpes que Crickey déposa d'autorité sur la table basse, devant lui.

« Mr Hind a maigri depuis son départ, déclara-t-elle avec un plissement de sourcils contrarié. Il ne mange pas assez. »

Rogue croyait entendre sa grand-mère, qu'il avait pourtant fort peu connue. Il était vrai que, sans elfe pour lui faire la cuisine, il lui arrivait souvent de manger sur le pouce. Contrairement à Roman, il ne consacrait pas ses week-ends à la préparation des repas de la semaine à venir.

« Reprenons les choses dans l'ordre, enjoignit le portrait rougeaud du colonel Fennimore Faraday qui semblait s'être bombardé chef des opérations. Les Aurors ont maintenant l'absolue certitude que la signature magique de l'artefact n'était pas celle d'un Portoloin. Il semblerait donc que notre héritière n'ait été transportée nulle part.

– Mais plutôt expédiée, enchaîna Mona Faraday dont la fille, Georgina, s'était elle aussi invitée dans le paysage au-dessus de la cheminée d'où les portraits pouvaient discuter avec les occupants du salon. Nous privilégions désormais l'hypothèse du professeur Flitwick : un sortilège de Disparition modifié pour pouvoir s'appliquer à un organisme complexe. Celui ou celle qui a fait ça est un enchanteur de talent…

– Et un brillant ingénieur, renchérit Roger Dunbar-Faraday, feu le premier maître de Crickey. Je n'ai pas pu examiner le dispositif, bien sûr, mais d'après ce que j'ai compris, la cage de Faraday originelle, qui normalement reste statique, a été aménagée pour pouvoir être mise en mouvement sans que le sortilège enfermé à l'intérieur perde sa stabilité. Une prouesse ! Je suppose que c'est le frottement de la cage dans l'air qui lui a fait perdre son caractère d'invisibilité. Quoi qu'il en soit, seul l'impact avec la cible devait déclencher le dispositif, et c'est bien ce qui s'est produit…

– À ceci près que la cible était Crickey et non Alifair, nuança le portrait de Thomas Faraday, l'ancien élève de Rogue qui avait légué la maison à sa protégée moldue. Le mobile de l'acte est évident : il s'agissait de mettre un coup d'arrêt au projet d'émancipation des elfes. Les Aurors ont soupçonné des gobelins d'être mêlés à l'affaire, à cause de leur attitude suspecte au moment où le projectile a été lancé, mais on n'a rien pu prouver contre eux.

– Filiark, le plus fervent critique de la commission, ne se trouvait pas à Godric's Hollow, précisa Crickey. Les autres gobelins interrogés se sont déclarés majoritairement indifférents à la libération des elfes. Que ce soit vrai ou non, rien ne permet de les incriminer. Aucun d'eux ne semble posséder les compétences nécessaires à la création du dispositif, et on n'a pas trouvé de lien entre eux et un groupuscule de magie noire.

– Et pourtant, la magie noire ne fait aucun doute ! affirma la jeune Georgina dont le tableau d'origine se trouvait dans le couloir du premier étage, en face de la chambre d'Alifair. Les Aurors, Flitwick et Viesnaya en sont convaincus, et même Lucius Malefoy !

– Lucius Malefoy ? »

L'œuf était en train de refroidir dans son coquetier, mais Rogue n'y prêtait aucune attention.

« Qu'est-ce que Lucius vient faire là-dedans ? Je croyais qu'il était toujours à Azkaban ?

– C'est le cas, confirma Roger Dunbar. Il a écrit au Ministre pour proposer son aide en tant que consultant.

– Consultant ? s'étrangla Rogue.

– En magie noire, indiqua Mona Faraday. Et en échange d'une remise de peine.

– Parlez-moi d'un opportuniste ! cracha avec mépris le colonel Fennimore. Cet homme-là n'a aucun scrupule !

– Mais c'est peut-être ce qui a donné à Kingsley l'idée de se tourner vers un ancien Mangemort, nota d'une voix douce le portrait de Tommy.

– Enfin, ancien Mangemort, c'est une façon de parler, modéra Georgina avec un coup d'œil inquiet à Rogue.

– En tout cas, quelqu'un qui ait davantage que les Aurors l'expérience de la magie noire, conclut Crickey. Est-ce que Mr Hind reprendra du café ? »

Rogue était éberlué. N'ayant pas consulté depuis un bon moment l'édition internationale de la Gazette du sorcier, il ignorait quels détails de l'affaire avaient été rendus publics, mais il était prêt à parier que le conseil de guerre de la maison Faraday en connaissait bien plus que le lecteur lambda.

« Comment savez-vous tout ça ? murmura-t-il d'une voix lente en trempant une mouillette dans le jaune de son œuf refroidi.

– Le professeur Viesnaya nous tient au courant de l'enquête, Monsieur, expliqua Crickey. En tant que professeur de défense contre les forces du Mal, elle a été sollicitée par le Bureau des Aurors pour apporter son éclairage.

– Ce qu'elle a sans doute été bien en peine de faire, et pourtant elle reste leur interlocutrice, marmonna le sorcier en réfléchissant tout haut. Mais j'ai du mal à croire qu'eux la gardent informée des avancées de l'enquête. Après tout, elle n'est qu'enseignante… Et comment a-t-elle su pour Lucius ?

– C'est le Ministre qui le lui a dit, répondit Crickey. Kingsley Shacklebolt est trop occupé pour suivre lui-même l'enquête de près, mais c'est un ami de Miss Alifair, il veille donc à transmettre à Crickey toutes les informations qu'il peut. Comme Mr Hind le sait, le Ministre était autrefois Auror, il lui est donc facile d'être au courant de ce qui se passe dans le service.

