Un chapitre en trois parties pour voir où en sont les uns et les autres... Accrochez-vous, ça va spéculer dur !
Katymyny : Je voulais justement aborder ce point à un moment, il ne faudra pas que j'oublie !
Chapitre 6
Spéculations
« "Où vont les objets disparus ?" récita doucement le portrait de Tommy. C'est une énigme que nous posait souvent le heurtoir, à l'entrée de la salle commune de Serdaigle.
– "Dans le non-être, c'est-à-dire dans le tout", répondit Georgina. Moi aussi, je la connaissais.
– Qu'est-ce que cela signifie ? interrogea Rogue.
– Que, si sortilège de Disparition il y a eu, c'est là qu'Alifair a été expédiée, expliqua Mona Faraday de sa voix douce. Dans le tout, ou le rien. »
Le sorcier inspira profondément et se carra dans son fauteuil pour mieux dévisager les portraits. On entrait dans le domaine de la spéculation, en effet ; les raisonnements échevelés n'effrayaient pas les Serdaigle, ainsi qu'il s'en était aperçu plus d'une fois en discutant avec Flitwick, mais ils manquaient souvent de corps pour satisfaire un Severus Rogue. De corps, de matière, de concret, qui justifie qu'on s'y adonne et permette de les manipuler. Quel sens y avait-il, par exemple, à s'interroger sur la magie des étoiles ? Outre le fait que cette théorie ne pourrait jamais être vérifiée, elle ne présentait aucun intérêt pratique. Dans le cas qui les occupait, un fait était tangible : la disparition d'une femme. Jongler avec les concepts de néant et de plénitude ne les aiderait en rien à résoudre l'équation.
« Crickey ne comprend pas, Madame, dit alors l'elfe, évitant au sorcier d'exprimer tout haut ses propres doutes.
– Tu n'es pas la seule, répondit Mona avec bienveillance. La théorie du vide et du plein laisse bien des gens perplexes.
– Pour résumer, l'idée est que les objets frappés par un sortilège de Disparition se décomposent instantanément en unités infinitésimales, expliqua le portrait de Tommy. Alifair parlerait d'atomes. Certains théoriciens considèrent que c'est aussi le cas, après la mort, de la substance spirituelle qui constituerait l'âme. »
Rogue haussa un sourcil, mais Roger Dunbar enchaînait déjà.
« En fait, cette proposition donne lieu à deux hypothèses partiellement contradictoires. Soit les objets se dissolvent là où ils se trouvent et leurs composants élémentaires rejoignent le tout, c'est-à-dire le monde : l'air, la terre, l'univers et tout ce qui le constitue ainsi que nous-mêmes. Soit on considère que les objets disparus sont envoyés dans le non-être, là où rien ne peut subsister. Ils y sont alors volatilisés et leurs composants élémentaires siphonnés par le tout, car le rien ne peut évidemment se remplir.
– "Le tout" peut alors signifier notre monde, notre réalité, ou bien une autre, précisa le portrait de Tommy. Ou des autres. Rien n'interdit de penser que cette matière élémentaire, en se recomposant, engendre de nouveaux univers. »
Les portraits hochaient doctement la tête dans leur paysage champêtre, comme si tout cela était aussi avéré qu'évident. Dehors, une petite pluie s'était mise à tomber, grise et froide à l'image du ciel. Crickey se pencha vers la cheminée ; il y eut un craquement sonore et, un instant plus tard, un feu réconfortant crépitait dans l'âtre.
« C'est donc à cela que vous occupiez mes cours : réfléchir à des questions de magie métaphysique, remarqua tout bas Rogue à l'adresse du portrait de Tommy. Moi qui croyais que vous vous contentiez de bayer aux corneilles. Me voilà rassuré. »
Dans le tableau, le jeune homme peint afficha un sourire contrit.
« Tout cela est fort intéressant, convint le sorcier un ton plus haut, mais je vois mal en quoi cela nous éclaire. En réalité, cette théorie me semble incompatible avec les faits tels que nous les connaissons.
– Tout juste, approuva Roger Dunbar. Voilà pourquoi c'est si intéressant. »
Rogue avait fini ses crêpes : aidées par cette intense réflexion commune, elles étaient passées toutes seules. Il se cala contre le dossier de son fauteuil et joignit les doigts sous son menton en attendant la suite de la démonstration. Du temps où il enseignait, il ne confiait jamais à ses élèves la tâche de réaliser des exposés – pour rien au monde il ne se serait infligé ça – mais il voyait maintenant à quoi cela aurait pu ressembler. Si lesdits élèves avaient disposé d'un cerveau, bien entendu.
« Nous avons établi qu'Alifair était toujours en vie, commença Fennimore d'un ton énergique, mais Rogue l'interrompit.
– Faux : vous avez établi qu'il était probable qu'elle soit toujours en vie. Sur la base de l'absence d'un portrait et du fait qu'une elfe de maison puisse se permettre d'agir à sa guise, ce qui était déjà le cas quand la bonne santé de sa maîtresse était une réalité constatable par tous.
– Ne soyez pas tatillon ! Vous êtes bien placé pour savoir ce que l'absence de ce portrait signifie ! » lança celui de Tommy.
Rogue le foudroya du regard : il avait beau ne plus être son professeur, il n'appréciait pas du tout que ce jeune insolent lui parle ainsi. Même si, en l'occurrence, il disait juste : Rogue savait pertinemment que l'absence de son propre portrait parmi ceux des anciens directeurs et directrices, dans le bureau du chef d'établissement de Poudlard, pouvait avoir mis Viesnaya sur la piste de la vérité – elle et d'autres.
« Le portrait du maître ou de la maîtresse de maison est toujours apparu dans le salon Faraday après sa mort, Monsieur, affirma Crickey. Qu'il s'agisse de sorciers ou de Moldus n'a jamais fait de différence. Et Crickey sait que Miss Alifair est en vie, Monsieur. Elle le sent. »
Rogue l'observa en silence. La magie des elfes était méconnue, mystérieuse ; aussi se pouvait-il qu'elle ait raison. À moins que son prétendu instinct ne soit que sentimentalisme.
« Admettons, lâcha-t-il avec hauteur.
– Puisque Alifair est toujours en vie quelque part, insista le colonel Fennimore, cela implique qu'elle ne s'est pas vaporisée en particules infinitésimales…
– Et, donc, qu'elle n'a pas été frappée par un sortilège de Disparition, compléta Rogue.
– Ou bien que, mise à l'épreuve des faits, la théorie du vide et du plein se révèle caduque ! contra le portrait de Tommy, enthousiasmé par cette perspective.
– Dans un cas comme dans l'autre, Alifair n'a pas été expulsée dans le néant, s'immisça Roger Dunbar.
– Ce qui nous ramène à notre point de départ : nous n'avons pas la moindre idée de l'endroit où elle est passée », termina impatiemment le sorcier.
Ces raisonnements stériles commençaient à l'agacer. Il aurait mieux aimé, à la place, examiner les débris de l'engin utilisé pour l'attentat : peut-être y trouverait-il un élément significatif passé à la trappe lors de l'analyse menée par les Aurors. Nullement troublés, les portraits affichèrent à nouveau des regards entendus et des sourires satisfaits.
« Vous oubliez que même la magie a des limites, déclara Mona Faraday. Même la magie noire, qui pourtant s'efforce de toujours les repousser.
– On ne peut pas créer la vie à partir du néant, récita Georgina. On ne peut pas faire revivre ce qui a cessé de vivre. On ne peut pas rendre propice à la vie ce qui lui est impropre…
– Principe à l'origine de la loi de Gamp sur la métamorphose élémentaire, glissa Roger Dunbar.