– Et puis, bien sûr, n'oublions pas Harry Potter ! » ajouta d'une voix forte le colonel Fennimore.

Rogue tressaillit.

« Potter ? Quoi, Potter ?

– Le Survivant aussi est un ami de notre Alifair, rappela le colonel avec une fierté manifeste. Et un apprenti Auror.

– Harry est actuellement en stage auprès de Gawain Robards, le directeur du Bureau des Aurors, expliqua le portrait de Tommy. Il est donc particulièrement bien placé pour recueillir des informations. »

Ce fouineur de Potter mêlé à l'affaire : voilà qui ne plaisait pas du tout à Rogue. Celui-ci fronça les sourcils.

« Est-ce qu'il risque de venir ici à l'improviste pour faire son rapport ? » s'inquiéta-t-il.

Le sorcier n'aimait déjà pas que Shacklebolt soit au courant de sa survie ; alors, se retrouver face à Potter… Si cela se produisait un jour, Merlin savait comment Rogue pourrait réagir, mais il y avait fort à parier que le Survivant n'en sortirait pas indemne.

« Harry Potter sait que Crickey demeure très prise par ses obligations, assura l'elfe d'un ton apaisant. Elle lui a donc demandé de ne pas venir à la maison sans prévenir, afin qu'elle s'assure d'être disponible. Mais Monsieur Harry ne nous rend pas souvent visite, il est lui-même très occupé, Monsieur. »

Très occupé à brasser de l'air, sans doute, songea Rogue avec un reniflement de mépris. Eh bien, tant mieux, si cela pouvait le tenir à distance.

« Mais comment se fait-il que tu ne sois pas sous protection ? s'étonna-t-il soudain en se tournant vers Crickey. Puisqu'il est établi que tu étais la cible de l'attentat ?

– Le Ministre l'a proposé à Crickey, répondit l'elfe, mais Crickey préfère que les Aurors consacrent leurs efforts à retrouver Miss Alifair et arrêter les coupables.

– Ta protection relèverait plutôt de la Brigade de police magique, il me semble, objecta Rogue.

– C'est ce que je ne cesse de lui répéter ! soupira le portrait de Tommy en levant les yeux au ciel. Les Aurors monopolisent l'enquête et ne laissent à la BPM que les tâches les moins importantes, comme interroger des témoins qui n'ont rien vu et de prétendus suspects que personne ne croit impliqués. Tu ne compromettras pas les recherches en acceptant qu'un ou deux agents veillent sur toi, Crickey. Ils te seront même reconnaissants de les libérer de ces missions inutiles !

– Crickey demande pardon à Monsieur Tommy, mais il ne peut pas savoir ce qui s'avérera ou non utile, personne ne le peut ! répliqua vivement l'elfe. Peut-être l'information cruciale viendra-t-elle des interrogatoires menés par la Brigade de police magique et non des investigations des Aurors. Crickey ne se soucie pas de sa propre sécurité et elle s'en voudrait beaucoup de retarder la découverte de la vérité. Elle ne fera pas passer son intérêt personnel avant celui de Miss Alifair !

– Et tu sais ce qu'elle dirait si elle t'entendait parler comme ça ? » remarqua Rogue à voix basse.

Ils le savaient tous : elle serait la première à insister pour qu'on protège son elfe. Elle ne ferait pas passer son intérêt personnel avant celui de Crickey. Aux mots du sorcier, celle-ci avait baissé les yeux ; mais lorsqu'elle les releva, ses joues étaient roses et son expression butée.

« Crickey sait bien ce que dirait Miss Alifair, déclara-t-elle d'une voix étranglée. Mais Miss Alifair n'a jamais imposé sa volonté à Crickey, même lorsqu'elle craignait pour sa sécurité. Puisque sa maîtresse n'est plus là, c'est à Crickey de décider. Et elle a décidé de se passer de protection. »

Elle s'en tint là, mais son regard s'attarda suffisamment sur Rogue pour que celui-ci comprenne : des agents en faction autour de la maison Faraday représenteraient autant de risques pour la fausse identité du sorcier. Apparemment, son intérêt personnel à lui passait avant celui des autres. Peu désireux de s'étendre sur ce point, Rogue décida de revenir au cœur du sujet :

« Vous avez parlé de magie noire, sans doute à cause des modifications apportées au sortilège de Disparition qui aurait été enfermé dans ce projectile. Ce qui me semble hautement improbable. »

Tout en versant un peu de sirop d'érable sur sa pile de crêpes, Rogue vit les portraits échanger des regards satisfaits, comme s'ils s'étaient attendus à une telle remarque.

« Improbable, certes, concéda Mona Faraday d'une voix douce. Impossible, sûrement pas.

– Nous entrons à présent dans le domaine de la spéculation magique, annonça Roger Dunbar.

– Des raisonnements de haut vol dont tous les esprits ne sont pas capables, prévint le colonel.

– Fort heureusement, nous sommes des Faraday », conclut le portrait de Tommy.


J'ai hésité à lui faire dire "nous sommes TOUS des Faraday", parce que techniquement Rogue n'en est pas un, même s'il en a l'esprit :)

Et maintenant, la minute perso : je me suis récemment lancée dans l'autoédition et je me dis que, si vous aimez les aventures d'Alifair et co, vous apprécierez peut-être le reste :) Vous pouvez aller voir mon blog pour vous faire une idée, c'est gratuit, anonyme, et ça n'engage à rien. L'adresse est https[deux points][double slash]dossiersk[point]wordpress[point]com (désolée, c'est tout ce que j'ai trouvé pour que ff la laisse passer). N'étant ni développeuse ni graphiste, je me suis débrouillée avec les moyens du bord ; on va dire que le résultat est vintage :) Et j'aimerais bien avoir votre avis sur mon article consacré à la fanfiction !