– Je sais tout ça ! balaya Rogue, irrité – il n'avait pas fait tout ce chemin pour se faire seriner les bases de la sorcellerie comme un vulgaire débutant ! – Venez-en au fait si vous avez quelque chose de constructif à dire !
– Les modifications apportées à un sortilège peuvent affecter son intensité ou son champ d'application, mais pas en altérer la nature profonde, énonça Mona. Un sortilège de Disparition produira les mêmes effets, qu'il soit appliqué à un objet inanimé ou, après modification, à un organisme complexe.
– Ce qui veut dire que, si Alifair n'a pas été propulsée dans le non-être et dans le tout, c'est également le cas de tous les objets disparus, triompha le colonel.
– À quoi cela nous avance-t-il de le savoir ? s'emporta Rogue, les mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil.
– Outre le fait de porter un coup fatal à une théorie séculaire, vous voulez dire ? demanda Roger Dunbar, malicieux.
– La recherche a prouvé que les objets disparus ne se rematérialisent pas tels quels à un autre endroit du globe, rappela le portrait de Tommy. Or, s'ils ne se dissolvent pas non plus en particules élémentaires…
– C'est qu'ils échouent ailleurs, conclut Mona. Un ailleurs propice à l'existence humaine, comme en atteste la survie d'Alifair. »
Le visage de Rogue s'était figé dans une expression d'intense concentration. Il pensait enfin comprendre où les portraits voulaient en venir…
« Vous voulez dire, commença-t-il d'une voix enrouée avant de s'interrompre pour se racler la gorge. Vous voulez parler d'un autre monde ? »
Si cette supposition s'avérait fondée, les implications étaient faramineuses. Et les espoirs de retrouver la disparue, plus minces encore que l'ombre d'un Ronflak Cornu.
« Extraordinaire, n'est-ce pas ? » s'épanouit le colonel.
Explorateur dans l'âme, il pouvait trouver de quoi se réjouir à cette idée. Rogue, lui, n'y voyait qu'une impasse. Comme en écho à ses pensées, la pluie s'intensifia, battant les vitres de ses gouttes troubles, sales, dans un bruit que les ronflements du feu ne suffisaient pas à étouffer.
« Pour retrouver Alifair, nous devons donc répondre à notre question initiale, relança Georgina. En toute logique, si nous tenons compte de tous les facteurs énoncés précédemment, où vont les objets disparus ?
– À condition qu'il s'agisse bien d'un sortilège de Disparition », objecta Rogue.
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« Nom d'un troll en slip, c'est ré-pu-gnant ! »
Roman coula un œil hésitant vers son stagiaire. Habitué à la prononciation précise de John, l'accent du jeune homme lui compliquait un peu les choses : il avait dû mal comprendre le début de la phrase.
« Allons, Ron, c'est la nature », répliqua-t-il d'un ton apaisant.
La grimace sur le visage du jeune sorcier indiquait assez ce qu'il pensait de cette sorte de nature.
Blottis dans un fourré, ils surveillaient la progression des Acromentules dans le couloir de migration qu'ils avaient tracé à travers une forêt profonde. Pendant la mise en place du balisage, Ron s'était montré enthousiaste et bavard, parlant de ses précédents emplois et, surtout, des hauts faits accomplis en compagnie du célèbre Harry Potter. Roman n'en aurait sûrement pas cru trois mots si Stoya elle-même ne l'avait informé du passé glorieux du jeune Weasley ; alors il écoutait avec attention, ébahi par le courage et la ténacité de ces tous jeunes gens. Voilà des exploits que même John n'aurait pu prendre de haut, pensait-il.
Et puis, à l'apparition de la première créature, Ron s'était refermé comme une huître, le teint de la couleur du lait caillé. Roman l'avait entraîné à l'écart et, depuis, ils observaient. Le chasseur pensait initialement confier à son auxiliaire le comptage des individus qui passaient devant eux dans un bruissement de feuilles froissées par des pattes innombrables, mais Ron pouvait à peine soutenir leur vue.
« Remarquable spécimen, disait Roman à mi-voix en griffonnant sur son bloc-notes. Oh, et celui-là, tu as vu ? Quelle belle couleur ! Ce doit être un dominant…
– Magnifique, grommela Ron, sa voix déformée par la grimace qui ne quittait pas son visage. Aussi magnifique que ceux qui ont failli nous dévorer, Harry et moi.
– Ah oui ? fit Roman d'un ton absent, concentré pour ne pas perdre le compte. Vous en avez fait, des choses intéressantes… »
Ron lui lança un regard torve mais ne répondit pas.
« Dans ce couloir ne circulent que les mâles, expliqua le traqueur dans un souffle. Grazia et Andie s'occupent des femelles. Nous ne voulons pas qu'ils se croisent avant l'aire de rencontre : les parades nuptiales et les combats nécessitent un très grand espace. S'ils avaient lieu ici, les araignées détruiraient une bonne partie de la forêt et risqueraient même de s'échapper. Crois-moi, ce n'est pas une partie de plaisir de chasser l'Acromentule en chaleur…
– Je vous crois », grogna Ron, le regard rivé au flot de dos velus, d'yeux brillants et de longues pattes articulées qui se déversait à quelques mètres d'eux.
Un soudain bruit d'écroulement le fit sursauter : l'un des plus petits individus, bousculé par un autre, venait de tomber à la renverse. Réduit à l'impuissance, il agitait vainement vers le ciel ses pattes emmêlées tandis que la marée de ses congénères le piétinait, imperturbable.
« Le pauvre, soupira Roman en posant son bloc-notes. Tu l'entends appeler à l'aide ? »
Tout ce que Ron entendait, c'était un affreux cliquetis de pinces qui lui rappelait d'affreux souvenirs. À côté de lui, Roman se redressait prudemment, baguette levée.
« Il faut qu'on le sorte de là, annonça-t-il.
– Quoi ? s'étrangla Ron.
– Les autres vont le tuer sans même s'en rendre compte, expliqua Roman en s'avançant vers le couloir. On va le mettre à l'écart jusqu'à ce que le plus gros de la troupe soit passé. Tu viens ?
– Heu… non… »
Le chasseur se retourna : le jeune sorcier était vert de peur. Un autre que Roman se serait moqué, surtout après tout ce que Ron s'était vanté d'avoir accompli ; mais le Hongrois savait qu'on ne contrôlait pas ses phobies. La peur des Acromentules n'empêchait sans doute pas Ron d'être très brave par ailleurs.
« Très bien, dit-il avec douceur. Alors essaie de continuer le comptage, d'accord ? »
Pendant ce temps, l'araignée renversée avait cessé ses cliquetis de pinces ; ses pattes pendaient, brisées, de part et d'autre de son corps ; seuls ses yeux brillants indiquaient qu'elle vivait encore. Roman se tapit tout à côté du couloir invisible et pointa sa baguette.
Lentement, le corps inerte de l'araignée commença à s'élever du sol. Obnubilés par les marqueurs olfactifs qui traçaient leur route, ses congénères n'y prêtèrent aucune attention. Flottant au-dessus de la masse velue de ses semblables, l'Acromentule quitta le couloir de migration ; Roman la conduisit un peu plus loin, au milieu des arbres, et la déposa doucement sur le sol tapissé de feuilles.
Un rapide examen confirma au chasseur que la créature était dans un piètre état. Tout en fredonnant sa mélodie favorite, chargée de magie, pour la rassurer, Roman entreprit de soigner ses pattes blessées. Les multiples yeux de l'araignée ne le quittaient pas, détaillant chacun de ses gestes. Elle avait eu beaucoup de chance que le balisage odorant concentre l'attention de ses semblables : en temps normal, ceux-ci l'auraient proprement dévorée vivante. On ne tolérait pas la faiblesse, chez les Acromentules, sauf lorsque celle-ci résultait d'une vie longue et bien remplie.
« Et voilà ! annonça finalement le sorcier. Ce n'est qu'un rafistolage mais, dans quelque temps, tu seras complètement guéri. »
L'araignée pouvait à nouveau bouger ses pattes. Tout en faisant jouer ses articulations, elle cliqueta des pinces pour marquer sa satisfaction. Puis elle s'aperçut qu'elle avait faim, ce qui était bien naturel après toutes ces émotions. Et ses yeux multiples se posèrent sur l'humain dodu qui se tenait imprudemment tout près d'elle.
« À table ! » s'écria l'Acromentule dans sa propre langue en bondissant sur Roman.
Projeté au sol, celui-ci leva sa baguette mais une patte de l'araignée l'écarta tandis que les énormes pinces luisantes cliquetaient férocement, juste au-dessus de sa tête…
« Stupéfix ! »
Le sortilège rebondit sur le corps puissant de l'araignée sans lui causer de dommage, mais détourna son attention.
« Expulso ! » beugla Ron en visant cette fois les yeux de la créature.
L'araignée géante évita le maléfice mais, dans son mouvement, relâcha le bras de Roman. Profitant de sa position, celui-ci pointa sa baguette vers le ventre de la créature et s'écria :
« Rictusempra ! »
Aussitôt prise de chatouillis irrépressibles, l'araignée se convulsa ; ses pattes tout juste guéries se dérobèrent sous elle et elle roula sur le dos, son ventre poilu agité de spasmes. Ron se précipita pour aider Roman à se relever tout en gardant prudemment l'Acromentule à l'œil.
«Rictusempra contre une araignée géante, je n'y aurais jamais pensé, reconnut-il d'une voix blanche en songeant à quel point George apprécierait l'idée.
– Content de savoir que je t'aurai appris quelque chose, sourit Roman en secouant sa robe pour la débarrasser des feuilles qui s'y étaient collées. C'est pour ça que les traqueurs travaillent en binôme la plupart du temps : chacun surveille les arrières de l'autre. Heureusement que tu étais là.
– Oh, ouais…, marmonna Ron, gêné. Enfin… Désolé de ne pas vous avoir accompagné tout de suite…
– Tu es arrivé au bon moment, c'est l'essentiel », dit gentiment Roman en lui tapant sur l'épaule.
Ron eut un faible sourire puis se détourna pour contempler l'araignée. Celle-ci se convulsait toujours sous les chatouilles, agitant vainement ses pattes interminables. Un spectacle répugnant, jugea-t-il.
« Qu'est-ce qu'on en fait ? »
Roman jeta un œil au couloir de migration : la majorité des Acromentules étaient déjà passées. Seuls quelques retardataires se hâtaient encore le long du balisage magique qui les empêchait de s'éloigner du droit chemin.
« On va bientôt pouvoir le relâcher », déclara Roman.
Il leva le sortilège et l'araignée s'immobilisa en repliant mollement ses pattes vers son ventre exposé. Ron l'observait avec appréhension mais Roman se tenait prêt à relancer le sort à tout moment. L'Acromentule semblait cependant trop épuisée pour représenter un danger dans l'immédiat.
Lorsque le dernier spécimen eut disparu à la suite de la troupe des mâles en rut, le chasseur fit à nouveau léviter l'araignée géante. Surprise et effrayée, celle-ci se débattit faiblement en agitant les pattes, mais Roman la fit tranquillement passer au-dessus du balisage magique et la posa en douceur sur le sol. Après quelques instants de perplexité tremblante, l'araignée flaira de nouveau les marques olfactives ; son instinct de reproduction se réveilla aussitôt et elle fila le long du couloir de toute la vitesse de ses pattes.
« De rien, c'était un plaisir ! lui cria Ron une fois qu'elle eut disparu parmi les arbres. J'espère qu'elle ne se reproduira pas, celle-là, ajouta-t-il à l'adresse de Roman.
– Il y a peu de chances, répliqua le traqueur en se dirigeant vers le fourré où il avait laissé son bloc-notes. Son jeune âge et sa petite taille étaient déjà des handicaps mais, dans son état, les plus gros mâles ne lui feront pas de quartier. »
Ron haussa les sourcils.
« Donc on l'a sauvé pour qu'il aille se faire tuer ? résuma-t-il.
– Probablement. Mais probable n'est pas certain. Et mieux vaut mourir en combattant pour sa belle que piétiné par une foule en délire, tu ne crois pas ? »
Ron trouvait cette présentation des choses un rien exagérée. Sans répondre, il se hâta à la suite de Roman qui s'était mis à longer le couloir dans la direction qu'avaient prise les araignées.
« Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? s'enquit le jeune sorcier.
– On va jusqu'à l'orée de l'aire de reproduction : il y aura peut-être d'autres blessés à remettre sur pattes en chemin, ou des cadavres à dégager. »
À ces mots, Ron grimaça de dégoût.
« Ensuite on aura un répit de quelques jours avant que les araignées commencent à s'en aller, continua posément Roman. D'ici là, on aménagera des couloirs secondaires vers les lieux de ponte des femelles. Elles sont très prudentes quand elles sont pleines, il n'y aura pas besoin de les surveiller. Par contre, il faudra de nouveau superviser la circulation des mâles. Oui, on a encore beaucoup de travail, conclut-il d'un ton satisfait, c'est pour ça qu'il est plus pratique de camper sur place que de rentrer à Budapest.
– Moi ça ne me change pas, je campe aussi à Budapest, observa Ron.
– La deuxième chambre de mon appartement est celle de ma fille, mais j'ai un canapé convertible, tu sais, proposa Roman. Si tu n'as pas peur des poules en plus des araignées. »
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La nuit était tombée. Un vent froid s'était levé qui chassait les nuages et hululait dans les branches sans feuilles. Quelque chose de plus réconfortant que le thé s'imposait face à ces prémices d'hiver, aussi sept verres de whisky Pur Feu rougeoyaient-ils sur la table basse.
« Eh bien, où en est-on ? interrogea Onyx.
– L'enquête se poursuit, mais sans aucune piste sérieuse, semble-t-il, répondit Ambre. L'interrogatoire des suspects gobelins n'a rien donné de probant.
– Encore heureux ! grommela Azurite. Il n'aurait plus manqué que ça !
– Tu as magnifiquement accompli ta mission, à ce qu'on m'a dit, glissa Perle de sa voix timide. La diversion a très bien fonctionné.
– Ambre était en appui pour s'en assurer », précisa modestement Azurite.
La courtoisie était de mise ce soir, alors que sa réussite avait valu à Azurite de troquer son tabouret contre une chaise semblable à celles d'Ambre et Sélénite ; à ceci près que Sélénite avait maintenant gagné un coussin, et qu'Ambre était en lice pour en obtenir un.
« Qu'en est-il de la cible ? s'enquit Béryl.
– La commissaire Crickey continue de paraître à la Chambre verte, indiqua Topaze. Elle dit avoir refusé toute protection particulière mais la sécurité est renforcée lors de ses apparitions publiques. Les travaux de la commission à l'émancipation sont pour l'instant suspendus.
– Bon ! Ce petit accroc aura au moins eu un effet positif ! se réjouit Sélénite.
– Deux, contra Onyx dans un sourire. Blake aussi méritait d'être remise à sa place. C'est chose faite.
– Mais, risqua Perle, n'est-ce pas étonnant qu'une Moldue ait été réactive à…
– J'y ai réfléchi, interrompit Sélénite, et ça me semble très logique, en réalité.
– Nous te croyons sur parole », affirma Béryl.
Sept verres furent levés dans un silence seulement troublé par le crépitement du feu, mais seules six paires de lèvres s'y trempèrent.
« Que fait-on en ce qui concerne la commissaire Crickey ? » voulut savoir Topaze.
Onyx et Béryl se consultèrent du regard.
« Rien pour l'instant, décréta Béryl. Attendons. Cette épreuve la fera peut-être réfléchir. »
Perle approuva d'un hochement de tête soulagé mais Azurite émit un ricanement sceptique.
« Le Ministre est également fautif dans cette affaire, lui rappela Onyx, sévère. Tout comme Weal Enys.
– Alors pourquoi ne pas nous en prendre à eux ? » répliqua vivement Azurite.
Topaze fronça les sourcils : le récent succès d'Azurite lui montait à la tête. Persister dans cette attitude pourrait lui valoir de dégringoler jusqu'au pouf. Une sérieuse rétrogradation, si confortable soit-il.
« Chaque chose en son temps », déclara Onyx d'un ton ferme.
Un nouveau silence ponctua ses paroles. Au bout d'un moment, Ambre se trémoussa, mal à l'aise sur son siège de bois dur.
« Il y a quand même un… un sujet d'inquiétude.
– Lequel ? interrogea Onyx.
– Larissa Viesnaya n'y connaît rien en magie noire, c'est un fait, mais elle a convaincu le Ministre d'en appeler à des spécialistes étrangers, annonça Ambre, et un murmure parcourut la petite assemblée.
– Qui donc ? Quels spécialistes ? s'affola Perle.
– Je n'en sais pas plus, avoua Ambre. Ils doivent arriver dans les prochains jours, si ce n'est pas déjà fait. »
Béryl plissait un front inquiet et Onyx inspira profondément.
« Et alors ? lâcha soudain Sélénite. Ils arriveront peut-être à comprendre ce qui s'est passé, mais je ne vois pas ce que ça change pour nous. Je n'ai pas enregistré mon invention au Bureau des Brevets. »
Un rire timide salua cette remarque, qui gagna en assurance lorsque Béryl et Onyx s'y joignirent.
« Tu as raison, convint Béryl. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter.
– Ces spécialistes seraient-ils capables de ramener Miss Blake ? » demanda Topaze avec curiosité.
Sélénite afficha un sourire rusé.
« À ma connaissance, il est impossible d'inverser le processus. »
Azurite émit un soupir d'aise.
« Tout de même, quelle belle invention ! »
Tout le monde éclata de rire à nouveau, sauf Perle dont l'inquiétude était visible.
« Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux essayer d'en savoir plus sur ces spécialistes étrangers ? Juste par précaution…
– Je fais ce que je peux, rétorqua Ambre d'une voix sèche.
– Oh, je m'en doute ! assura Perle précipitamment. Mais peut-être que d'autres personnes pourraient aussi chercher…
– Ah oui ? Et qui ? » cingla Ambre, et Perle se tassa sur son tabouret.
Béryl réfléchissait.
« Ce n'est pas une mauvaise idée… Un surplus de connaissance ne peut pas faire de mal…
– Mais une curiosité insistante risque d'attirer l'attention, objecta Ambre avec déférence.
– Sauf si elle émane de quelqu'un dont c'est le métier », répliqua Béryl.
Perplexes, Topaze et Azurite froncèrent les sourcils ; Ambre haussa le sien et Perle dévisagea Béryl la bouche entrouverte. Mais Onyx et Sélénite avaient compris.
« Excellente idée ! approuva Onyx, enthousiaste.
– Après tout, il n'y a pas de raison de garder cette information-là pour nous, renchérit Sélénite avec un sourire amusé.
– Et si cela perturbe le travail des spécialistes, ça n'en sera que mieux », conclut Béryl.
J'espère ne pas vous avoir perdus avec tous ces raisonnements mystérieux... Le prochain chapitre devrait reposer sur des bases plus concrètes :)
